Les épidémies, une histoire sans fin ?

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Jean-Claude Debongnie Publié dans la revue de : Octobre 2020 Rubrique(s) : Ama Contacts
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Résumé de l'article :

Au début étaient les microbes (terme introduit par Sedillot en 1878 et signifiant vie courte) comprenant les virus, aussi anciens que l’ADN – les bactéries (vieilles de plus d’un milliard d’années) – les parasites apparus avec les cellules eucaryotes. Leurs vecteurs ont également précédé l’homme avec leur cargaison microbienne : les insectes (1 million d’espèces apparus il y a 400 millions d’années) – les rongeurs (la moitié des 5400 espèces animales à l’origine de plus de 50 zoonoses) – les chauves-souris (plus de 100 espèces, sources inépuisables de virus) etc.

Article complet :

Au début étaient les microbes (terme introduit par Sedillot en 1878 et signifiant vie courte) comprenant les virus, aussi anciens que l’ADN – les bactéries (vieilles de plus d’un milliard d’années) – les parasites apparus avec les cellules eucaryotes. Leurs vecteurs ont également précédé l’homme avec leur cargaison microbienne : les insectes (1 million d’espèces apparus il y a 400 millions d’années) – les rongeurs (la moitié des 5400 espèces animales à l’origine de plus de 50 zoonoses) – les chauves-souris (plus de 100 espèces, sources inépuisables de virus) etc.

Au paléolithique, les chasseurs-cueilleurs vivaient en petits cercles. Les pathogènes pouvaient provoquer des infections circonscrites, familiales. Il y a plus de 10.000 ans, le chien est devenu l’ami de l’homme et sa longue proximité avec l’homme en a fait un pourvoyeur de pathogènes : gale, tænia, échinocoques, ascaris, rage... etc. Au néolithique (8500 av. J.-C.), l’agriculture et l’élevage des animaux sont apparus. Défrichement et irrigation ont attiré les moustiques. L’essor des villages agricoles a permis des échanges de pathogènes, interhumains et avec les animaux. Ainsi le bœuf nous a transmis la peste bovine, virus qui, transformé, est devenu chez l’homme celui de la rougeole. Ainsi, la tuberculose humaine a été transmise par l’homme au bœuf. C’est la paléogénétique, interrogeant le passé génétique des microbes qui nous le dit. Ultérieurement, le développement des villes avec la concentration urbaine des hommes, des animaux et des déchets, entamé dans le Croissant fertile (Mésopotamie) a fait apparaître le dernier acteur le « demos ». Les épidémies (« sur le peuple ») sont des maladies infectieuses qui sont tombées sur un grand nombre et sont la mortelle rançon du développement.

Jusqu’à la Renaissance, le terme peste (du latin « pestis » : fléau) sera synonyme de pestilence, d’épidémie et non pas de la maladie peste. L’origine des pestes sera d’abord considérée comme religieuse, punition des dieux ou de Dieu, ensuite comme sociale, reflet de la pauvreté et enfin comme rationnelle, spécifique après la découverte des germes. Actuellement, le terme peste est encore équivoque : l’origine de la peste étant bactérienne chez l’homme, virale chez l’animal.

Parcourons en quelques dates, avec quelques pathogènes, l’histoire des pestes, des épidémies : - 430 la peste d’Athènes ou le typhus ; 165 la peste Antonine ou la variole ; 1347 la peste noire ou la vraie peste ; 1492 ou la découverte de l’Amérique par les germes ; 1832 ou le choléra ; 1918 ou la grippe espagnole.

-430 La peste d’Athènes ou le typhus

La première pestilence décrite en Occident, est la peste d’Athènes, pendant la guerre du Péloponnèse entre Spartes et Athènes. Périclès, pour défendre plus facilement la ville, a entassé dans les murs de la cité toute la population des environs d’Athènes, la rendant plus insalubre. La cité était constituée de deux pôles habités : l’Acropole et le Pirée, réunis par un long chemin, le tout entouré d’une muraille. La peste, très probablement le typhus, d’après la description de Thucydide, a décimé un tiers de la population, près de 100 000 personnes, dont Périclès. Hippocrate, son contemporain, a écrit un traité : Epidémies c’est-à-dire maladies populaires, touchant de nombreuses personnes dont l’origine, exogène donc, était attribuée aux « miasmes » (souillures) de l’air.

L’extension du commerce de la laine au XVe siècle et donc des vêtements de laine (le lit du pou) et la promiscuité prolongée et forcée des armées en déplacement, facilitant son passage d’un individu à l’autre, expliquent l’association du typhus et des guerres. D’où son nom de « fièvre des camps militaires » et « général typhus ». Les exemples abondent. En 1499, Ferdinand, mari d’Isabelle la catholique dut 85 % de ses pertes au typhus à Grenade. En 1528, l’armée française a dû battre en retraite à Naples. En 1812, le typhus a décimé l’armée napoléonienne lors de la retraite de Russie, typhus qui s’est alors répandu dans le continent. Pendant la guerre 14-18, près de 3 millions y ont succombé. Dans les tranchées, les ploucs luttaient contre les « totos » (les poux) qui les piquaient, provoquant du prurit et déposant dans les plaies leurs déjections porteuses du germe. Outre les armées, les prisons les camps de concentration, les camps de réfugiés étaient … et restent des sources potentielles de foyers infectieux.

La description clinique complète du typhus a été réalisée par Girolamo Fracastore, suite sans doute à une des nombreuses épidémies observées. Il en a également décrit la contagiosité interhumaine dans son ouvrage « De contagione et contagiosis morbis » en 1546, soupçonnant des semences invisibles. En 1909, Charles Nicolle, directeur de l’institut Pasteur à Tunis, démontre que le pou (Pediculus humanus), différent du pou retrouvé dans les cheveux des enfants (Pediculus capitis) est le vecteur du typhus, découverte qui lui vaudra le prix Nobel. Cela provoquera l’épouillage dans les tranchées en 1914 ainsi que l’usage de sachets d’essences insecticides à porter sous les vêtements. En 1910, Rickkets découvre un bacille dans les cellules sanguines d’un malade lors d’une épidémie au Mexique. En 1913, von Prowazeck démontre la présence de l’agent infectieux dans les déjections du pou. Tous deux ont été victimes du typhus et c’est en leur honneur que cette bactérie défective c’est-à-dire vivant dans d’autres cellules, sera baptisée. Un vaccin sera développé et utilisé largement par l’armée américaine lors de la seconde guerre mondiale. Il sera abandonné ensuite au profit d’antibiotiques efficaces : la chloromycétine puis les tétracyclines.

Ainsi, le typhus dont l’homme est le réservoir peut être évité par l’hygiène à savoir le changement et le nettoyage régulier des vêtements (habitudes récentes) et soigné par les antibiotiques.

165 – Peste antonine – la variole

Probablement ramenée du Moyen-Orient par les troupes ayant combattu les Parthes (partie de l’Iran), la peste Antonine (survenue sous la dynastie des Antonins), aussi dite peste de Galien, ce qui semble avoir été la variole a, en quelques années, décimé près du tiers de la population de l’empire romain. Transmise par les gouttelettes (comme le corona), l’infection est en effet très contagieuse et, dans sa forme majeure, a une mortalité de 30 %. L’origine du virus est probablement asiatique et l’analyse phylogénétique des virus du groupe Orthopoxvirus suggère comme origine un rongeur d’Asie, suivie d’une infection chez le chameau, puis d’une transmission à l’homme suite à la domestication du camélidé.

En 250, une nouvelle épidémie de variole, la peste de Cyprien, va à nouveau réduire d’un quart la population de l’empire. La maladie va rester endémique. Sa diffusion va être assurée en Europe centrale au Moyen Âge par les Croisades. Elle va être exportée dans le Nouveau Monde par Christophe Colomb. Au XVIIIe siècle, la maladie fait toujours des ravages. Pour Voltaire « la moitié en meurt, l’autre est défigurée » en raison des cicatrices. C’est la cause principale (80 %) des décès des enfants de moins de 10 ans. En 1794, E Jenner, constatant que les filles de ferme ne faisaient jamais la variole mais la vaccine, cousine de la variole chez les vaches, ne touchant que les bras, eut l’idée d’inoculer le pus de la vaccine, bénigne à un patient pour le protéger de la variole. Antérieurement, la variolisation c’est-à-dire l’inoculation de pus de cas bénins de variole protégeait déjà de la maladie au prix d’une certaine mortalité. La vaccination de Jenner, premier traitement préventif anti-infectieux s’étendit rapidement. En 1800, tous les marins de la flotte anglaise seront vaccinés. En 1805, Napoléon ordonne la vaccination de l’armée. Les habitudes se perdant, lors de la guerre Franco Prussienne de 1870, l’armée française perdra 23 000 soldats de la variole, contre 290 chez les allemands, vaccinés. Au XXe siècle, la variole a encore fait 300 millions de victimes et en France, la dernière poussée a eu lieu dans les années 1950.

En 1966, l’OMS a lancé le programme d’éradication de la variole, de la vaccination systématique (vaccination en anneau). Le dernier cas a été décrit au Kenya en 1977 et la vaccination a pu être arrêtée en 1984. C’est la seule maladie infectieuse épidémique qui a totalement disparu chez l’homme (NB : la peste bovine, virale, a également disparu grâce à un vaccin en 2012). La variole est aussi la première maladie qui a vu un traitement avant la découverte de son origine, et avant l’instauration de l’hygiène personnelle et collective. Il est vrai que près de deux siècles se sont écoulés entre le traitement préventif de Jenner et l’éradication de la maladie.

1347 – La grande peste ou la peste noire

Originaire de Chine et ramenée par les mongols, la peste « puisqu’il faut l’appeler par son nom » va en quelques années se transformer en pandémie, tuer plus de 50 millions de personnes soit un tiers au moins de la population, déficit qu’il faudra 300 ans pour rattraper. Les tatars, assiégeant Caffa en Crimée catapultent des cadavres de pestiférés dans la ville, bientôt atteinte. Des navires génois, quittant la ville, emporteront la maladie et l’importeront à Constantinople (1347), en Sicile, à Marseille, à Avignon, cité papale et carrefour, ensuite à Lyon où la moitié de la population sera décimée. À Paris (1348), on ramassera 500 cadavres par jour. Puis elle passe à Londres, Hambourg, Stockholm (1350) et enfin Moscou, réalisant en quelques années un cercle parfait. En 1377, la république de Dubrovnik impose un isolement de 30 jours (« trentina ») aux navires suspects, transformé plus tard en quarantaine, ce qui freinera la réimportation par voie maritime.

Ensuite, pendant des siècles, les épidémies se sont succédées jusqu’au XVIIIe siècle. La Belgique n’a pas été épargnée. Pendant la pandémie, différentes villes ont été touchées : Tournai, Mons et d’autres en 1349. En 1401, Binche a perdu la moitié de ses habitants. En 1579, la population de Louvain se réduisait de 36 000 à environ 7000. La faculté de médecine perdit cinq de ses six professeurs et se réfugia à Diest et à Tirlemont.

En 1720, dernière poussée en Europe : un navire venant de Syrie ou la peste est déclarée et à bord duquel certains en sont déjà morts, accoste à Marseille. Les matelots ainsi qu’une partie de la cargaison sont mis en quarantaine. Celle-ci est rompue par certains matelots et écourtée par les autorités. La peste se déclare en ville, et est constatée par un médecin. Les autorités sont rassurantes et accusent le médecin de divagations. Nihil novi sub soli.

L’origine du fléau de 1347 était bien sûr inconnue. Les rats, source de la peste, transportés par les bateaux, pullulaient d’autant plus que les chats, leurs prédateurs, étaient considérés par l’Eglise comme malfaisants, diaboliques et étaient donc éliminés. Les puces, moyen de transport entre le rat noir et l’homme, dont la ponte était favorisée par l’humidité, proliféraient après les orages qui ont souvent précédé les poussées. Ignorant tout cela, les autorités interrogèrent l’Académie de Paris en 1348 sur l’origine du fléau. Elle répondit : « Une épidémie procède de la volonté divine ». La maladie était donc une punition, il fallait faire pénitence.

Ce fut le début des processions de flagellants : se flageller était à la fois obtenir le pardon de Dieu, se purifier et prévenir le mal. Il fallait trouver les coupables, les impurs. C’est ainsi que les juifs ont été brûlés par centaines, les chats éliminés par milliers (200 000 à Londres lors d’une épidémie en 1660). La peste noire annonce la fin des temps, l’apocalypse. Une atmosphère macabre s’est installée pendant des siècles dont témoigne par exemple un tableau de Peter Brueghel : « « Le triomphe de la mort » (1562).

Tout le monde connaît les représentations des médecins de la peste : vêtus d’une robe sombre, couverte de cire, de gants en cuir et d’un masque avec des ouvertures en verre pour les yeux. S’y ajoutait souvent un bec rempli d’aromates sensées faire fuir les miasmes. Ils examinaient les patients avec un bâton, appliquaient des sangsues sur la plaie, proposaient une saignée et des remèdes comme l’eau de peste (à base de pattes de grenouille et de corne de licorne, réduites en poudre). Les médecins de la peste étaient engagés et payés par les villes. Beaucoup y laissèrent la vie.

La pandémie de 1347 et ses rechutes épidémiques était en fait la seconde. La première fut la peste de Justinien en 541, peut-être liée au transport maritime de graines (et de rats) entre l’Égypte et Rome et qui a sans doute contribué à la chute de l’Empire romain, marquant la fin de l’Antiquité. Cette pandémie sera suivie de soubresauts épidémiques, au nombre d’une vingtaine, jusqu’en 767. L’infection n’a pas pénétré en Europe du Nord en raison du faible développement des moyens de communication terrestres. La mortalité élevée de la peste de 541 a décimé la population : 25 à 50 millions de morts, soit 40 %. L’impact a été énorme, non seulement démographique mais économique et culturel.

La troisième pandémie, elle aussi d’origine chinoise, a débuté à Canton en 1867. Elle a touché Hong Kong en 1894. Yersin, envoyé par l’Institut Pasteur a identifié le germe dans les bubons, devançant Kitasato, élève de Koch. Quelques années plus tard, Simonds, également pastorien, démontre le rôle des puces, intermédiaires entre les rats et les hommes. Le bacille est sensible aux antibiotiques (streptomycine, chloromycetine, tetracyclines). Il existe un vaccin de protection limitée. La recherche d’un vaccin plus efficace est toujours en cours, au Canada et à l’Institut Pasteur. La peste a disparu des contrées européennes pour des raisons peu claires : remplacement du rat noir par le rat brun (surmulot), concurrence des autres Yersinia, régression des puces, mutation du germe ? L’hygiène a sans doute joué un rôle : l’usage du bain, du savon et le changement de vêtements pour le nuit datent du XIXe siècle.

Au XXe siècle, de petites poussées sont survenues comme à Oran à plusieurs reprises, sujet de « La peste » de Camus. Au XXIe siècle, il y a encore des foyers : aux Etats-Unis (10 cas par an), à Madagascar où en 2017 un seul malade a entraîné en cascade de plusieurs centaines d’infections.

1492 – L’invasion des germes en Amérique

En 1492, Christophe Colomb débarque à Hispaniola (Saint-Domingue) dans les Antilles, précédant les conquistadors du continent sud-américain. La population locale descend des migrants venus de Sibérie par le détroit de Behring 6000 ans plus tôt. Cette population avait son propre monde microbien : certains virus, des rickettsies, des bactéries comme Bartonella, les tréponèmes, certains parasites comme Leishmania, les trypanosomes de la maladie de Chagas. En 1493, Christophe Colomb importa la grippe à Hispaniola, qui après avoir tué un tiers de son équipage, supprima la presque totalité de la population locale. La variole, autre importation, sera introduite à Mexico en 1520 et au total 90 % de la population du Mexique va disparaître. Plus de dix maladies infectieuses ont ainsi été introduites. En échange (fort inégal), les Espagnols ramèneront en Europe la syphilis (titre d’un poème de Fracastore : « Syphilis », syphilis signifiant en grec don d’amitié réciproque) et la fièvre jaune. Le même processus se reproduira avec la colonisation de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande et des îles du Pacifique à partir du 18e siècle. La population de Hawaï sera réduite de 90 % après l’arrivée de Cook (1778). Les explorations ont donc provoqué des épidémies catastrophiques.

1832 – Le choléra

Déjà décrit dans les textes sanscrits plus de 200 ans avant J.-C., le choléra est resté limité à l’Inde jusqu’au XIXe siècle. Ainsi en 1503, une épidémie à Calcutta, relatée par Vasco de Gama, a entraîné la mort de 20 000 personnes. En 1817, nouvelle épidémie à Calcutta, source d’une pandémie : Perse 1821, Moscou 1830, Paris 1832. À Paris, le gouvernement nie d’abord son existence. En quelques mois, il y aura 100.000 morts, surtout dans les quartiers pauvres et insalubres où les populations s’entassent. Le peuple accuse l’État et les riches de l’abandonner. En Belgique, il y aura plusieurs poussées entre 1832 et 1866, année du « grand choléra », qui verra 43 000 décès, 2 % de la population de Bruxelles. Cela poussera Jules Anspach, bourgmestre de Bruxelles à faire vouter la Senne, cloaque à ciel ouvert, fosse d’aisance en cas de faible débit, noyant les égouts en cas de fort débit.

La transmission par l’eau était soupçonnée par John Snow, fondateur en Grande-Bretagne de la ligue antialcoolique et propagateur de l’anesthésie (auteur de l’« anesthésie à la reine », lors de l’accouchement de la reine Victoria). En 1854, il a remarqué que tous les habitants d’un quartier fortement infecté prenaient leur eau à une même source, rue Broadway. La fermeture de la pompe, obtenue à grand peine, entraîna la fin des infections locales : les eaux étaient contaminées par des égouts. C’était l’acte de naissance de la géographie médicale.

Le coupable, une bactérie vivant dans l’eau en symbiose avec des organismes planctoniques et dont l’homme est le seul hôte, le coupable donc fut découvert par Pacini, confirmé par Koch qui, après l’avoir cherché en vain en Égypte, en même temps que les envoyés de Pasteur, l’a retrouvé en 1884 en Inde. L’année suivante, en Espagne, un vaccin a été proposé qui, certes, donne une forme légère de la maladie, mais immunise. L’infection répond aux tétracyclines et au Bactrim. Le problème aigu et vital immédiat est la déshydratation : l’exotoxine du choléra provoque une sécrétion intestinale et peut faire perdre plus de 10 litres en un jour. Son traitement a été ébauché au XIXe siècle : lavements – tentative de perfusion à l’aide d’une plume d’oie introduite dans une veine. Après la découverte expérimentale de la stimulation de l’absorption de NaCl par le glucose (Curran 1955), les solutions orales se sont répandues depuis les années1960 et ont sauvé des centaines de milliers de vies. L’usage de l’eau potable évite la contamination fécale et donc l’infection.

1918 – Grippe (dite à tort) espagnole

En 1918, la grippe semble avoir pris son origine aux Etats-Unis et s’est propagée via l’armée américaine débarquée en France au printemps 1918. Elle est dite « espagnole » car la presse espagnole, la seule à ne pas être censurée, fut la première à en parler. La grippe se répandit en trois vagues, dont la deuxième, débutant en aout, avant la fin de la guerre, fut la plus mortelle, surtout dans la tranche 20-50 ans. L’analyse d’un fragment de poumon conservé dans le formol a montré qu’il s’agissait d’un virus H1N1. Au total, plus de 200 millions de malades ont été atteints avec probablement 50 millions de décès, soit bien plus que les morts liés à la guerre 14-18. Aux Etats-Unis, l’interdiction de groupements dans certaines villes a permis une réduction de la mortalité. L’Académie de médecine à Paris a demandé en vain la fermeture des lieux publics et des théâtres. Le masque a été porté par certains, moqué par d’autres, le qualifiant de mascarade, le masque de gaze remplaçant le masque à gaz de la guerre.

Si l’histoire ne permet pas de préciser les premières apparitions d’épidémies de grippe, le tableau clinique étant peu spécifique, la phylogénie moléculaire et génomique nous apprend que la grippe humaine habituelle est une adaptation ancienne de virus de grippe aviaire à l’homme. Après l’an 800, des descriptions compatibles suggèrent déjà une à deux hécatombes par siècle. Le terme grippe vient de « grippa », ce qui agrippe ; celui d’influenza de « influenza di freddo »: influence du froid. La maladie sera bien décrite par Sydenham en 1510, par Ambroise Paré en 1568. Au cours des siècles suivants, les épidémies se répètent et peuvent déborder les services publics : en 1657, les stocks annuels des pharmacies seront épuisés en deux semaines ; en 1803, les fiacres devront suppléer les corbillards. En 1889, la grippe russe entraînera 1 million de décès.

En 1889, Pfeiffer pensait avoir découvert l’agent causal : Hemophilus influenzae, en fait l’agent de la pneumonie compliquant la grippe. En 1918, Dujarrie de la Rivière a montré qu’il s’agissait d’un virus, puisque traversant un filtre retenant les bactéries. Le filtrat était pathogène : il se l’est inoculé, reproduisant la maladie. En 1933, le virus a été identifié et en 1939, le premier vaccin a été réalisé par Salk (qui développera le vaccin de la polio). Ainsi les GI (qui avaient sans doute amené la grippe espagnole en 1918) ont pu être protégés en 1941 par le vaccin.

Ce (relativement) court tour d’horizon de certains germes, causes d’épidémie et, parfois de pandémies en oublie beaucoup d’autres : la fièvre jaune, passée d’Afrique en Amérique par l’esclavage et ensuite en Europe, la lèpre : « ce hideux héritage des croisades » (Michelet), le paludisme originaire d’Afrique, la syphilis ramenée du nouveau monde en Europe par les espagnols, la tuberculose, fièvre romantique au XIXe siècle aussi appelée peste blanche et d’autres encore. Il nous permet d’entrevoir la complexité du problème et du rôle de l’homme. Ce rôle est à la fois direct par le contact avec les animaux, qu’ils soient de compagnie (chiens, chats), d’élevage (poules par exemple) ou d’importation illégale (oiseaux rares, serpents etc. en Europe – espèces plus rares pour consommation : pangolins ou civettes vendues vivantes sur les marchés asiatiques) ou indirectement : l’extension de l’agriculture ou de la déforestation chasse des espèces de leur milieu naturel (chauve-souris par exemple). L’homme transporte avec lui (en lui et sur lui) son bagage microbien dans le monde : les armées, les explorations, le transport à bateau d’abord, en avion ensuite (3 milliards de passagers aériens en 2018).

Il nous permet d’entrevoir la complexité des réponses et leur histoire. L’hygiène communautaire est récente : l’eau courante et potable permet d’éviter le choléra (et d’autres infections non épidémiques) ; de même pour le traitement des déjections et des déchets. L’hygiène personnelle est récente également : le changement régulier de vêtements qui évite le typhus – les bains. Le lavage des mains date de Semmelweiss (1847), donnant naissance à l’asepsie, rappelé par Céline un médecin écrivain obsédé des mains propres. L’invention de la solution hydro-alcoolique par Didier Pittet (1995), qui n’a pas déposé de brevet, a depuis le XXIe siècle réduit les affections nosocomiales et s’est révélé « ô combien » utile dans l’épidémie actuelle. La distanciation physique (terme recommandé par l’OMS plutôt que distanciation sociale) a été proposée à New York lors d’une épidémie de polio en 1916 et à Saint-Louis lors de la grippe en 1918. L’usage de masques date de la même grippe. Si les antibiotiques ont connu un grand développement au XXe siècle permettant de lutter contre certaines épidémies d’origine bactérienne comme la peste, les antiviraux spécifiques sont plus rares mais ont néanmoins permis de bloquer l’HIV, de guérir l’hépatite C. L’histoire des vaccins n’est pas un long fleuve tranquille : délais, échecs, abandons. Les délais se raccourcissent : près d’un demi-siècle entre l’épidémie de polio en 1916 à New York, point de départ de la recherche d’un vaccin et l’apparition du vaccin dans les années 1950 avec entretemps un vaccin avorté, causant parfois de graves effets secondaires, parfois la maladie. Depuis, environ une décade suffisait pour l’apparition d’un vaccin sur le marché. Certains vaccins ont été abandonnés (typhus, choléra) en raison d’autres traitements efficaces. Certaines infections résistent toujours à l’élaboration d’un vaccin comme la peste, HIV.

La réponse à notre question de départ est positive : les épidémies sont et resteront une histoire sans fin et nous resterons condamnés à leur répétition, répétition plus fréquente ce dernier demi-siècle. Le réservoir d’agents pathogènes potentiels est infini. Certes, il faut limiter les risques : limiter le déboisement et ses conséquences sur la faune (chauve-souris – rongeurs etc) – limiter, voire interdire le voyage d’animaux sauvages destinés à la compagnie en Europe, à la consommation en Chine . Si de nos jours, l’expansion d’une épidémie est très rapide, il en est de même pour la recherche scientifique : à peine un mois entre le décryptage du génome du Sars-CoV-2 et la disponibilité de test de dépistage partout dans le monde – plusieurs milliers de travaux sur le sujet en quelques semaines – plus d’une centaine de vaccins potentiels (mai 2020).

Et surtout, pour la première fois, la vie et la santé sont devenues les valeurs premières ! Tout n’est pas perdu.

Références

En raison des multiples références, ce qui les rendraient plus longues que l’article qui se veut une simple histoire, seuls quelques livres récents poussant à la réflexion sont mentionnés.

  1. Schwartz M, Rodhain F. Des microbes et des hommes , qui va l’emporter ? 2008 Ed O Jacob.
  2. Moutou F Des épidémies, des animaux et des hommes. 2015 Ed Le Pommier
  3. Morand S La prochaine peste. Une histoire globale des maladies infectieuses. 2016 Ed Fayard.