Introduction
Environ 3000 substances actives sur le plan pharmaceutiques sont autorisées en Europe. En fonction du contexte, jusqu’à 70% de la consommation totale des médicaments à l’hôpital peut se retrouver sous forme de résidus dans les eaux usées via les processus d’excrétion dans les urines et les selles des patients, et via les évacuations directes et le nettoyage (1). Les hôpitaux ne contribuent pas seuls à la charge pharmaceutique des effluents d’une ville étant donné que la majorité des médicaments sont consommés au niveau domestique. On estime cependant qu’environ 20% des résidus pharmaceutiques dans les eaux usées proviennent des infrastructures de soins (1). Cette contribution à la charge pharmaceutique dans les effluents varie fortement en fonction du nombre de lits et des services fournis par l’hôpital (2). Les résidus médicamenteux se retrouvent ainsi en plus ou moins grande quantité sous forme de micropolluants dans les eaux usées de l’hôpital.
Les micropolluants sont définis comme des composés organiques ou minéraux qui sont toxiques pour l’homme et les écosystèmes à très faibles concentrations. Le microgramme par litre (μg/l) ou même le nanogramme par litre (ng/l) sont les ordres de grandeurs auxquels ces polluants sont toxiques. Parmi les micropolluants d’origine pharmaceutique, on retrouve :
- Les médicaments consommés largement au sein de la population : des antibiotiques, des analgésiques, des bétabloquants, des diurétiques, des antidépresseurs, des anti-inflammatoires, des antiépileptiques, des bronchodilatateurs…
- Les perturbateurs endocriniens et hormones : ce sont des composés qui vont interagir avec le système hormonal comme l’œstradiol.
- Les agents de contraste utilisés principalement dans les services d’imagerie médicale pour réaliser des examens tels que les radiographies, les résonances magnétiques et les échographies.
Les résidus pharmaceutiques peuvent pénétrer dans l’environnement tout au long de leur cycle de vie (production, consommation, élimination). En Europe, 596 substances pharmaceutiques ont été pu être détectées dans les eaux usées (3). Les molécules identifiées ont été retrouvées sous leur forme d’origine ou sous forme de métabolites ou autres produits de transformation.
Les stations d’épuration dans lesquelles les effluents chargés en résidus pharmaceutiques arrivent sont conçues pour épurer les substances et nutriments biodégradables et ne sont pas en mesure de dégrader complètement les micropolluants. Les résidus pharmaceutiques peuvent donc passer la barrière de l’épuration municipale et se retrouver finalement dans les eaux de surface (par exemple, les lacs et les rivières) et entrer dans le cycle de l’eau. Ils peuvent ainsi aboutir jusque dans l’eau potable où de faibles quantités de substances pharmaceutiques ont été détectées.
Stratégies de réduction des résidus pharmaceutiques dans les eaux de surface
Afin de limiter l’entrée des résidus pharmaceutiques dans le cycle de l’eau, il y a lieu de mettre en œuvre des actions en amont (limitation des rejets et éco-conception) et en aval (épuration).
L’éco-conception se définit par la mise en œuvre de soins éco-conçus. « Éco-concevoir un soin c’est réaliser un soin ayant un moindre impact sur les plans sanitaire, économique, social et environnemental à court, moyen et long terme » (8). La limitation de l’utilisation des médicaments via les mécanismes de dé-prescription constitue la manière la plus efficaces de limiter l’excrétion. En outre, la dé-prescription représente un co-bénéfice important en termes de limitation de l’empreinte carbone des soins de santé (4). Adapter la quantité de médicament au poids du patient est également recommandé afin de réduire l’excrétion dans les urines et les selles. Enfin, éviter toute évacuation par les éviers est indispensable pour limiter toute charge pharmaceutique inutile. Au-delà de la limitation des rejets de résidus médicamenteux, il est également possible de sélectionner les médicaments sur base de leur impact écologique. Le comité pour les médicaments et la thérapeutique de Stockholm a publié le hazard score (anciennement indice PBT) des médicaments les plus utilisés afin d’éclairer les prescripteurs sur leur impact environnemental (5,6). Le hazard score octroie une note de 0 à 9 pour chaque molécule active sur le plan pharmaceutique afin de préciser son potentiel polluant au regard de la structure chimique des molécules. Il est calculé de la manière suivante :
- La persistance, c’est-à-dire la capacité à se dégrader dans l’environnement de 0 à 3
- La bioaccumulation dans les organismes aquatiques de 0 à 3
- La toxicité dans l’environnement de 0 à 3
L’utilisation de ce score permet de s’inscrire dans une démarche d’éco-conception au niveau des prescriptions. Par exemple, il a été montré que les inhibiteurs de la pompe à protons commercialisés en France et présentant les mêmes indications, une efficacité et une tolérance équivalentes ont des hasard scores différents et ne présentent donc pas le même potentiel polluant (6).
L’épuration des résidus pharmaceutiques directement en sortie de l’hôpital est une option intéressante à la réduction de l’impact environnemental des médicaments. Différentes solutions ont été développées spécifiquement pour traiter les eaux usées issues des hôpitaux (7). Par exemple, le procédé Medix® développé par John Cockerill en collaboration avec le Cebedeau, a été testé en pilote à la clinique Saint-Pierre d’Ottignies et s’est révélé capable d’éliminer en moyenne de 70 à 100% des résidus pharmaceutiques par un processus d’épuration biologique (Figure 1).
La première étape du processus consiste à favoriser le développement de micro-organismes capables de dégrader les micropolluants dans un bioréacteur divisé en niches écologiques. Ces micro-organismes se présentent sous forme de flocs (suspendus dans le bioréacteur) et colonies (fixées sur des matériaux synthétiques en suspension dans le bioréacteur par aération) appelés « biofilms ». Ils évoluent alternativement dans les conditions d’aérobie (avec oxygène dissous) et d’anoxie (sans oxygène dissous mais avec des nitrates). Lorsqu’une grande partie de la micropollution est dégradée, les micro-organismes épurateurs sont séparés de l’eau traitée par filtration sur membrane. Grâce à leur faible porosité, les membranes captent plus de 99,9% des principaux microorganismes pathogènes tels que bactéries et virus. La filtration mise en œuvre permet notamment de retenir les bactéries potentiellement résistantes aux antibiotiques dont la croissance est favorisée par la présence de résidus d’antibiotiques dans les effluents hospitalier. Cette étape génère des boues qui doivent être incinéré hors site. La deuxième étape du processus biologique implique la biofiltration : l’eau est épurée grâce au charbon actif recyclé colonisé par une nouvelle population microbienne qui utilise des résidus pharmaceutiques comme source d’énergie. Le charbon actif est utilisé pour sa capacité à adsorber facilement les polluants organiques. Le projet pilote mis en place à la clinique Saint-Pierre d’Ottignies traite actuellement un débit nominal de 1m³/heure, ce qui représente les eaux usées de quelque 70 à 80 lits d’hôpitaux. L’ensemble du processus conduit à un taux d’élimination > 90% de la macro-pollution et à un taux d’élimination global > 95% de résidus pharmaceutiques dans les eaux usées (7).
Conclusion
Les rejets de micropolluants pharmaceutiques dans les effluents des hôpitaux peuvent être réduits en combinant deux approches. En amont, l’éco-conception du soin interrogera chaque étape de la prise en charge du patient à l’hôpital afin de limiter les rejets polluants en adaptant les prescriptions adaptation au poids du patient, dé-prescription, sélection de molécules moins impactantes, éviter les rejets liés au nettoyage etc. En aval, une épuration adéquate permet de limiter l’impact des micropolluants. Différentes solutions existent et les résultats déjà obtenus sont encourageants.
Affiliations
1. Conseillère en développement durable à la direction générale du CHU UCL Namur, collaboratrice scientifique au sein de l’Institut de Recherche Santé Société de l’UCLouvain
2. Chief Technology Officer, John Cockerill Balteau, Rue de la Légende 63 - BE 4141 Sprimont
Correspondance
Mme Pauline Modrie
CHU UCL Namur
Avenue Docteur G. Therasse, 1
B-5530 Yvoir
Références
- Adamczak, K. L.-C. (2012). Pharmaceutical residues in the aquatic system – a challenge for the future. Emschergenossenschaft.
- OECD. (2019). Pharmaceutical Residues in Freshwater: Hazards and Policy Responses. Paris: OECD Studies on Water, OECD Publishing. doi:https://doi.org/https://doi.org/10.1787/c936f42d-en
- Dusi Eike, R. M. (2019). The database "Pharmaceuticals in the . Dresden: GWT-TUD GmbH.
- The Shift Project. (2019). Décarboner la santé pour soigner durablement. The Carbon Transition Think Tank.
- Janusinfo. (2023). Classification. Récupéré sur https://janusinfo.se/beslutsstod/.
- Stockholm County Council. (2014-2015). Environmentaly Classified Pharmaceuticals. Récupéré sur https://noharm-europe.org/sites/default/files/documents-files/2633/Envir...
- Health Care Without Harm. (2021). Pharmaceutical residues in hospital wastewater - Five case studies from european hospitals. Source : Agence Primum Non Nocere