INTRODUCTION
Du début des années 1980 (découverte des injections intracaverneuses) jusqu’en 2000, la dysfonction érectile ou insuffisance érectile (IE), terme mieux adapté, n’était qu’un banal symptôme d’une mauvaise santé sexuelle altérant souvent la qualité de vie de l’homme (et du couple) (1-4). Puis, de façon insoupçonnable, l’IE a évolué d’une « dureté de confort » à une « médecine dure » (1, 3-10) en se transformant en marqueur clinique, d’abord de la santé puis du risque cardio-vasculaire (CV), puis de nombreuses maladies chroniques non transmissibles (MCNT) et enfin... du risque de mortalité prématurée globale (1, 4-11) ! Pourtant, plus de dix ans après, force est de constater que ces avancées médicales majeures, restent totalement méconnues des malades et d’une très large majorité de médecins cliniciens (4,10). L’ignorance, les idées reçues, les fausses représentations et les tabous liés à la sexualité en sont les principaux responsables. Cette situation très médecin dépendante devient de plus en plus inacceptable en termes de perte de chance et de souffrance pour le malade/couple ainsi que d’inégalité et de mauvaise qualité des soins (1). Comment se sont déroulés ces bouleversements successifs ?
LE PASSAGE DU « TOUT PSYCHOGÈNE » AU « TOUT VASCULAIRE »
Longtemps soupçonnée, l’enquête princeps du MMAS est la première à montrer en 1994, une corrélation avec les maladies CV et ses facteurs de risque (5). L’accumulation de données épidémiologiques et physiopathologiques prouve ensuite les liens étroits avec l’IE secondaire (niveau 1, grade A) (3,4,7,8,9). En partageant les mêmes facteurs de risque CV, les corps érectiles apparaissent comme de nouveaux organes cibles d’athérosclérose. L’explication retenue est la dysfonction endothéliale (3,4,7,8) à l’origine du concept ED² (Erectile Dysfonction = Endothelial Dysfonction) (3,8). En transformant l’IE en symptôme clinique témoin de mauvaise santé CV, son origine apparait dès lors beaucoup plus CV que “dans la tête” ! Parallèlement, le Viagra® introduit brutalement l’IE en 1998 dans la pratique quotidienne des médecins (généralistes et spécialistes) non ou mal familiarisés avec l’IE. L’hypermédiatisation rapide de son soi-disant “danger pour le cœur” est directement à l’origine du 1er Consensus de Princeton en 2000 qui précise le bilan CV et les précautions à respecter chez le malade CV avant tout traitement (2).
LE PASSAGE À L’INSUFFISANCE ÉRECTILE PRÉMATURÉE (IEP) D’ORIGINE CV OU L’ « ANGOR DE VERGE »
Inimaginable en 1998, le danger pour le cœur ne vient pas du Viagra® mais de l’IE elle-même qui augmente la mortalité CV (niveau 1, grade A) (5,8) ! Après 15 ans de suivi, l’étude du MMAS montre que le risque de mortalité augmente de 43% pour le CV et de 24% pour le global (5). Une méta-analyse portant sur 14 études longitudinales retrouve cette valeur prédictive avec un risque relatif plus élevé pour les accidents aigus CV (1.44), la mortalité CV (1.19) et la mortalité globale (1.25) (16). De multiples enquêtes rétro puis prospectives dans différentes sous-populations CV le confirment et montrent surtout, sa valeur de marqueur précoce. Entre 30 et 65 ans, l’IE apparait alors tel un iceberg, c’est à dire la partie visible d’une maladie vasculaire généralisée en étant souvent la ou une des 1ères manifestations cliniques révélatrices d’une athérosclérose ubiquitaire (3,5,7,8, 11-15). Dans l’Olmstead County Study (>1400 hommes sans coronaropathie connue suivis 10 ans) (14), la probabilité de coronaropathie augmente significativement en cas d’IE mais d’une façon inversement corrélée avec l’âge (multipliée par 50 chez le quadragénaire, par 6 chez le quinquagénaire, par 2 chez le sexagénaire puis sans différence ensuite). Une étude prospective chez 95 038 australiens sans cancer retrouve, quel que soit les antécédents CV, cette valeur de marqueur précoce du risque CV et de mortalité globale (12). L’IE double le risque de mortalité globale (par 2.62 chez les 45-54 ans et 2.06 chez les 55-64 ans) avec un risque plus élevé en cas de risque CV intermédiaire et d’IE sévère. Quoique non dangereuse par elle-même, l’IE se transforme en un avertisseur clinique pertinent de morbi-mortalité CV (niveau 1, grade A) (5,8,9,11) d’où le concept ED3 (Erectile Dysfunction = Endothelial Dysfunction = Early Death) (4, 7-9). Sa valeur prédictive n’égale pas celle du score de Framingham (6,16) mais reste identique ou supérieure à celle de facteurs de risque CV classiques (type tabagisme chronique, HTA traitée, hyperlipidémie, antécédents familiaux d’infarctus du myocarde…) (6,8,11,13). Dès lors, l’IE n’est plus un simple symptôme « sentinelle » mais un « angor de verge », c’est à dire un symptôme vasculaire à l’effort (1). Cet « équivalent coronarien » a une double valeur d’alarme et de gravité en tant que : 1) révélateur de maladies CV ou de leur aggravation (si connues), 2) prodrome potentiel d’accidents CV. Son idée force est de profiter d’une « fenêtre d’opportunité » (1,3,4, 7- 9,11, 13-16) qui varie de 2 à 3 ans avant la survenue d’autres symptômes CV et de 3 à 5 ans, avant la survenue d’accidents CV (niveau 2, grade B) (8,9,16). Avancée majeure, la morbi-mortalité CV (objectif prioritaire de santé publique) peut être réduite grâce à une simple… interrogatoire ou questionnaire (1,3,4,8,9) ! Par conséquent, en l’absence d’autre contexte étiologique manifeste, toute IE survenant avant 65 ans est un « angor de verge » jusqu’à la preuve du contraire apportée par l’évaluation CV (1,8,9). Sa force prédictive est d’autant plus significative que l’IE est sévère et récent (< 3 ans) et les sujets âgés de moins de 60 ans (4,9, 11-16). Cet impact de l’âge est directement à l’origine du concept d’insuffisance érectile prématurée (IEP), c’est-à-dire toute IE survenant trop tôt entre 30 et 65 ans (1). Ces limites d’âge ne sont pas fortuites (1): a) avant 30 ans, la quasi totalité des IE secondaires témoigne d’anomalies génitales, de troubles de la personnalité, de conflits interpersonnels ou de méconnaissances sur la sexualité (4,17), b) chez les 30 à 65 ans, sa prévalence n’est pas du tout négligeable avec environ 10% des quadragénaires, 20% des quinquagénaires et 25% des sexagénaires (1,4,17), c) 65 ans définit par convention, la limite de la mortalité prématurée, d) après 65 ans, l’IE perd sa valeur prédictive « péjorative » (12,13,15,16). Dès 2005, le 2e Consensus de Princeton (8) insiste sur cette valeur de marqueur du risque CV chez tout homme sans maladie CV connue pour mieux identifier ceux qui nécessitent un bilan complémentaire d’où le concept ED4 (Erectile Dysfunction = Endothelial Dysfunction = Early Death= Early Detection) (3,7,8,9). Le 3e Consensus de Princeton en 2012 (9) actualise les deux précédents et insiste sur le paramètre jeune âge. Celui-ci est ensuite intégré dans le groupe à bas risque CV: tout homme de 60 ans ou moins doit bénéficier d’un bilan CV incluant le calcul du niveau de risque CV, la recherche systématique d’athérosclérose subclinique coronarienne ou périphérique (après 60 ans, un bilan CV tous les 5 ans suffit) (4,9,16). Néanmoins, cette focalisation sur le « tout vasculaire » qui assimile l’IEP à une manifestation clinique symptomatique « bruyante » témoin de modifications pathologiques CV (souvent silencieuses ou ignorées), est de plus en plus critiquée dans les années 2000 par les sexologues mais aussi par des cliniciens « organiciens ».
LE PASSAGE À L’IEP N’EST PAS TOUJOURS UN ANGOR DE VERGE
L’anatomie et la physiologie de l’érection expliquent pourquoi l’IE peut être un prodrome d’accidents CV aigus et souvent, mais pas uniquement, un symptôme vasculaire. Les corps érectiles sont assimilables à un « cœur périnéal » (1), c’est à dire à des organes vasculaires autonomes où les cavités correspondraient aux aréoles érectiles tapissées par de l’endothélium, le myocarde aux fibres musculaires lisses (50% du volume caverneux chez le jeune), l’ensemble étant entouré par une enveloppe déplissable (mais épaisse et résistante au seul niveau caverneux pour leur rigidification). Comme le cœur thoracique, ce « cœur périnéal » fonctionne de façon réflexe mais s’en différencie nettement : a) en étant déformable et compressible, b) par son activité réduite (pendant le sommeil paradoxal surtout où il s’oxygène car hypoxique à l’état quasi permanent de flaccidité) mais très performante pour ne pas perturber le fonctionnement CV global. La sophistication de ce système hydraulique explique sa plus grande vulnérabilité en cas d’anomalies (à l’exemple du coureur de sprint vs. de fond). Ainsi, la relaxation du myocarde érectile déclenche la tumescence caractérisée par un remplissage très rapide de 100 à 150 cc de sang, phénomène hémodynamique unique assimilable à un test d’effort vasculaire ultra-sélectif (1), puis l’érection Sa recontraction déclenche la détumescence puis la flaccidité par « vidange » sanguine rapide des corps érectiles. Plus que le diamètre réduit des artères (3,4,7,5,8,9), ce processus hydraulique explique pourquoi l’IEP peut être à la fois, un marqueur précoce de mauvaise santé CV et un prodrome d’accidents CV. Toute insuffisance d’apport artériel athéromateuse mais aussi toute atteinte du « cœur périnéal », d’abord fonctionnelle (dysfonction endothéliale, hypertonie orthosympathique, neuropathie…), puis structurelle (stress oxydatif, fibrose localisée ou diffuse, inflammation chronique …), altèrent plus ou moins vite la « biomécanique érectile » d’autant plus que le « cœur périnéal» fonctionne peu et que l’athérosclérose est diffuse et sévère (1,4, 7-9,11,16). Le rôle protecteur des érections nocturnes (sous contrôle des androgènes et de la qualité du sommeil) est donc essentiel, tout comme avoir une activité sexuelle régulière (« sexercicer ») expliquant l’absence possible d’IE en cas de maladies CV (y compris sévères) (1,12,18). Cependant, si le moteur et le carburant de l’érection sont respectivement tissulaire (via le « myocarde » pénien) et l’oxygène (via le sang), la clé du démarrage et du maintien de l’érection est avant tout, l’oxyde nitrique (NO) qui a deux sources principales : vasculaire et neurogène (1,4, 7-9,17). Par conséquent, à l’exemple du blessé médullaire, toute IEP n’est pas forcément vasculaire d’autant plus que l’érection est sous le contrôle étroit des hormones et surtout du «chef d’orchestre» pro ou…antiérectogène qu’est le cerveau. Cette complexité physiopathologique explique (1,4,8,9,11,16,17) : a) la recommandation (grade A, niveau 1) d’évaluer à la fois, le statut CV et la santé globale, b) un diagnostic étiologique souvent probabiliste car multifactoriel, c) l’impact des facteurs psycho-environnementaux (partenaire, angoisse de performance…) expliquant la guérison ou l’amélioration de l’IE (même sévère) dans environ un tiers des cas, spontanément (18) ou par simple approche comportementaliste (4, 7-9,17).
LE PASSAGE À L’IEP, MARQUEUR DE MORBI-MORTALITÉ NON VASCULAIRE
Au milieu des années 2000, l’IEP devient aussi un symptôme « avertisseur » de nombreuses morbidités chroniques et / ou situations à risque pour la santé (1,4,5, 7-9, 14-17,19). Huit apparaissent plus prioritaires car ayant toutes la particularité d’être : a) significativement corrélées à l’IEP, b) de pratique médicale quotidienne, c) potentiellement dangereuses (par elles-mêmes et/ou par aggravation du risque CV et/ou d’autres comorbidités), d) des priorités de santé publique (sauf l’hypogonadisme) :
- le diabète : la prévalence de l’IE est près de trois fois plus élevée que dans la population générale (4,8,9,15,17). Ce «tueur silencieux», en croissance exponentielle, est à lui seul, un facteur de haut risque CV d’où la récente recommandation d’un bilan CV plus approfondi chez tout homme diabétique (4,7,9,16) ce qui justifie le dépistage de l’IEP.
- la mauvaise observance/adhésion : problème majeur et sous-estimé du traitement des MCNT (19), elle peut être dangereuse en cas d’arrêt intempestif et (souvent) non signalé lié à la survenue d’une IE iatrogène soulignant l’importance de l’information et de l’éducation thérapeutique (1,4,8,9,17,19).
- les hypogonadismes acquis liés au vieillissement et à de nombreuses MCNT à risque d’insulino-résistance. Si l’IE doit être de toute façon recherchée du fait de sa haute valeur diagnostique (4,7,8,17), le déficit de testostérone est par lui-même un facteur de risque du diabète de type 2, de syndrome métabolique et très probablement, de morbi-mortalité CV et globale (6,7,9,11, 15-17).
- les troubles de la santé mentale (syndromes anxieux et/ou dépressifs, stress post-traumatique et phobies sociales notamment) (1,4,9,17) ont une incidence sous déclarée d’IEP. Elle doit être recherchée car elle peut aggraver les troubles mentaux et d’autres comorbidités chroniques (notamment CV) et favoriser la survenue d’addictions et de troubles du sommeil.
- l’insuffisance rénale chronique longtemps silencieuse et méconnue, justifiant la recherche d’une IEP, le diabète et l’hypertension artérielle étant des étiologies majeures (4,7).
- les troubles du sommeil méconnus et sous-estimés malgré leur impact négatif sur l’érection (et la santé). Ils sont dominés par les insomnies sévères non anodines du fait de leur risque accidentogène et cardiométabolique (4,7,9,17).
- l’obésité et surpoids en pandémie mondiale inquiétante (20) sont un facteur reconnu de risque CV, de diabète de type 2, d’hypogonadisme, de syndromes dépressifs et d’apnées du sommeil, l’IE étant présente chez près d’un obèse sur deux (4,7,9,11,17).
- une mauvaise hygiène de vie très fréquente chez l’homme avant 50 ans (3,4, 7-9,11,20). Sa prise en charge s’inscrit dans la politique de prévention des MCNT évitables, priorité internationale de santé publique (10,20). Modifier leur mode de vie pour préserver leur érection est un réel levier de motivation pour nombre d’hommes (1,4,7,9,10,17,20).
Par conséquent, les recommandations de bonne pratique (niveau 1, grade A) exigent en cas de survenue d’une IE, à fortiori prématurée, d’évaluer le statut CV, la santé globale, l’hygiène de vie et l’environnement (risques psychosociaux) à la recherche de facteurs étiologiques corrigibles et de contre-indications à l’activité sexuelle (3-6, 8,9,11,16,17).
LE PASSAGE À L’ÉVIDENCE DU DÉPISTAGE CIBLE OPPORTUNISTE
Ces progrès ne sont pas qu’académiques mais de pratique quotidienne. Les résultats décevants en terme de prévention CV primaire et secondaire des enquêtes EUROASPIRE (20) et la mauvaise observance/adhésion en cas de MCNT ont mis en évidence le besoin de changements radicaux des malades et des…médecins. Les bilans de santé approfondis régulièrement répétés n’ont pas d’avantage prouvé leur efficacité pour réduire la morbi-mortalité CV ou globale. Par conséquent, le dépistage opportuniste de l’IEP est une réponse très bien adaptée (notamment en termes de simplicité et de coût) puisqu’il intègre, valeur ajoutée sans équivalent connu, un triple objectif de prévention (1) : a) primaire des accidents CV, b) secondaire des nombreuses MCNT/situations à risque corrélées à l’IEP (diagnostic et prise en charge plus précoces), c) tertiaire en réduisant les effets indésirables et séquelles des MCNT et de leur traitement. Traiter l’IE n’est en rien accessoire : toute amélioration du bien-être (déjà souvent altéré par la MCNT) des malades/couples contribue à optimiser l’ajustement à la MCNT tout comme l’observance et l’adhésion à son traitement (19) ! Malheureusement, malgré une demande réelle (mais masquée), les malades non informés de la dangerosité de l’IEP continuent à attendre que leur médecin auquel ils accordent une place privilégiée, en parle le premier (1,4,9,17). La cible prioritaire de ce dépistage opportuniste est l’homme de 30 à 65 ans déjà régulièrement suivi pour une MCNT puisque toute IEP inexpliquée doit faire craindre : a) une aggravation et/ou une complication de la MCNT, b) une mauvaise observance/adhésion thérapeutique, c) une hygiène de vie déficiente et/ou une comorbidité méconnues, d) un problème socio-environnemental impactant la qualité de vie. Dans tous les cas, les objectifs de qualité de vie et de santé doivent être clairement distingués (1) en sachant que l’IEP est d’autant plus «dangereuse» qu’elle est récente (< 3 ans), sévère et sans étiologie évidente. En fait, les hommes étant moins bien suivis que les femmes, ce dépistage pourrait s’appliquer à tout homme adulte en premier contact avec le système de santé. Ne pas dépister l’IEP chez tout homme ayant un terrain à risque (CV ou non) relève en 2016 à la fois, d’un manquement déontologique et éthique et d’une mauvaise pratique médicale du fait de ses implications : a) médico-économiques (économie potentielle de 28 milliards de dollars en 20 ans selon une récente modélisation) (10), b) médicolégales liées à une réelle perte de chance (morbi-mortalité évitable) et une qualité des soins déficiente) (1). Inconcevable il y a à peine 20 ans, ce dépistage opportuniste proactif devrait être désormais intégré dans le référentiel métier et compétences d’une majorité de médecins cliniciens généralistes et spécialistes (1,4,9,11) car se préoccuper de la capacité érectile (et non de la sexualité) des hommes revient à se préoccuper à la fois, de leur santé globale, de leur bien-être et d’exigences médicoéconomiques.
LE PASSAGE D’UN TRAITEMENT SYMPTOMATIQUE À CURATIF DE L’IE
Ne pas dépister une IE est d’autant plus regrettable qu’en dehors des quelques cas où un traitement étiologique spécifique est possible, la pharmacopée proérectile est efficace, simple et accessible à tout médecin clinicien (4,9,17). Quoique son histoire naturelle (18), l’efficacité des traitements étiologiques et l’impact de l’environnement témoignent du contraire (17), l’IE est encore assimilée à un trouble quasi irréversible. Ainsi, pendant près de 30 ans, ses deux principaux traitements pharmacologiques (injection intracaverneuse de vasodilatateurs et inhibiteurs de PDE5 oraux) n’ont été que symptomatiques avec une prescription « à la demande » avant une activité sexuelle (2,4,8,9,17). En 2007, l’AMM en prise quotidienne du tadalafil a dissocié la prise médicamenteuse de la vie sexuelle pour faciliter l’adhésion et l’observance, compte tenu du taux élevé d’abandon (4,17). Elle a favorisé une approche visant à guérir l’IE via les protocoles de « rééducation » utilisés pour l’IE iatrogène post-prostatectomie et la mise en évidence inattendue d’effets bénéfiques extra-érectiles de la prise quotidienne des inhibiteurs de la PDE5 (AMM pour l’hypertension artérielle pulmonaire en 2005 puis pour les troubles urinaires du bas appareil en 2012) (4,17). La réassurance liée à la réapparition/amélioration des érections spontanées et relationnelles et l’amélioration (possible) du « cœur périnéal » expliqueraient les récupérations induites par la prise régulière d’inhibiteurs de la PDE5 (qu’il y ait ou non une activité sexuelle), de préférence le soir pour « renforcer » les érections nocturnes. Le tadalafil est le mieux adapté du fait de sa longue demi-vie mais les autres inhibiteurs de la PDE5 peuvent être utilisés (4,17). Si la place et la durée de ce traitement « en continu » ne sont pas encore définies, la tendance est de les prendre durant un mois, suivi d’un sevrage progressif sur deux à trois mois avant de passer, si besoin, au traitement à la demande (qui reste un excellent traitement). Ce schéma désynchronisé de l’activité sexuelle est nettement mieux accepté car plus « positif » en termes de finalité, d’acceptabilité, d’adhésion, de temporalité et de... coût. De nouveaux traitements d’ « ingénierie » tissulaire (thérapies géniques ou cellulaires ou mécaniques) sont actuellement testés chez l’homme, dans cet objectif de guérison (4,17).
LE DERNIER PASSAGE À FRANCHIR CONCERNE EN PRIORITÉ LES MÉDECINS
Dix-huit ans après le Viagra®, à l’exception d’un nombre réduit de médecins (généralistes, urologues et spécialistes de médecine sexuelle), toutes ces valeurs ajoutées (tant diagnostiques que pronostiques) de l’IEP restent sans équivalent actuel mais paradoxalement quasiment inconnues de la majorité de médecins, y compris des spécialistes « cardiométaboliques » ! Malgré l’efficacité des traitements et la forte demande des malades, le déficit persistant de prise en charge témoigne toujours d’attitudes frileuses, de lacunes et de réticences à s’occuper de ce trouble fonctionnel « soi-disant mineur » (1,4,7,8,9). Compte tenu des enjeux majeurs de santé publique et médicoéconomiques liés aux MCNT (10,20), le corps médical ne peut plus continuer à méconnaître ou à négliger l’IEP. En fait, cette inertie médicale est d’avantage le reflet de déficits de savoirs (théoriques, être, faire), de tabous et de fausses représentations liés aux mots « sexe et sexualité » que d’un réel manque de sensibilisation à la pathologie sexuelle. Dans tous les cas, elle constitue une faute professionnelle puisque le diagnostic et le dépistage de l’IE reposent sur un moyen simple et peu coûteux, l’interrogatoire, tout homme/femme adulte connaissant ce symptôme. La réalité est qu’une simple question (1,4,7,11,16) peut contribuer à l’échelon: a) individuel: à sauver (à court et moyen terme) la vie d’un nombre non négligeable d’hommes « jeunes » (prodrome d’accidents CV) mais aussi à réduire/prévenir (à moyen et à long terme) la morbi-mortalité globale tout en améliorant la qualité de vie, paramètre majeur en cas de maladie chronique, b) collectif: à réduire les lourds handicaps fonctionnels et les coûts socioéconomiques liés aux MCNT grâce à une stratégie de prévention (primaire, secondaire et tertiaire) optimalisée. Le dernier concept ED5 (Erectile Dysfunction = Endothelial Dysfunction = Early Death= Early Detection = EDucation) (9) intègre ces dimensions d’information et de formation des professionnels de santé ainsi que de promotion et d’éducation à la santé des malades et de leurs proches. Par conséquent, les excuses type difficultés de communication, manque de savoirs, de temps et/ou d’intérêt ne peuvent plus continuer à servir d’alibi (1).
CONCLUSIONS
En moins de 20 ans, l’IE a très largement débordé la sphère de la santé sexuelle. Elle est devenue l’affaire de tous du fait de son intrication avec de multiples MCNT et priorités de santé publique. Il est du devoir et de la responsabilité de chaque médecin clinicien de changer de regard pour faire tomber les tabous, légitimer la demande, repérer et prendre en charge, si besoin, les malades/couples les plus vulnérables et/ou en souffrance. L’IE n’est jamais anodine puisqu’elle s‘est transformée en un marqueur clinique pertinent : a) de qualité de vie et de santé masculine, quel que soit l’âge, b) du risque de morbi-mortalité prématurée CV et globale entre 30 et 65 ans (IEP). Tout médecin clinicien prenant en charge un malade ayant une ou des MCNT (en particulier cardiométaboliques ou troubles de l’humeur) ne peut plus continuer à ignorer ces changements majeurs de paradigme : toute IEP doit obligatoirement attirer l’attention et faire pratiquer une évaluation minimale de l’état de santé et des risques psychosociaux en tant qu’avertisseur de situations potentiellement dangereuses (à court, moyen et long terme). Cette indiscutable valeur ajoutée en termes de santé publique implique son dépistage ciblé proactif et opportuniste. Cette prise en charge moderne de l’IE, nouveau baromètre de santé masculine et de qualité de vie pour le XXIe siècle, s’inscrit dans une démarche à la fois, scientifique de type EBM, mais aussi humaniste, socioéconomique et éthique de santé publique.
RECOMMANDATIONS PRATIQUES
L’insuffisance érectile a une valeur ajoutée qui va bien au-delà de la santé sexuelle et du bien-être. Elle est aussi un marqueur pertinent du risque cardiovasculaire et de la mortalité globale prématurée Ne pas dépister l’insuffisance érectile prématurée est une mauvaise pratique médicale en terme de prévention primaire des accidents CV, secondaire et tertiaire de nombreuses maladies chroniques..
CORRESPONDANCE
Dr. Pierre Bondil Urologue, oncologue, sexologue
Centre Hospitalier Métropole-Savoie
Service d’urologie-andrologie
Place Biron
Chambéry
France 73000
pierre.bondil@ch-metropole-savoie.fr
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NOTE
L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêt concernant cet article.