Les anticoagulants oraux et parentéraux sont largement utilisés dans différentes situations : fibrillation auriculaire, traitement aigu et prévention secondaire de la thrombose veineuse profonde et de l’embolie pulmonaire, prothèses valvulaires mécaniques, prévention thromboembolique en post-opératoire ou en situation médicale aiguë. Plusieurs de ces indications requièrent une anticoagulation de longue durée, pour lesquelles une alternative aux AVK est souhaitable. En effet, malgré leur efficacité, les AVK sont d’utilisation complexe :
- multiples interactions alimentaires et médicamenteuses, modifiant leur biodisponibilité et leur métabolisme ;
- métabolisation influencée par des polymorphismes génétiques ;
- fenêtre thérapeutique étroite, réduisant leur praticabilité et leur efficacité ;
- nécessité d’un monitoring régulier et contraignant.
Les anticoagulants oraux directs (AODs), encore appelés DOACs (Direct Oral Anticoagulants) ou NOACs (Non anti-vitamin K Oral Anticoagulants) offrent plusieurs avantages théoriques :
- dose fixe, grâce à une biodisponibilité stable et une très large fenêtre thérapeutique ;
- pas de nécessité d’un monitoring régulier ;
- pas d’interaction alimentaire ;
- réduction drastique des interactions médicamenteuses ;
-profil efficacité-sécurité équivalent ou supérieur aux AVK dans les principales indications.
Les AODs appartiennent à deux classes : les inhibiteurs directs de la thrombine (anti-IIa) et les inhibiteurs directs du facteur Xa (anti-Xa). Le tableau 2 reprend leurs principales caractéristiques pharmacocinétiques (1-3).
Soulignons la part variable de l’élimination rénale selon les agents, l’administration 1 ou 2 fois par jour guidée par les résultats des études de phase II (rapport efficacité/sécurité), l’intervention de la p-gp et du cytochrome 3A4 dans l’élimination du médicament, cibles de quelques interactions médicamenteuses importantes.
Lorsqu’elles sont connues, les variations de concentration des AODs sont indiquées en pourcentage (Tableau 3). Généralement des modifications inférieures à 50% n’ont pas d’implication clinique et ne nécessitent pas de modification posologique de l’AOD. Les contre-indications et les réductions de posologie sont également mentionnées.
Nous détaillons les deux indications majeures des AODs : la prévention des AVC et embolies systémiques en présence d’une fibrillation auriculaire et le traitement de la maladie thromboembolique veineuse (thrombose veineuse profonde et embolie pulmonaire).
La FA constitue l’indication majeure des AODs en raison de sa prévalence et parce qu’elle impose une anticoagulation de très longue durée, souvent chez des patients âgés et polymédiqués, pour lesquels l’efficacité des AVK est difficile à maintenir et entachée d’un risque hémorragique élevé. Tout patient porteur d’une FA avec un CHA2DS2-VASC ≥ 1 doit idéalement être anticoagulé. Le risque hémorragique doit être évalué en parallèle (score Hasbled ou Hemorrhages).
Les AODs ne peuvent être administrés que dans la fibrillation auriculaire non valvulaire, ce qui exclut les patients porteurs d’une prothèse valvulaire mécanique ou d’une sténose mitrale modérée à serrée. Les patients de ces deux derniers groupes doivent être anticoagulés par AVK.
Le critère d’efficacité de l’anticoagulant est la prévention des AVC et des embolies systémiques. Les donnés de cette méta-analyse (5) reprenant les quatre RCTs de grande ampleur permettent de comparer l’efficacité et la sécurité des AODs par rapport à la warfarine (AVK).
Analysés de manière globale, les AODs démontrent une efficacité significativement supérieure à la warfarine, en termes de prévention des accidents vasculaires cérébraux et des embolies systémiques. Les résultats varient selon les études mais le résultat global est nettement en faveur des AODs (Figure 1).
D’autre part, les AODs permettent une réduction significative des accidents hémorragiques les plus graves, par rapport à un traitement classique par AVK (Figure 2).
On peut déterminer que ce gain d’efficacité et de sécurité est principalement lié à la réduction des AVC hémorragiques et des hémorragies intracrâniennes (figure 3). C’est bien là l’avancée majeure des AODs par rapport aux AVK ; cet avantage concerne également les patients avec un traitement par AVK bien équilibré par rapport à l’INR cible.
En revanche, il existe une augmentation des saignements muqueux, en particulier digestifs sous AODs par rapport à la warfarine.
Ces deux facettes de la maladie thromboembolique veineuse souvent associées chez le même malade bénéficient du même traitement. Là aussi, la comparaison s’est faite par rapport au comparateur historique, soit l’administration initiale d’une héparine relayée par un AVK.
Les modalités du traitement sont différentes selon les AODs : administration d’une HBPM initiale pendant 5-7 jours avant de débuter l’AOD pour le dabigatran et l’edoxaban, ou utilisation d’emblée de l’AOD avec une posologie majorée en début de traitement pour le rivaroxaban et l’apixaban (Tableau 4).
L’efficacité est évaluée par le taux de récidives d’accidents thromboemboliques veineux sous traitement anticoagulant. Cette méta-analyse (6) confirme une efficacité des AODs comparable à celle du traitement classique.
Par contre, en comparaison du traitement classique par AVK, les AODs démontrent une réduction significative du risque hémorragique, en particulier des saignements majeurs, des saignements sur un site critique, des hémorragies intracrâniennes ou encore des hémorragies mortelles (6).
Si le patient est traité par AVK, les AODs peuvent être débutés d’emblée si INR ≤ 2,5; si l’INR est > 2,5, il est nécessaire de revérifier l’INR dans les jours suivants avant de débuter un AOD.
Si le patient est traité par HBPM, l’AOD est débuté au moment où la dose suivante d’HBPM aurait du être administrée : 12 heures après la dernière administration si le patient est traité par un schéma 2x/j ou 24 heures après la dernière administration si le patient est traité par un schéma 1x/jour.
On commence l’AVK à la dose habituelle et on poursuit l’AOD jusqu’à obtention d’un INR ≥ 2. Dans le cas du rivaroxaban, l’INR sera prélevé à distance de la prise du rivaroxaban (≥ 12 heures) pour éviter l’influence du rivaroxaban sur l’INR.
Rappelons que certaines procédures mineures ne réclament pas l’arrêt des anticoagulants ; dans ce cas, on conseillera toutefois de réaliser le soin à distance de la prise du médicament.
Grâce à leur action rapide et limitée (≤ 24 heures), les AODs ne réclament pas de bridging par HBPM. Si l’hémostase post-opératoire le permet, l’AOD peut être repris 24 ou 48 heures après la procédure ; en cas de risque hémorragique persistant ou différé, on peut couvrir la période critique soit par une HBPM à dose prophylactique, soit par un AOD prescrit à dose prophylactique.
Un des principaux avantages des AODs est de ne pas requérir de monitoring biologique. Toutefois, dans certaines situations particulières (hémorragie, échec du traitement, doute sur la compliance, poids extrêmes), il peut s’avérer utile de mesurer l’effet anticoagulant obtenu. Dans ce cas, il importe de connaître la posologie utilisée et le délai écoulé entre la dernière prise et le prélèvement. Le test de coagulation sera spécifique à l’agent utilisé : Hemoclot (temps de thrombine dilué) pour le dabigatran, activité anti-Xa par test chromogénique pour les inhibiteurs directs du facteur Xa (rivaroxaban, apixaban, edoxaban).
L’attitude face à une hémorragie ne diffère pas de celle appliquée lors d’une anticoagulation par AVK ou HBPM :
- en fonction de la sévérité, omission d’une ou plusieurs doses de l’AOD. Rappelons qu’en fonction de leur cinétique, le retour à une hémostase suffisante se produit dans les 24 heures dans la majorité des situations ;
- mesures habituelles de support volémique, de transfusion et d’hémostase locale (y compris endoscopique) si possible ;
- les situations nécessitant une neutralisation de l’AOD ne sont rencontrées que dans 1 à 2% de l’ensemble des hémorragies ;
- dans cette dernière situation, on peut neutraliser l’action des AODs par :
- Moyens non spécifiques : concentrés facteurs de coagulation (PPSB,…)
- Moyens spécifiques (antidotes)
Plusieurs registres ont publié des données sur l’efficacité et la sécurité des AODs utilisés dans la pratique clinique en dehors des grands essais randomisés. À la différence des RCTs, il n’y a pas de critère strict d’inclusion ou d’exclusion et la prescription d’un AOD ou d’un AVK est évidemment laissée à l’arbitrage du prescripteur. Beaucoup de ces études n’incluent pas de comparateur. On peut néanmoins en tirer certaines conclusions:
- lorsqu’il y a comparaison entre AOD et AVK, l’efficacité et la sécurité comparées sont très voisines des RCTs même si les chiffres absolus sont différents parce que les populations étudiées sont différentes, p.ex. plus âgées ou plus fragiles ;
- lorsqu’il n’y a pas de comparateur, la fréquence des évènements thrombotiques ou hémorragiques sont proches des valeurs attendues en fonction des RCTs et de la population étudiée.
Les AODs offrent de nombreux avantages en terme de facilité d’utilisation tout en offrant un profil efficacité-sécurité équivalent ou supérieur aux AVK selon les indications et les agents. Cette facilité d’utilisation devrait permettre de mieux rencontrer les besoins en termes d’anticoagulation notamment chez les nombreux patients en FA qui ne sont pas anticoagulés malgré leur profil de risque. Une connaissance de la pharmacocinétique et des quelques interactions médicamenteuses de ces nouveaux agents est nécessaire à leur manipulation adéquate. Les résultats des registres de données obtenues en pratique clinique confirment pleinement leur intérêt dans une prise en charge optimale de l’anticoagulation de nos patients.
Pr. PHILIPPE HAINAUT, MD, PH.D
Cliniques universitaires Saint-Luc
Médecine interne
Maladie thromboembolique veineuse
Université Catholique de Louvain
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles
1. P. Hainaut. Les nouveaux anticoagulants oraux. In: Athérosclérose-Athérothrombose, 205-238, TransMed Medical Communications, 2013.
2. Boehringer Ingelheim. Summary of Products Characteristics: Pradaxa (Dabigatran Etexilate). Eur Med Agency 2008; 1-10.
3. Bayer. Rivaroxaban. A practical guide. Available at : http://www.thrombosisguidelinesgroup.be/sites/default/files/Rivaroxaban%...
4. Heidbuchel H, Verhamme P, Alings M et al. Updated European Heart Rhythm Association Practical Guide on the use of non-vitamin K antagonist anticoagulants in patients with non-valvular atrial fibrillation. Europace 2015 Oct;17(10):1467-507. doi: 10.1093/europace/euv309. Epub 2015 Aug 31
5. Ruff CT, Giugliano RP, Braunwald E et al. Comparison of the efficacy and safety of new oral anticoagulants with warfarin in patients with atrial fibrillation: a meta-analysis of randomised trials. Lancet 2014 ; 383 : 955-62.
6. van der Hulle T, Kooiman J, Den Exter PL et al. Effectiveness and safety of novel oral anticoagulants as compared with vitamin K antagonists in the treatment of acute symptomatic venous thromboembolism: a systematic review and meta-analysis. J Thromb Haemost 2014 ; 12 : 320-8.