L’oncogériatrie fait ses preuves en 2021

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Frank Cornélis, Pascale Cornette Publié dans la revue de : Février 2022 Rubrique(s) : Oncogériatrie
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Résumé de l'article :

En oncogériatrie, l’évaluation gériatrique (EG) permet de mieux connaître les besoins en santé des patients âgés atteints de cancer. En 2021, deux études randomisées ont été publiées démontrant que des interventions gériatriques ciblées basées sur l’EG permettent de réduire la fréquence des toxicités liées à la chimiothérapie sans altérer la survie.

Mots-clés

Cancer, évaluation gériatrique, interventions gériatriques, chimiothérapie, toxicité

Article complet :

Deux mille vingt et un restera dans la mémoire des oncologues et des gériatres comme l’année qui a vu la publication des deux premières études randomisées démontrant un impact favorable de l’évaluation gériatrique sur le devenir des patients âgés atteints de cancer.

La première étude est une étude multicentrique randomisée évaluant l’impact d’un rapport de l’évaluation gériatrique (EG) accompagné de recommandations d’interventions gériatriques correctrices sur la toxicité du traitement oncologique chez des patients âgés (≥70 ans) présentant des déficits dans au moins un domaine de l’EG (hors polymédication), porteurs d’un cancer de stade avancé et incurable (tumeur solide ou lymphome) (1). Les centres participants étaient randomisés (1:1) entre un bras intervention dans lequel les oncologues recevaient le rapport de l’évaluation gériatrique et les interventions gériatriques correctrices recommandées en fonction des altérations gériatriques mises en évidence, et un bras standard dans lequel aucun rapport de l‘EG n’était transmis. L’objectif premier de l’étude était la proportion de patients ayant expérimenté une toxicité de grade 3-5 (selon CTCAE v.4.0) dans les 3 mois. Les objectifs secondaires étaient le taux de survie à 6 mois et l’intensité thérapeutique.

Au total, 718 patients ont été inclus dans 40 centres, 349 patients dans le bras intervention, 369 dans le bras soins standards. L’âge médian des patients était de 77 ans, 43% de femmes, le nombre médian de domaines altérés de l’EG était de 4.5/8, dans 88% des cas le traitement administré était de la chimiothérapie. Dans le bras intervention, on notait davantage de patients d’origine afro-américaine (11% vs 3%, p<0.0001) ou ayant reçu une chimiothérapie préalable (30% vs 22%, p=0.016), davantage de tumeurs gastro-intestinales (38 vs 31%) et moins de tumeurs bronchiques (18% vs 31%). Dans le bras intervention, une proportion significativement plus faible de patients a expérimenté une toxicité de grade 3-5 (177/349; 51%) comparativement au bras standard (263/369; 71%) (RR 0.74; 95% CI: 0.64-0.86; p=0.0001). Cette différence était principalement due aux toxicités non-hématologiques (RR 0.72; 95% CI: 0.52-0.99, p=0.045). En d’autres termes, pour 5 patients bénéficiant d’une telle stratégie, un incident de toxicité de grade 3-5 est évité. Le taux de survie globale à 6 mois n’était pas différent (72% vs 75%, p=0.38). Dans le bras intervention, davantage de patients ont reçu une dose intensité réduite de traitement au cycle 1 (49% vs 35%, RR 1.38, p=0.015).

La deuxième étude est une étude monocentrique randomisée évaluant l’impact des interventions gériatriques guidées par l’EG sur la toxicité de la chimiothérapie (2). Y ont été inclus des patients âgés (≥65 ans) porteurs d’une tumeur solide et débutant un traitement de chimiothérapie.

À l’inclusion, tous les patients bénéficiaient d’une évaluation gériatrique préalable à la chimiothérapie. Dans le bras expérimental, une équipe multidisciplinaire comprenant un oncologue, une infirmière, un assistant social, un kinésithérapeute, un nutritionniste et un pharmacien analysaient les résultats de l’EG et élaboraient un plan d’interventions gériatriques basées sur les résultats de l’EG. Une infirmière coordonnait et vérifiait la bonne application du plan établi. Dans le bras standard, les résultats de l’EG étaient adressés à l’oncologue référent qui les utilisait à sa convenance. Les patients étaient suivis jusqu’à la fin de la chimiothérapie ou jusqu’à 6 mois après le début de celle-ci. L’objectif premier de l’étude était l’incidence de toxicités chimio-induites de grade 3-5 (selon CTCAE v.4.0). Les objectifs secondaires étaient l’accomplissement des directives préalablement déterminées, les admissions aux urgences, les hospitalisations non programmées, la durée moyenne de séjour, les modifications de dose et l’arrêt prématuré de la chimiothérapie, la survie globale 12 mois après le début de la chimiothérapie.

Au total, 605 patients ont été randomisés selon un ratio 2:1 et analysés : 402 dans le bras expérimental et 203 dans le bras standard. L’âge médian des patients était de 71 ans (65-91), 59% de femmes. Les types de cancers inclus étaient : tumeurs gastro-intestinales (33.4%), sein (22.5%), poumon (16%), voies génito-urinaires (15%), tumeurs gynécologiques (8.9%), autres (4.1%). Il s’agissait de stades IV dans 71.4% des cas. Le taux d’incidence des toxicités de grade 3-5 liées à la chimiothérapie était de 50.5% (95% CI: 45.6-55.4%) dans le bras expérimental et de 60.6% (95% CI: 53.9-67.3%) dans le bras standard (p = 0.02). Au terme de l’étude, le taux d’accomplissement des directives préalablement déterminées était de 74.6% dans le bras expérimental vs 62.1% dans le bras standard (p = 0.001). L’amélioration de ce taux était supérieure dans le bras expérimental par rapport au bras standard (+28.4% vs +13.3%, p < 0.001). Il n’y avait pas de différences significatives entre les deux bras en ce qui concerne les taux d’admissions aux urgences, les taux d’hospitalisations, les durées moyennes de séjour, les modifications de dose et l’arrêt de la chimiothérapie, ni la survie globale.

Ces deux études randomisées démontrent que l’évaluation gériatrique suivie par l’implémentation d’interventions gériatriques ciblées permet de réduire la fréquence des toxicités sévères induites par la chimiothérapie chez les patients âgés atteints de cancer de stade avancé, et ceci sans impacter négativement la survie. Elles nous encouragent à poursuivre l’application de ce modèle de prise en charge dans notre pratique clinique quotidienne.

Références

  1. Mohile SG, Mohamed MR, Xu H, Culakova E, Loh KP, Magnuson A, et al. Evaluation of geriatric assessment and management on the toxic effects of cancer treatment (GAP70+): a cluster-randomised study. Lancet. 2021 Nov 20;398(10314):1894-1904. doi: 10.1016/S0140-6736(21)01789-X
  2. Li D, Sun CL, Kim H, Soto-Perez-de-Celis E, Chung V, Koczywas M, et al. Geriatric assessment–driven intervention (GAIN) on chemotherapy-related toxic effects in older adults with cancer: a randomized clinical trial. JAMA Oncol. 2021 Nov 1;7(11):e214158. doi: 10.1001/jamaoncol.2021.4158

Affiliations

Cliniques universitaires Saint-Luc, B-1200 Bruxelles
1. Oncologie médicale
2. Gériatrie

Correspondance

Dr. Frank Cornélis
Cliniques universitaires Saint-Luc
Service d’Oncologie médicale
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles