Les maladies rares sont souvent des maladies sérieuses, chroniques, et qui peuvent entrainer un décès précoce chez les patients (1). Ces maladies sont pour la plupart associées à une moins bonne qualité de vie pour les patients ainsi qu’à un fardeau psychologique important, non seulement pour les patients mais également pour leur famille. Une maladie rare est définie selon les standards européens comme étant une maladie qui touche moins de 5 personnes sur 10 000 (2). Aujourd’hui, le nombre de maladies rares différentes est estimé entre 6000 et 8000 et approximativement 80% d’entre elles ont une origine génétique. De plus, la moitié d’entre elles apparaissent durant l’enfance. Ensemble, les maladies rares touchent entre 6 à 8% de la population générale, ce qui représente environ 30 millions de personnes dans l’Union Européenne (2). C’est le paradoxe des maladies rares : « les maladies sont rares, mais les personnes atteintes d’une maladie rare sont nombreuses ». Aujourd’hui, les maladies rares sont devenues une priorité de santé publique en Belgique et dans l’Union Européenne. En 2009, le Conseil de l’Union Européenne a publié sa recommandation 2009/C 151/02 relative à une action dans le domaine des maladies rares (3). Un point important de cette recommandation était que chaque pays membre de l’Union Européenne élabore et adopte un plan et des stratégies pour les maladies rares avant la fin 2013. Le Plan belge pour les Maladies Rares est disponible depuis décembre 2013 et comprend 20 actions reprises dans 4 domaines principaux : diagnostique et information au patient, optimalisation des soins, connaissances et information, et gouvernance et durabilité (4).
Les maladies rares ont été négligées dans le passé, notamment en ce qui concerne le développement de médicaments. Le prix d’un médicament est fixé par les industries pharmaceutiques sur base du coût de la recherche et du développement, du nombre attendu de patients qui bénéficieront de ce médicament, et d’une marge de profit (5). Le faible nombre de personnes atteintes d’une maladie rare, parfois seulement quelques dizaines à travers le monde, rend le développement d’un médicament dans ce contexte peu voire pas rentable pour les industries pharmaceutiques. De ce fait, différentes actions ont été et sont mises en place pour aider les personnes atteintes d’une maladie rare dans l’Union Européenne et encourager le développement de médicaments pour les maladies rares. En décembre 1999, le Parlement Européen et le Conseil de l’Union Européenne publiaient le règlement (CE) N° 141/2000 concernant les médicaments orphelins, médicaments destinés à diagnostiquer, prévenir, ou traiter les maladies rares (6). Celui-ci permet aux firmes pharmaceutiques de pouvoir bénéficier de certains incitants de la part de l’Union Européenne pour développer un médicament orphelin. Par exemple, les sponsors qui conduisent des essais cliniques dans le cadre d’une maladie rare peuvent obtenir un support pour le développement du médicament, des réductions de frais pour l’introduction de leur dossier de demande d’autorisation de mise sur le marché, ou encore une période d’exclusivité de 10 ans dès que le médicament est autorisé à être commercialisé. Le statut de médicament orphelin est d’abord examiné de manière centralisée à un niveau européen par le Comité des Médicaments Orphelins de l’Agence Européenne des Médicaments. Ensuite, l’avis de ce comité est transmis la Commission Européenne qui décide si le médicament peut recevoir le statut de « médicament orphelin ». Trois grands critères ont été fixés dans le Règlement (CE) n° 847/2000 de la Commission Européenne du 27 avril 2000 établissant les dispositions d’application des critères de désignation d’un médicament en tant que « médicament orphelin » et définissant les concepts de « médicament similaire » et de « supériorité clinique » pour l’octroi du statut de médicament orphelin (7), à savoir : 1) la prévalence de la maladie pour laquelle le médicament est développé doit être inférieure ou égale à 5 personnes sur 10000. Il doit également être démontré que cette maladie peut constituer une menace pour la vie ou entraîner une invalidité chronique ; 2) la preuve que, sans incitant, il est peu probable que la commercialisation de ce médicament génère des bénéfices suffisants pour justifier l’investissement pour développer ce médicament ; 3) qu’il n’existe aucune autre méthode suffisante de diagnostique, de prévention ou de traitement de la maladie, ou s’il en existe, que le médicament offre un bénéfice notable aux personnes souffrant de cette maladie.
Par ailleurs, la Commission Européenne a initié la création, en avril 2011, de l’International Rare Diseases Research Consortium (IRDiRC). Le but principal est de favoriser le développement de thérapies pour les maladies rares, avec comme objectif de mettre sur le marché 200 nouvelles thérapies pour les maladies rares d’ici 2020 (8). Le financement de projets européens spécifiques aux maladies rares et au développement de thérapies pour les maladies rares a été adapté pour répondre à la priorité des maladies rares dans l’Union Européenne. Un budget spécifique a été octroyé entre 2007 et 2013 dépassant les 500 millions d’euros pour des projets européens sur les maladies rares et le développement médicament orphelins (8).
Une revue de toutes les demandes de statut de médicament orphelin introduites auprès du Comité des Médicaments Orphelins de l’Agence Européenne des Médicaments a été faite sur base du registre communautaire des médicaments orphelins disponible sur le site de la Commission Européenne (9), ainsi que sur base des médicaments orphelins repris sur le site de l’Agence Européenne des Médicaments (10). Pour chaque demande, l’indication médicale pour laquelle le sponsor de l’essai clinique a introduit une demande de statut orphelin a été notée, de même que le code de cette indication repris dans la 10ème révision de la Classification Statistique Internationale des Maladies et des Problèmes de Santé Connexes (CIM-10). Cette codification s’est faite sur base des informations reprises sur le site d’Orphanet, le portail des maladies rares et des médicaments orphelins (11).
Depuis l’entrée en vigueur en 2000 du règlement européen (CE) N° 141/2000 concernant les médicaments orphelins, le nombre de demandes de désignation du statut de médicament orphelin introduites auprès du Comité des Médicaments Orphelins de l’Agence Européenne des Médicaments a considérablement augmenté (Figure 1). En effet, 14 demandes ont été introduites la première année de mise en application de ce règlement en 2000. Dix années plus tard, 130 demandes ont été introduites. En 2014, ce nombre était de 195, ce qui représente une augmentation relative de 1292.9% depuis 2000, et de 50.0% depuis 2010. Entre janvier et octobre 2015, 159 nouvelles demandes ont déjà été introduites (Figure 1).
Au total, 1586 demandes ont été enregistrées, dont environ 1.5% ont été refusées (n=23/1586) (Figure 1). Parmi les 1563 demandes dont le statut de médicament orphelin a été octroyé, une sur cinq a depuis été retirée (n=308/1563, 19.4%) et 12 demandes ont expiré suite à la mise sur le marché de ces médicaments orphelins depuis au moins 10 ans. Pour les demandes de statut de médicament orphelin retirées, il s’agit soit d’une demande de retrait de la désignation orpheline du registre communautaire faite par le sponsor de l’essai clinique, soit d’un médicament retiré du marché. Sur les 1586 demandes de statut de médicament orphelin introduites, 93.9% d’entre elles concernaient le traitement d’une maladie rare (n=1489/1586), 5.4% la prévention d’une maladie rare (n=85/1586) et 0.7% le diagnostic d’une maladie rare (n=12/1586). Actuellement, sur les 1243 médicaments orphelins en cours de développement ou mis sur le marché, 93.4% concernent le traitement d’une maladie rare (n=1161/1243).
Sur les 1563 demandes de statut de médicament orphelin octroyées, plus d’un tiers concerne le traitement, le diagnostic ou la prévention d’une tumeur rare (37.4%, n=584/1563), un quart une maladie rare endocrinienne, nutritionnelle ou métabolique (16.1%, n=251/1563) et un dixième un maladie rare du système nerveux (9.0%, n=140/1563) (Tableau 1). Au total, ce top 3 rassemble près de deux tiers des demandes octroyées (62.4%, n=975/1563) et 61.4% des médicaments orphelins toujours en cours de développement (n=763/1243).
Grâce aux différentes règlementations mises en place dans l’Union Européenne pour encourager le développement de médicaments orphelins, 96 médicaments orphelins différents ont obtenu une autorisation de mise sur le marché jusqu’en octobre 2015. Parmi ces 96 médicaments, 13 ont reçu cette autorisation pour deux maladies rares différentes et un pour trois maladies rares différentes, ce qui représente un total de 111 autorisations de mise sur le marché différentes. Aujourd’hui, 12 de ces médicaments ont dépassé les 10 années d’exclusivité sur le marché et ont dès lors perdu ce statut orphelin. La moitié des autorisations de mise sur le marché ont été délivrées entre janvier 2011 et octobre 2015, démontrant le boom du développement des médicaments orphelins depuis l’introduction du règlement européen (CE) N°141/2000 concernant les médicaments orphelins (Figure 2).
Parmi les 111 autorisations de mise sur le marché différentes, 38.7% concernent des tumeurs rares (n=43/111) et 27.9% une maladie endocrinienne, nutritionnelle ou métabolique rare (n=31/111). Parmi les 96 médicaments orphelins différents qui ont obtenu une autorisation de mise sur le marché, 4 sur 10 sont des antinéoplasiques et agents immunomodulateurs (n=39/96, 40.6%) et 2 sur 10 sont des médicaments qui concernent des maladies rares de l’appareil digestif et au métabolisme (n=19/96, 19.8%) (Figure 3).
Enfin, trois médicaments orphelins ayant eu une autorisation de mise sur le marché délivrée en 2014 ou 2015 n’ont pas encore de code ATC (Anatomical Therapeutic Chemical) attribué (Figure 3). Plus précisément, 30.2% sont des agents antinéoplasiques (code ATC L01, n=29/96) et 16.7% d’autres produits liés à l’appareil digestif et au métabolisme (code ATC A16, n=16/96) (Figure 3). La troisième classe de médicament la plus fréquente et qui représente 6.3% de l’ensemble des médicaments orphelins ayant reçu une autorisation de mise sur le marché est composée des agents immunosuppresseurs (code ATC L04, n=6/96).
Après avoir obtenu l’autorisation de mise sur le marché auprès de l’Agence Européenne des Médicaments, la mise sur le marché, la fixation du prix et l’éventuel remboursement du médicament sont négociés de manière individuelle dans chaque pays de l’Union Européenne. En Belgique, chaque firme pharmaceutique doit introduire une demande de fixation du prix maximum du médicament auprès du Service Public Fédéral Economie, PME, Classes moyennes et Energie, après avoir reçu l’autorisation de mise sur le marché par l’Agence fédérale des médicaments et des produits de santé (AFMPS). Si elle le désire, la firme peut également introduire, au même moment, une demande de remboursement pour le médicament orphelin auprès de l’Institut national d’assurance maladie-invalidité (INAMI), afin que celui-ci puisse être remboursé aux patients. Cette demande de remboursement est alors évaluée par la Commission de remboursement des médicaments (CRM) de l’INAMI, organe consultatif pour la ministre des Affaires Sociales et de la Santé Publique en ce qui concerne le remboursement des spécialités pharmaceutiques. En Belgique, dans le cadre du remboursement d’un médicament orphelin, une analyse pharmaco-économique ne doit pas être donnée, contrairement aux autres spécialités pharmaceutiques. Enfin, sur base de l’avis de la CRM et de l’Inspecteur des Finances, ainsi que de l’accord du Ministre du Budget, la ministre des Affaires Sociales et de la Santé Publique prend la décision définitive de rembourser ou non un médicament orphelin. Aujourd’hui, en Belgique, environ 60 médicaments orphelins sont disponibles pour les patients. Certains de ces médicaments ont reçu le statut de médicament orphelin par l’AFMPS et non via la procédure centralisée auprès de l’Agence Européenne des Médicaments, puisqu’ils étaient commercialisés avant l’entrée en vigueur en 2000 du règlement européen (CE) N° 141/2000 concernant les médicaments orphelins. Presque tous ces médicaments sont entièrement remboursés dans notre pays. En avril 2015, M. de Block, la Ministre belge des Affaires Sociales et de la Santé Publique, a annoncé la signature d’un protocole d’accord avec son homologue des Pays-Bas afin de négocier de manière commune le prix des médicaments orphelins avec les firmes pharmaceutiques. En effet, les médicaments orphelins sont coûteux et posent de nouveaux défis pour la durabilité de notre système de santé. Une étude a estimé que le coût annuel d’un médicament orphelin par patient varie entre 1015 euros et 528576 euros, avec une médiane de 43361 euros (12). Le prix d’un médicament est fixé sur base de l’investissement d’une firme pharmaceutique en recherche et développement, du nombre attendu de personnes pouvant bénéficier du médicament, et d’une certaine marge de profit (5). Dans le cadre des médicaments orphelins, le nombre attendu de personnes atteintes de la maladie rare et pouvant donc bénéficier du médicament peut être faible, ce qui a pour conséquence de faire augmenter le prix de ces médicaments (13). Toutefois, certains auteurs estiment que le coût de certains médicaments orphelins n’est pas entièrement justifié (14, 15). Une véritable politique de santé concernant la fixation du coût et du remboursement des médicaments orphelins doit se mettre en place dans l’Union Européenne afin de garantir la durabilité de nos systèmes de santé face à l’augmentation exponentielle du nombre de médicaments orphelins coûteux sur le marché (16-18). Le projet annoncé en avril 2015 de négocier, la Belgique et les Pays-Bas ensemble, le prix des médicaments orphelins avec les firmes pharmaceutiques afin de diminuer celui-ci présente donc un triple avantage potentiel : 1) un avantage pour les firmes pharmaceutiques qui bénéficieront d’un nombre de patients plus élevé qui pourraient bénéficier de ce médicament et qui ne devront introduire qu’une demande pour les deux pays au lieu de deux demandes séparées ; 2) un avantage pour la durabilité du système de santé de chaque pays avec une négociation à la baisse du prix d’un médicament orphelin sur base d’un nombre de patients potentiels plus élevé; et 3) le plus important, un avantage pour les patients qui pourront bénéficier de l’arrivée de ce médicament sur notre marché. Ce projet pilote sera lancé en 2016 avec une évaluation prévue à la fin de celui-ci. Les Ministres de la santé d’autres pays de l’Union Européenne ont déjà marqué leur intérêt de se joindre à ce projet dans le futur. Fin septembre 2015, le Grand-Duché du Luxembourg a également signé cet accord et se joindra à la Belgique et aux Pays-Bas dans le cadre de ce projet pilote pour négocier avec les entreprises pharmaceutiques le prix des médicaments orphelins.
(1) Institute of Health and Society (IRSS), Université catholique de Louvain, Brussels, Belgium
(2) Haemostasis and Thrombosis Unit, Division of Haematology, St-Luc University Hospital, Brussels, Belgium
Mme Séverine Henrard, MSc, MPH, PhD
Institute of Health and Society (IRSS)
Université catholique de Louvain Clos Chapelle-aux-champs, 30 B1.30.15
1200 Brussels, Belgium
Tel.: +32 2 764 34 68 Fax: +32 2 764 34 70
E-mail: severine.henrard@uclouvain.be
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