Introduction
L’hallux valgus est fréquent dans nos populations, et constitue un des principaux motifs de consultation en chirurgie du pied. C’est d’ailleurs la pathologie de l’avant-pied la plus fréquente (1).
Il s’agit d’une déviation par varisation du premier métatarsien, ainsi que comme son nom l’indique, une déviation externe de l’hallux. Cette déviation peut être invalidante, voire à terme provoquer des troubles de la marche, ou provoquer des complications cutanées.
Sa prise en charge comprend plusieurs aspects, dont les acteurs sont multiples : médecin généraliste, podologue, kinésithérapeute, bandagiste, chirurgien orthopédiste, etc. Le but de cet article est de faire le point sur les possibilités de traitement conservateur, leurs limites, ainsi que sur les indications et les principes généraux de la chirurgie.
Épidémiologie et physiopathologie
La prévalence de l’hallux valgus rapportée dans la littérature est très variable, en l’absence de définition claire des valeurs seuils à partir desquels le diagnostic est posé. Dans une méta-analyse de 2010, la prévalence groupée serait de 23 % chez les 18 à 65 ans et 36 % chez les plus de 65 ans. Les femmes sont plus souvent concernées que les hommes (2).
Les hallux valgus peuvent être séparés en trois catégories : la forme adulte, que l’on peut qualifier de dégénérative ou acquise, la forme congénitale et la forme juvénile d’apparition plus précoce et favorisée par des prédispositions génétiques et morphologiques.
L’hallux valgus est corrélé à l’âge, une mauvaise condition physique, une douleur aux pieds et le port de chaussures serrées (3).
Le port de talons hauts est également reconnu comme facteur favorisant important (4).
Valtin souligne les facteurs anatomiques prédisposants comme une brièveté du premier métatarsien associée à un excès de longueur du gros orteil. Cette conformation se retrouve fréquemment sur les membres d’une même famille, expliquant en partie les formes familiales des hallux valgus. Un pied plat valgus favorise par ailleurs l’apparition ce cette pathologie par excès de longueur de l’arche médiale, ce qui tend à augmenter les contraintes valgisantes. Enfin, une hyperlaxité ligamentaire est également un élément péjoratif et influe sur la qualité des résultats du traitement (5).
Le primum movens est donc une déstabilisation des structures entourant l’articulation métatarsophalangienne : le premier métatarsien se varise sous l’effet des forces extrinsèques, les sésamoïdes restent en place mais semblent se latéraliser comparativement à celui-ci. Les structures latérales se rétractent, tandis que les structures médiales se relâchent. Le tendon de l’abducteur de l’hallux passe sous la tête du métatarsien et n’agit plus qu’en tant que fléchisseur, ce qui lui fait perdre son rôle d’opposant à l’adducteur de l’hallux. Ces modifications tendent à s’accentuer les unes entre elles, il s’en suit une déformation en pronation et en valgus de la première phalange, ainsi qu’une varisation du premier métatarsien. La subluxation de la tête du métatarsien est donc responsable de la tuméfaction et la déformation clinique qui en découle, appelée ‘’bunion’’ dans le monde anglo-saxon.
Présentation clinique
Le plus souvent, le patient décrira une douleur médiale en regard de la tête du premier métatarsien. Le ‘’bunion’’, indirectement responsable de la douleur, peut être plus ou moins proéminent, et en cas de conflit de chaussage, la peau prend un aspect érythémateux. Cette pathologie peut être invalidante, voire réellement handicapante (6). Les plaintes du patient peuvent donc être aussi bien purement esthétiques que véritablement invalidantes.
Afin de traiter chaque cas clinique de façon adaptée, il est important d’analyser la morphologie du pied et les plaintes du patient, dont dépendront essentiellement le choix du traitement. Le seul examen complémentaire nécessaire et indispensable est une radiographie standard bilatérale des pieds de face et de profil en charge. Une incidence centrée sur les sésamoïdes est habituellement demandée également.
Approches thérapeutiques
Traitement conservateur
Le traitement conservateur est multimodal et comprend plusieurs aspects. Malheureusement aucun traitement à ce jour ne s’est avéré suffisamment efficace que pour réduire la déformation de façon pérenne. Il s’agit donc essentiellement de de soulager les symptômes du patient.
Dans la littérature, plusieurs centaines d’articles ont été publiés, mais nous n’avons pour l’instant pas de preuve de qualité quant au choix du meilleur traitement : seuls quelques essais randomisés ont été réalisés (7).
Parmi les principales composantes du traitement conservateur figurent l’adaptation du chaussage et les orthèses. Quoique leur rôle dans la pathogénie reste discuté, le port de chaussures serrées et de hauts talons est à éviter. Idéalement, la tige de la chaussure (partie arrière supportant le talon) sera en cuir souple. L’extrémité de la chaussure doit être suffisamment large, et de préférence extensible pour accueillir la tête du premier métatarsien afin de ne pas contraindre l’hallux.
Des semelles orthopédiques avec un soutien de la voute plantaire peuvent compléter le chaussage, avec un éventuel appui rétrocapital en cas de métatarsalgies (8).
Les orthèses quant à elles n’ont pas montré de preuve de ralentissement ou de prévention de la progression de l’hallux valgus (9).
Parmi les orthèses existantes, les plus utilisées sont des orthèses interdigitales en silicone, à porter dans la chaussure entre les deux premiers orteils. Il existe également des attelles correctrices pouvant être portées de façon nocturne.
Selon Ying, les attelles correctrices nocturnes pourraient optimiser les conditions mécaniques du pied et retarder l’évolution, sans que ces données ne soient formellement démontrées (7).
En Belgique, le remboursement des semelles orthopédiques et des orthèses nécessite une prescription émanant d’un orthopédiste, d’un rhumatologue, d’un médecin physique, d’un pédiatre, d’un médecin du sport ou d’un neurologue.
La kinésithérapie représente un autre aspect du traitement. Les résultats de deux études préliminaires suggèrent que la mobilisation et la manipulation pourraient améliorer la douleur et la fonction à court terme (7).
D’autre part l’exercice physique au sens large peut également améliorer le seuil de douleur des patients, et garde donc tout son intérêt (10).
Traitement chirurgical
Devant la persistance des plaintes malgré un appareillage adéquat, un conflit de chaussage invalidant ou l’aggravation de la déformation, une option chirurgicale peut être discutée. Ce choix ne dispensera a priori pas le patient du port de chaussures adaptées ou de semelles afin de prévenir une récidive.
La décision d’une procédure chirurgicale doit être prise conjointement avec le patient. La présence de facteurs de risques tels que le diabète, les pathologies auto-immunes ou inflammatoires, le tabagisme, la fragilité cutanée, l’âge, l’immunosuppression, etc.… doivent être pris en compte et discutés en consultation avant de confirmer l’option chirurgicale selon les principes du consentement éclairé. Une fois les tenants et aboutissants expliqués, le patient peut ou non marquer son accord.
Techniques chirurgicales
De nombreuses techniques ont été développées afin de procéder à une cure chirurgicale d’hallux valgus : la littérature en dénombre plus de 150 (8). Cependant beaucoup sont tombées en désuétude, aussi les techniques les plus efficientes ont été consensuellement sélectionnées au fil du temps. Le but de cet article n’étant pas d’en faire un listing ni une description exhaustive, seuls les points essentiels sont résumés ici :
- la libération des tissus mous latéraux constitue ‘’le geste essentiel et commun à toute chirurgie correctrice de l’hallux valgus’’ (5). Les autres sont la résection du ‘’bunion’’ et la remise en tension de la capsule articulaire médiale ;
- les différentes ostéotomies du premier métatarsien (dont la plus connue est le ‘’Scarf’’, avec ou sans vis) permettent en premier lieu de réduire le metatarsus varus par effet de translation, et peuvent également corriger des troubles rotatoires en agissant dans les trois plans dans certains cas ;
-une ostéotomie de la première phalange de l’hallux peut y être associée pour améliorer la correction ;
- des gestes complémentaires peuvent être associés selon la présence à l’avant-plan ou non de métatarsalgies, de la mobilité de l’articulation métatarsophalangienne et de la présence ou non d’une griffe d’orteil (le plus souvent du deuxième rayon) ;
- en cas d’arthrose sévère de l’articulation métatarsienne associée, une arthrodèse représente le traitement le plus adapté ;
- il existe des techniques percutanées, sans avantage évident démontré à ce jour hormis de limiter significativement la taille des incisions (11).
En postopératoire, le temps de consolidation osseuse est d’approximativement six semaines. Selon les chirurgiens, une chaussure spécifique délivrée par un bandagiste sera prescrite ou non, le but étant de prendre appui rapidement après l’intervention.
Dans notre pratique un pansement élastique est confectionné avant la sortie du patient, celui-ci est renouvelé à chaque consultation.
Selon les préférences du chirurgien et du patient, de la kinésithérapie d’assouplissement des orteils peut être prescrite en postopératoire.
En termes de douleurs postopératoires, cette intervention est associée à des douleurs modérées à sévère. Les recommandations actuelles concernant l’antalgie sont de s’en tenir aux antalgiques de classe I, associés à des antiinflammatoires stéroïdiens pré ou peropératoire en l’absence de contre-indication, et de compléter par un bloc de cheville ou une infiltration peropératoire. Les dérivés opioïdes sont réservés aux douleurs réfractaires aux traitements précités (12).
La durée des douleurs est plutôt variable selon les patients, une gêne et un œdème sont généralement présents durant 3 à 6 mois.
Le délai moyen de retour au travail est de 6 semaines, et la reprise des sports légers à 8 semaines (13). Pour les sports à risque, nous préconisons un délai de 3 à 6 mois.
Dans notre expérience, un délai d’approximativement deux mois avant la reprise du travail est plus habituel.
Comme pour toute intervention chirurgicale, le tabac a un effet négatif sur les résultats et la cicatrisation : le temps de consolidation osseuse est augmenté de 43% auprès des patients fumeurs (14), il sera donc préférable de stopper la consommation avant la chirurgie.
Selon une méta-analyse récente, le taux de non satisfaction serait de 10.6% et le taux de récidive de 4.9% (15).
En revanche, l’intervention améliore la douleur des patients ainsi que leur qualité de vie, notamment sur les plans physique et social (16).
Les complications les plus classiques sont la récidive ou l’hypercorrection, une infection du matériel, des métatarsalgies de transfert, une nécrose de la tête du premier métatarsien, une lésion iatrogène du nerf sensitif collatéral de l’hallux, une pseudarthrose de l’ostéotomie, l’arthrose secondaire ainsi que le syndrome douloureux régional complexe de type 1. Une autre étude suggère que les patient âgés ‘’doivent être informés d’un taux de récidive plus élevé’’ (17).
L’adaptation du chaussage doit idéalement être maintenue en postopératoire afin de minimiser les risques de récidive.
Conclusion
Le niveau de preuve reste plutôt faible à propos du traitement conservateur de l’hallux valgus. La diminution de la douleur apparait plutôt probable, tandis que la diminution de l’angle de déviation reste incertaine (18).
Il n’en reste pas moins que la sagesse populaire recommandera bien sûr de tenter de soulager le patient de façon non invasive avant de se diriger vers une intervention chirurgicale, tel que cela est également recommandé par l’American College of Foot and Ankle Surgeons (19).
Même si le traitement conservateur n’a donc à ce jour pas démontré formellement d’efficacité concernant la limitation de la progression, des études futures pourraient venir contredire cette constatation.
En effet selon Ying, une combinaison d’exercices, d’un chaussage adapté, d’orthèses de séparation des orteils, et d’attelle nocturne semble plus prometteuse en termes de résultats. Il apparait donc que le traitement conservateur de l’hallux valgus repose sur une combinaison de ces traitements (7).
En cas d’échec, la chirurgie reste le seul traitement agissant efficacement sur la déformation, et obtient un taux de satisfaction d’approximativement 80% (17).
Recommandations pratiques
Lorsqu’un patient consulte pour un hallux valgus, l’anamnèse récoltera les données suivantes : motif des plaintes, durée des symptômes, intensité de la douleur, conflit de chaussage, antécédents, éventuels traitements précédents ou en cours, attentes du patient.
Le traitement de première intention commence par une adaptation du chaussage par des chaussures à extrémité large, l’éviction des talons hauts, des semelles et/ou des orthèses, de la kinésithérapie, un reconditionnement, éventuellement des antalgiques de pallier I.
Tout cela n’ayant pas d’impact démontré sur l’évolutivité, il faut prévenir le patient qu’en cas de persistance des symptômes en présence d’un hallux valgus significatif, seule la chirurgie pourra permettre une correction pérenne, dont le taux de satisfaction correspond à +-80%.
Questions réponses
Pourquoi mon gros orteil part-il vers l’extérieur ?
Il s’agit d’une déformation progressive causée par un déséquilibre entre les forces des muscles et ligaments stabilisateurs de l’orteil. Il s’agit d’une maladie fréquemment retrouvée au sein d’une même famille, favorisée par une hyperlaxité ligamentaire et l’association d’un métatarsien court et d’un orteil long.
La ‘’bosse’’ du coté interne du pied est constituée par la tête du premier métatarsien, qui est déviée vers l’intérieur.
Est-ce fréquent ?
Cette pathologie touche entre un quart et un tiers de la population, essentiellement les femmes.
Est-ce grave ?
Non, tant que la peau du bunion n’est pas menacée, les seuls inconvénients étant une éventuelle douleur associée et le caractère progressif de cette pathologie.
Est-ce que cela peut revenir à la normale ? Peut-on éviter que cela s’aggrave ?
Pas spontanément. Il n’est pas certain qu’en l’absence de chirurgie il soit possible de corriger le problème, néanmoins il existe des solutions d’attente.
Que peut-on faire actuellement ?
Le premier réflexe est d’adapter le chaussage vers des chaussures à extrémités larges pour ne pas déformer l’avant-pied, éviter les talons hauts et maintenir une bonne hygiène de vie. Par ailleurs, certains spécialistes peuvent prescrire des orthèses ou des semelles, il peut être également utile de réaliser quelques séances de kinésithérapie.
Que faire si l’inconfort reste trop important ?
Il faut dans ce cas consulter un chirurgien du pied pour discuter d’une éventuelle intervention chirurgicale.
Que va faire le chirurgien ?
Le principe est de réaxer l’orteil, dans tous les cas le bunion sera réséqué. Dans la grande majorité des cas une ostéotomie est réalisée pour permettre la correction. Les fragments sont ensuite fixés avec ou sans matériel.
Quelles sont les suites de l’intervention ?
Selon les chirurgiens, une chaussure spéciale est prescrite pour pouvoir poser le pied rapidement.
Il faut compter 6 semaines pour que l’os soit solide, une gêne et un œdème peuvent persister durant 3 à 6 mois.
Est-ce douloureux ?
Comme toute intervention une douleur peut être présente, néanmoins à l’aide d’une antalgie adaptée cette douleur est généralement supportable.
Est-ce que cela peut revenir après l’intervention ?
Cela est rare mais existe : le taux de récidive est d’approximativement 5%
Affiliations
Service de Chirurgie orthopédique et traumatologie, Cliniques universitaires Saint-Luc UCLouvain, B-1200, Bruxelles
Correspondance
Dr. Maxime Fasseaux
Cliniques universitaires Saint-Luc
Chirurgie orthopédique et traumatologie
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles
Conflits d’intérêts
Les auteurs ne déclarent aucun conflit d’intérêt.
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