Le but du contrôle glycémique du diabète est de prévenir la survenue (prévention primaire) ou de ralentir la progression des complications microvasculaires. L’hyperglycémie chronique satisfait à tous les critères d’Austin Bradford Hill définissant un facteur de risque vasculaire pour les microvaisseaux rétiniens, glomérulaires et nerveux. L’appréciation du contrôle glycémique global d’un individu (pré)diabétique inclut les valeurs contemporaines et séculaires d’HbA1c; la survenue d’hypoglycémies; la durée passée dans la zone-cible du glucose; les antécédents éventuels d’acido-cétose; les antécédents éventuels d’hypoglycémies sévères; la présence ou le risque de survenue de complications micro- et/ou macrovasculaires; les comorbidités cardiométaboliques associées (obésité; composantes du syndrome métabolique; troubles du comportement alimentaire); les problèmes psychologiques comorbides; et les interférences socioprofessionnelles liées à l’affection.
La mesure de l’HbA1c comme biomarqueur de l’exposition glycémique totale récente s’est imposée sur d’autres mesures, telles la fructosamine ou la mesure des advanced glycation end-products (AGEs) circulants ou tissulaires. La mesure, bien standardisée du taux d’HbA1c est donc devenue incontournable dans le suivi des patients diabétiques. Ce taux (valeur normale 4.0-6.0% [20-42 mmol/mol]) représente le biomarqueur d’hyperglycémie chronique le mieux validé (études DCCT (DT1) et UKPDS (DT2)) dans la prédiction de survenue ou de progression des complications microvasculaires à long terme, et la valeur intégrée de ce biomarqueur de glycation est une mesure ancillaire des processus impliqués dans la genèse des complications microangiopathiques. On dose l’HbA1c dans les situations suivantes : mesure-étalon du risque de complications microangiopathiques incidentes; mesure-étalon de jugement du degré de contrôle métabolique; mesure-étalon de décision dans les algorithmes thérapeutiques (et en Belgique de remboursement de certains traitements); variable d’évaluation pharmaco-économique ; paramètre de dépistage et de suivi épidémiologique; critère d’évaluation pour l’approbation de nouveaux agents pharmacologiques ou de dispositifs non-médicamenteux de prise en charge du diabète; et biomarqueur diagnostique de la présence d’un (pré)diabète.
Les valeurs-cibles d’HbA1c à viser chez les patients diabétiques (hors diabète gravidique) sont habituellement de 6.5-6.9%, avec des cibles légèrement plus basses (6.0-6.5%) pour les patients ayant une bonne autonomie thérapeutique ; une espérance de vie élevée au diagnostic de diabète ; une situation socio-éducative favorable ; un taux faible de co-morbidités vasculaires ou autres liées au diabète ; et/ou une bonne perception des hypoglycémies. Inversement, une cible d’HbA1c légèrement plus élevée (7.0-7.5%) sera recherchée chez les patients à autonomie thérapeutique faible ; avec espérance de vie réduite au diagnostic de diabète ; en situation socio-éducative défavorable ; ayant une prévalence élevée de co-morbidités vasculaires ou autres liées au diabète ; et/ou une mauvaise perception des hypoglycémies.
Les désavantages liés à l’utilisation du taux d’HbA1c dans l’évaluation de l’exposition au glucose sont: le fait qu’il représente l’intégration “lissée” de l’exposition au glucose sanguin d’une période relativement longues (semaines à mois); les interférences possibles; de par sa nature de biomarqueur de l’aire sous la courbe glycémique des derniers mois/semaines, l’HbA1c ne fournit qu’une appréciation indirecte de la présence d’hypoglycémies, et aucune mesure de la variabilité ou de l’instabilité glycémique; et elle ne fournit aucune traçabilité temporelle des évènements hypo- ou hyperglycémiques récents. L’évaluation clinique de la qualité du contrôle glycémique essentiellement basée sur l’HbA1c et/ou la valeur glucométrique moyenne est néanmoins de plus en plus considérée comme insuffisante, voire obsolète. On a proposé d’ajouter à ces mesures celle de la durée passée dans la zone-cible du glucose capillaire ou interstitiel.
Chez des sujets avec homéostasie glucidique normale, la réalisation de profils glucométriques ambulatoires et plus récemment l’utilisation du CGM (continuous glucose measurement) ont illustré la remarquable stabilité du glucose au cours du nycthémère. Depuis juillet 2016, le suivi des glycémies dans le diabète à l’aide de CGM du glucose interstitiel est accessible, et remboursé intégralement ou partiellement en Belgique, chez des DT1 et DT2 insulino-traités par injections multiples d’insuline. Cette disponibilité de la mesure ambulatoire du glucose par capteurs sous-cutanés était précédemment circonscrite à certains patients porteurs de pompe à insuline. Elle nécessite de facto un apprentissage pour les patients et les équipes médicales et paramédicales à l’interprétation des résultats de l’ambulatory glucose profile (AGP), obtenu soit à partir de glucométries capillaires (SMBG: self monitoring of (capillary) blood glucose) à haute fréquence (>7/jour) et/ou sur la base d’un CGM continu ou épisodique, à partir du liquide interstitiel sous-cutané. Une remarque préliminaire concerne le fait que lors d’un CGM à partir de liquide interstitiel, il existe une latence de la mesure continue du glucose interstitiel par rapport à la glycémie reste une limitation. Cette latence représente la détection retardée des changements de glycémie au niveau du capteur de glucose interstitiel. Ceci peut engendrer des effets indésirables sur la mesure du glucose, notamment des distorsions de la hauteur et de la forme des pics de glucose ; des interprétations erronées de retards à l’élévation et à la descente des valeurs du glucose ; et un lissage du signal glucosé original.
Des experts ont proposé d’harmoniser les rapports statistiques et graphiques des données de patients recourant à des dispositifs de CGM provenant de différents fabricants, de manière à fournir un rapport succinct (idéalement 1 page) destiné à optimiser la prise de décision thérapeutique en matière d’hyperglycémie. Les statistiques générées par l’AGP comportent 12 variables-clés: (i) l’exposition glycémique, inférée à partir de la glycémie moyenne et de l’eHBA1c (estimated HbA1c ; obtenue par dérivation de l’équation de l’eAG (estimated average glucose) fournie par l’étude ADAG); (ii) la variabilité glycémique, inférée à partir de l’écart-type (SD; standard deviation) des glucométries et/ou de l’étendue interquartile des glucométries (IQ range); (iii) les proportions respectives de valeurs hypoglycémiques basses (<70 mg/dL); très basses (<60 mg/dL); et dangereusement basses (<50 mg/dL); (iv) la proportion de mesures dans la cible (habituellement de 70-180 mg/dL) ; (v) la proportion de valeurs glycémiques hautes (>180 mg/dL); très hautes (>240-250 mg/dL) et dangereusement hautes (>300-400 mg/dL); et (vi) la suffisance des données (nombre de tests/jour).
Les avantages liés à l’utilisation de la durée passée dans la zone-cible du glucose comme marqueur additionnel à l’HbA1c du contrôle métabolique sont nombreux. La durée dans la zone-cible intègre les épisodes hyper- et hypoglycémiques ; elle fournit une appréciation tant des risques métaboliques à court terme (essentiellement du fait des hypoglycémies) et à long terme (essentiellement dû à l’hyperglycémie); elle fournit un objectif à la fois physiologique et pragmatique pour améliorer le contrôle glycémique; et elle représente une excellente manière d’apprécier la “santé glycémique” d’un patient. Les désavantages liés à l’utilisation de la durée passée dans la zone-cible du glucose comme marqueur du contrôle métabolique sont l’absence de consensus sur la délimitation de cette zone (70-105 mg/dL; 70-180 mg/dL); l’absence de consensus sur la quantification de cette durée optimale et des durées respectives dans la zone prandiale et/ou post-prandiale; et le fait que l’accès à ce marqueur dépende dans une large mesure de l’accès au CGM et/ou à des glucométries capillaires pratiquées à haute fréquence.
Un contrôle glycémique idéal vise à la fois à optimiser le taux d’HbA1c, essentiellement en accroissant le temps passé dans la zone-cible, tout en minimisant le risque d’hypoglycémie (en réduisant la variabilité glycémique et le temps passé en hypoglycémie). L’évaluation clinique des interventions destinées à améliorer la glycémie devra intégrer, pour la comparaison de différents traitements, à la fois le risque d’hypoglycémie vs. le taux d’HbA1c, le risque d’hypoglycémie vs. la moyenne glycémique, la proportion de valeurs glycémiques hautes vs. celle des valeurs basses, etc. De même que pour l’HbA1c, la zone-cible pour la glycémie et/ou le glucose interstitiel (et l’objectif choisi pour la durée passée dans celle-ci) doivent bien évidemment être déterminées de manière individuelle. Les valeurs normales de référence (dérivées des moyennes [étendue ou « range », soit ±2 SD] d’une population contrôle) pour l’exposition glycémique d’un sujet sain sont :
- 91 [88-116] mg/dL pour l’exposition glycémique globale moyenne ;
- 4.8% pour l’eHBA1c (objectif <6%) ;
- 15 [10-26] mg/dL pour la variabilité glycémique (soit la SD) ;
- 17 [13-29] mg/dL pour l’IQ range des glycémies nycthémérales ;
- 94.8% pour la proportion de glucométries dans la cible de 70-180 mg/dL (objectif >90%) ;
- 5.2% pour la proportion de valeurs hypoglycémiques basses (<70 mg/dL; objectif <4%), avec une durée journalière cumulée passée <70 mg/dL de 1.2 h/jour, et un nombre moyen d’épisode(s) (l’épisode étant défini comme >10 minutes de mesures consécutives dans une zone extrême) journalier(s) <70 mg/dL de 1.4 ;
- 2.1% pour la proportion de valeurs hypoglycémiques très basses (<60 mg/dL; objectif 0%), avec une durée journalière cumulée moyenne passée <60 mg/dL de 0.5 h/jour, et un nombre moyen d’épisode(s) journalier(s) <60 mg/dL de 0.8 ;
- 0.4% pour la proportion de valeurs hypoglycémiques dangereusement basses (<50 mg/dL; objectif 0%), avec une durée journalière cumulée moyenne passée <50 mg/dL de 0.1h/jour, et un nombre moyen d’épisode(s) journalier(s) <50 mg/dL de 0.1 ;
- 0% pour la proportion de valeurs hyperglycémiques élevées (>180 mg/dL; objectif <6%), avec une durée journalière cumulée moyenne passée >180 mg/dL de 0h/jour, et un nombre moyen d’épisode(s) journalier(s) >180 mg/dL de 0 ;
- 0% pour la proportion de valeurs hyperglycémiques très élevées (>250 mg/dL; objectif 0%), avec une durée journalière cumulée moyenne passée >250 mg/dL de 0h/jour, et un nombre moyen d’épisode(s) journalier(s) >250 mg/dL de 0 ;
- 0% pour la proportion de valeurs hyperglycémiques dangereusement élevées (>400 mg/dL; objectif 0%), avec une durée journalière cumulée moyenne passée >400 mg/dL de 0h/jour, et un nombre moyen d’épisode(s) journalier(s) >400 mg/dL de 0.
Chez des patients non-diabétiques en situation critique de soins intensifs, il existe une association entre le fait d’être situé >80% du nycthémère en euglycémie (définie comme 70-140 mg/dL) et la survie. Il n’est toutefois pas établi qu’une intervention de normalisation de la glycémie chez ces patients soit cliniquement bénéfique. Dans l’analyse initiale de la DCCT, la variabilité glycémique (comme marqueur d’instabilité glycémique) n’était pas prédictive de survenue de microangiopathies pour le DT1, alors que la moyenne des glycémies quotidiennes et l’hyperglycémie pré- et post-prandiale étaient prédictives de maladie cardiovasculaire incidente. Dans le DT2, la variabilité de la glycémie à jeun était prédictive de mortalité CV au long cours (Verona Diabetes Study), les patients avec variabilité de 8.5% ayant une survie nettement plus favorable à 10 ans que les patients avec des variabilités de 15% et de 28%. La valeur prédictive néfaste de la variabilité de la glycémie à jeun a été également observée pour le DT2 dans la Taichung Diabetes Study, influençant la mortalité de toutes causes et de cause spécifique. Dans l’étude ADVANCE, la variabilité glycémique était associée au risque incident de complications micro- et macrovasculaires, tandis que la variabilité inter-visites des mesures d’HbA1c était associée aux évènements macrovasculaires. Dans l’étude Atherosclerosis Risk in Communities (ARIC), un taux abaissé en 1,5-anhydroglucitol était associé à la mortalité et au risque CV en cas de DT2, même après ajustement pour la glycémie à jeun et l’HbA1c. En ce qui concerne le risque CV associé aux excursions post-prandiales, les essais cliniques ciblant cette composante de la variabilité glycémique ont produit des résultats non-consensuels (études STOP-NIDDM ; HEART2D ; NAVIGATOR).
Correspondance
Pr. Michel P. HERMANS, MD PhD DipNatSci DipEarthSci DipGeogEnv PGCert (Soc Sci)
Cliniques universitaires Saint-Luc
Service d’Endocrinologie & Nutrition
B-1200 Bruxelles
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