L’impact d’un déficit visuel sur l’apparition de symptômes post-traumatiques et psychotiques à la suite d’une agression

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Valentin Coutant1, Sylvain Dal2 Publié dans la revue de : Juillet 2022 Rubrique(s) : Psychiatrie adulte
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Résumé de l'article :

À travers un cas clinique et une étude de la littérature, cet article étudie les interactions croisées entre trauma, psychose et déficit visuel.

Le trauma et la psychose, habituellement décrits de manière séparée, interagissent et se renforcent mutuellement. Le déficit visuel, du fait de l’altération de la perception du monde qu’il provoque, modifie l’expression de la symptomatologie psychiatrique et favoriserait l’émergence de symptômes psychotiques. Dans certains cas de trauma sévère, on peut décrire des symptômes psychotiques (hallucinations, délires) en dehors du spectre de la schizophrénie. On parle alors d’État de Stress Post-traumatique avec Psychose Secondaire (PTSD-SP).

Les traitements proposés devront en tenir compte, en se centrant en priorité sur le trauma, et pas uniquement sur la réduction des symptômes psychotiques.

Que savons-nous à ce propos ?

Le trauma et la psychose interagissent et se renforcent mutuellement. Le déficit visuel modifie la perception de l’environnement et l’expression de la symptomatologie traumatique.

Que nous apporte cet article ?

Dans certains cas de trauma sévère, on peut décrire des symptômes psychotiques en dehors du spectre de la schizophrénie. Le déficit visuel favoriserait l’émergence de tels symptômes.

Ceci a une importance cruciale pour orienter le traitement qui sera donné à ces patients.

Mots-clés

Trauma, PTSD, PTSD-SP, psychose, schizophrénie, déficit visuel, hallucinations

Article complet :

Introduction

La rencontre avec un patient ayant perdu la vue à la suite d’une agression et développant des symptômes de stress post-traumatique puis des symptômes psychotiques pose la question des interactions entre le trauma, la psychose et le déficit visuel.

À travers un cas clinique et une étude de la littérature, nous analyserons les liens bidirectionnels entre le trauma et la psychose, entre la perte de vision et la psychose, puis entre la perte de vision et le PTSD, afin de déterminer l’impact que pourrait avoir le déficit visuel sur l’apparition des symptômes psychiatriques dans le décours de cette agression.

Nous utiliserons ici comme synonymes “trauma”, “syndrome de stress post-traumatique” (SSPT) ou “Post Traumatic Stress Disorder” (PTSD).

Cas clinique

Un jeune homme de 18 ans est référé en consultation de psychiatrie, sur conseil d’une psychologue qui le suit dans le décours d’une agression subie quelques mois plus tôt.

Le patient est l'aîné d’une fratrie de 3, avec un père ouvrier et une mère au foyer. Il était étudiant en 5ème secondaire professionnelle, mais a été contraint d’arrêter ses études à cause des conséquences de l’agression qu’il a subi.

À notre connaissance, le patient n’avait aucun antécédent psychiatrique personnel ni familial, ni de consommation de substances. Au niveau somatique, le patient souffre d’une cataracte congénitale bilatérale de naissance, opérée à droite mais pas à gauche, et d’un nystagmus d’étiologie inconnue.

L’agression qui l’amènera à consulter s’est déroulée en pleine rue, près de chez lui, alors qu’il faisait un tour dans le quartier. Le patient décrit une agression soudaine et brutale, sans cause apparente. Un homme l’aurait interpellé violemment, avant de le frapper et le rouer de coups au sol, avec de nombreux coups au visage, sans réaction des passants. Il est parvenu à rentrer chez lui, et ses parents l’ont emmené aux urgences. Les coups qu’il a reçus auront pour conséquence des contusions, une fracture non déplacée du plancher orbitaire et une déchirure rétinienne traumatique au niveau maculaire à droite, provoquant une perte de vision partielle.

Dans les mois qui suivent, différents traitements médicamenteux et chirurgicaux seront tentés afin de tenter de rétablir sa vue, sans succès. Le patient va alors multiplier les avis ophtalmologiques durant plus d’un an avant d’accepter que la perte de vision est irréversible.

Des suites de cette agression, le patient garde encore aujourd’hui une vision qu’il décrit comme kaléidoscopique et floue, qui l’empêche de se repérer dans son environnement, de voir les détails, de lire. La perte de vision est associée à une photophobie, une fatigue oculaire causant des céphalées, une sécheresse oculaire et des pertes d’équilibre fréquentes.

Du point de vue de la symptomatologie psychiatrique, le patient va présenter dès notre première rencontre les symptômes typiques d’un trouble de stress post-traumatique : des troubles du sommeil, incluant surtout des difficultés d’endormissement et des cauchemars traumatiques, des ruminations, de l’anxiété, ainsi qu’une autodépréciation, un sentiment de culpabilité, et des croyances négatives persistantes. Il vit également dans un état d’hypervigilance permanente, avec des attaques de panique, des difficultés de concentration et une perte d’appétit liée à l'angoisse. Des flashbacks traumatiques sont également fréquents, et le patient se replie fort sur lui-même, dans l’évitement, et avec un sentiment de détachement d'autrui.

Deux mois environ après notre première rencontre, le patient commence à évoquer d’autres symptômes : le soir avant de dormir, il entend des voix, qui lui donnent des ordres. Il parlera progressivement du contenu : cris de son nom, ordres, injonctions suicidaires, menaces de mort. Il identifie cette voix comme étant celle de son agresseur. Ces hallucinations sont très présentes lorsqu’il sort dans la rue, ce qui augmente son sentiment d’insécurité et son isolement.

Petit à petit, l’hypervigilance prend des allures plus paranoïaques, avec une interprétativité et un sentiment de persécution : ce qu’il exprimait comme une peur qu’il lui arrive quelque chose devient la certitude qu’« il va revenir me tuer », il parle d’un complot contre lui, qui expliquerait l’agression et qui s’étend progressivement aux différents intervenants, avec l’impression que les soignants ne sont pas réellement là pour l'aider mais lui mettre des bâtons dans les roues.

Dans un premier temps, le patient refuse tout traitement. Il acceptera après quelques rendez-vous un traitement pour le sommeil par Quétiapine 25 mg, augmenté progressivement à 100 mg. Un traitement à visée antipsychotique par Aripiprazole 10 mg puis 15 mg est instauré par la suite, avec l’attente du patient d’apaiser les voix qu’il entend. Ce n’est qu’au bout de 10 mois de suivi qu’il accepte de mettre en place un traitement antidépresseur, qui avait pourtant été proposé rapidement dans le suivi, par Sertraline 50 mg, augmenté par la suite à 100 mg.

Au cours du suivi, l’état du patient sera fluctuant, entre des moments de motivation, où il envisage de reprendre des études, fait des projets, demande de l'aide à différents intervenants, et d'autres où la paranoïa et le défaitisme reviennent. Les symptômes ont globalement diminué, sans disparaître tout à fait, ce qui lui a permis récemment de reprendre des cours du soir.

La question du handicap, tant visuel que du fait de la pathologie psychiatrique, aura beaucoup d’importance pour le patient, et notamment le fait d’avoir un handicap « qui ne se voit pas », et donc peu reconnu par son entourage. De même, sa fierté et sa réticence à accepter d’être dépendant d’autrui ont limité l’accès à des aides spécialisées.

Ce cas clinique est une occasion d’observer le développement chronologique de la maladie, avec le développement de symptômes traumatiques et secondairement de symptômes psychotiques, chez un patient sans comorbidités de consommation de substances ni d’antécédents psychiatriques familiaux ou personnels.

À travers une revue de la littérature, penchons-nous sur les interactions entre trauma, psychose et déficit visuel, afin d’étudier l’impact que pourrait avoir le déficit visuel sur l’apparition des symptômes psychiatriques dans le décours de cette agression.

Revue de la littérature

Liens entre psychose et trauma

A. Symptômes

Les liens entre psychose et trauma sont bien documentés, et semblent être bidirectionnels.

Pour certains auteurs, le PTSD et la psychose constitueraient même un « spectre de réponse à un évènement traumatique » (1).

On peut noter des similitudes au niveau de la symptomatologie entre la psychose et le PTSD, avec des symptômes dits « négatifs » et « positifs » dans les deux cas (Tableau 1)

La frontière entre les symptômes est parfois ténue. En effet, il peut être difficile de faire la différence entre des hallucinations et des reviviscences traumatiques, surtout lorsqu’elles sont associées à des moments de dissociation. Les symptômes négatifs tels que l’émoussement affectif ou le retrait social sont également très similaires. La différenciation tient souvent plutôt à l‘interprétation qui est faite de ces symptômes par le patient et par le clinicien, selon qu’ils sont plutôt attribués à un évènement interne ou externe, et selon le fait qu’un lien de causalité clair avec un évènement traumatique peut être établi ou non (1).

B. Trauma dans la psychose et symptômes psychotiques dans le PTSD

Dans des populations de patients avec un diagnostic principal de psychose, on note une grande prévalence de PTSD (2), ce qui pose la question de savoir s’il s’agit d’une comorbidité ou s’il y a un lien de cause à effet dans un sens ou dans l’autre.

D’une part, les traumas dans l’enfance sont un facteur de risque de psychose avéré. Les patients psychotiques sont également à plus haut risque d’être confrontés à des traumas du fait de leur maladie (3). Le fait de vivre un épisode psychotique, ainsi que parfois les soins (contrainte, contention, médication forcée), peuvent également être des causes d’un état de stress post-traumatique (on parle alors d’Etat de Stress Post-Traumatique Post-Psychotique, ou PP-PTSD pour Post-Psychotic PTSD) (2).

D’autre part, chez les patients souffrant de PTSD, les hallucinations sont fréquentes lorsqu’on interroge spécifiquement les patients. On parle de 50 % de symptômes dits psychotiques chez les patients souffrant de PTSD (4). 70 % des entendeurs de voix identifient un trauma comme déclencheur des hallucinations auditives (1). Le vécu de ces symptômes serait similaire entre schizophrénie et PTSD, avec cependant un contenu différent : dans le PTSD, on retrouve un délire plus construit et à tonalité paranoïde, sans les éléments mégalomanes ou étranges qui caractérisent la schizophrénie (5).

De plus, des études en EEG ont pu démontrer une hyperactivation sensorielle dans le PTSD, liée à un déficit des processus de filtrage des stimuli, qui cause une hyperactivation frontale similaire à ceux documentés dans la manie et la schizophrénie (6).

Il est également intéressant de noter qu’un traumatisme crânien peut donner des symptômes psychotiques, parfois à distance du trauma crânien. Dans ce cas, les symptômes sont le plus souvent délirants, moins souvent des hallucinations auditives, et rarement des symptômes négatifs. Les traumatismes crâniens sont aussi un facteur de risque de dépression majeure et de PTSD (7).

C. PTSD-SP

La description de l’apparition secondaire de symptômes psychotiques chez des patients souffrant d’un stress post-traumatique a amené certains auteurs à proposer une entité nosologique distincte, l’État de Stress Post-Traumatique avec Psychose Secondaire (PTSD-SP, pour Post-Traumatic Stress Disorder with Secondary Psychosis). Cette pathologie a été décrite pour la première fois en 1995 (2), mais ce n’est qu’à partir de 2003 qu’on retrouve des articles référencés sous ce terme dans la base de recherche Pubmed (Image 1).

Les critères diagnostiques proposés sont repris dans le tableau 2 (8).

De nombreux arguments plaident en faveur d’une entité nosologique distincte de la schizophrénie ou d’un PTSD associé à une dépression à caractéristiques psychotiques.

Par rapport à la schizophrénie, les symptômes négatifs sont décrits comme similaires. On ne note en revanche pas de désorganisation psychique, et un contenu du délire différent, essentiellement paranoïde et de persécution, sans éléments « étranges » ni mégalomanes.

Par rapport à un PTSD associé à une dépression avec caractéristiques psychotiques, on note que le délire est non congruent à l’humeur, et une grande partie des patients PTSD-SP (38 %) n’ont pas de comorbidité dépressive (3,9).

On ne retrouve pas de plus grande prévalence de psychose dans les familles de patients souffrant de PTSD-SP (10).

D’autre part, des marqueurs biologiques différencieraient ces différentes pathologies, principalement au niveau de l’activité de la Monoamine Oxydase-B (MAO-B), de la Dopamine Bêta-Hydroxylase (DBH) et du Brain-derived Neurotrophic Factor (BDNF), avec certains polymorphismes alléliques codant pour ces protéines qui seraient des facteurs de risque spécifiques de développer un PTSD-SP. Les taux de Cortisol, de Cerebrospinal Fluid (CSF), de Corticotropin-Releasing Factor (CRF), de DBH plaquettaire et de Sérotonine (5-HT) plaquettaire seraient plus élevés dans le PTSD-SP que dans le PTSD sans symptômes psychotiques. On note également chez les patients PSTD-SP des anomalies au niveau de la poursuite oculaire (SPEM), différentes de celles retrouvées dans la schizophrénie (8,10).

L’existence de cette pathologie implique une prise en charge spécifique, basée sur la psychothérapie particulière au trauma et un traitement médicamenteux adapté. L’existence de symptômes psychotiques ne contre-indiquerait pas à une thérapie par l’EMDR.

Quelques études suggèrent qu’il y aurait un bénéfice à l’adjonction d’un antipsychotique de seconde génération au traitement « classique » par SSRI, la Quétiapine et la Rispéridone étant les deux seules molécules qui ont fait l’objet d’études à ce sujet (10).

Liens entre psychose et déficit visuel

Plusieurs études réalisées sur de larges cohortes de patients démontrent que la présence d’un déficit visuel durant l’enfance augmente le risque de développer une psychose à l’adolescence. De façon intrigante, le fait que la vision soit corrigée ne réduit pas le risque de psychose. La corrélation entre déficit et psychose reste valable chez les frères présentant des différences d’acuité visuelle, ce qui limite le risque d’un facteur confondant génétique (11,12).

Une hypothèse qui pourrait expliquer cette constatation est que le déficit visuel limite la reconnaissance des visages, la lecture et la performance dans les activités nécessitant la vue. Ceci pourrait gêner le développement des schémas et de la cognition sociale, et en particulier la conscience de soi et la théorie de l’esprit (c’est-à-dire la capacité à inférer les états mentaux d’autrui ou de soi-même), ce qui pourrait favoriser l’émergence d’une psychose (11,13).

À l’inverse, une cécité de naissance protège contre l’apparition d’une psychose, en particulier les cécités d’origine corticale (modèle de « Protection against schizophrenia » ou PASz) (11, 13,14).

Schématiquement, cela donne une relation en « U inversé » entre le déficit visuel et la psychose, une absence de déficit et un déficit total étant protecteurs, et un déficit partiel étant un facteur de risque.

Dans les populations plus âgées, l’apparition d’un déficit visuel est un facteur de risque de psychose tardive, mais pas la perte d’audition (13).

Une autre théorie nous permet de jeter un autre éclairage sur la problématique. Développée dans le cadre des sciences cognitives, la théorie du cerveau Bayésien donne une explication aux liens entre psychose et vision, ainsi qu’à la théorie de la PASz.

Cerveau Bayésien

Cette théorie s’appuie sur la théorie mathématique de l’inférence Bayésienne, et définit nos perceptions comme le résultat d’une analyse prédictive statistique entre les afférences sensorielles et les croyances internes, ou modèle interne du monde, qui se créent progressivement en étant sans cesse corrigées par les inputs extérieurs (Image 2).

Dans la psychose, il y aurait un déséquilibre dans l’analyse du niveau de précision entre les afférences sensorielles et les croyances internes, menant à des expériences de faux-concepts (délires) et de fausses perceptions (hallucinations), liées à un input sensoriel « bruyant », qui diminue la précision des informations perçues et empêche par conséquent la correction des modèles internes.

La vision nous apporte plus d’éléments sur le monde extérieur que les autres sens, et avec une plus grande précision, notamment au niveau de la disposition spatiale. Les inputs visuels auraient donc préséance dans la formation du modèle interne, donnant la consistance et le contexte pour intégrer les informations venant des autres modalités sensorielles.

Les personnes nées aveugles s’appuient plutôt sur le contexte qu’elles extraient des autres sens pour créer l’image qu’elles ont du monde, élaborant un modèle interne très stable qui les protège contre les fausses inférences, liées à un input sensoriel « bruyant ».

Chez les personnes avec déficit visuel acquis, les prédictions internes ont davantage de poids, car ces personnes ne peuvent plus se baser sur la vue pour « calibrer » leurs perceptions et donnent donc plus de poids à l’interne. De ce fait, elles sont plus à risque de développer des symptômes psychotiques (14).

Déficit visuel et trauma

Le fait d’être atteint d’un déficit visuel modifie le vécu des patients face à un évènement potentiellement traumatisant et modifie également l’expression de la symptomatologie en cas de PTSD.

Les personnes déficientes visuelles sont de manière générale plus à risque de vivre certains traumatismes à cause de leur handicap (notamment des chutes, abus ou agressions). Néanmoins, la prévalence du PTSD ne serait pas plus élevée que dans la population générale (15).

Le fait d’avoir un déficit visuel modifie également le vécu de l’évènement traumatique, avec une plus grande soudaineté due à la difficulté à percevoir l’arrivée du danger, une difficulté à extraire les informations de l’environnement et donc à se représenter la scène traumatique, ce qui renforce le vécu traumatisant, et une plus grande difficulté à se mettre à l’abri, par exemple en cas d’agression ou de catastrophe naturelle. La difficulté à se représenter la scène limite également la capacité à élaborer le traumatisme, et donc les capacités d’ajustement (15).

Dans le post-trauma, la présence d’une cécité tend à limiter l’accès aux soins, le support social et la capacité des patients à demander de l’aide. Ceci risque d’augmenter l’isolement, la dépendance et le sentiment de vulnérabilité des individus, renforçant ainsi le risque de développer des symptômes post-traumatiques (16).

Au niveau de la symptomatologie traumatique en tant que telle, les symptômes sont différents. Les reviviscences et flashback s’expriment préférentiellement dans d’autres modalités sensorielles (auditives, tactiles, olfactives). L’évitement est plus important, avec un fort niveau de méfiance envers les autres (lié également à l’incapacité à lire les expressions faciales et donc les intentions d’autrui). L’hypervigilance est également plus importante, en lien avec la crainte de ne pas arriver à identifier une menace à temps par manque d’éléments visuels (15-17). Facteur aggravant, l’hypervigilance auditive mise en place pour compenser le manque de vision provoque par saturation une perte de la capacité à extraire les informations auditives utiles de l’environnement, ce qui augmente le handicap, diminue la mobilité et la capacité à s’orienter, et empêche également l’individu de se concentrer. Tout cela augmente l’évitement, renforce à nouveau l’isolement social, et augmente le risque de re-traumatisation.

Pour certains auteurs, la perte de vision devrait être incluse dans les évènements pouvant causer un PTSD, même en absence de menace directe pour la vie ou l’intégrité physique du sujet (16).

L’accès aux soins psychiatriques ou psychologiques est également plus difficile pour ces patients, les structures de soins en santé mentale n’étant pas toujours adaptées à l’accueil de personnes en situation de handicap.

Discussion

Comme nous avons pu le voir, les liens entre la psychose, le trauma et le déficit visuel sont bien décrits et multidirectionnels.

Chez le patient décrit dans le cas clinique, l’apparition du déficit visuel a donné un vécu traumatique différent, qui a probablement favorisé l’apparition des symptômes traumatiques et psychotiques. La perte de vision en elle-même est pour ce patient un rappel quotidien du traumatisme, et a sans doute favorisé l’apparition et le maintien du PTSD. Les symptômes post-traumatiques d’hypervigilance et le débordement sensoriel qu'ils induisent, ainsi que l’évitement et le retrait social causés par la maladie, ont à la fois été renforcés par le déficit visuel, et ont limité la capacité du patient à compenser son handicap.

La cécité va donc augmenter le risque de développer certains symptômes, et modifier l’expression de la symptomatologie, ce qui peut renforcer la confusion entre symptômes psychotiques et symptômes du PTSD.

La perte de vision a également pour effet d’augmenter le risque de psychose, et limite la capacité du patient à intégrer les intrusions traumatiques et à les attribuer à un vécu interne, plutôt qu’externe. Ceci le pousse à les vivre sous forme hallucinatoire. Associés à l’hypervigilance et au débordement sensoriel, ces symptômes ont mené à la création d’idées délirantes à tonalité paranoïaque. Ces délires peuvent également être vus comme une manière de se réattribuer la scène traumatique et de donner un sens à ce qui lui est arrivé.

À leur tour, ces hallucinations et délires renforcent le vécu de victimisation, augmentent l’anxiété et la détresse du patient, ce qui limite sa capacité à faire face, et aggravent le vécu de handicap.

En clinique, il est important de rechercher les symptômes traumatiques chez les patients présentant des symptômes psychotiques, et à l’inverse de rechercher les symptômes et vécus psychotiques chez les patients traumatisés, tant ces symptômes et pathologies semblent se renforcer mutuellement et générer des mécanismes qui s’auto-entretiennent selon des boucles de feedback ou rétroaction complexes.

Contrairement à la nosologie classique qui scinde le PTSD et les psychoses, certains tableaux cliniques peuvent être mieux expliqués par un PTSD-SP, c’est-à-dire par la présence de symptômes psychotiques hors du champ de la psychose, à la manière des dépressions majeures avec caractéristiques psychotiques. Ceci a une incidence sur les traitements qui devront être proposés, centrés en priorité sur le trauma, et pas uniquement sur la réduction des symptômes psychotiques, pourtant plus bruyants.

Il sera également important pour le clinicien d’être alerté sur le fait que les personnes en situation de handicap peuvent exprimer des symptômes psychiatriques de manière différente, à plus forte raison quand le handicap touche aux modalités sensorielles et donc à la perception du monde qui les entoure. Ces patients peuvent également avoir plus de difficultés à accéder aux soins, et il est donc important de pouvoir leur proposer un setting de consultations adéquat, adapté à leur handicap.

Conclusion

Au regard des interactions multidirectionnelles entre le trauma, la psychose et le déficit visuel, ce cas clinique permet de poser l’hypothèse que l’apparition des symptômes traumatiques et psychotiques chez ce patient a été favorisée par le déficit visuel, et l’on peut noter des boucles de rétroaction positives entre les différents symptômes et pathologies.

Le handicap vécu par le patient est médié à la fois par le handicap physique de la perte de vision, ainsi que par le handicap lié à la pathologie psychiatrique, qui se renforcent mutuellement.

Il est intéressant de noter que dans les recherches sur le post-trauma chez des patients malvoyants ou aveugles, les recherches et articles sont rédigés essentiellement par des ophtalmologues. Nous espérons que les psychiatres pourront également se saisir de la question, d’autant que l’expression symptomatique particulière à ces populations pose la question d’un diagnostic différentiel précis afin que le traitement soit adapté au patient. Étant donné le vieillissement de la population et l’augmentation des cécités liées à l’âge, les praticiens devront être attentifs au fait que l’expression de symptômes d’allure psychotique ne signe pas nécessairement une pathologie dans le spectre de la schizophrénie.

Recommandations pratiques

Il est important de rechercher les symptômes traumatiques chez les patients présentant des symptômes psychotiques, et à l’inverse de rechercher les symptômes et vécus psychotiques chez les patients traumatisés.

Le clinicien doit être alerté sur le fait que chez un patient porteur d’un handicap touchant aux modalités sensorielles, les symptômes peuvent s’exprimer de manière différente.

Des symptômes psychotiques peuvent être présents hors des pathologies du spectre de la schizophrénie, comme dans le PTSD-SP. Ceci a une incidence sur les traitements qui devront être proposés, centrés en priorité sur le trauma, et pas uniquement sur la réduction des symptômes psychotiques.

Il est important de promouvoir l’accès aux soins des patients en situation de handicap, en proposant un setting de consultations adapté.

Affiliations

1. Psychiatrie Adulte, Cliniques universitaires Saint-Luc, B-1200 Bruxelles
2. Service de psychiatrie adulte, Clinique Saint-Jean, B-1000 Bruxelles

Correspondance

Dr. Valentin Coutant
Cliniques universitaires Saint-Luc
Psychiatrie adulte
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles
dr.v.coutant@gmail.com

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