L’imagerie diagnostique dans l’artérite des membres inférieurs du patient diabétique

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Frank Hammer Publié dans la revue de : Mars 2017 Rubrique(s) : Diabétologie
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Résumé de l'article :

L’écho-Doppler couleur (EDC) des artères périphériques, examen non-invasif par excellence, reste l’examen incontournable dans le bilan initial chez un patient présentant des signes d’ischémie aigue ou chronique. Pour une cartographie plus exhaustive et précise des lésions on s’orientera vers des techniques volumétriques performantes comme le scanner multi-coupes ou la résonance magnétique nucléaire. Ces techniques sont onéreuses et nécessitent l’injection d’un produit de contraste. Elles ne sont donc pas totalement sans risques et sont généralement proposées lorsqu’on envisage un geste de revascularisation, ou si l’écho-Doppler ne permet pas d’orienter correctement la prise en charge médicale. L’angiographie digitalisée reste l’examen étalon-d’or compte tenu de son excellente résolution spatiale et qualité d’image. Cet examen offre la possibilité d’un traitement endo-vasculaire dans la foulée.

Que savons-nous à ce propos ?

Les techniques diagnostiques non invasives ont progressé avec le développement de l’angiographie par scanner spiralé et résonance magnétique.

Que nous apporte cet article ?

Faire le point sur les avantages et inconvénients des différentes techniques d’imagerie, ainsi que la stratégie d’investigation chez le patient diabétique.

Mots-clés

Artériopathie oblitérante des membres inférieurs, Echo-Doppler couleur, Scanner multi-barrettes, résonance magnétique nucléaire

Article complet :

INTRODUCTION

Un bilan vasculaire cohérent et compréhensif par imagerie vasculaire est fondamental chez un patient diabétique présentant des plaintes évocatrices d’un artériopathie obstructif, en particulier en cas de douleurs de repos ou de lésions tissulaires ischémiques (Fontaine-Leriche stade 3 et 4). Des examens redondants, des examens coûteux et potentiellement nocifs tels que l’angio-scanner ou l’angio-IRM doivent être évités, à moins d’être nécessaires pour l’élaboration d’un plan thérapeutique tel qu’un geste chirurgical orthopédique, la planification d’un pontage vasculaire ou d’un geste de revascularisation endovasculaire.

1/ L’ÉCHO-DOPPLER COULEUR

L’EDC s’inscrit dans le prolongement direct de l’examen clinique, en particulier de la palpation des pouls périphériques.

Les progrès depuis le Doppler continu au « crayon » ont été notables. L’encodage couleur du flux, la mesure des pics de vitesse systolique, l’analyse spectrale et l’amélioration de la résolution spatiale grâce à l’évolution des appareillages et des sondes, en font l’examen de première intention. Son innocuité est totale et il servira de mise au point initiale ainsi que pour le suivi thérapeutique. Les sondes sectorielles de basses fréquences (3-5Mhz) sont utilisées pour l’exploration des vaisseaux profonds tel que le carrefour aorto-iliaque, alors que des sondes linéaires de hautes fréquences (5-12Mhz) sont utilisées pour les axes artériels plus superficiels infra-inguinaux. La technique d’examen, les réglages (focale, angulation du Doppler…) sont laissés à l’appréciation de l’opérateur et il est indéniable que cet examen reste opérateur-dépendant et dans une certaine mesure patient-dépendant : obésité, calcification artérielle font partie des facteurs limitatifs.

Il faut noter que la mesure de pression systolique au niveau de la cheville et du bras, permettant de calculer « l’index cheville/bras » (ABI = rapport de la pression systolique à la cheville sur pression brachiale) est peu utilisée en routine, en particulier chez les patients diabétiques où la mediacalcinose fausse la mesure de la pression systolique. Chez des sujets présentant des parois artérielles peu ou pas calcifiées par contre, cet index permet une appréciation objective du degré de la macroangiopathie. On considère un index de < 0.9 comme pathologique, traduisant une artériopathie oblitérant des membres inférieurs (AOMI) pouvant être responsable de douleurs de claudication intermittente, et un index de <0.5 ou une pression malléolaire systolique de <50 mmHg comme le seuil d’une ischémie critique généralement responsable de douleurs de repos ou de troubles trophiques.

À côté d’informations hémodynamiques sur la qualité du flux voire le débit dans les gros troncs, l’EDC nous fournit des informations morphologiques fort utiles : degré de calcification pariétale, thrombose, dilatation anévrismale entre autres. En infra-poplité l’exploration se focalisera surtout sur le flux au niveau malléolaire dans la portion terminale de l’artère tibiale antérieure et postérieure, permettant de conclure à la présence ou non d’un obstacle sus-jacent.

L’EDC de contraste, avec injection intraveineuse de microbulles, ne s’est pas imposée dans la mise au point des artériopathies diabétiques car couteux, semi-invasif et peu utile. Son intérêt réside surtout dans la visualisation de vaisseaux profonds, par exemple l’aorte ou les vaisseaux pelviens, ou dans le suivi d’endoprothèses couvertes mises en place pour l’exclusion d’anévrismes artériels aortiques ou iliaques (EVAR).

Pour résumer, on peut dire que l’EDC est un excellent examen de débrouillage permettant de confirmer et de localiser les obstacles sur les principaux axes artériels, sans aucune contre-indication. Il fournit de précieuses informations anatomiques et hémodynamiques, mais ne permet pas de fournir une représentation précise ou complète de l’arbre vasculaire, ce qui peut rendre la prise de décision pour un éventuel geste thérapeutique difficile.

2/ L’ANGIOGRAPHIE PAR SCANNER MULTICOUPES ET L’ANGIOGRAPHIE PAR RÉSONANCE MAGNÉTIQUE NUCLÉAIRE

Après l’EDC on recourt de plus en plus souvent à une technique « semi-invasive » avant d’envisager une angiographie par ponction artérielle (Figures 1 et 2.).

 

Ces techniques ont considérablement progressé ses dix dernières années mais sont coûteuses et pas totalement inoffensives, en particulier chez des patients diabétiques présentant une altération de la fonction rénale, puisqu’elles requièrent l’injection d’un agent de contraste. Chacune de ces techniques a des contre-indications, des limites et des performances variables dont il faut tenir compte au cas par cas (tableau 1). La contre-indication à un produit de contraste iodé, la présence d’un matériel ferromagnétique endovasculaire (stent) ou à proximité des axes vasculaires, la collaboration du patient (mouvements involontaires, attitudes vicieuses, claustrophobie), la présence d’un corps étranger métallique intra-crânien ou intra-oculaire, d’un pacemaker sont autant d’éléments pouvant faire pencher la balance vers l’une ou l’autre technique d’imagerie. L’angio-scanner ou angio-CT fourni des images de haute résolution spatiale supérieures à l’IRM (matrice 1024x1024, pixel isotropique de 0.2-1 mm³).

On dispose actuellement couramment de scanner volumétriques permettant d’acquérir 256 coupes millimétriques lors d’une rotation requérant moins d’une seconde.

Par rapport à l’IRM, le scanner permet de mieux analyser les parois artérielles (calcifications, anévrismes) et l’environnement péri-vasculaire, ainsi que l’intérieur des endoprothèses métalliques qui sont de plus en plus utilisé lors de revascularisations à l’étage iliaque ou fémoro-poplité. Ses principaux désavantages sont : l’irradiation (1 scanner spiralé correspond une dose patiente équivalente à 50-100 radiographies standard du thorax), l’administration d’environ 100 cc d’un produit de contraste iodé (allergie, toxicité thyroïdienne et surtout rénale), et la difficulté de soustraire les structures osseuses et les calcifications vasculaires gênantes la quantification précise des sténoses. Chez le patient diabétique présentant une artériopathie infra-poplitée ce problème peut être majeur et on préfèrera réaliser soit une angio-IRM, soit d’emblée une artériographie. Par ailleurs, alors que la réalisation de l’examen est très courte, le temps des reconstructions sur console et l’analyse des images par le radiologue est souvent long et laborieux.

L’angio-IRM présente l’avantage d’une exposition nulle aux rayons X et d’une faible toxicité du produit de contraste à base de gadolinium.

Les réactions allergiques sont extrêmement rares et l’injection intraveineuse bien supportée, le patient ne devant pas être à jeun pour cet examen. Les chélates de gadolinium ont été incriminés dans le développement d’une « fibrose systémique néphrogénique » (1).

Actuellement les consignes de prudence chez les patients avec une fonction rénale sévèrement altérées (GFR < 30 ml/min/1.73m²) restent de rigueur, en particulier chez des patients avec des comorbidités responsables de facteurs pro-inflammatoires, même si les produits incriminés (chélates linéaires) ont été généralement totalement écartés des services d’imagerie.

L’IRM pèche par contre par sa résolution spatiale plus faible, par sa tendance à surestimer certaines lésions, par certains artéfacts (mouvement du patient, stents métalliques ou prothèse orthopédiques, retour veineux au niveau des jambes). L’acquisition est rapide, quasi aussi rapide qu’avec le scanner, et le gain de temps pour les reconstructions - quasi automatiques - est par contre considérable.
La résolution s’est améliorée notamment avec l’utilisation d’aimants à haut champ (3 Tesla) ou d’antennes de surface adaptées aux membres inférieurs.
Parmi les développements on retiendra aussi l’existence de séquences pouvant générer des images angiographiques sans injection de gadolinium, mais ces séquences d’acquisition sont encore peu répandues, plus longues et fournissent des résultats moins constants. En cas de lésions artérielles distales infra-inguinales et infra-poplitées l’angio-MR sera généralement préféré à l’angioscanner. Ce propos doit être nuancé en fonction de deux éléments cependant : la disponibilité de l’appareillage et l’expertise des équipes radiologiques.

Il faut noter par ailleurs que les réelles innovations techniques sont actuellement plus importantes pour les nouveaux modèles scanner haute gamme, que pour l’IRM. On a vu ainsi apparaitre la « double énergie », « l’imagerie spectrale », et une évolution des logiciels et consoles.
Ces technologies permettent déjà maintenant des réductions considérables de l’irradiation, une imagerie de perfusion, une caractérisation tissulaire et donc une meilleure soustraction des calcifications. Nous disposons depuis mai 2016 dans notre institution du premier scanner Philips spectral (IQon) en Europe, et les premiers résultats sont encourageants.

3/ L’ARTÉRIOGRAPHIE DIGITALISÉE SOUSTRAITE (DSA)

La DSA (angiographie digitalisée soustraite) reste l’étalon d’or, fournissant des images de résolution inégalée, permettant ainsi une bonne visualisation des troncs distaux infra-poplités et du pied. Cet examen est invasif (ponction artérielle fémorale), nécessite l’injection de produit de contraste iodé et expose le patient à des complications. L’utilisation de produits de contrastes non toxiques tel que le dioxyde de carbone a des limites (fragmentation de la colonne gazeuse, douleurs ischémiques lors de l’injection, contraste faible en particulier dans les petites artères distales), mais suscite un nouvel intérêt à condition de pouvoir investir dans un injecteur dédié.

On lui préfèrera en routine l’artériographie sélective de l’axe à analyser avec une faible dose de produit de contraste, souvent dilué (50%), et une préparation adéquate du patient (hydratation 12H avant et 12H après la DSA, associé ou non à la prise de l’antioxydant N-acétylcystéine 600 mg x2/24H avant et après la DSA).

Le principal avantage de l’artériographie, lorsque l’indication d’un geste de revascularisation a été posé sur base des examens non-invasifs, est de pouvoir directement déboucher sur une geste de revascularisation endovasculaire, c’est-à-dire une angioplastie au moyen d’un ballon classique, d’un ballon enduit (drogue immunosuppressive, actuellement non remboursé en Belgique) ou d’une endoprothèse (stent).

Avant de passer à l’artériographie il faut cibler l’examen et être en mesure de répondre à certaines questions : l’examen est-il nécessaire (indication clinique, bilan non invasif disponible), où et comment la ponction doit-elle être réalisée pour permettre le geste endovasculaire et réduire au maximum l’usage de produit de contraste, un geste endovasculaire semble-t-il possible (les longues occlusions ilio-fémoro-poplitées ou les sténoses fémorales communes étant généralement des indications de revascularisation chirurgicales), et le patient est-il suffisamment préparé pour pouvoir subir l’injection de produit de contraste iodé ?

Parmi les développements récents, disponible grâce à l’acquisition d’un logiciel, figure l’imagerie de perfusion 2D. Ce module permet l’analyse de images angiographiques pendant ou après un examen DSA classique, en respectant simplement un protocole d’injection standard et l’immobilité du patient, sans aucune manœuvre ou injection additionnelle.
Elle permet d’obtenir des renseignements sur le temps d’arrivée du produit de contraste, le temps de circulation et le rehaussement tissulaire notamment au niveau du pied. Cette technique est en cours d’évaluation depuis 2 ans. Elle permet de disposer de données objectives sur l’efficacité d’un geste de revascularisation, sur l’indication ou non d’un geste complémentaire, voire peut-être de fournir un pronostic quant aux chances de succès d’un geste thérapeutique (2,3).

RECOMMANDATIONS PRATIQUES

L’arsenal diagnostique s’est enrichi de l’angio-scanner et de l’angio-IRM. Le choix d’une de ces techniques doit tenir compte d’une série de contraintes et être adapté à chaque patient (4). Par ailleurs elles ne sont pas toujours nécessaires pour établir un plan stratégique diagnostique et thérapeutique. L’écho-doppler couleur est par contre incontournable dans le bilan initial. L’artériographie diagnostique est indispensable si on envisage un geste de revascularisation, qui sera dans la grande majorité des cas (>90%) un geste endovasculaire plutôt que chirurgical, et qui pourra être réalisé lors de la même procédure.

Correspondance

Pr. Frank Hammer
Cliniques universitaires Saint-Luc
Service de radiologie vasculaire et interventionnelle
Avenue Hippocrate 10
Université catholique de Louvain
B-1200 Bruxelles

Références

1. T. GROBER. Gadolinium – a specific trigger for development of nephrogenic fibrosing dermopathy and nephrogenic systemic finbrosis? Nephrol Dial transplant 2006,21: 1104.
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2. Making the difference where it really matters. 2D perfusion – enhancing procedural decision making. www.philips.com/healthcare

3. Manzi M, Van Den Berg J. 2D perfusion angiography : a useful tool for CLI treatment. Endovascular today 2015; 76-79.

4. Pomposelli F. Arterial imaging in patients with lower ischemia and diabetis mellitus. J Vasc Surg 2010, 52: 81S-91S.
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