Le titre de l’essai de géopolitique de P. SERVENT (historien, journaliste international, officier supérieur de réserve enseignant à l’école de Guerre) : « Le monde de demain » est heureusement précisé par le sous-titre : comprendre les conséquences planétaires de l’onde de choc ukrainienne.
L’auteur consacre en effet près des deux tiers de l’ouvrage à l’analyse de la guerre en Ukraine qui, si elle n’est pas mondiale, est mondialisée par l’onde de choc planétaire qu’elle a provoqué. Les dessous de cette guerre annoncée sont détaillés, le fonctionnement de Poutine et de la Russie sont décryptés. Les risques liés à la Russie et à la Chine, comme leurs faiblesses sont exposés. « L’ère de la mondialisation heureuse s’achève » et « Le monde de demain » verra un nouvel équilibre des blocs économiques : autocratie (Russie et Chine) et démocratie. Pour l’auteur, une question centrale est : quel prix les opinions occidentales sont-elles prêtes à payer pour défendre leurs valeurs au détriment de leur niveau de vie ? En exergue de la conclusion, une phrase de R. Debray est citée : « La guerre c’est quand l’histoire se remet en marche ». Et pour cette marche vers le monde de demain, l’auteur estime nécessaire la révolution des 6 C : caractère–cohésion–collaboration (l’arme des démocraties ouvertes) ; créativité–climat–connaissance (pour combattre les croyances.). Il y ajoute le courage et termine avec l’exemple de De Gaulle, modèle de caractère et de courage.
L’ouvrage, petite encyclopédie de 60 courts chapitres de maximum 15 pages et autant d’auteurs, se veut un moment critique de réflexion, d’interrogation sur notre temps pour mieux aborder et mieux anticiper « La société qui vient ». Le coordinateur est Didier FASSIN, médecin infectiologue au départ, devenu enseignant en épidémiologie et santé publique après des séjours en Inde et en Tunisie, et ensuite anthropologue et professeur de sciences sociales à Princeton. L’ouvrage est divisé en six parties : Enjeux (anthropocène - mondialisation - complotisme - migrations etc. ). Questions politiques (démocratie - populisme - néolibéralisme - écologie etc.). Mondes (famille - travail-justice - université - hôpital etc.). Inégalités (santé - richesse -femmes etc.). Reconnaissances (Age, care etc.). Explorations (communs - économie solidaire, hospitalité etc.). À signaler particulièrement, les chapitres sur l’écologie, le travail et les communs. D. BOURG envisage l’écologie au sens large : « relation des sociétés au milieu, à la nature et aux écosystèmes », ce qui nécessite entre autres, au minimum une culture scientifique. Depuis l’Anthropocène, période débutant dans les années 1950 et caractérisée par l’influence massive des activités humaines sur le système Terre, il n’est plus question de risques c’est-à-dire d’aléas limités et calculables mais de dommages « transcendantaux ». Malgré le déni social et politique c’est l’ensemble des paramètres de la civilisation moderne que l’impasse écologique vient heurter et même remettre en cause. A. HONNETH fait l’histoire du travail, devenu un concept capitaliste dans une version étroite qui conduit à négliger les services à la personne, le travail socialement nécessaire. J. RECHTVELDT analyse la notion de « communs » développée par E. OSTROM, prix Nobel d’économie en 2009 et largement reprise par Giraud, basé sur trois conditions : ressources dont il est difficile de restreindre l’usage (ressources halieutiques) ; distribution de différents droits au bénéfice d’une communauté (la propriété n’est donc pas dans ce cas privée et individuel) ; l’organisation collective assurant le respect des droits de chacun et la préservation des ressources. Pour les développer, l’auteur considère pertinente une politique de soutien, un soutien public pour les développer.
Ce petit bijou est le fruit de la collaboration entre Philippe DESCOLA, professeur émérite d’anthropologie, auteur de « Par delà nature et culture » et Alexandre PIGNOCCHI, chercheur en sciences neurocognitives et auteur de romans graphiques. Illustré, agrémenté de 70 pages de roman graphique ironique où Macron découvre la nature, deux idées sont exposées : la séparation nature–culture est artificielle, la théorie évolutionniste du progrès l’est aussi. Le naturalisme estime que seuls les hommes ont une intériorité, une culture tout en partageant les lois de la nature avec les nôtres humains. Pour les auteurs, nous sommes la nature et les non- humains ont une intériorité. Chaque forme de vie habite un monde qui lui est propre. La théorie évolutionniste du progrès voit l’histoire comme une ascension du monde primitif des cueilleurs chasseurs nomades au stockage et à la domestication des sédentaires et l’évolution progressive de la société de la tyrannie et de l’esclavage à la liberté. Les données récentes montrent que la sédentarisation était déjà présente il y a 20.000 ans, que certaines sociétés dites primitives avaient des institutions limitant les inégalités, favorisant les libertés individuelles, l’entraide, la prise de décision collective. La suprématie de la sphère économique capitaliste soutient le naturalisme et la théorie évolutionniste du progrès, extrait l’économie des rapports sociaux et transforme toute chose, tout être en valeur marchande.
Que faire pour éviter la marchandisation universelle et assurer un certain nombre de biens communs ? Si la situation actuelle n’est pas acceptable, le Grand Soir, la révolution ne l’est pas non plus. Les auteurs proposent une troisième voie, un système hybride où les structures étatiques cohabitent et interagissent avec des territoires autonomes telles que la ZAD (zone à défendre) des Landes, telles que certaines terres ayant obtenu la personnalité juridique. L’ouvrage est certes un plaidoyer orienté. Il faut le prendre comme une ode à la diversité, un « outil de dérangement intellectuel » (rôle de l’anthropologie) qui nous ouvre les yeux et nous suggère que l’histoire est plus chatoyantes et foisonnante qu’une marche inéluctable vers le Progrès.
« Composer un monde en commun » est l’ouvrage imposant et très documenté (30 pages de références dans six langues) d’un auteur maîtrisant différents domaines : docteur en mathématiques économiques, expert en économie, jésuite, docteur en théologie, actuellement professeur à Georgetown où il enseigne la justice environnementale. Comme l’indique le titre, il veut réhabiliter les « communs », un des quatre schémas institutionnels, les autres étant le privé (la propriété privée), le public (gestion par l’État), le tribal (distinction entre l’ami et l’ennemi). La modernité européenne est basée sur la délibération démocratique, la protection des droits humains et la propriété privée. La démocratie a certes succédé à la royauté mais est dévoyée de nos jours en mettant au sommet un nouveau roi : les marchés financiers. L’État de droit est bafoué comme le montre l’évasion fiscale massive de grands groupes. Enfin la propriété privée est absolutisée et toute vie est marchandisée, privatisé. Ainsi un micro-organisme génétiquement modifié et brevetable et donc privatisable.
Comme l’indique le sous-titre du livre : une théologie politique de l’Anthropocène, G. GIRAUD propose une lecture chrétienne de l’histoire capable de nous éclairer, de nous aider à décoder le monde actuel, de nous encourager à le changer. Le récit de l’Ascension dans les Actes des Apôtres écrit par Saint Luc) montre un Messie qui refuse le trône du roi, le désacralisant, nous laissant responsable. Plus tard, l’Eglise sera à la base du » public », de l’État moderne, dont le droit canon fut le précurseur. Le plaidoyer pour les communs rappelle des exemples passés : la communauté des Apôtres, les communes du Moyen Âge et d’autres exemples actuels : Wikipédia, les logiciels libres, la remunicipalisation de l’eau à Naples et nous encourage à y travailler comme le suggèrent les paroles du Christ au début de chaque partie du livre : Est-ce maintenant ? Une puissance vous sera donnée. Mes témoins jusqu’aux extrémités de la terre. Pourquoi restez-vous à regarder le ciel ?