De nombreuses études ayant examiné des sujets MONW dans la population générale ont démontré sans équivoque qu’ils ont un risque cardio-métabolique accru, associé notamment à une prévalence élevée de MetS, une incidence accrue de diabète de type 2 (DT2), et une mortalité plus élevée. A ce jour, le phénotype MONW chez les patients avec DT2 demeure mal documenté. Une des raisons est que définir ce phénotype est moins évident qu’il n’y paraît en présence de diabète. La prédominance d’obésité et d’IR dans la forme commune du DT2 ne permet pas de définir un état MO à partir de seuils d’insulino-sensibilité basés sur des quartiles ou des écarts-types des valeurs retrouvées dans une population générale non-diabétique, alors que les comorbidités associées à l’IR et l’hyper-insulinémie empêchent la sélection d’un critère cardio-métabolique « clé » unique pour identifier un état MO chez des diabétiques.
COHORTE DES CLINIQUES ST-LUC
Pour évaluer la prévalence et le phénotype des diabétiques MONW, nous avons analysé une cohorte de patients DT2, chez lesquels les individus métaboliquement (mal)sains ont été définis en fonction de l’IMC d’une part, et de la présence ou absence d’un MetS, d’autre part. La présence d’un MetS se définit par un score ≥3/5 pour les 5 items suivants: (i) altération de la glycémie à jeun ou diabète avéré; (ii) hypertension artérielle; (iii) tour de taille augmenté; (iv) hypertriglycéridémie; et (v) diminution du cholestérol des lipoprotéines de haute densité (HDL-C). Le critère de MetS a été sélectionné sur la base qu’un score de MetS ≥3/5 correspond à un seuil d’IR cliniquement pertinent. De plus, l’acquisition de ce score repose sur une grappe de critères contribuant de manière égale au score, en évitant de favoriser un composant du phénotype malsain par rapport aux autres.
Notre étude transversale comprenait 1244 adultes DT2 (Nord-Caucasiens (81%), Nord-Africains (8%) et Africains subsahariens (8%)). Un phénotype de MetS était présent dans 80%, avec un score moyen de sévérité du MetS de 3,6/5. Une hypertension artérielle était retrouvée chez 86%; une stéatose hépatique chez 69%; et un syndrome d’apnées du sommeil chez 13% des patients. La sensibilité à l’insuline moyenne de la cohorte était de 55%; la fonction β-cellulaire résiduelle, estimée par le produit hyperbolique [BxS], de 29%; et le taux annuel de perte de fonction β de 1,27%. Des complications micro- et macro-angiopathiques étaient présentes chez 48% et 34%, des patients, respectivement. Les patients ont été divisés en 2 groupes en fonction de la présence/absence d’obésité (IMC <25,0 kg.m-2 (poids normal [groupe NW] et ≥25,0 kg.m-2 [groupe obèse]); ensuite, les patients NW ont été subdivisés selon l’absence (NW-MetS[-]) ou la présence d’un MetS (NW-MetS[+]).
Obèses vs. NW
Les patients obèses représentaient 79% des DT2. Il n’y avait pas de différences entre les groupes concernant l’âge; le sexe; et la durée du diabète. Les niveaux socio-éducatifs et l’activité physique étaient plus élevés chez les NW. Le tabagisme et l’apport d’éthanol étaient similaires dans les deux groupes. Un phénotype de MetS était présent dans 42% des NW vs 90% des obèses, avec un score moyen de sévérité du MetS de 2,5/5 chez les NW contre 3,9/5 chez les obèses. Une hypertension était plus fréquente chez les obèses (+23%), avec une pression artérielle systolo-diastolique de 135-77 mmHg chez les NW vs 141-81 mmHg chez les obèses. La masse musculaire était supérieure de 11% chez les NW. La sensibilité à l’insuline et la fonction des cellules β étaient également plus élevées chez les NW (accroissements relatifs de +91% et +43%, respectivement) Le taux de perte de la fonction β était supérieur chez les obèses, chez lesquels le contrôle métabolique était péjoré (+0,34% de valeur d’HbA1c). Les obèses avaient des taux plus élevés en non-HDL-C; en apolipoprotéine B100; et en triglycérides, et des niveaux inférieurs en HDL-C et apolipoprotéine A-I La prévalence de dyslipidémie athérogène (soit la combinaison d’HDL-C abaissé et d’hypertriglycéridémie) était 2,5 fois plus élevée chez ces obèses, qui présentaient également une prévalence accrue de microangiopathie, de micro- ou de macroalbuminurie; et de cardiopathie ischémique.
NW-MetS[-] vs. NW-MetS[+]
42% des patients de poids normal (NW) avaient un MetS. Il n’y avait aucune différence entre les sous-groupes NW-MetS[-] et NW-MetS[+] concernant l’âge; le sexe; les antécédents familiaux de diabète ou de maladie CV; la durée du diabète; l’éducation; l’ethnicité; le tabagisme; la consommation d’alcool; et la pression artérielle. Une activité physique de loisir était plus fréquente chez les NW-MetS[-]. La sensibilité à l’insuline était proche de la normale (100%) chez les NW-MetS[-], alors qu’elle était diminuée (-26%) chez les NW-MetS[+]. La fonction résiduelle β était moins réduite chez les NW-MetS[-] (augmentation relative +17%). La prévalence de stéatose hépatique était plus élevée (+17%) chez les NW-MetS[+]. Les apnées du sommeil étaient peu fréquentes dans les deux groupes. L’IMC était plus élevé chez les NW-MetS[+] (+1 kg.m-2 (+5%)), ces patients présentant une masse grasse accrue (+4,9% en absolu et +22% en relatif), une graisse viscérale augmentée (+14%), et une masse musculaire inférieure (-2,6% (absolu) et -8% (relatif)).
Les NW-MetS[+] étaient moins souvent traités par régime seul, et utilisaient des doses plus élevées d’insuline. Ils recevaient également davantage de médications cardio-vasculaires. Les NW-MetS[+] avait un contrôle métabolique moins bon, avec une HbA1c supérieure de 0,4% en valeur absolue. Au plan lipidique, les NW-MetS[+] avait un taux d’apolipoprotéine B100 plus élevé (+10%), et un rapport LDL-C/apolipoprotéine B100 plus faible (-14%), correspondant à des LDLs plus petites et plus denses. En ce qui concerne les complications micro-vasculaires, les NW MetS[+] avaient une prévalence plus élevée de micro-angiopathie de toute cause (+69%); de rétinopathie (+92%); et de neuropathie (+61%). Leur albuminurie moyenne était nettement accrue, et la présence d’albuminurie beaucoup plus élevée: +47% (microalbuminurie) et +467% (protéinurie). En ce qui concerne les gros vaisseaux, les NW MetS[+] présentaient une augmentation considérable de prévalence de macro-angiopathie de toute cause (+77%), de cardiopathie ischémique (+64%); d’artérite périphérique (+280%); et/ou d’AIT/AVC (+214%).
DISCUSSION
Le paradigme actuel expliquant le développement d’une hyperglycémie chez le patient DT2 maigre évoque un dysfonctionnement lent mais progressif des cellules β avec influence conditionnelle d’une IR (génétique/acquise), avec ou sans sarcopénie associée. Cette idée préconçue considère que le DT2 avec poids normal surviendrait essentiellement au sein de populations plus âgées, après exclusion d’autres causes d’hyperglycémie non assujetties à l’obésité, à l’IR ou au MetS, comme le diabète gériatrique; le DT1 auto-immun tardif; les diabètes secondaires; et les formes monogéniques.
Notre étude sur la prévalence et les caractéristiques associées au MetS dans la sous-population de DT2 avec poids normal a montré une prévalence très élevée (>40%) de MetS. Ceci implique que conditionner la présence d’un surpoids ou d’une obésité pour suspecter la présence d’un MetS dans le DT2 est inapproprié, y compris au sein de cohortes majoritairement caucasiennes. Dans notre analyse, un poids « normal » a été défini en fonction de l’IMC et non sur des estimations directes d’adiposité. La décision de définir l’obésité métabolique dans le DT2 sur la base d’un MetS, plutôt qu’une valeur d’IR-seuil d’une population de référence non-diabétique, est basée sur le fait que la plupart des patients DT2 sont résistants à l’insuline, et de facto en dessous du tertile supérieur de sensibilité à l’insuline des sujets contrôles. Le score de MetS, avec ses 6 graduations (de 0/5 à 5/5), est une mesure strictement linéaire d’IR, dont le seuil pathologique se situe précisément sur l’échelle à la graduation ≥3/5 utilisée pour affirmer la présence d’un MetS. Les résultats de notre caractérisation de patients DT2 non-obèses basée sur la présence d’un MetS démontre la pertinence de cette approche pour distinguer, parmi des patients DT2 maigres, ceux ou celles qui sont métaboliquement obèses.
Pour caractériser la distribution et la composition du phénotype du MetS chez les patients DT2 maigres, nous avons analysé la contribution relative de chacun des cinq composants constitutifs du score. L’acquisition d’un score ≥3/5 chez les patients DT2 maigres était obtenue principalement par la dyade [HDL-C abaissé & hypertriglycéridémie], qui caractérise la dyslipidémie athérogène, une dyslipidémie non-LDL qui était retrouvée chez 44% des NW-MetS[+]. En effet, chez la plupart des patients DT2 maigres mais métaboliquement obèses, il existe rarement une hypertriglycéridémie simple ou une hypo-HDL-émie isolée.
Nous avons précédemment rapporté une potentialisation de la prévalence de micro-angiopathie associée à la présence d’un MetS dans le DT2. La grande différence de prévalence en maladie micro-vasculaire chez les NW-MetS[+] par rapport aux NW-MetS[-] ne paraît pas attribuable à la différence de 0,37% d’HbA1c observée entre les 2 sous-groupes. Ceci suggère que des facteurs potentialisant la survenue de micro-angiopathie sont présents chez les NW-MetS[+]. Le premier facteur aggravant à évoquer est la dyslipidémie athérogène, à la fois plus fréquente et plus sévère dans ce sous-groupe. Nous avons précédemment décrit que la présence de dyslipidémie athérogène était associée à une prévalence accrue de maladies micro-vasculaires dans le DT2.
Nos données montrent également que même en l’absence d’obésité, la présence d’un MetS s’accompagne d’une diminution significative de la sensibilité à l’insuline, associée à une hyperinsulinémie compensatoire. En termes d’homéostasie du glucose, les patients NW-MetS[+] présentent une réduction plus marquée de la fonction β résiduelle (-15%), ce qui peut expliquer leur besoin d’un traitement hypoglycémiant plus intensif et un contrôle glycémique plus faible, avec HbA1c plus élevée. Différentes études ont investigué les phénotypes MHO ou MONW. Ces études visaient généralement à définir, dans des populations non-diabétiques, les similitudes et différences phénotypiques entre des sujets MHO et MOO, ou encore entre des sujets MONW et des sujets sains maigres (MHNW). Leurs auteurs suggèrent plusieurs facteurs causaux (génétiques, épigénétiques et acquis, notamment par adiposité centrale) qui sous-tendent le phénotype malsain des MONW, combinant IR, hypertension et, au long terme, risque accru de survenue de DT2 et de maladies cardio-vasculaires. Nos données apportent un nouvel élément au paradoxe de l’obésité (mal)saine, car une proportion considérable de patients T2DM maigres ont un phénotype très défavorable qui est comorbide au MetS. Ce sous-ensemble de patients, outre le fait qu’il nécessite une prise en charge plus intensive de l’hyperglycémie et des facteurs de risque cardio-vasculaires modifiables, constitue sans aucun doute un important facteur de confusion épidémiologique. La prise en compte et la reconnaissance de ce phénotype doivent être encouragées, compte tenu de la fréquence élevée de patient(e)s diabétiques MONW.
En conclusion, l’absence de surpoids ou d’obésité chez des patients DT2 n’implique que leur risque cardio-métabolique soit de facto plus faible que celui de patients DT2 obèses, puisque près de la moitié des patients de poids normal ont un MetS comorbide. Ainsi, les patients métaboliquement obèses ont un phénotype assez proche de celui des diabétiques obèses, mais avec des caractéristiques uniques. La combinaison d’une anthropométrie défavorable (sarcopénie, adiposité centrale, stéatose hépatique) combinée à une IR; une hyperinsulinémie; une dyslipidémie athérogène; et une inflammation chronique systémique est associée à un mauvais contrôle métabolique; et à des prévalences accrues de micro-angiopathie et de macro-angiopathie.
CORRESPONDANCE
Pr. Michel P. Hermans
MD PhD DipNatSci DipEarthSci DipGeogEnv PGCert (SocSc)
Cliniques universitaires Saint-Luc
Endocrinology & Nutrition
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