En décembre 2019, une nouvelle infection appelée coronavirus 2019 (COVID-19) est apparue à Wuhan, en Chine. L’agent pathogène responsable du COVID-19 est le « severe acute respiratory syndrome coronavirus 2 » (SRAS-CoV-2), un virus à ARN de la famille des Coronaviridae. La pandémie actuelle de COVID-19 est une préoccupation mondiale. Les caractéristiques cliniques du COVID-19 ont été largement décrites, avec principalement fièvre et symptômes respiratoires tels que rhinorrhée, toux sèche et dyspnée. Les céphalées, les diarrhées, les myalgies, l’agueusie ou l’anosmie sont moins fréquentes (1). Les patients sévèrement atteints peuvent développer un syndrome de détresse respiratoire aiguë évoluant même dans certains cas vers une défaillance multisystémique avec un taux de mortalité élevé. Les manifestations cutanées sont considérées comme des présentations peu fréquentes du COVID-19. Malgré les cas émergeants dans la littérature, aucun lien de causalité n’a, à ce jour, pu être formellement démontré (2).
Exanthème, urticaire, érythème polymorphe, éruption purpurique
Depuis le début de la pandémie, des manifestations cutanées associées au COVID-19, notamment des exanthèmes morbilliformes ou roséoliformes (3), des éruptions maculo-papuleuses du visage, des urticaires généralisées (4, 5), des éruptions à type de varicelle (6, 7), mais aussi des érythèmes polymorphes et des éruptions purpuriques (8) ont été rapportés via la littérature scientifique (9) et sur les réseaux sociaux (10) (Figure 1). Le COVID-19 n’est cependant pas toujours confirmé. Ces éruptions sont en effet connues pour être associées à des infections virales et sont communément appelées éruptions virales ou para-virales. Elles ne sont cependant pas spécifiques du SARS-CoV-2 et peuvent par ailleurs avoir d’autres causes, notamment médicamenteuses. Les patients atteints de COVID-19 sont en effet susceptibles de développer des réponses indésirables aux médicaments administrés dans le cadre de l’infection (notamment médicaments de support et anti-infectieux) provoquant des réactions cutanées secondaires, à tout moment de l’évolution de la maladie.
Maladie de Kawasaki
Les enfants sont généralement moins sévèrement atteints par le COVID-19 que les adultes. A noter toutefois une observation très récente de maladie de Kawasaki dans un contexte de COVID-19 confirmé (11). Des alertes ont été lancées ces dernières semaines tant en Espagne qu’au Royaume-Uni, avec plusieurs cas rapportés.
Lésions ischémiques périphériques et engelures
D’autres manifestations cutanées, classiquement non considérées comme para-virales, telles que des lésions acrales ischémiques, ont été observées, d’une part chez des adultes présentant des formes graves de COVID-19 (12) , mais également chez des patients plus jeunes et à priori en bonne santé (13) (Figure 2).
Les lésions acro-ischémiques, observées chez les patients COVID-19 en situation sévère ou critique, se présentent sont forme de lésions cyanotiques périphériques, de livedos réticulés, avec parfois des lésions bulleuses pouvant évoluer jusqu’à la gangrène sèche. Ces lésions semblent secondaires aux conséquences systémiques du COVID-19, en particulier la vasculopathie thrombotique. Des phénomènes microthrombotiques se produisent en effet dans les petits vaisseaux des poumons des patients atteints de pneumonie COVID-19 mais aussi dans d’autres organes, tels que le foie ou les reins (14). Un mécanisme physiopathologique similaire à celui observé dans la pneumonie COVID-19 pourrait être responsable de ces lésions cutanées (15) .
Par ailleurs, depuis le début de la pandémie, les réseaux sociaux et depuis peu aussi quelques publications scientifiques, font état dans plusieurs pays, dont l’Italie, l’Espagne, la France, la Belgique et les États-Unis, d’une multiplication du nombre d’éruption à type d’engelures en particulier au niveau des pieds, et plus rarement des mains, principalement chez des enfants, adolescents et jeunes adultes (9, 10, 13, 16-18). Les patients sont pour la plupart asymptomatiques ou présentent des symptômes légers possiblement corrélés avec le COVID-19. Les lésions se présentent typiquement comme des engelures à savoir sous forme de macules rouges ou rouges violacées, atteignant principalement les orteils et les doigts, en particulier au niveau péri-unguéal. Elles peuvent prendre un aspect bulleux central et même avoir une évolution nécrotique. Elles sont généralement douloureuses et/ou prurigineuses. Les engelures sont généralement observées en hiver et surviennent après une exposition au froid. Au vu du grand nombre de patients touchés et des températures extérieures exceptionnellement élevées au cours du mois de l’observation des cas, l’exposition au froid comme facteur étiologique de ces lésions semble peu probable. Un lien entre ces engelures et le COVID-19 est donc évoqué (13, 16, 18-22) .
Dans une étude récemment menée dans le Service de Dermatologie aux Cliniques universitaires Saint-Luc (23), nous avons voulu déterminer si les engelures, observées chez de nombreux patients, étaient indicatives d’une infection par COVID-19. Sur une cohorte de 31 patients présentant ces lésions ischémiques des extrémités, des RT-PCR pour détecter la présence du SRAS-CoV-2 dans les frottis nasopharyngés ont été réalisées chez tous les patients ainsi que dans la peau chez 22 d’entre eux. Des tests sérologiques avec recherche des anticorps IgM et IgG spécifiques anti-SARS-CoV-2 ont également été effectués chez tous les patients. Des analyses sanguines larges pour exclure une maladie auto-immune ou toute autre cause d’engelures, ainsi que des biopsies cutanées pour des examens histologiques (22 patients) et d’immunofluorescence (15 patients) ont également fait partie du bilan. Toutes les RT-PCR réalisées, de même que les analyses sérologiques, se sont révélées négatives. Par ailleurs, aucune anomalie biologique significative notamment suggérant une maladie systémique n’a été mise en évidence. Ces lésions cutanées ne semblent donc pas être directement liées à l’infection par COVID-19. Les changements de mode de vie associés aux mesures de confinement de la communauté pendant cette période de pandémie sont une explication possible de ces lésions. En effet, tous les patients de l’étude travaillaient ou suivaient les cours à domicile depuis le début des mesures de confinement imposées par le gouvernement Belge (11 mars 2020) ou étaient temporairement au chômage. Suite aux mesures de confinement, la majorité des patients ont confirmé une diminution de leur activité physique et un temps nettement plus long passé en position sédentaire devant des écrans (ordinateurs, tablettes, télévisions et jeux vidéo). Certains patients ont également mentionné une consommation de drogues récréatives, de médicaments à base de plantes et/ou de boissons énergétiques qui peuvent également favoriser le développement d’engelures. Enfin, la plupart des patients ont déclaré qu’ils restaient pieds nus ou en chaussettes la majeure partie de la journée. Tous ces changements de mode de vie peuvent être considérés comme des facteurs de risque pour le développement des engelures. Il semble donc plausible que le confinement, par ses effets collatéraux, puisse être à l’origine de ces lésions (24). Il est intéressant de noter que l’Indice de Masse Corporelle (IMC) moyen des patients inclus était relativement faible (9 patients < 20), ce qui confirme que les personnes minces sont plus à risque de développer ces engelures. Les manifestations cutanées semblent se produire chez des patients qui sont par ailleurs en bonne santé. Seuls quelques patients ont signalé des antécédents de phénomène de Raynaud ou d’engelures en hiver et, dans certains cas, les analyses sanguines ont révélé un FAN positif isolé. Ces conclusions doivent toutefois être prisent avec beaucoup de réserve notamment en raison de la taille de l’échantillon de patients (limitée par la volonté de mettre rapidement à disposition des données cliniques validées pendant cette pandémie en évolution rapide), et de l’absence de suivi à long terme. Par ailleurs, bien que des tests sérologiques aient été effectués chez tous les patients, nous sommes conscients qu’à ce jour, de nombreuses questions restent sans réponse en ce qui les concerne, notamment en matière d’immunisation.
Conclusion
Les manifestations cutanées du COVID-19 peuvent se présenter en 4 principaux groupes cliniques et étiologiques :
- des éruptions aux caractéristiques cliniques similaires aux exanthèmes viraux, induites par la réponse immunitaire aux nucléotides viraux ;
- des éruptions cutanées secondaires aux conséquences systémiques du COVID-19, en particulier la vascularite et la vascularopathie thrombotique ;
- des éruptions cutanées provoquées par des médicaments prescrits dans le cadre du COVID-19 ;
- des lésions cutanées telles que les engelures pour lesquelles un rôle étiologique du COVID-19 n’a pu être démontré et qui sont probablement une conséquence indirecte de la pandémie COVID-19 et des mesures de confinement.
Les lésions cutanées observées dans le décours de la pandémie au COVID-19 doivent être interprétées avec prudence. Des tests fiables (RT-PCR et tests sérologiques) sont indispensables pour confirmer l’association entre le COVID-19 et ces manifestations cutanées.
Des études cliniques sont essentielles pour préciser les caractéristiques cliniques de ces éruptions, leurs mécanismes physiopathologiques et leur rôle en termes de prédiction de l’évolution de la maladie.
Affiliations
Service de Dermatologie, Cliniques universitaires Saint-Luc, Université catholique de Louvain (UCLouvain), Avenue Hippocrate 10, 1200, Bruxelles, Belgique
Correspondance
Pr. Marie Baeck, MD. PhD.
Cliniques universitaires Saint-Luc
Service de Dermatologie
Avenue Hippocrate, 10
B-1200 Bruxelles
marie.baeck@uclouvain.be
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