D.P. : D’où la présence de Monsieur Rouard, pouvez-vous expliquer votre fonction ici à l’UCL ?
Philippe Rouard : Je suis Coordinateur du Réseau Santé Louvain (RSL). C’est un poste que j’occupe depuis au moins une dizaine d’années, ce qui désormais me permet d’avoir une vision sur l’évolution du Réseau, d’avoir une bonne connaissance des dossiers et une certaine expertise.
D. P. : Pouvez-vous donc nous présenter le Réseau Santé Louvain, dont vous êtes le président, et peut-être expliciter un peu le nombre d’hôpitaux concernés ?
C. H. : C’est un ensemble d’hôpitaux qui ont des liens privilégiés avec l’UCL. Il y a environ 25 hôpitaux, répartis sur une trentaine de sites. Ce Réseau est issu de la nécessité de la Faculté de médecine de pouvoir former ses assistants dans des hôpitaux périphériques. C’est ainsi que le RSL est né et a grandi au cours des années. Tous ces hôpitaux ont en commun le souhait de contribuer à la formation des assistants. Ils ont besoin des assistants, c’est une des principales prérogatives, mais outre la formation des assistants, ces hôpitaux ont comme ambition commune d’œuvrer pour la qualité des soins apportés aux patients. Pour ce faire, il y a, au sein du RSL, plusieurs Commissions actives :
- la Commission formation, qui gère surtout de la formation des assistants ;
- la Commission éthique, qui essaye d’homogénéiser ou de répondre à des questions de problématique éthique fréquentes au sein du RSL ;
- la Commission qualité, qui offre une plateforme de partage de pratiques qui contribuent à la qualité des soins au sein du RSL.
C’est un réseau relativement unique en Belgique. Il y a peu de structures semblables.
D. P. : Qu’est-ce qu’y en fait son originalité, sa particularité ?
C. H. : C’est réellement la collaboration étroite de tous ces hôpitaux qui adhèrent à certains principes. Au niveau de la formation des assistants, le but est de procurer des conditions homogènes de travail, de formation, d’emploi dans toutes ses dimensions. Au sein d’un si large réseau d’hôpitaux, qui sont très variés dans leurs structures, dans leurs spécialités, c’était évidemment un défi de faire en sorte que tous adhèrent à un mode de fonctionnement commun pour tous nos assistants, et je crois que c’est une force qui n’a pas véritablement son équivalent dans une telle amplitude.
Ph. R. : Le Réseau Santé Louvain est une structure unique en Belgique. Sa spécificité réside dans sa structuration et son organisation. Le RSL est organisé autour et par une université en collaboration avec les autres partenaires. Il dispose d’une structure administrative et « représentative » propre dirigée par un Président. Il constitue notamment un lien, un lieu de coopération, entre la Faculté de médecine et les hôpitaux partenaires. Le Réseau se dote actuellement d’un nouveau site internet qui constituera la vitrine de l’organisation et sera un outil au service des attentes des partenaires.
Lorsque l’on parle de réseau dans les autres universités, il s’agit avant tout d’un ensemble de relations privilégiées entre individus et de services sans structure faitière spécifique.
C. H. : Un point important aussi à souligner, c’est que ce Réseau n’est pas un outil d’intrusion politique dans la vie des hôpitaux. Ça l’a peut-être été dans le passé, mais ça n’est certainement plus le cas actuellement. C’est véritablement un partenariat entre divers hôpitaux. Les hôpitaux ont tout intérêt à pouvoir bénéficier du soutien des assistants et l’UCL a tout intérêt à pouvoir compter sur la collaboration des hôpitaux pour y former ses assistants, mais il n’y a pas de dirigisme, pas d’intrusions. Tout ça se fait dans un climat respectueux des intérêts des uns et des autres, et je crois que c’est une force et une modalité de fonctionnement à laquelle je suis personnellement sensible. Je n’aurais pas accepté ce poste de Président du RSL si l’objet était, de façon dissimulée, de jouer un rôle géopolitique. Il y a certainement des aspects géopolitiques qui peuvent avoir un impact sur le fonctionnement du Réseau et peut-être sur son avenir, mais le but ce n’est certainement pas d’instrumentaliser le RSL dans cette perspective-là.
D. P. : C’est une bonne réponse, qui tient compte de la complexité institutionnelle belge et géopolitique. Je trouve ça bien de se situer au-delà de ce clivage habituel en Belgique. Pouvez-vous m’en dire plus en terme de nombre de candidats et de satisfaction des assistants pour trouver des postes ?
C. H. : C’est extrêmement vaste. Il y a environ mille assistants qui sont affectés dans tous les hôpitaux du RSL, y compris les Cliniques Saint-Luc évidemment. C’est donc un énorme effectif. Il y a aussi parmi eux des assistants qui viennent de pays non-européens auxquels on procure une formation au sein du RSL. C’est un réseau d’ouverture. Et il y a environ 300 Maitres de stage, c’est par conséquent très ambitieux.
D. P. : Vous parlez d’une Commission formation, mais avez-vous des modalités spécifiques de formation pour vos Maitres de stage ?
C. H. : Oui. Nos Maitres de stage doivent adhérer aux grands principes du RSL. On est très attentif à ça, que certaines règles de base soient respectées, que l’accent soit mis sur l’enseignement, mais aussi tous les aspects que Philippe maîtrise parfaitement bien, tels que le respect de la législation, du temps de travail, tout le cadre légal qui régit l’assistanat, … Nous avons la chance au sein du RSL d’avoir un véritable expert, qui distille régulièrement cette législation complexe et qui la répercute au sein de l’ensemble du RSL. C’est à nouveau l’originalité du RSL, offrir un cadre où on tente de faire en sorte que tous ces aspects légaux soient respectés, que ce soit en termes d’exigences de formation, de plan de stage, du respect du temps de travail, ...
D. P. : Ça doit être bien utile pour les Maitres de stage.
Ph. R. : Le « statut » unique du médecin candidat spécialiste est une autre spécificité du RSL. En effet, les dispositions encadrant la formation clinique (rémunération, assurance, congés, …) s’appliquent à tous les médecins candidats spécialistes et ce quel que soit leur lieu de stage, pour autant que ce soit dans un hôpital membre du RSL. Ce statut permet d’offrir une certaine sécurité au candidat spécialiste, car il connaît les conditions, notamment matérielles, dans lesquelles se déroulera sa formation clinique. Ce statut résulte, outre des dispositions légales, d’un consensus entre la Faculté de médecine et les hôpitaux accueillant des candidats spécialistes. Le consensus doit éviter la prise de décision unilatérale au profit d’une décision concertée tenant compte des réalités du terrain hospitalier tant universitaire que non-universitaire. Il s’agit de la sorte de ne pas mettre en difficulté les services accueillant des candidats spécialistes tout en garantissant à ces derniers une formation de qualité et une qualité de vie.
D. P. : La législation a beaucoup évolué ces dernières années donc ça me parait important que vous ayez développé cet aspect-là.
C. H. : Mr Rouard prend un grand soin à procurer l’encadrement des assistants au début de leur formation et à faire en sorte qu’ils reçoivent toutes les informations pertinentes concernant les assurances, le temps de travail, les grossesses, ... Il y a des séances d’informations d’une très grande qualité qui sont organisées de façon régulière, c’est un atout majeur et ça met nos assistants en confiance.
D. P. : Est-ce qu’il y a eu des évolutions importantes du Réseau Santé Louvain ces dernières années selon vous ?
C. H. : Ce qui est de plus en plus important c’est d’avoir un feedback via des enquêtes de satisfaction. On encourage tous nos assistants à nous faire des feedbacks de façon anonyme, car c’est pour nous une façon rigoureuse et objective de pouvoir apprécier objectivement la situation dans chaque endroit de stage. On n’a pas un taux de réponse de 100%, mais la volonté est là, et c’est aussi une originalité du RSL. Il y a aussi une plateforme d’écoute pour les difficultés ponctuelles. Les assistants savent qu’ils peuvent se retourner vers nous, exposer leur situation, et nous voyons dans quelle mesure le RSL peut tenter de débloquer une situation difficile, conflictuelle, car on sait que la vie dans les hôpitaux n’est pas toujours facile, mais on essaie d’œuvrer pour trouver des solutions consensuelles et qui s’accordent avec les divers intervenants.
Ph. R. : Dans l’évolution, je pense qu’on est passé d’un réseau qui à un moment se voulait très géopolitique, vers un réseau dont les préoccupations sont plus liées à la qualité de la formation et à la qualité des soins. De même, les préoccupations de la Commission formation se portent de façon plus proactive vers les aspects pédagogiques. L’assistant est replacé au centre du jeu comme étant un médecin certes, mais un médecin en formation dans l’hôpital. L’évaluation des services cliniques de stage mise en place depuis plusieurs années permet d’élaborer des indicateurs relatifs à la pédagogie et aux conditions de travail ; des indicateurs :
- qui sont communiqués aux services de stage ;
- qui nous permettent également d’élaborer des stratégies de communication sur des sujets précis vers les maîtres de stage et les candidats spécialistes ;
- qui nous fournissent des données factuelles sur lesquelles s’appuyer pour organiser les formations pédagogiques proposées aux maîtres de stage.
D. P. : À ce niveau-là, par exemple au niveau de l’évaluation des assistants, quelles sont les modalités pratiques d’évaluation ?
C. H. : C’est une des limites du RSL, nous offrons un cadre de formation, mais ce n’est pas nous qui délivrons cette formation au quotidien. Elle est apportée par les Maitres de stage et par la faculté. Pour notre part, on veille à ce que l’environnement soit optimal, mais ce n’est pas nous qui donnons les cours, ce n’est pas nous qui influençons le contenu des programmes. On fait en sorte que le cadre soit approprié. On aide les maitres de stage à différents niveaux, on les informe de l’évolution de la législation, on organise des séances de formation pour les aider à évaluer les assistants le plus objectivement possible, à gérer des situations conflictuelles ou délicates, … Mais on ne veut pas imposer notre point de vue, le RSL joue de rôle de facilitateur, mais nous ne faisons pas les programmes, nous n’imposons rien, mais on fait en sorte que tout se fasse de la façon la plus harmonieuse, en accord avec la loi et les exigences de la Faculté. La formation des assistants est de plus en plus structurée, avec des années de formation qui doivent être officiellement reconnues et validées par la Faculté, on exige des assistants de pouvoir démontrer qu’ils ont acquis une expertise dans certains domaines plus spécifiques comme l’evidence-based medicine, les aspects de consentement, la médecine factuelle, le raisonnement clinique... Tous ces aspects-là ne font pas toujours partie explicitement du cursus de formation et là le RSL peut intervenir et faire en sorte que des modules de formation soient disponibles pour que tous les assistants aient accès à ces exigences.
D. P. : Pouvez-vous préciser dans quelle mesure vous avez des projets de développement pédagogiques ou concernant la pratique clinique ?
C. H. : On aimerait bien que dans tous les hôpitaux du RSL, il y ait véritablement une mise en commun des outils pédagogiques, des guidelines. Pourquoi devrait-on traiter une certaine pathologie courante de façon différente dans des hôpitaux du réseau ? On devrait pouvoir se mettre d’accord sur des guidelines dans toutes les disciplines pour constituer une plateforme commune, mais ça, c’est très ambitieux, on n’y est pas encore parvenu. J’aimerais bien que cela se fasse, mais ça nécessite énormément de collaboration, il faudrait que la Faculté initie le projet dans toutes les disciplines et ensuite qu’on s’accorde sur des guidelines qui sont applicables dans tous les hôpitaux du réseau sans qu’il n’y ait de décalage. Ça serait une force considérable. Certaines disciplines se sont déjà engagées dans cette voie-là, mais il faudrait que ça se généralise.
D. P. : Ce que vous dites là me semble intéressant, mais je me posais comme question, pour les volets pédagogiques, comment est-ce que le raisonnement clinique, l’approche par compétences, sont enseignés à travers les stages ? C’est un courant pédagogique très important aujourd’hui.
C. H. : C’est quelque chose qui va surtout relever de la compétence de chacun des Présidents de Master. Nous, ce que nous offrons, c’est un cadre et un environnement de formation. On fait en sorte que les hôpitaux où les assistants sont affectés soient des hôpitaux de qualité où on respecte un certain nombre de principes communs. Mais ce n’est pas nous qui avons les ressources ou les compétences pour aller inculquer des connaissances... On crée un cadre et on essaie de faire en sorte que les Présidents de Master de chaque spécialité le valorise au maximum.
Ph. R. : Par contre, au travers des indicateurs issus des évaluations annuelles des services de stage, nous suscitons aussi des (remise en) questions, des réflexions au sein des services de stage - et dans le chef des superviseurs. La démarche n’a pas pour vocation à poser un jugement sur un service de stage et/ou sur le superviseur, mais bien d’aider ce dernier dans sa mission pédagogique au moyen d’informations sur le « ressenti » par les candidats spécialistes de la formation dans le service, sous sa supervision, tant dans les aspects pédagogiques que dans les conditions d’organisation du travail.
Un maître de stage est d’abord un médecin, il n’a pas été formé à la pédagogie. Il s’agit désormais de le sensibiliser à la démarche pédagogique et plus particulièrement à l’évaluation formative.
Celle-ci repose sur 3 étapes :
- la définition des objectifs de la formation, en l’occurrence du stage,
- une évaluation intermédiaire, au regard des objectifs définis, afin d’identifier éventuellement des points faibles et de proposer une stratégie pour les améliorer mais aussi d’identifier les points forts,
- une évaluation finale argumentée permettant au MACCS d’identifier clairement ses points forts et ses points faibles.
La conscientisation, pour le moment, passe par les indicateurs. Un rapport par spécialité sera produit et les résultats seront mis en miroir avec des éléments pédagogiques et des éléments législatifs (agrément, organisation du travail, …). Il s’agit ainsi d’attirer l’attention des superviseurs sur des points à améliorer ou des aspects à privilégier ; de leur faire prendre conscience de l’écart qui peut exister entre leur vision de l’apprentissage par compagnonnage et les attentes en termes de formation des médecins candidats spécialistes.
En outre, la législation en matière de critères généraux d’agrément du médecin spécialiste est « complexe » et il s’agit également de mener un travail pédagogique, d’information auprès des superviseurs afin qu’elle leur soit intelligible (d’approche facile).
D. P. : C’est pour ça aussi que je relève dans notre échange le fait que vous ayez une Commission formation au sein du Réseau, que la dimension pédagogique formative soit vraiment prise en compte et que vous en êtes soucieux aussi pour l’avenir, car c’est quand même un des parents pauvres des formations puisqu’on centre d’abord les efforts sur les aspects organisationnels, législatifs, de répartitions, etc… Ma dernière question, parce que le temps passe vite… Quels sont les défis et les projets de développement pour le futur au niveau du Réseau ?
C. H. : Il y a plusieurs défis. Au niveau individuel, pendant leur assistanat, les assistants doivent de plus en plus intégrer l’importance du respect des obligations légales, notamment celles du carnet de stage qui sont de plus en plus strictes, et là, on doit les aider, ainsi que nos Maitres de stage. Il faut faire en sorte que, tout au long de sa formation, l’assistant et son Maitre de stage soient en parfaite harmonie avec les exigences légales en perpétuelle évolution. Avec la double cohorte, le nombre d’assistants va bondir de 1.000 à quasi 1.200, il va culminer dans les années qui viennent à près de 1.600, c’est donc un défi majeur de pouvoir les gérer, tout en garantissant la qualité, dans un environnement géopolitique hospitalier en pleine mutation. Quelle sera l’évolution du RSL alors que les hôpitaux vont être fusionnés dans des entités nouvelles ? Il va falloir continuer à promouvoir la valeur ajoutée de l’appartenance au RSL. Une autre de nos préoccupations, c’est que la médecine est en pleine mutation. Je crois qu’on ne soupçonne pas l’impact majeur de la digitalisation, de l’intelligence artificielle, … Tout ça va révolutionner l’art de guérir dans de multiples disciplines et il va falloir l’intégrer pour nos assistants, les préparer à un tsunami technologique dont on ne soupçonne pas encore les implications pour nos hôpitaux. Ça semble passionnant, mais c’est un petit peu anxiogène aussi.
D. P. : Vous êtes bien placés pour saisir tous ces défis par votre spécialité et ce que vous avez fait.
Ph. R. : Je voudrais conclure en évoquant le grand défi de l’accréditation de la formation. Dans un contexte où, à terme, il faudra démontrer la qualité de la formation ou tout au moins des mesures mises en place pour tendre vers cette qualité, il s’agira de pouvoir démontrer qu’au travers des projets déjà en place et d’autres à développer, la qualité de la formation des futurs professionnels de la santé (et au-delà des soins apportés au patient) est une priorité pour l’UCL.
D. P. : L’accréditation est un enjeu majeur du futur, car comme vous le savez, à partir de 2023, les États-Unis n’accepteront plus de médecins qui ne sont pas issus de facultés accréditées par des institutions reconnues. C’est un sujet que nous travaillons beaucoup dans le cadre de la responsabilité sociale des Facultés de Médecine, l’importance de l’accréditation, de son impact, ... Il s’agit de beaux défis, vous avez tout à fait raison.
Merci à vous deux pour vos réponses et commentaires qui illustrent la richesse de notre réseau hospitalier et la qualité de sa gestion.