Introduction
En 2019, la WONCA (Organisation mondiale des médecins de famille), publiait une déclaration appelant les médecins de famille à agir en faveur de la santé planétaire (1). Selon cette institution, le médecin généraliste devrait devenir un vrai pilier en termes de communication et d’éducation à l’environnement. Il cumule de nombreuses qualités : le médecin de famille jouit d’une position en première ligne dans la protection de la santé et est considéré comme une des sources d’information les plus fiables par la population. Il possède un bon capital confiance, sait adapter son discours aux réalités de ses patients. Il a une vision transversale des problématiques, une bonne connaissance du tissu social d’une région. Il peut être attentif aux co-morbidités, aux fragilités, aux projets de grossesse notamment. Il a également une bonne connaissance des enjeux de terrain, de l’habitat, des fragilités d’une région (distribution spatiale des maisons de repos, des pharmacies, des patients fragiles…). Enfin, il incarne une certaine neutralité politique et est en dehors d’intérêts financiers.
En 2019, la WONCA a donc émis huit pistes d’actions prioritaires pour la première ligne, résumées dans le tableau 1. Elle en appelle à agir dès maintenant pour maintenir la santé de la planète et de ses patients.
Cette mobilisation des soignants dans les débats environnementaux a de quoi étonner. Pourtant, de nombreuses initiatives émergent à travers le monde pour porter la voix de ce nouveau concept, la santé planétaire (2). La prévention est un des piliers de la médecine générale. La pollution (de l’air, des eaux, du sol…), les catastrophes climatiques, l’éco-anxiété, l’effondrement de la biodiversité sont tous des facteurs qui influencent la santé des populations. Face à ces enjeux, nous nous sentons souvent impuissants en tant que soignants. A travers de nombreux axes, la santé planétaire caractérise les liens entre les modifications des écosystèmes dues aux activités humaines et leurs conséquences sur la santé. Elle permet d’intégrer des facteurs de prévention environnementale dans la pratique de la médecine, dans le but d’améliorer la santé globale, c’est-à-dire des humains, de l’environnement et du monde animal, selon le concept « une seule santé ».
Ces interrogations ont commencé en 2015, avec le lancement de la Planetary Health Alliance (3), un consortium composé de plus de 300 universités, d’instituts de recherches, d’organisations gouvernementales et non gouvernementales ayant pour but de comprendre et réguler les impacts des changements environnementaux sur la santé. En 2017, la revue The Lancet Planetary Health (4) voit le jour, rassemblant aujourd’hui des milliers d’articles sur le sujet. Ces mouvements amènent un message d’engagement dans une médecine plus éthique, bénéficiant à l’ensemble des écosystèmes et des générations futures. Cet article va tenter de décrire quelques acteurs-clés à travers le monde qui travaillent à rendre le système de santé plus vertueux et résilient sur les enjeux climatiques, à travers 3 pistes clés : Informer, former et agir !
Informer
Le Collège de Médecine Générale en France a développé un projet en santé planétaire et en a fait une de ses thématiques centrales (5) en développant des outils à disposition en ligne, des affiches pour salle d’attente, des actions de sensibilisation sur la promotion d’une alimentation équilibrée et de saison, sur l’impact d’une mauvaise gestion des médicaments, sur la réduction des déchets au cabinet, la rationalisation des trajets, etc.
Comme dit précédemment, le site web de l’alliance pour la santé planétaire (the Planetary Health Alliance) est truffé de ressources : un inventaire des associations actives dans le domaine, un livre « Planetary Health » véritable syllabus des enjeux, mais aussi une proposition de cadre pour mieux enseigner les thématiques de santé-environnement (3).
Health Care Without Harm est une association internationale qui travaille pour transformer plus profondément le secteur de la santé afin de diminuer son empreinte écologique et l’ancrer dans une dynamique de durabilité (6). Ils travaillent sur différentes thématiques comme : les déchets médicaux, les médicaments, les liens climat et santé, les produits chimiques etc. Ils ont par exemple publié un rapport sur “Comment imaginer un système de soins de santé sans plastique ?”. Ils organisent très régulièrement des webinaires sur ces sujets, qui sont accessibles en ligne.
A destination des professionnels de santé, We Link Care est une plateforme de partage de savoir pratiques et théoriques en santé. Une section « environnement » existe et rassemble des mini-webinaires ou des capsules vidéo de vulgarisation pour se former sur la question. Par exemple : « Impact carbone des inhalateurs et comment les prescrire ? » ou encore « Les perturbateurs endocriniens, qu’est-ce que c’est ? » (7)
Former
La SSMG (Société Scientifique en Médecine Générale), soutenue par la COCOM, développe depuis quelques années des projets de formations. Un programme « Médecin relais » à destination des soignants en première ligne, et un programme « AHIMSA » à destination des services de gynécologie, pédiatrie et néonatologie à l’hôpital ont pour but d’accompagner les soignants et acteurs de la santé aux enjeux du changement climatique et à l’impact des perturbateurs endocriniens et autres polluants chimiques sur la santé.
Des projets de thèse et de travail de fin d’étude en médecine générale abordant ces enjeux sont également de plus en plus fréquents, comme « Quelles actions concrètes un médecin généraliste peut-il mettre en place pour ancrer sa pratique dans une dynamique de transition ? » (8) ou « Comment améliorer la prévention concernant les perturbateurs endocriniens chez la femme enceinte et notamment ceux présents dans les cosmétiques ? »(9). Une dizaine de e-learning sont également disponible en ligne (métaux lourds, air extérieur, bruit, changement climatique, moisissures, multi-expositions, perturbateurs endocriniens, problématiques locales, produits chimiques…). Ces modules sont accrédités pour les médecins (10,11).
À l’UCLouvain, le projet « UCLouvain en transition » vise à intégrer un enseignement des enjeux liés au développement durable et à la transition dans l’ensemble des programmes de bac de l’université. Le Centre Académique de Médecine Générale a mis en place les premières heures de cours de santé environnementale et développement durable en 2022 à destination des master 1. Une série de séminaires «Teach the Teacher » a été programmée pour but premier d’informer et d’outiller les enseignant.es du secteur des sciences de la santé (https://ucline.uclouvain.be/course/view.php?id=410). En formation continue, deux certificats universitaires sont désormais disponibles en Belgique, à l’ULB ou à l’ULG. En France, on retrouve un DIU en santé environnementale à Poitiers ou Bordeaux et un DU en santé environnementale à Montpellier.
Mais le secteur spécialisé aussi se mobilise. En pédiatrie, c’est l’International Pediatric Association (12) qui a lancé un groupe de travail il y a plus de 20 ans déjà, pour travailler sur les questions environnementales. En 2005, un institut a vu le jour, le International Pediatric Environmental Health Leadership Institute, avec pour mission de mieux préparer les pédiatres aux enjeux environnementaux.
Agir
Quelques livres proposent des pistes pour améliorer le cabinet de santé en termes d’écoresponsabilité. Citons le Guide du cabinet de santé écoresponsable de Alice Barras (et la version dentaire de Jean Barret) (13) (14). Le site Doc-durable.fr, en lien avec le CHU de Rennes, propose un outil en ligne pédagogique pour proposer des actions simples et efficaces de développement durable dans les cabinets. À Lausanne, le Département de médecine de famille d’Unisanté mène le projet Écoconception qui vise à réduire le bilan carbone des cabinets de médecins de famille en Suisse (15). Au Royaume-Uni, les sites Greener Practice (16), ou encore Green Impact for Health (17) créé par le Royal College of General Practitioners se donnent pour mission d’encourager les soignants à prendre des mesures concrètes pour une pratique plus durable, en mettant en ligne des guides et outils.
Des labellisations se mettent également en place : Maternité Eco-Responsable, ou encore le Label EcoKiné (https://www.ecokines.fr/).
L’hôpital pédiatrique de Boston a créé un centre de santé environnementale, qui prend en charge tous les enfants et adolescents qui ont été exposés à des produits toxiques comme le plomb, l’arsenic, les pesticides, le mercure, les solvants, des peintures etc. Leur expertise particulière est complétée par des projets de recherches en pédiatrie environnementale. Par exemple : comment le plomb affecte-t-il les populations pédiatriques selon leur âge ? Comment traiter une intoxication au mercure en pédiatrie ? À quelles expositions sont confrontés les adolescents déjà sur le marché du travail ? Quelles sont les connaissances manquantes des autres professionnels de santé au sujet de la pédiatrie environnementale ? Comment faire de la promotion à la santé-environnementale en pédiatrie ? Leur site internet regroupe également des ressources éducatives autour du changement climatique : Comment réagir en cas d’inondation, de canicule, d’apparition de maladies infectieuses, et comment s’y préparer au mieux (18).
Enfin, des actions de désobéissance civile émergent à travers le monde. La désobéissance civile, c’est une forme d’opposition active et non-violente qui a pour but de générer des perturbations et d’attirer l’attention. Au Royaume-Uni, un groupe actif « Doctors for Extinction Rebellion » a vu le jour et a mené une action « Climate corpse » en mettant en scène des cadavres pour illustrer les impacts sanitaires des écocides. Cette action a été reproduite à plusieurs reprises en Europe. Le changement climatique est aussi une bonne opportunité de débattre de l’importance du rôle du médecin dans les mouvements citoyens. La société attend-elle du médecin une certaine neutralité qui l’empêcherait de manifester ? Le militantisme est –il compatible avec le rôle de médecin ?
Conclusion
Nous pouvons être acteurs du changement en nous engageant, en nous formant, en informant nos patients et les autorités des évidences scientifiques autour de la santé planétaire. Les initiatives ne manquent pas, et à travers le monde c’est un véritable réseau de professionnels de santé qui s’engagent dans ces thématiques. N’hésitez pas à parcourir ces ressources et à en user autour de vous !
Recommandations pratiques
Les soignants sont de plus en plus confrontés aux enjeux de transition et de changements climatiques, en lien avec les impacts sur la santé et le système de soins. En Belgique, les médecins généralistes sont déjà en marche vers la transition comme le montre le docteur Chiara Lefèvre dans son travail de fin d’étude (schéma 1) (8). Ce même travail montre qu’à travers le monde, des dizaines d’initiatives existent déjà, tant en première ligne qu’en médecine spécialisée pour outiller le secteur et l’accompagner (tableau 2 et 3) (8). Alors, et vous ?
Affiliations
1. Médecin Généraliste, Centre Académique de Médecine Générale, Faculté de médecine et médecine dentaire – UCLouvain, B-1200 Woluwe-Saint-Lambert, Belgique
2. Médecin Généraliste, Chargée de mission santé - Canopea, - 5000 Namur, Belgique s.demunck@canopea.be
Correspondance
Dre Ségolène de Rouffignac
Centre Académique de Médecine Générale
Faculté de médecine et médecine dentaire – UCLouvain
Avenue Hippocrate, 57 bte B1.57.02
B-1200 Woluwe-Saint-Lambert, Belgique
segolene.derouffignac@uclouvain.be
Références
- The World Organization of Family Doctors. Declaration Calling for Family Doctors of the World To Act on Planetary Health. 2019;9. Available from: https://www.globalfamilydoctor.com/groups/WorkingParties/Environment.aspx
- S. Myers, Frumkin H. Planetary Health : protecting nature to protect ourselves. 2020.
- Planetary Health Alliance. Planetary Health Alliance. p. https://www.planetaryhealthalliance.org/.
- The Lancet. The Lancet Planetary Health. p. https://www.thelancet.com/journals/lanplh/home.
- Collège de Médecine générale France. Santé planétaire. p. https://lecmg.fr/sante-planetaire/.
- Health Care Without Harm. Health Care Without Harm. :https://noharm.org/.
- Welinkcare. Welinkcare. p. https://www.welinkcare.com/.
- Lefèvre C, de Rouffignac S, Schoofs M. Quelles actions concrètes un médecin généraliste peut-il mettre en place pour inscrire sa pratique dans une dynamique de transition écologique en Belgique ? Travail de fin d’étude, Médecine Générale, Université Catholique de Louvain. 2021.
- Berny M, Bets P. Comment améliorer la prévention concernant les perturbateurs endocriniens chez la femme enceinte et notamment ceux présents dans les cosmétiques ? Enquête auprès de femmes enceintes de Wallonie et Bruxelles relative aux connaissances sur les perturbateuCo. 2021.
- SSMG. Formation santé environnementale pour les médecins. p. https://ecampus.ofoifa.be/auth/saml/login.php.
- SSMG. Formation Santé Environnementale pour le grand public. p. https://ecampus.ofoifa.be/auth/saml/login.php. International Pediatric Association.
- International Pediatric Association. p. https://ipa-world.org/page.php?id=310.
- Barret J. Guide du cabinet dentaire écoresponsable. 2020.
- Baras A. Guide du cabinet de santé écoresponsable Prendre soin de l’environnement pour la santé de chacun. 2021.
- Nicolet J, Mueller Y, Paruta P, Boucher J, Senn N. Eco-design recommendations for family practices [Recommandations pour l’écoconception des cabinets de médecine de famille]. Rev Med Suisse [Internet]. 2021;17(738):924–7. Available from: https://www.scopus.com/inward/record.uri?eid=2-s2.0-85106182598&partnerI...
- Royal College of General Practitioners. Greener Practice. p. https://www.greenerpractice.co.uk/.
- Royal College of General Practitioners. Green Impact for Health. p. https://www.greenimpact.org.uk/giforhealth.
- Boston Children’s Hospital. Pediatric Environmental Health Center. p. https://www.childrenshospital.org/programs/pediatr.