Occlusion veineuse rétinienne : quel est le rôle de la thrombophilie ?

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Gianfilippo Nifosì Publié dans la revue de : Novembre 2017 Rubrique(s) : Ophtalmologie
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Résumé de l'article :

L’occlusion veineuse rétinienne est la deuxième affection vasculaire rétinienne la plus fréquente. Son incidence est plus élevée chez le sujet âgé avec des facteurs de risque cardiovasculaire. L’hypertonie oculaire est le principal facteur local. Le rôle de la thrombophilie est important chez les sujets jeunes, les personnes sans facteurs de risque, lorsque l'histoire personnelle est positive pour la maladie thromboembolique veineuse, pendant la grossesse et quand l’occlusion est bilatérale. Dans ces cas, une étude des facteurs congénitaux ou acquis prédisposants doit être menée. Le rôle des nouveaux traitements locaux, du traitement anticoagulant et de la prophylaxie à long terme est discuté.

MOTS-CLÉS

Thrombophilie, circulation rétinienne, hyperviscosité, anticoagulation

Article complet :

Introduction

Les occlusions vasculaires rétiniennes comprennent l’occlusion veineuse rétinienne (OVR) et l’occlusion artérielle rétinienne (OAR). La neuropathie optique ischémique antérieure non artéritique (NOIA) est secondaire à une souffrance microvasculaire de la tête du nerf optique, cette portion étant vascularisée par un réseau issu de l’artère centrale de la rétine, des artères piales et des artères ciliaires courtes postérieures. Leur prévalence est indiquée dans la tableau 1.

 

L’OVR, deuxième affection vasculaire rétinienne la plus fréquente après la rétinopathie diabétique, est une cause majeure de perte de l’acuité visuelle. Selon Hayreh, on peut distinguer l’occlusion de la veine centrale rétinienne (OVCR), l’occlusion de la branche d’une veine rétinienne (OBVR), et l’occlusion veineuse hémi-rétinienne (OVHR) (1). L’occlusion de la branche est quatre fois plus fréquente que l’occlusion centrale. La prévalence augmente avec l’âge.
La pathogénèse n’est pas entièrement élucidée. En règle générale, elle représente le résultat d’événements multifactoriels, dont les principaux mécanismes incluent une lésion endothéliale, un ralentissement circulatoire et un état d’hypercoagulabilité. L’occlusion de branche semble être liée à la compression de la branche veineuse par une artériole rétinienne sclérotique et rigide aux points de croisement artério-veineux, l’artère et la veine partageant la même adventice à leur croisement. L’occlusion centrale est habituellement associée à la formation d’un thrombus fibrineux-plaquettaire dans la veine (2). Les principaux facteurs de risque associés au développement d’une OVR sont des facteurs locaux, notamment l’hypertonie oculaire, et systémiques, tels que les facteurs de risque cardiovasculaire (3).

Discussion

Dans la pathogénèse de l’OVR peuvent être affectées les plaquettes, la coagulation, la fibrinolyse et la viscosité.

Fonction plaquettaire

Elle a une place importante dans l’athérosclérose. Elle est difficile à étudier et l’a très peu été dans les OVRs, avec des résultats discordants. Une augmentation de la réponse plaquettaire à la thrombine (5), au collagène (6) et plus récemment à l’adénosine diphosphate (7) ont été signalées.

Coagulation

Dans la méta-analyse de Janssen (2005), les odds ratio (OR) étaient 1.5 pour le facteur V Leiden (FVL), 1.6 pour la mutation G20210A du gène de la prothrombine, 3.9 pour le syndrome des anticorps antiphospholipides (APL) et 8.9 pour l’hyperhomocystéinémie (8). Dans celle de Rehak (2008) l’OR pour le FVL était 1.66 (9). Plus récemment, dans 132 cas d’OVRs, Glueck a trouvé une association avec APL, déficit en protéine S, augmentation du Facteur VIII et hyperhomocystéinémie (10). Schockman a découvert au moins 1 facteur de thrombophilie sur 7 dans 50% d’OVRs. L’hyperhomocystéinémie et le facteur VIII étaient les deux plus importants facteurs de risque. Les patients avec FVL et G20210A n’avaient pas d’antécédents de maladie thromboembolique veineuse mais étaient sujets à une maladie vasculaire ischémique (11). Parmi les patients les plus jeunes (< 60 ans), sans facteur de risque cardiovasculaire, Arsene a trouvé 22 cas de thrombophilie sur 234 cas d’OVRs (9.4%). Le FVL, l’APL, le déficit en antithrombine III/protéine C/protéine S constituaient les anomalies les plus fréquentes (12). Les déficits thrombophiliques multiples semblent être plus fréquents chez les patients âgés de moins de 65 ans. L’augmentation du facteur VIII, le taux plasmatique élevé de lipoprotéine (a) (LpA) et la résistance à la protéine C activée sont les marqueurs de risque les plus courants (13). Une grande étude rétrospective récente menée en Suède sur un échantillon de 6.007.042 personnes a souligné que la maladie thromboembolique veineuse ne partage pas la familiarité avec l’OVR et le glaucome (14). Une fréquence particulière d’OVR a été signalée chez des jeunes femmes coréennes enceintes, la pré-éclampsie/éclampsie représentant un facteur de risque (15). L’hyperhomocystéinémie et le facteur VIII élevé sont d’importants facteurs de risque d’OVRs et de complications de la grossesse (16) (17). Le fait que l’OVR puisse constituer un facteur de risque d’accident vasculaire cérébral est un sujet très controversé. Il semble que les plaques carotidiennes athéroscléreuses y soient plus fréquemment associées, tandis que l’incidence des accidents vasculaires cérebraux est la même avant et après le diagnostic d’une OVR. Elle est associée à une augmentation de la mortalité cardiovasculaire chez les patients en dessous de 70 ans (HR 2.5) (18). Enfin, le score de Framingham à 10 ans est de 10.1% (19) (6% dans la population générale).

Fibrinolyse

Une altération de la fibrinolyse peut être responsable d’un état de thrombophilie (20). L’inhibiteur type 1 du plasminogène activé (PAI 1) augmente dans le diabète et l’obésité. Il a aussi été retrouvé augmenté dans 15% des cas d’OVRs (21). La lipoprotéine A (LpA) est une lipoprotéine de basse densité qui a un rôle athérogène et thrombotique, également lié à son effet anti-fibrinolytique. Vu qu’elle est structurellement similaire au plasminogène, elle entre en concurrence au niveau de la fibrine et sa dégradation en est alors bloquée. Ce qui expliquerait pourquoi l’hypercholestérolémie est un facteur de risque d’OVR. Les résultats des études récentes sont contradictoires, mais un niveau de LpA > 300 mg/L semble être un facteur de risque indépendant pour une maladie thromboembolique veineuse (22).

Viscosité du sang

Un syndrome d’hyperviscosité peut être influencé par différents facteurs, tels que l’augmentation des éléments figurés du sang (polyglobulie, leucocytose, thrombocytose), le taux élevé des protéines plasmatiques (macroglobulinémie de Waldenstrom, myélome multiple), l’hyperviscosité plasmatique (paraprotéinémies et crioglobulinémies), l’altération de l’élasticité de la membrane et de l’agrégation des globules rouges. La rétinopathie du syndrome d’hyperviscosité est caractérisée par la dilatation et la tortuosité de l’ensemble des veines rétiniennes (aspect “saucisse-like”) et une présentation la plus souvent bilatérale. Une OVCR peut compliquer ce tableau et peut s’améliorer suite à un traitement de plasmaphérèse (23). L’augmentation de la viscosité dans la microcirculation rétinienne et la stase conséquente déclenchent ce que Stoltz a défini un « double cercle vicieux hémorhéologique » (24) (Figure 1).

 

Wautiers et al. ont trouvé que l’adhésion aux cellules endothéliales était significativement augmentée chez 20 patients atteints d’OVCR par rapport aux sujets normaux. Elle peut être induite par une surexpression de la phosphatidylsérine à la surface des globules rouges qui se lie aux cellules endothéliales exprimant des récepteurs pour une telle molécule d’adhésion (25). En dehors d’un syndrome d’hyperviscosité, l’ischémie rétinienne, qui est secondaire à l’occlusion veineuse rétinienne et au ralentissement du flux sanguin rétinien, conduit à la synthèse accrue du facteur de croissance endothélial vasculaire (VEGF) intraoculaire par les cellules gliales périvasculaires (26). Ce dernier induit une leucostase qui entretient un cercle vicieux ischémique local. Le VEGF est une cytokine primaire qui inhibe la synthèse des protéines structurales des jonctions serrées de l’endothelium, ce qui entraîne une augmentation de la perméabilité trans-endothéliale en contribuant au développement de l’œdème maculaire, une cause fréquente de déficience visuelle (27). L’utilisation d’agents anti-facteur de croissance endothélial vasculaire (anti-VEGF), ranibizumab et aflibercept, a révolutionné le traitement des conditions vasogéniques rétiniennes et notamment de l’œdème maculaire après occlusion de la veine rétinienne (28). La pharmacothérapie intravitréale avec agents anti-VEGF est efficace et de bon profil de sécurité (29). Le pronostic de l’acuité visuelle et le déclin de l’œdème maculaire dépendent d’une mise sous traitement rapide et de son maintien constant, à la fois dans l’ OVCR et dans l’OBVR (30) (31).

Conclusions

Le dépistage systématique de la thrombophilie chez les patients présentant une occlusion veineuse rétinienne n’est pas recommandé (32). Une thrombophilie est à suspecter en présence d'au moins une de ces conditions (33) :

- patient jeune ;

- absence de facteurs de risque cardiovasculaire ;

- histoire personnelle de maladie thromboembolique veineuse ;

- occlusion bilatérale ;

- grossesse.

La recherche d’une thrombophilie devra alors comprendre la détermination de l’ATIII, des protéine C et S, des APL, de l’homocystéine, de la résistance à la protéine C activée, de la mutation G20210A, du FVIII et de la LpA.
Un traitement anti-thrombotique de routine n’est pas indiqué, mais peut être envisagé chez certains patients présentant un début de symptômes et aucun facteur de risque local ou présentant des facteurs de risque prothrombotique majeur tels que le syndrome des anticorps antiphospholipides. L’aspirine et le clopidogrel ont montré une tendance favorable à la récupération de l’acuité visuelle (34). L’héparine de bas poids moléculaire initiée à l’apparition des symptômes et poursuivie pendant 1-3 mois a montré un effet favorable sur la récupération de l’acuité visuelle et une réduction du 78% du risque relatif des effets indésirables oculaires, sans entraîner une augmentation d’hémorragie vitréenne (35). Un traitement fibrinolytique à faible dose doit être réservée à des cas très sélectionnés, par exemple chez les sujets avec une perte totale de la vision. Le rôle des anticoagulants directs reste indéterminé. Un traitement prophylactique avec de l’aspirine à long terme est justifié par le risque de récidive dans le même œil (2,5% après 4 ans) et dans l’œil controlatéral (11,9% après 4 ans) et par le risque accru de mortalité cardiovasculaire (36).

Recommandations pratiques

- Une étude systématique de la thrombophilie dans l’OVR est à faire chez les sujets jeunes, en absence de facteurs de risque cardiovasculaire, en cas d’histoire personnelle de maladie thromboembolique veineuse, dans les occlusions bilatérales et en grossesse.

- Les anomalies les plus fréquentes sont le syndrome des anticorps antiphospholipides et l’hyperhomocystéinémie.

- Aucune mutation de JAK2 a été signalée.

- Des altérations plaquettaires, de la fibrinolyse et de la viscosité sont possibles.

- Un traitement anticoagulant peut être proposé en phase aiguë, en cas d’occlusion centrale de la veine rétinienne.

- Un traitement antiagrégant prophylactique à long terme est justifié.

- L’usage des anti-VEGF par voie intravitréenne a une place de plus en plus importante dans la prise en charge de cette pathologie, permettant d’interrompre un cercle vicieux de stase veineuse et d’ischémie rétinienne.

L'auteur déclare aucun conflit d'intérêts

Correspondance

Dr. Gianfilippo Nifosì
CHU Brugmann
Hémato-Oncologie
Place Van Gehuchten 4
B-1020 Bruxelles

Références

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