Le ravissement pour la musique de Beethoven ne s’est pas amenuisé au cours des siècles et l’empathie pour cette personnalité tourmentée n’a certes pas diminué. De plus, la compassion pour ses problèmes de santé s’est d’autant plus avivée que des mystères ont perduré tant sur l’origine de sa surdité que sur les causes de son décès.
Les reliques du Maître offraient des ouvertures nouvelles pour investiguer ces zones d’ombre. Leur résurgence de nulle part et leur arrivée aux États-Unis dans la dernière décade du XXe siècle orientaient la démarche vers des recherches modernes dans l’espoir de percer ces énigmes.
Des experts de grande valeur et de larges connaissances y ont apporté leur contribution. Des résultats inattendus se sont fait jour ; des conclusions – parfois hâtives – ont cherché à s’imposer. D’autres chercheurs sur la base de données contraires ont créé la controverse. Leur interprétation les a conduits à rejeter les conclusions des premières études. S’en sont suivies des polémiques d’experts.
Le dessein de cette nouvelle partie de l’histoire médicale de Beethoven cherche à actualiser les données récentes sur les problèmes de santé du musicien, leur apporter des explications, les interpréter et les intégrer dans les connaissances anciennement établies.
Les cheveux
En ce mardi après-midi du 27 mars 1827, une ambiance de recueillement nappait une Vienne en butte à un hiver qui s’attardait. Son célèbre musicien s’en était allé. Une foule émotionnée et curieuse se pressait devant la Schwarzspanierhaus pour rendre un dernier hommage au grand compositeur. Sa dépouille qui avait été autopsiée le matin même reposait sur un lit mortuaire dans son cabinet de travail ; l’imposant piano à queue, offert par ses amis anglais, sur lequel traînaient encore quelques partitions avait été poussé dans un coin de la pièce. Parmi tous ces visiteurs émus, Ferdinand Hiller accompagné de son maître Johann Nepomuk Hummel, l’élève choyé de Mozart, se distinguait par son jeune âge. Dès la connaissance de l’état de santé inquiétant du compositeur, ces deux admirateurs et très proches du malade mourant s’étaient déplacés à Vienne pour venir le saluer, et cela à plusieurs reprises dans les jours précédents. Ce dernier contact qui s’exprimait dans un silence affecté traduisait leur attachement au musicien de génie. Au terme de cette ultime visite, et comme l’autorisait la coutume, le jeune Hiller coupa une mèche de cheveux du Maître et se retira remué à la vue de ce corps éteint. Il conserva avec égard ce bien précieux.
Qui était Ferdinand von Hiller ? Né dans une famille juive fortunée, l’enfant montrait, dès son tout jeune âge, des dons exceptionnels pour la musique ce qui lui valut de devenir, à l’âge de treize ans, l’élève de Hummel. Pianiste doué autant que compositeur précoce, il fut amené à voyager et se faire apprécié à Paris où il côtoya Chopin, Berlioz et d’autres musiciens de l’époque. À la mort de son père, il revint en Allemagne et mena une brillante carrière comme chef d’orchestre. Il rencontra sa future femme, Antolka Hogé, une très jolie cantatrice, La Bella Polacca, au cours d’un séjour en Italie en 1840 ; après leur mariage, ils se convertirent au protestantisme. Ses créations musicales de l’opéra et de la musique religieuse le rendirent célèbre et le conduisirent à voyager dans toute l’Europe. C’est à Cologne où il fondit et dirigea le Conservatoire de musique qu’il décéda à l’âge de 74 ans.
Son fils, Paul Hiller, né à Paris en 1853, devint chanteur puis critique musical au Rheinische Zeitung à Cologne. Il épousa Sophie Lion une cantatrice juive ; ils eurent deux fils : Edgard né en 1906 et Erwin en 1908. À l’occasion de son trentième anniversaire le 1er mai 1883, le père Ferdinand lui offrit le médaillon contenant les cheveux de Beethoven. L’histoire nous apprend qu’il en prit grand soin : en 1911 il le confia à un antiquaire réputé de Cologne, Hermann Grosshenning, en vue de vérifier l’étanchéité de cette pièce de joaillerie ; à cette occasion l’heureux héritier inscrivit sur un document joint au médaillon : « Ces cheveux ont été coupés du corps de Beethoven par mon père, Dr Ferdinand v. Hiller, le jour suivant le décès de Ludwig van Beethoven, soit le 27 mars 1827. Ce présent m’a été offert comme cadeau d’anniversaire à Cologne le 1er mai 1883. » Après quoi cette relique réintégra la chambre forte de la banque. Paul Hiller décéda en 1934, période marquée par la montée du nazisme et de l’antisémitisme en Allemagne. Le devenir de la famille Hiller est resté mal précisé et incertain : pour certains biographes les Hiller semblèrent être restés à Cologne bien que le registre de la population ne les mentionnait plus. Cette période des années trente fut marquée en Allemagne nazie par la persécution croissante et impitoyable des Juifs ce qui les poussèrent à s’expatrier : certains vers l’Europe de l’Ouest, d’autres vers l’Amérique du Nord.
La relique réapparut en octobre 1943 à Gilleleje ; elle avait été remise au docteur Kay Alexander Fremming, médecin praticien de ce port de pêche danois, en témoignage de gratitude et de remerciement pour l’aide secourable apportée à des Juifs poursuivis par les Nazis. Cette petite ville portuaire située à l’extrémité nord de l’île de Seeland servait de transit pour s’enfuir vers la Suède - pays neutre - distante seulement de quelques dix milles marins. Grâce à cette voie de nombreux Juifs se sauvèrent vers la liberté, d’autres furent malheureusement rattrapés par la Gestapo entraînée à leurs recherches et conduits vers les camps de concentration. Le devenir des Hiller mit un long temps avant d’être précisé.
Sans descendance naturelle les Fremming, adoptèrent une petite française du nom de Michèle de Rybel, âgée de six ans, qui s’était réfugiée au Danemark. Au décès de ses parents adoptifs cette jeune femme devenue par son mariage Michèle Larsen se trouva la dépositaire de l’inestimable médaillon. En proie à des difficultés financières elle chercha à le revendre et s’adressa à l’agence Sotheby de Copenhague. Un scepticisme bien compréhensible fut la première réaction de ces antiquaires, devant cet objet pour le moins énigmatique et inattendu. Une expertise et l’avis de la maison-mère londonienne furent sollicités. Rassurée par les précisions apportées par les experts sur l’origine de ces cheveux la maison de ventes Sotheby accepta de l’inscrire sur la liste des objets à vendre. À la vente aux enchères du 1er décembre 1994, le médaillon fut acquis pour 3.600 livres sterling par des acheteurs américains anonymes.
La disparition de la famille Hiller entraîna de larges recherches. Les archivistes de Yad Vashem (Yad Vashem : Institut Commémoratif des Martyrs et des Héros de la Shoah établi en 1953 par une loi du Parlement israélien visant à commémorer les six millions de Juifs assassinés par les nazis) assurèrent que ni la mère Hiller ni ses deux fils ne périrent dans des camps de concentration ou d’extermination. Il semblait certain également qu’aucun membre de la famille Hiller ne se soit réfugié au Danemark. Par contre les services de recherche de la Croix Rouge précisèrent qu’Erwin s’était embarqué à Brème sur un paquebot en partance vers les États-Unis le 16 juin 1948. Chose étrange, aucune personne de cette identité ne sembla être arrivée à New York ! Quant à son frère Edgard, il passa les années de guerre en Suisse et de retour à Hambourg en Allemagne il se suicida en 1959. Quant à Erwin, on finit par le retrouver à Los Angeles sous son nom de scène francisé Marcel Hillaire. Acteur connu, il contribua à dix-huit films américains dans lesquels il tenait habituellement des rôles de Français. Pour la télévision américaine il collabora à de très nombreuses séries dans le rôle de l’inspecteur Bouchard. Interrogé sur son passé, il raconta que, sous une fausse identité, il avait été incorporé dans l’armée allemande et envoyé en garnison en France. En raison de ses ascendances juives découvertes dans les derniers mois du conflit il fut emprisonné à Berlin où les armées russes le libérèrent quelques jours avant son exécution. Quant à sa mère Sophie, ce fils attentif chercha à la faire venir en France mais celle-ci fut emportée de façon inattendue d’un accident cardiaque sur le quai de la gare en partance pour Paris. Quant au fameux médaillon, Marcel semblait se souvenir que son père en avait fait don à une école de musique ou à un musée à Cologne. Des recherches, rendues aléatoires dans un Cologne écrasé par les bombes, n’apportèrent pas de solutions au voyage de cette précieuse relique de Cologne à Gilleleje. Ce mystère historique restera donc non élucidé.
Plusieurs autres mèches de cheveux, toutes certifiées comme authentiques, restent la propriété des musées de Vienne, Baden et de la Beethoven-Haus de Bonn.
Le crâne
Lors de l’autopsie réalisée le mardi 27 mars 1827, au domicile du Maître, le pathologiste Johann Wagner préleva les os temporaux en vue d’analyses complémentaires. Des témoins crédibles ont affirmé avoir vu, durant tout un temps, ces pièces anatomiques au Musée de Pathologie dans un bocal contenant du liquide de conservation. Une rumeur circulait à Vienne au XIXe siècle que ces vénérables reliques avaient été vendues à un médecin étranger pour une certaine somme. Une autre version relatait que ces pièces anatomiques transportées en Angleterre avaient disparu dans des décombres lors du Blitz de Londres en 1940.
En 1863, un projet de placer les ossements de Beethoven dans un cercueil métallique et d’édifier un monument funéraire conduisit à une première exhumation qui eut lieu le 13 octobre. À cette occasion, des observations d’ordre médical avaient été projetées et les os mesurés. Le crâne fut retrouvé émietté en neuf pièces ; à cette occasion fut confirmée l’absence des os temporaux. Ces investigations furent menées sous la haute responsabilité de Carl von Patruban, professeur d’Anatomie à l’Université de Vienne. Le docteur Gerhard von Breuning, celui-là même qui, comme jeune adolescent, rendait visite journellement à Beethoven, présent lors de ces expertises, tenta de reconstituer le crâne du compositeur au départ des ossements restants. Le sculpteur Alois Wittman en réalisa un moulage. Ces pièces furent photographiées par J.B. Rottmayer. À cette même occasion, Franz Romeo Seligmann, anthropologue viennois, procéda à des mensurations osseuses et à un autre moulage limité à la base du crâne. C’est à ce même Seligmann, professeur à l’Université de Vienne, que furent confiés des fragments osseux du crâne. L’histoire racontait que ce fut à l’instigation de Gerhard von Breuning que ces os crâniens – un fragment de l’os occipital et deux fragments de l’os pariétal gauche – lui furent remis en tant que collectionneur de crâne humain. Il en prit un grand soin et les conserva dans une boîte métallique en zinc.
Son fils Adalbert Franz – dit Albert – en hérita à son décès en 1892 ; celui-ci, peintre aquarelliste avant-gardiste, conta ses mémoires de jeunesse dans une œuvre littéraire Ein Bilderbuch aus dem alten Wien. Cette autobiographie était agrémentée de dessins de personnages connus et de références bibliographiques sur la famille et des connaissances célèbres. De plus ses relations amicales étroites et de longue date avec la belle fille de Goethe lui firent acquérir des objets personnels du grand écrivain et homme d’État allemand. L’artiste mourut en 1945 sans descendance connue ; il avait émis le souhait testamentaire que les reliques de Beethoven soient mises en vente. Ce fut une très ancienne et chère amie, Emma von Mérey qui fut choisie comme légataire testamentaire. En cette période d’immédiat après-guerre les marchés d’art étaient peu opérants. La vente ne se tint jamais.
Aussi, les reliques de Beethoven de même que les objets de valeur rassemblés durant son existence furent remis à sa plus proche parente, Adolphine Rosenthal, mieux connue sous l’appellation familière de Ada, une cousine issue de germains[1]. Ce fut son fils Thomas, Tom, dont l’identité se transforma en Desmine en 1930, qui prit soin de l’heureux héritage. Il eut une vie très active d’ingénieur électricien ; il avait quelques dons musicaux et jouait du violon ; enrôlé dans l’armée française en 1939, il fut prisonnier des Allemands pendant toute la durée de la guerre. Retiré à Vance, ville provençale culturelle et festive, il y menait une vie esseulée de bohème. Sa chaumière blottie entre baous et garrigues sauvages lui offrait une joie de vivre. Malheureusement la déficience mentale du grand âge le contraignit à devoir être placé dans une maison de soins. Son neveu, son héritier, Paul Kaufmann, le fils de sa sœur, prit soin de cet oncle et veilla à couvrir les frais inhérents à son état de santé déficient. À l’occasion d’un séjour à Vance, il rassembla les précieuses reliques et les archives familiales. C’est ainsi que la célèbre boîte métallique en forme de poire contenant les os du célèbre compositeur dont le nom était gravé sur le couvercle s’en alla à Danville en Californie. C’était en 1990, trois années avant le décès de cet oncle dément.
Deux faits historiques méritent d’être énoncés concernant les os crâniens de Beethoven.
Dans les années soixante, Tom Desmine remit un petit fragment osseux à un jeune virtuose Jean-Rodolphe Kars, pianiste autrichien d’origine australienne. Ce don fut révélé par un article sur le pianiste publié dans le Daily Telegraph de Londres en novembre 1968.
En décembre 1984, Helmuth Wiklicky, professeur à l’Institut d’histoire de la médecine de l’Université de Vienne prit contact avec Tom Desmine pour obtenir l’autorisation de faire analyser les os en sa possession par des chercheurs universitaires expérimentés dans ce domaine et en particulier par les docteurs Hans Jesserer et Hans Bankl. Les deux hommes, Wiklicky et Desmine, se connaissaient de longue date en raison de recherches menées par Tom sur la famille Seligmann dans les archives de l’Institut viennois dirigé par Wiklicky, Les os furent donc confiés à ces éminents chercheurs qui en firent une étude de valeur publiée dans plusieurs articles en 1986 et 1987.
Quatre membres de l’American Beethoven Society, quatre admirateurs inconditionnels du Maître, Alfredo Guevara, Ira Brilliant, Thomas Wendel, et Caroline Crummey, étaient devenus, le 1er décembre 1984, les heureux propriétaires de la relique mise en vente par Sotheby de Londres. Le médaillon comptait 582 cheveux bruns, blancs et gris de huit à quinze cm de long. On divisa le contenu en deux. Le nouveau médaillon, composé d’une partie des cheveux, prit le nom de Guevara lock, en l’honneur du docteur « Che » Guevara, principal acquéreur. Le reste de la mèche – soit 422 cheveux – fut offert en don au Centre d’études Beethoven (Center Beethoven Studies) de même que lui fut remis le médaillon original de Hiller.
Ce Centre d’études qui prit le nom d’Ira F. Brilliant Center for Beethoven Studies en 1983, en l’honneur de ce mécène et ardent beethovenien est géré par la San Jose State University et l’American Beethoven Society.
Désireux d’apporter une contribution à la connaissance des problèmes de santé de Beethoven deux de ses plus fidèles adeptes contemporains, Ira Brilliant, collectionneur de nombreux souvenirs beethoveniens et Alfredo Chevara, médecin urologue, prenaient contact en 1996 avec le Health Research Institute (Institut de Recherche de Santé) à Naperville, Illinois. Ils fournissaient à ce centre de recherches, très réputé, quelques cheveux provenant de la collection de Chevara en vue d’entreprendre des investigations scientifiques.
En ce mois d’octobre 2000, des révélations sensationnelles firent l’effet d’une bombe ! Au cours d’une conférence de presse, William J. Walsh, director of Beethoven Research Project révélait que les cheveux de Beethoven contenaient du plomb, à une concentration cent fois supérieure à la normale. Ces découvertes autant originales qu’inattendues réalisées par le McCrone Research Institute de Chicago conduisaient ces chercheurs à conclure que Beethoven avait souffert avec certitude d’un empoisonnement par le plomb[2], responsable de l’affection dont il fut victime sa vie durant : « cette intoxication ayant marqué sa personnalité et entraîné de façon probable son décès ».
Qui ne se souvient de ces annonces de presse et d’autres medias proclamant haut et fort que la cause du décès de Beethoven était enfin élucidée ? Le plomb l’avait-il tué ?
À ce propos, un souvenir marquant s’est inscrit dans ma mémoire. De retour d’un séjour studieux à Budapest le 19 octobre 2000, mon voisin de vol lisait un journal néerlandophone. Quel ne fut pas mon étonnement d’y apercevoir l’annonce de cette intoxication au plomb chez Beethoven. La nouvelle me fut, bien sûr, confirmée à mon retour. Connaissant mon intérêt pour les problèmes de santé de Beethoven des amis américains m’envoyaient le Chicago Tribune qui consacrait une double page à ces découvertes dont le journaliste soulignait l’importance et l’intérêt des conclusions des chercheurs.
Au cours de cette conférence de presse d’autres constatations intéressantes ressortaient des recherches effectuées sur les cheveux :
- aucun autre métal n’avait été objectivé et en particulier l’absence de mercure apportait la preuve que Beethoven n’avait pas reçu de médication utilisée à l’époque pour le traitement de la syphilis ;
- l’analyse de l’ADN[3] permettait de définir une partie importante du patrimoine génétique de Beethoven ;
- l’absence de métabolite de drogues certifiait que Beethoven n’avait pas reçu d’opiacés pour soulager ses douleurs durant cette fin de vie éprouvante.
Des recherches se poursuivirent avec des méthodes d’investigations originales et confirmèrent les premiers résultats. De plus en date du 8 décembre 2005 l’Argonne National Laboratory annonçait que des études menées sur un fragment osseux du crâne – le pariétal – provenant de la collection de Paul Kaufman révélaient aussi la présence de plomb dans l’os. L’identification de l’ADN de l’os apportait la preuve d’une identité génétique entre les deux reliques.
Cette présence de plomb dans le tissu osseux autorisait ces investigateurs à conclure à une exposition ancienne au plomb. La demi-vie du plomb dans l’organisme humain est de l’ordre de 22 ans, ce plomb “ancien” se logeant pour 95 % dans l’os.
Sur la base des résultats de ces nouvelles analyses, le directeur W.J. Walsh s’autorisait à attribuer à cette intoxication au plomb les comportements irascibles de Beethoven et ses plaintes abdominales remontant à son adolescence. De plus, il avançait que « les symptômes abdominaux et les découvertes d’autopsie étaient tous deux à mettre en rapport avec l’intoxication au plomb ». Quant à la surdité, il n’était pas improbable que l’intoxication par le plomb en soit la cause, bien que la description de tels cas soit très exceptionnelle.
Les chercheurs Européens ne restèrent pas inactifs. En 2007, le département de chimie analytique de l’Université de Vienne entreprit des investigations originales sur trois cheveux de Beethoven : deux avec racine provenant des États-Unis, un du mémorial Beethoven de Vienne Jedlesse. La constatation la plus marquante faisait apparaître une répartition non uniforme du plomb dans les cheveux : dans la partie la plus ancienne allant du 425ème au 360ème jour : absence totale de plomb ; durant la période du 360ème au 200ème présence de plomb dans plusieurs sections ; une nouvelle période de soixante jours sans plomb ; enfin durant les 111 derniers jours, concentration élevée de plomb. En outre les chercheurs viennois confirmaient les constatations des Américains, à savoir : l’absence de cadmium, de mercure et de dérivés opiacés.
Sur la base de ces renseignements et, en particulier, de la concentration élevée de plomb dans la partie proximale des cheveux, des commentateurs – et non des moindres – incriminèrent le docteur Wawruch et le déclarèrent même responsable de la mort de Beethoven : « Sa mort est due au traitement du docteur Wawruch » disait Christian Reiter, chef du département de médecine légale de l’Université de Vienne. « Je crois que la mort de Beethoven doit avoir été causée par des médications contenant du plomb chez un homme déjà sévèrement intoxiqué par le plomb » avançait William J. Walsh. Nous reviendrons sur ces déclarations.
D’autres recherches générèrent d’autres avis.
Le docteur Andrew C. Todd, expert toxicologue du plomb, du Mount Sinai Hospital School de New York sur la base de recherches menées sur un os crânien de Beethoven réfutait les résultats antérieurs et déclarait que dans l’ensemble du fragment osseux analysé il ne trouvait pas plus de plomb que dans le crâne de tout autre individu. Il concluait que Beethoven n’avait pas eu d’exposition prolongée au plomb et conseillait d’arrêter de considérer le plomb comme un facteur majeur dans la vie de Beethoven.
Une autre sommité du Mount Sinai de New York, Josef Eisinger, professeur émérite du Department of Structural and Chemical Biology, mettait en doute les conclusions incriminant le plomb dans la genèse des problèmes de santé de Beethoven ; de plus il jugeait les renseignements fournis par les dosages séquentiels du plomb au niveau des cheveux sujets à caution car, déclarait-il, « le cheveu est un très mauvais biomarqueur du plomb et il est difficile d’écarter l’origine exogène du plomb sur le cheveu ». Ces données lui permettaient de conclure que « le plomb n’avait pas joué un rôle dans sa surdité, sa maladie, sa mort ».
Ces études scientifiques aux conclusions divergentes créent plus de controverses qu’ils n’apportent d’éclaircissements !
Il paraît inconvenant, cependant, de rejeter en bloc ces résultats étonnants d’autant que bien avant la révélation des résultats des dosages effectués sur les cheveux de Beethoven certains avaient déjà soulevé l’hypothèse d’une intoxication par l’acétate de plomb contenu dans le vin à l’origine de son atteinte acoustique.
Des contacts variés et multiples avec le plomb étaient habituels dans les temps lointains : les tuyauteries, les réservoirs et autres ustensiles de cuisine étaient faits de plomb, les faïences et porcelaines en contenaient, le vin auquel on ajoutait du sucre de plomb, les poissons du Danube et, de plus, de multiples médicaments étaient composés de sels de plomb.
Revenant sur la période terminale de la vie du compositeur – les 111 jours de sa fin de vie – celle durant laquelle il fut pris en charge par le docteur Andreas Wawruch – ce médecin tellement décrié par certains – nous cherchons à apporter quelques précisions sur l’apport éventuel de plomb.
Lors de la première rencontre avec Beethoven, le 5 décembre 1826, le médecin fut en face d’un patient hautement fébrile, toussant et crachant du sang, atteint d’une pneumonie sévère, contractée durant un voyage hivernal et inconfortable dans la carriole d’un laitier. Le seul traitement appliqué durant ces périodes lointaines pour une telle affection était l’administration de sels de plomb. Il est difficile de connaître l’efficacité effective de ce traitement dans une telle affection mais on tient à préciser que le malade survécut à cette sérieuse infection !
À quatre reprises, entre le 20 décembre et le 27 février 1827, le docteur Wawruch fit appel à la compétence du Dr Johann Seibert, chirurgien en chef de l’hôpital général de Vienne, pour pratiquer une ponction d’ascite[4] au lit du malade. L’extraction de plusieurs litres – jusqu’à 20 livres – de liquide apportait une rapide amélioration de la respiration et de l’état du malade. En vue de favoriser la cicatrisation et éviter une surinfection de la plaie, de la céruse[5] était appliquée localement sur la peau. La qualité de cette poudre s’avérait d’autant meilleure qu’elle contenait plus de blanc de plomb, de carbonate de plomb de Venise. Cette médication était largement utilisée en thérapeutique journalière : les médecins la recommandaient aussi en pommade et en onguent pour calmer la douleur, les foulures, les irritations de la peau, notamment les gerçures et les crevasses, les mamelons des nourrices, les engelures des blanchisseuses…
Il est quasi certain que sur ces plaies cruentées une partie non négligeable de ce sel de plomb était résorbée et accumulée dans l’organisme.
Lassé par les traitements inopérants que lui appliquait son médecin, le malade découragé souhaita la visite d’un de ses anciens thérapeutes, le docteur Malfatti qui l’avait suivi entre 1809 et 1816 ; celui-ci lui prescrit un punch glacé pour calmer ses douleurs abdominales et ses crises d’angoisse : ce traitement fit le plus grand bien au malade, dit son entourage ! Il était connu que le vin et d’autres alcools contenaient, en ces temps-là, du sucre de plomb – acétate de plomb – dans le but d’adoucir ces boissons alcoolisées.
Deux commentaires souhaitent apporter des précisions sur l’emploi de tels produits : les sels de plomb et, en particulier, la céruse – connue et utilisée de longue date dans la peinture – étaient identifiés, comme toxiques mais cela n’empêchait pas son utilisation en thérapeutique.
La pharmacopée de l’époque était fort limitée et comportait beaucoup de produits dangereux tels que certains métaux, l’arsenic, le plomb, le zinc, l’or, le mercure : ce dernier fut, durant des siècles, à la base du traitement de la syphilis. Le grand remède, tel était appelé, au début du XIXe siècle, le traitement par le mercure appliqué dans la syphilis, tua sans doute plus de patients qu’il n’en guérit réellement !
Le plomb « administré » à Beethoven par le docteur Wawruch joua-t-il un rôle néfaste dans l’évolution de l’affection terminale ? Il est impossible de répondre à une telle question. La symptomatologie rapportée avec précision de cette période était dominée, d’une part, par l’atteinte hépatique qui le conduisit jusqu’au coma et à la mort et, en outre, par des complications infectieuses qui ont émaillé ses derniers mois de vie. La démarche thérapeutique du docteur Wawruch fut d’apporter à son célèbre – mais ténébreux – patient le réconfort le plus approprié à l’extrême gravité de la situation médicale. Il vint rendre visite à son malade chaque jour, lui appliqua les traitements qu’il jugeait les plus adaptés. Certains proches du compositeur firent la constatation que le médecin prescrivait de nombreux médicaments à son malade et que celui-ci devant l’évolution de plus en plus funeste se décourageait, manifestait son désappointement et ne cachait pas la réalité de l’échéance d’une issue fatale. « Je vais bientôt faire le saut » confia-t-il, quelques jours avant son départ, à ses visiteurs affectionnés, l’éminent compositeur Hummel accompagné de son jeune élève Hiller.
[2] Saturnisme: intoxication aigüe ou chronique par le plomb
[3] ADN : l’acide désoxyribonucléique constitue la molécule support de l’information génétique
[4] Ascite : épanchement liquidien dans la cavité péritonéale
[5] Céruse : encore appelée carbonate de plomb, blanc de Saturne, blanc de plomb ou blanc d’argent, est un pigment blanc à base de plomb
L’intoxication au plomb qu’elle soit aigüe ou chronique se dénomme saturnisme en référence à la planète Saturne, symbole du plomb en alchimie. Le plomb n’a aucun rôle utile connu dans l’organisme humain, animal, fongique ou végétal. Il est toxique au niveau cellulaire, quelle que soit sa concentration.
Le saturnisme n’a pas de symptômes spécifiques. Il est pour cette raison mal détecté et souvent très tardivement diagnostiqué après avoir été confondu avec d’autres troubles bénins : intoxication alimentaire, maux de tête, fatigue, alcoolisme, anomalies congénitales, troubles de comportement…
Les manifestations liées au saturnisme de l’enfant se marquent par un retard de développement mental avec des séquelles irréversibles si l’intoxication a concerné le jeune enfant. Les symptômes digestifs, très fréquents, sont variés sous formes de crampes abdominales associées à des épisodes de diarrhée et de constipation. Des troubles de comportement tels que de l’irritabilité ou de l’hyperactivité se rencontrent chez l’enfant scolarisé.
Le saturnisme de l’adulte associe une symptomatologie multiforme. Le plomb affecte les systèmes nerveux central et périphérique. Un des premiers signes d’atteinte périphérique – une neuropathie chronique – est une faiblesse des muscles extenseurs de la main. Si l’intoxication se poursuit cette diminution de force peut aller jusqu’à la paralysie. Les troubles neurologiques centraux associent une réduction des capacités cognitives, sous forme de difficulté de concentration, perturbations de la mémoire, instabilité psychologique et désordres psychomoteurs. Les symptômes digestifs, bien présents, ont acquis une dénomination précise : coliques au plomb qui associent crampes abdominales et constipation opiniâtre. S’y associent aussi des nausées voire des vomissements. La liste des symptômes détaille la grande variété des autres manifestations : perte d’audition, anémie, atteinte endocrinienne variée, dysfonctionnement des reins, goutte, hypertension artérielle… : aucun organe n’est épargné !
L’histoire médicale de Beethoven raconte-t-elle ou laisse-t-elle percevoir une intoxication au plomb ?
De son enfance peu de faits médicaux ne sont connus ; son ami de longue date et médecin – Wegeler – énonça, dans ses mémoires, que son état de santé fut précaire dès son jeune âge. Il n’en précisa pas les raisons. Beethoven, lui-même, dans un courrier à un ami, avocat à Augsbourg, lui fit part de ses ennuis de santé : « Je dois vous l’avouer : depuis que j’ai quitté Augsbourg, ma joie et avec elle ma santé se sont mises à décliner… Depuis que je suis à Bonn je n’ai encore connu que de rares heures de satisfaction ; la plupart du temps j’ai été pris d’asthme, et j’ai quelque raison de craindre qu’une phtisie ne se déclare ; il faut ajouter à cela la mélancolie qui est pour moi presque un aussi grand inconvénient que mon état de santé… » N’est-il pas inutile de souligner que l’adolescent Beethoven, âgé de 16 ans, venait de vivre des moments particulièrement émouvants dans la mort d’une mère jeune quadragénaire, décédée de consomption, qui lui confiait avant de mourir la responsabilité de ses trois jeunes frères et sœur en raison de l’alcoolisme avéré et profond du père. Les sautes d’humeur du jeune Beethoven étaient légendaires et rendaient réservés les contacts que l’on avait avec lui tant on craignait de voir le jeune compositeur s’emporter. Dès que celui-ci prenait conscience de son emportement, il s’en excusait avec empressement.
Le plomb attaque et lèse avec sévérité le cerveau de l’enfant. Que connaît-on des facultés cognitives du jeune Beethoven ? Il eut un écolage limité ; il ne fréquenta pas le collège ; il se racontait qu’il avait peine à résoudre les quatre opérations des mathématiques… Par contre, sous l’influence d’une famille d’accueil généreuse et lettrée – les von Breuning – et sous la maîtrise d’un jeune organiste érudit et professoral – Christian Gottlob Neefe – il rattrapa le retard inhérent à une éducation chaotique. Ce musicien et humaniste à la personnalité fascinante avait deviné le prodigieux tempérament musical de son élève de dix ans ; il lui enseigna le piano, la basse continue, la composition ; à douze ans, l’enfant tenait son rang parmi les musiciens de la cour ; il devint à quatorze ans organiste adjoint de la cour pour lequel il bénéficiait d’un traitement annuel de 150 florins. Tout jeune adolescent, il commença à composer. Les capacités intellectuelles de ce dernier firent la preuve d’une facilité d’apprentissage exceptionnelle ; l’éveil de ce cerveau insuffisamment alimenté attendait les stimulants salvateurs. La fertilité de sa créativité allait s’épanouir avec les années.
Les problèmes de santé d’un Beethoven adulte nous furent d’abord connus par les lettres qu’il adressa à ses amis, Wegeler et Amenda, en 1801 et par le testament d’Heiligenstadt, rédigé un an plus tard. Les ennuis auditifs de ce trentenaire remontaient à cinq années auparavant, s’étaient manifestés d’un côté puis de l’autre, s’aggravaient malgré les traitements prescrits par son médecin, créaient une grande inquiétude au musicien et le conduisaient à s’isoler. De plus, dans ses écrits, le compositeur faisait part de ses ennuis digestifs répétitifs et anciens sous forme de « violentes crampes abdominales et de fortes diarrhées ».
À aucun moment ne sont mentionnées de plaintes à caractère neurologique. Une des premières atteintes du saturnisme de l’adulte se porte au niveau des nerfs périphériques et se manifeste, en particulier, sous la forme d’une névrite radiale ; ce nerf radial joue un rôle majeur dans l’extension des doigts. Cette atteinte s’extériorise par la difficulté d’étendre les doigts et entraîne la chute de la main. Hors cette mobilité des doigts donne toute la virtuosité au pianiste. Durant ces années de fin du siècle Beethoven participa à des tournois de piano et ses activités de virtuose se poursuivirent tant à Prague et Budapest qu’à Vienne par des prestations durant lesquelles il interprétait ses dernières compositions. Sa créativité musicale s’est déployée à travers ses œuvres pour piano et en particulier ses 32 sonates qu’il composa durant sa vie de compositeur entre 13 et 52 ans ; leur interprétation réclame la dextérité de virtuose autant que la sensibilité de mélomane. Il est difficile d’imaginer qu’un musicien intoxiqué par le plomb puisse non seulement les jouer mais aussi les créer. L’atteinte neurologique ne se limite pas aux nerfs périphériques ; le plomb intoxique aussi le cerveau et entraîne une détérioration des facultés cognitives incompatible avec l’originalité et la sensibilité des créations du Maître. Malgré un état de santé fort précaire le compositeur continua à produire des œuvres immortelles jusqu’aux derniers mois de son existence. Les plaintes digestives se répétèrent durant toute son existence depuis son jeune âge ; elles étaient faites de crampes abdominales et de diarrhées. Leur origine est restée énigmatique et ne trouva jamais d’explication crédible.
Bien d’autres ennuis de santé ont émaillé son existence et l’ont conduit à des alitements prolongés : infections diverses, épisodes fébriles, douleurs rhumatismales, céphalées, problèmes thoraciques, « goutte dans la poitrine », mélancolie, fièvre rhumatismale, jaunisse, problèmes oculaires, crachement de sang et saignement de nez et cela indépendamment des graves problèmes médicaux qui ont marqué les six derniers mois de cette épreuve de la maladie…
Avec le 19ème siècle naissait la médecine moderne : la méthode anatomo-clinique inaugurée par Bichat en France fut une révolution : il s’agit de corréler les manifestations cliniques observées du vivant du malade avec les lésions que révèle l’autopsie.
Beethoven avait émis le souhait dans son testament d’Heiligenstadt que « dès que je serai mort, et si le professeur Schmidt est encore envie, priez-le en mon nom de faire la description de ma maladie… ». L’autopsie fut réalisée le lendemain matin de son décès avant que ne soit découvert ce testament. Aussi est-on en droit de penser que le malade en ait réitéré la demande, en fin de vie, à son médecin traitant, le docteur Wawruch qui assista à cette vérification anatomique.
En plus de la longue énumération des symptômes énoncés dans ses écrits et les carnets de conversation il importe d’apporter une description clinique des six derniers mois de vie du compositeur.
À l’invitation de son frère Nikolaus Johann, riche propriétaire foncier, le musicien se rendit à Gneixendorf situé sur le Danube à 70 km de Vienne ; il demeura dans cette luxueuse résidence durant les mois d’octobre et novembre. La santé précaire du maître inquiéta grandement les rares visiteurs : son faciès s’émaciait, son teint jaunissait, ses yeux se ternissaient, ses mains tremblaient, son alimentation s’amenuisait de jour en jour, à mesure de l’enflure du ventre ; de plus, il était nauséeux et sans appétit.
Ce fut cependant à Gneixendorf le 28 novembre 1817 que Beethoven mettait une note finale à la fugue en ré majeur pour quintette à cordes. Cet opus 137, dernière composition du Maître et œuvre posthume, est considéré par les musicologues et les mélomanes comme son testament musical. Oh ! Prémonition saisissante de ce génie conscient de sa déchéance physique et de son déclin final !
Le retour de vacances se déroula au début de décembre dans les conditions climatiques hivernales et l’inconfort de la carriole découverte du laitier qui entraînèrent une affection pulmonaire sévère chez ce voyageur affaibli. Ce grave épisode infectieux fut pris en charge avec efficacité par son nouveau médecin traitant qui lui prescrit des vésicatoires et des potions. Quelques jours plus tard un nouvel incident se déclarait ; il nous est précisé dans ses termes par son médecin : « À la visite du matin, je le trouvai tout jaune, abattu dans son lit, l’œil hagard ; d’épouvantables vomissements et une diarrhée profuse avaient menacé de le tuer la nuit précédente. Pris de frissons et de tremblements violents, il se pliait en deux à la suite de violentes douleurs ressenties dans les intestins et la région du foie ; ses jambes, modérément tuméfiées la veille, enflaient terriblement. Dès ce moment, de l’ascite commençait à se développer, l’urine à se raréfier ; la surface hépatique était couverte de nodules durs et la jaunisse s’intensifiait. À la troisième semaine, le malade était sujet à des crises nocturnes de suffocation. L’accumulation impressionnante de liquide dans le ventre requérait un traitement d’urgence. » S’en suivirent les quatre ponctions d’ascite effectuées par le docteur Seibert entre le 20 décembre et le 27 février. Chaque intervention était motivée par une accumulation importante de liquide – de nombreux litres – dans l’abdomen ! Dès le début de mars le malade s’affaiblissait, ses idées s’embrouillaient, ses forces le quittaient. Son médecin et les derniers visiteurs se rendaient à l’évidence de cette évolution rapide et fatale. Ses facultés cognitives le quittèrent peu à peu, ses gestes étaient incohérents, son parler bredouillant, l’alimentation se faisait rare et un coma progressif le conduisit à la mort.
Ce tableau clinique conjugue les signes d’une insuffisance hépatique à ceux d’une hypertension portale sur lesquels sont venus se greffer des complications infectieuses pulmonaire et septique. Un coma hépatique fut l’évolution terminale de cette atteinte hépatique majeure.
Un moulage du visage de Beethoven réalisé par le jeune peintre Joseph Danhauser faisait ressortir les effrayants ravages de cette longue maladie : la vue de ce visage décharné et étique nous demeure comme le témoin de cette fin famélique.
L’autopsie rendit compte de cette sévère atteinte hépatique dans un corps décharné : le foie était réduit à la moitié de son volume, de consistance accrue, semblable à du cuir, et sa surface était recouverte de nodosités bleu-verdâtre de la grosseur d’une fève ; la vésicule renfermait du gravier, la rate était au double de son volume ; la cavité abdominale contenait quatre mesures de liquide trouble et grisâtre. Toutes ces constatations concordent avec le diagnostic de cirrhose hépatique atrophique, d’une hypertension portale et d’une encéphalopathie hépatique.
L’origine des lésions hépatiques reste très controversée dans la littérature médicale relatant les problèmes de santé de Beethoven. De nombreux écrits avancent une étiologie alcoolique sur la base d’antécédents familiaux incontestables et une propension du compositeur à goûter les grands crus ! L’élément qui nous paraît déterminant dans la démarche étiologique repose sur la constatation du pathologiste qui ne décrit pas les lésions classiques d’une cirrhose alcoolique – dite de Laennec – constitué de nodules de couleur roux brun mais dans ce cas de nodules foncés, bleu verdâtre. Dans les antécédents, un ictère, au cours d’une période de fièvre rhumatismale, survint en 1821 ; cette affection cadrerait avec le diagnostic d’hépatite virale soit de type B ou C dont l’évolution chronique peut se faire vers la cirrhose en quelques années. Il n’est pas impossible également que sur cette cirrhose se soit greffé un cancer du foie. Une surcharge en fer dans le cadre d’une hémochromatose fut avancée dans de nombreuses publications.
La vésiculaire biliaire contenait du « gravier », c’est-à-dire était atteinte de lithiase (λίθος = pierre), était porteuse de calculs. La migration d’un calcul dans la voie biliaire déclenche une crise douloureuse communément appelée colique hépatique et mieux colique biliaire. Cette colique se manifeste par d’intenses douleurs dans la région hépatique et des troubles digestifs sous forme de vomissements abondants. Cette migration entraîne un ictère (jaunisse) par obstruction de la voie biliaire principale et est le lit à des complications infectieuses locales responsables d’une angiocholite. Cette dernière s’extériorise par des frissons intenses, de fortes fièvres, d’un abattement profond et préoccupant et de l’accroissement de l’ictère. Cette image tracée ici est parfaitement conforme à la description contée par le médecin traitant à l’examen de son patient en ce matin du 12 décembre et qui l’inquiéta à juste titre.
L’examen des reins révélait un épaississement de la capsule et des concrétions calcaires de la taille d’un pois dans chaque papille. Ces découvertes inattendues sont compatibles avec une fibrose rétro-péritonéale et une nécrose papillaire calcifiée. Ces affections ont des étiologies multiples mais sont favorisées par la prise prolongée d’antalgiques et se rencontrent plus habituellement au cours de la cirrhose hépatique. Elles surviennent également chez les diabétiques.
Trois types de manifestations s’identifient dans cette pathologie rénale : des crises de coliques néphrétiques, des infections pyélo-calicielles et une insuffisance de la fonction rénale. Les crises violentes de coliques abdominales décrites à de nombreuses reprises chez Beethoven pourraient simuler des crises de coliques néphrétiques ; celles-ci sont engendrées par une migration des papilles calcifiées dans les voies urinaires. De plus ces voies urinaires s’infectent plus facilement sous la forme d’une pyélonéphrite aigüe ; ces graves poussées infectieuses prennent le change pour un état septique fort proche de celui engendré par une angiocholite. Il ne nous est pas possible d’évaluer l’existence d’une insuffisance de la fonction rénale.
La médication antalgique la plus utilisée à cette époque était la salicine, contenue dans l’écorce du saule ; ce produit est un précurseur de l’acide acétylsalicylique communément connu sous le nom d’aspirine. Beethoven, aux dires de son entourage, en abusait volontiers pour calmer ses douleurs rhumatismales, apaiser les maux de tête, et combattre les poussées de fièvre. Et cela durant de nombreuses années.
La description des lésions rénales faites par le pathologiste viennois apparaît comme une observation princeps dans la littérature médicale telle l’a précisée la néphrologue berlinoise Anke Schwarz dans une publication de 1993.
Les ennuis auditifs représentèrent un fardeau angoissant pour le musicien ; il les a décrits dans le courrier qu’il échangea de Vienne avec ses amis, très chers et lointains, en 1801 ; ils débutèrent à l’âge de 25 ans et se manifestèrent sous forme de bourdonnements et d’acouphènes ; ils furent progressifs dans leur intensité et entraînèrent une perte d’audition croissante jusqu’à une surdité totale à l’âge de 48 ans. Ils ne s’accompagnèrent jamais de troubles de l’équilibre.
Aucune thérapeutique n’en modifia le décours. Le malentendant s’aidait d’un cornet acoustique dont il se fit une large collection. On a vu le musicien placer entre les dents l’extrémité d’une baguette appuyée sur la table d’harmonie de son piano. Cette aide lui était-elle d’un quelconque secours ?
L’autopsie des organes auditifs n’apporta que des renseignements très fragmentaires ; elle porta essentiellement sur l’examen anatomique superficielle et détecta que « les nerfs auditifs étaient plissés et sans moelle ». Le pathologiste, le docteur Wagner, qui s’intéressait particulièrement à la pathologie de cet organe, préleva les os temporaux en bloc afin d’effectuer au laboratoire une étude attentive des organes de l’audition. Pour une raison inconnue, ces pièces anatomiques disparurent sans pouvoir livrer leur secret médical.
Aussi l’origine de la surdité du maître restera toujours énigmatique et les hypothèses des spécialistes les plus compétents ne trouveront jamais de confirmation objective et scientifique.
Les découvertes de la nécropsie apportent une explication claire et précise aux péripéties médicales vécues par Beethoven durant sa fin de vie : elles révélèrent une atteinte hépatique majeure responsable d’une insuffisance fonctionnelle terminale et d’une hypertension portale, une lithiase vésiculaire suspecte d’angiocholite, des lésions rénales inattendues et non connues jusqu’alors.
Nous restons cependant sans explication sur l’origine des ennuis auditifs du musicien.
Des lésions liées à une intoxication au plomb furent-elles reconnues au cours de cet examen post-mortem ? Le plomb se dépose principalement dans l’os où l’accumulation entraîne des modifications de la trame osseuse visibles sur des radiographies ; les os du crâne furent décrits comme pourvus « d’une forte densité et d’une épaisseur d’un demi-pouce » ; ces os du crâne furent examinés par les pathologistes autrichiens Jesserer et Bankl en 1986 qui ne détectèrent radiologiquement aucune anomalie particulière. Le plomb se concentre également au niveau du cerveau, du foie et des reins. Le pathologiste Wagner examina le cerveau et il ne détecta pas de modifications anatomiques marquantes. Quant aux lésions hépatique et rénale, elles trouvent une origine dans des causes bien particulières et n’ont d’ailleurs jamais été décrites dans le saturnisme.
Les études génétiques effectuées sur les reliques du musicien ont ouvert une voie nouvelle dans les recherches d’identité ; elles ont permis d’affirmer une parfaite identité entre les cheveux et les os.
La détermination du génome de Beethoven ouvrirait la voie à la recherche de l’origine éventuelle de la surdité et des lésions hépatiques et peut être permettrait de mieux comprendre l’essence même du génie du Maître.
L’obtention de ce génome requiert du matériel génétique de qualité qui semble actuellement difficile à se procurer en raison du type d’organes à la disposition des chercheurs, à leur ancienneté et à leur état de conservation. Il n’est cependant pas impossible que des méthodes d’investigation originales permettraient d’extraire ce matériel génétique de valeur suffisante à ces recherches.
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