Que le diabète de type 2 soit en binôme avec le développement de complications chroniques cardiovasculaires est aujourd’hui un constat scientifiquement (et cliniquement) établi. Ces complications sont d’ailleurs responsables aux États-Unis de 75 % des hospitalisations de patients diabétiques – dont la mortalité cardiovasculaire est aussi deux à quatre fois plus fréquente que celles d’individus non diabétiques (1). Cette observation d’aujourd’hui est parfaitement en phase avec celle, plus ancienne, de Haffner et al. qui démontraient qu’un diabétique de type 2 sans aucun passé cardiovasculaire avait un risque d’infarctus myocardique identique à celui d’une personne non diabétique avec antécédents coronariens chargés (2).
Pour éviter – ou limiter – la survenue de ces lésions mortifères de macroangiopathie, une stratégie d’optimisation glycémique et de maîtrise systématique des facteurs de risque cardiovasculaire conventionnels est essentielle (3,4). Ceci étant, dans ce contexte, traiter l’hyperglycémie chronique par un médicament hypoglycémiant qui aurait une valeur ajoutée (un « bonus ») cardiovasculaire apparaîtrait, pour chaque praticien, comme le « Saint-Graal » diabétologique !
Les SGLT-2 inhibiteurs (SGLT-2 inh. pour Sodium - coupled Glucose transporter type 2 inhibitors) sont une nouvelle classe d’agents antihyperglycémiants qui, par leur action glucorétique, améliore le contrôle du diabète d’une manière indépendante de la sécrétion et/ou de l’action de l’insuline. Par leur mécanisme à cible rénale, ils amènent, en parallèle, une perte pondérale et une réduction de la pression artérielle (5 pour une revue). Sachant ce bénéfice multidimensionnel, les SGLT-2 inhibiteurs ont trouvé, en 2015, leur place dans l’algorithme thérapeutique de l’ADA (American Diabetes Association) et de l’EASD (European Association for the Study of Diabetes) (6).
En septembre 2015, les résultats de l’étude EMPA-REG OUTCOME, présentés en session plénière au Congrès européen de Diabétologie (EASD), viennent de démontrer avec éclat que l’empagliflozine (Jardiance®), un nouvel inhibiteur spécifique des SGLT-2, réduisait aussi, drastiquement, le risque cardiovasculaire de patients diabétiques de type 2 aux antécédents de macroangiopathie.
Le but de cet article est de proposer une revue exhaustive de ces résultats, publiés online dans le New England Journal of Medicine (7) et de les intégrer dans l’approche thérapeutique moderne sur le « terrain ».
EMPA-REG OUTCOME est un essai prospectif en double aveugle qui compare l’empagliflozine (E) aux doses de 10 (E 10) et 25 mg/jour (E 25) à un placebo. Ses modalités pratiques ont été publiées par Zinman et al. en 2014 (8). Le but de l’étude était d’évaluer sa sécurité cardiovasculaire per se par rapport à un placebo (mise en évidence d’abord d’une « non infériorité » statistique) avec observation subséquente éventuelle (si la non infériorité est prouvée) d’un effet de cardioprotection (mise en évidence d’une « supériorité » statistique) dans une cohorte de patients diabétiques de type 2 à (très) haut risque cardiovasculaire. Ont été inclus des patients âgés de plus de 18 ans, avec une hémoglobine glycatée (HbA1c) entre 7.0 et 10.0 % (sauf pour les sujets diabétiques thérapeutico-naïfs : entre 7.0 et 9.0 %) et un index de poids corporel inférieur à 45 kg/m2. Un risque élevé cardiovasculaire était un critère absolu d’inclusion. L’empagliflozine à la dose quotidienne de 10 ou 25 mg ou le placebo étaient administrés pendant toute la durée de l’étude en ajout au traitement hypoglycémiant antérieur (y compris l’insuline). Après douze semaines de suivi, ce traitement devait être ajusté par les praticiens selon les « règles locales » pour obtenir dans deux groupes (E et placebo) le « meilleur contrôle glycémique possible ». En parallèle, les facteurs de risque « non glycémique » devaient également faire l’objet d’une thérapie adéquate, déclinée selon les habitudes et algorithmes conventionnels.
La « non infériorité » et l’éventuelle « supériorité » statistique de l’empagliflozine vs. le placebo reposaient sur un critère d’évaluation primaire composé défini par la survenue d’un décès cardiovasculaire, d’un infarctus myocardique non fatal ou d’un accident vasculaire cérébral non mortel (3P-MACE, pour 3 Points-Major Adverse Cardiovascular Events). Les principaux critères d’évaluation secondaire étaient un objectif 4P-MACE (avec ajout au 3P-MACE d’une hospitalisation pour angor instable) ainsi que les événements cardiovasculaires considérés individuellement et la microangiopathie dont l’évolution sera analysée à plus long terme. L’étude devait être menée jusqu’à la survenue de 691 événements (objectifs primaires), ce qui permettait une analyse statistique complète avec interprétation univoque des résultats. L’évolution cardiovasculaire des patients reposait dans un premier temps sur la comparaison du groupe (E 10+E 25) et du groupe contrôle, et dans un second temps des groupes E 10 et E 25 individualisés vs. le groupe contrôle.
Sept mille vingt malades ont été inclus dans l’étude dont la durée médiane a été de 3,1 années. Ils ont été recrutés dans 42 pays. Leurs caractéristiques à l’inclusion stratifiées au départ selon quatre groupes (E 10, E 25, E 10+25 et placebo) sont indiquées dans le Tableau 1. Il montre que les sujets sont parfaitement identiques dans les cohortes E et placebo. C’est le cas, entre autres, en termes d’âge (63 ans), d’index de poids corporel (30.6 kg/m2), de pression artérielle systolique et diastolique et de durée du diabète (Tableau 1). Par ailleurs, tous les patients inclus dans chacun des groupes ont des antécédents cardiaques chargés : près de 50 % d’entre eux ont un passé d’infarctus myocardique et 10 % de décompensation cardiaque. Leurs taux d’ HbA1c, de LDL – et HDL cholestérol, ainsi que de filtration glomérulaire (GFR) (évaluée par le MDRD) sont également comparables (Tableau 1). Il est intéressant de mentionner, dans le cadre rénal, qu’on identifie dans chaque groupe 26 % des sujets avec une GFR inférieure à 60 ml/min/1.73 m2 et 40 % avec albuminurie élevée au-delà de 30 mg/g de créatinine. Les traitements à l’inclusion étaient harmonieusement répartis entre les groupes tant pour les hypoglycémiants (y compris l’insuline, prescrite chez près de 50 % des malades) que pour les hypotenseurs (chez 95 % des sujets, avec en majorité une prescription d’ACE-inhibiteurs), les hypolipémiants (chez plus de 80 % des patients, avec en majorité le choix d’une statine) et les antiagrégants plaquettaires (chez 90 % des sujets).
Une interruption précoce des traitements (« discontinuation ») a été colligée chez 25 % des patients. Ceci étant, 97 % ont complété l’étude et une évaluation de leur statut vital a été obtenue chez 99.2 % des participants, contribuant ainsi indirectement à la puissance statistique de l’essai.
Comme indiqué dans le tableau 2, l’étude met en évidence, de manière « forte », un bénéfice cardiovasculaire dans le groupe empagliflozine (E 10 + E 25 combiné) par rapport au placebo.
En termes d’objectif primaire (décès cardiovasculaire, infarctus ou AVC non fatal), les résultats à trois ans démontrent en effet une réduction de risque de 14 %, signant une supériorité statistique de l’empagliflozine par rapport au placebo (p=0.04). Ce résultat « global » est sous-tendu par une diminution du risque de mortalité cardiovasculaire de 38 % (p<0.001) et de mortalité totale (cardiovasculaire et non cardiovasculaire) de 32 % (p<0.001) sous empagliflozine vs. placebo. L’étude montre également sous empagliflozine une diminution de 35 % du risque d’hospitalisation pour décompensation cardiaque (p=0.002). Sous empagliflozine, 4.5 % des patients ont présenté un infarctus non silencieux vs. 5.2 % dans le groupe placebo. Quant au risque d’un accident vasculaire cérébral, il apparait légèrement majoré (de manière non significative) mais reste très semblable dans les deux groupes dès lors qu’on ne considère pas, dans une analyse post hoc, les évènements survenus plus de trente jours après arrêt du médicament (HR :1.06 [0.79-1.41 ]). Dans les études de sous-groupes, il existait une certaine hétérogénéité pour l’objectif primaire en termes d’âge (< et > 65 ans) et d’HbA1c (< et >8.5 %) mais, à l’opposé, aucune interaction significative pour les décès cardiovasculaires.
Il est essentiel de noter que, pour l’ensemble de ces résultats, la « divergence » empagliflozine vs. placebo émerge déjà après les trois premiers mois de traitement, démontrant ainsi un bénéfice très rapide du médicament actif. Il est également intéressant de mentionner que les résultats cardiovasculaires sont quasi identiques chez les patients traités par E 10 et E 25 analysés séparément vs. le placebo.
Zinman et al. observent dans le groupe interventionnel (combiné) versus le placebo une amélioration globale des facteurs de risque glycémique et non glycémique (7). Ils objectivent, entre autres, une réduction de l’HbA1c de l’ordre de 0.4 % au cours du suivi ainsi qu’une perte pondérale de 3 %. Les auteurs rapportent également une diminution respectivement de 4 et 2 mm de la tension artérielle systolique et diastolique sous empagliflozine. Les taux de LDL – et de HDL cholestérol augmentent modestement sous traitement actif avec un rapport LDL/HDL inchangé.
EMPA-REG OUTCOME s’impose comme un jalon – un temps fort - dans l’histoire moderne de la diabétologie clinique. Elle permet en effet une avancée majeure dans la prise en charge thérapeutique du patient diabétique ciblant, par-delà le contrôle glycémique, son enjeu cardiovasculaire. Récemment, SAVOR-TIMI 53 (9), EXAMINE (10) et TECOS (11) avaient démontré la sécurité cardiovasculaire (non infériorité vs. le placebo) des inhibiteurs DPP-4 et ELIXA celle d’un agoniste du GLP-1 (lixisenatide) (12).
EMPA-REG OUTCOME s’en démarque en objectivant, dans une cohorte de patients diabétiques, au même profil cardiovasculaire, non seulement une « non infériorité » mais une « supériorité » statistique par rapport au placebo dans le champ de la macroangiopathie. Avec en particulier une réduction de mortalité cardiovasculaire proche de 40 % et d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque de 35 % ! Ces résultats sont déjà observés à la dose de 10 mg/j, ce qui a une implication pratique évidente.
Il est important de noter que ce dividende est obtenu chez des diabétiques alors qu’une prise en charge holistique des facteurs de risque était déjà, à l’inclusion, très adéquate. D’autres études devront néanmoins vérifier si ces résultats positifs peuvent être extrapolés à des catégories différentes de diabétiques, en particulier indemnes de pathologie cardiaque.
En parallèle aux données cardiovasculaires, ce que rapporte également l’essai, est une diminution modeste de l’ HbA1c couplée à une perte pondérale modérée et à une réduction légère de la pression artérielle sous empagliflozine par rapport au placebo. Il existe également une très légère augmentation en cours d’étude des taux de LDL – et HDL cholestérol – avec un rapport in fine inchangé, rassurant sur le plan clinique.
Ceci étant, le(s) mécanisme(s)s physiopathologique(s) qui rend(en)t compte de ces bénéfices cardiovasculaires de l’empagliflozine reste(nt) équivoque(s). Au vu de leur émergence très rapide (trois mois par rapport au placebo), il est improbable qu’ils puissent être expliqués par les « simples » réductions de l’HbA1c , de la pression artérielle (13), par la perte pondérale ou un « effet » lipides. Le rôle d’une activité diurétique de l’empagliflozine (par diurèse osmotique) chez ces patients cardiologiquement fragiles a été à juste titre évoqué. Par ailleurs, l’empagliflozine améliore aussi la rigidité des parois artérielles (14). Il est plausible qu’un mécanisme pluriel intégrant ces différentes modifications, y compris hémodynamiques, soit la clé des avantages cardiovasculaires observés, à l’image des données d’intensification multifactorielle dans l’étude STENO 2 (15).
À la question pertinente d’un (éventuel) effet de classe [SGLT-2 inh.], il est aujourd’hui prématuré de conclure : les études en cours (CANVAS [pour la canagliflozine] ; DECLARE-TIMI 58 [pour la dapagliflozine]) devraient apporter à cette interrogation, respectivement en 2017 et 2019, des réponses scientifiquement validées.
Les effets indésirables de l’empagliflozine tout au long de l’étude sont comparables à ceux observés sous placebo, à l’exception d’une plus grande fréquence d’infections génitales, ce qui confirme des observations déjà récurrentes (5,15). L’absence d’acidocétose (17) et/ou de fractures pendant le traitement par empagliflozine est un constat rassurant pour son utilisation à long terme.
En conclusion, EMPA-REG OUTCOME démontre un bénéfice cardiovasculaire chez des diabétiques de type 2 à haut risque. L’étude peut être considérée a priori comme un « tournant » thérapeutique. Elle devrait néanmoins être confirmée, y compris chez des sujets indemnes de macroangiopathie. À ce stade, il est rationnel de conclure que l’essai renforce la place des SGLT-2 inhibiteurs dans l’algorithme thérapeutique du diabète de type 2 et transcende celle de l’empagliflozine dans la réflexion thérapeutique et l’approche du diabétique de type 2 à haut risque cardiovasculaire.
Ce message est essentiel pour les cliniciens confrontés au diabète de type 2 et à ses complications morbides.
La macroangiopathie, en particulier cardiaque, est fréquente chez le diabétique de type 2. L’empagliflozine (Jardiance®) est un glucorétique de la classe des SGLT-2 inhibiteurs qui apporte un bénéfice patent en termes de morbi – mortalité cardiovasculaire chez des patients à risque. Il trouve donc une place à part entière dans l’approche thérapeutique du diabétique de type 2 aux antécédents cardiovasculaires.
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Résultats présentés en juin 2015 à l’American Diabetes Association à Boston
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Pr. (ém.) Martin Buysschaert
Cliniques universitaires Saint-Luc
Service d’Endocrinologie et Nutrition
Avenue Hippocrate 10 B-1200 Bruxelles, Belgique
martin.buysschaert@uclouvain.be