La pandémie COVID-19 est une catastrophe humaine, médicale, sociétale, économique. Dans notre petit pays, fortement touché en raison de sa situation géopolitique, on compte au printemps 2021 environ 25000 décès pour 11 millions d’habitants, soit 0.2 à 0.3%. Ce n’est pas un scénario à la Stephen King, mais suffisant pour désorganiser notre société, révélant une fragilité que nous ne soupçonnions probablement pas.
Connaître l’origine du virus SARS-CoV-2 est un enjeu fondamental afin d’éviter une prochaine pandémie, potentiellement pire que celle que nous traversons.
La connaissance de l’origine du virus SARS-CoV-2 est un élément crucial de la stratégie future de prévention, et souligner qu’une fuite accidentelle d’un laboratoire à Wuhan ne relève en rien d’une théorie du complot ni du « China bashing », mais doit être prise en compte sérieusement. Elle refait surface récemment.
Il existe deux théories sur l’origine du virus.
La première est que, comme dans de nombreux cas précédents, un précurseur du SARS-CoV-2 existait chez l’animal et a fini par passer chez l’homme. COVID-19 serait une « zoonose naturelle ». Les arguments sont historiques et contextuels. Historiquement, ce mécanisme zoonotique explique les épidémies d’influenza (grippe), de Ebola, de coronavirus type MERS, SADS (porcs), et même l’épidémie de SARS en Chine en 2002. Des coronavirus apparentés au virus SARS-CoV-2 ont été isolés chez des chauves-souris testées dans le Sud-Ouest de la Chine (province du Yunnan). Le coronavirus de chauve-souris le plus proche de SARS-CoV-2 est appelé RaTG13, isolé partiellement en 2014 et dont la séquence complète a été publié en 2020 dans la célèbre revue « Nature ». Les zoonoses naturelles font aussi appel à un hôte intermédiaire entre l’animal porteur d’origine et l’homme. Dans le cas de SARS-CoV-2, le pangolin fut un temps présenté comme un hôte intermédiaire potentiel, hypothèse maintenant abandonnée.
Il est aisé de comprendre que, si COVID-19 est une zoonose naturelle, la prévention d’une future pandémie nécessite de continuer à cataloguer et étudier les virus de la faune sauvage et les mécanismes biologiques par lesquels ils sont susceptibles d’infecter des hôtes intermédiaires et éventuellement notre espèce. Il faut donc renforcer les programmes « PPP » pour « Pandemic Prediction Prevention », au risque de voir proliférer les laboratoires P3 et P4 et les expériences à risque.
La seconde hypothèse pour expliquer l’origine du SARS-CoV-2 est que le virus a été engendré dans un laboratoire du Wuhan Institute of Virology (WIV) d’où il s’est échappé accidentellement. Si COVID-19 résulte d’une fuite accidentelle d’un coronavirus cultivé au laboratoire, à l’opposé de celle schématisée plus haut, il faut en effet approcher les virus de la faune sauvage avec prudence et les étudier uniquement si un bénéfice est avéré, et dans des conditions de laboratoire adaptées.
On voit bien l’enjeu capital de la question de l’origine, non seulement envers la Chine mais aussi et surtout envers l’humanité entière.
Quels arguments avérés peuvent-ils être avancés pour y voir plus clair ?
La possibilité d’une « fuite » fut évoquée dès janvier 2020, y compris en Chine, mais écartée par les autorités chinoises qui ont interdit toute discussion en la matière, comme le montre un email envoyé par la directrice du WIV au personnel de son Institut.
Dans nos pays, l’hypothèse était soutenue surtout par des milieux de tendance populiste, souvent présentée avec des accents complotistes, et relayée en période pré-électorale aux USA par des milieux « trumpistes ». La réaction immédiate des milieux scientifiques a été de nier cette origine purement et simplement, en la cataloguant de « conspirationniste », mensongère, dangereuse, etc... Quelques irréductibles, comme le collectif « DRASTIC » (https://drasticresearch.org/) n’ont pas accepté l’argument d’autorité et ont investigué les choses le plus objectivement possible. Ils ont découvert beaucoup de faits désagréables et dérangeants.
En mars 2020, Nature Medicine a publié un article (1) prétendant démontrer que l’origine du virus est purement naturelle et que les autres théories n’ont guère de sens. Il est rapidement apparu que cet article contient de nombreuses imprécisions qui le rendent partial. Deux auteurs n’y mentionnent pas leur conflit d’intérêt évident lié au fait qu’ils sont consultants en santé publique en Chine.
La seconde illustration concerne l’article (2) présentant le virus de chauve-souris RaTG13 dont une séquence partielle avait été publiée sous un autre nom plusieurs années auparavant, ce qui n’est pas noté dans l’article.
Les chauves-souris ont été analysées dans des grottes du Yunnan où, déjà en 2012, six ouvriers collectant du guano dans ces grottes ont fait une pneumonie grave dont trois sont décédés. Cette pneumonie présentée comme fongique présente des signes très évocateurs du SARS, et des virologues du WIV, sous la supervision du Dr Zhengli Shi, ont été appelés en consultation et ont identifié des coronavirus.
La base de données de séquences virologiques du WIV a disparu à l’automne 2019, prétendument suite à un crash de serveur et aucun backup n’est disponible. De plus, le site web du WIV a été considérablement modifié début 2020 et les projets d’expériences du groupe de Zhengli Shi ne sont plus accessibles.
Les articles (3) présentant les coronavirus de pangolins ont eux aussi donné lieu à des réactions très négatives, en particulier parce que les séquences initiales étaient de piètre qualité. La théorie du pangolin en tant qu’hôte intermédiaire est actuellement abandonnée, même par la mission de l’OMS.
Contrairement à ce qui a été prétendu début 2020, des recherches à risque sur les coronavirus ont bien été conduites à Wuhan depuis des années, au WIV ainsi que dans des laboratoires de l’Université de Wuhan, et dans des laboratoires commerciaux de biotechnologie. Pendant la période 2005-2020, des chercheurs du WIV ont, sous la supervision du Dr Zhengli Shi, parcouru la Chine et quelques autres pays (Kenya par ex.) pour collecter des virus de chauves-souris. Le Dr Shi a même gagné le surnom de « bat woman » et s’est ainsi imposée comme la spécialiste mondiale de la question, ce qui lui a permis d’obtenir de nombreux crédits en Chine et de collaborer avec des laboratoires américains, en particulier celui du Dr Ralph Baric (U. North Carolina, Chapell Hill).
En 2012, la communauté virologique fut secouée par une controverse à propos d’expériences de modification génétique de virus influenza, effectuées pour comprendre comment le virus peut devenir plus dangereux. Faites à Rotterdam par l’équipe du Dr Ron Fouchier, ces expériences, appelées « gain of function » (GOF) (c’est-à-dire modifier un virus issu de la nature en accélérant ses mutations in vitro) ont été considérées comme à risque et les discussions animées ont résulté en un moratoire américain instauré en 2014 (sous Obama), et levé par Trump en 2017 suite à de nombreuses exemptions, en particulier attribuées au Dr Baric, sur recommandation du Dr Anthony Fauci. Notons que ce moratoire n’a jamais concerné la Chine et que les expériences GOF ont continué à Wuhan, en collaboration avec l’association EcoHealth Alliance, basée à New York et dont le président est le Dr Peter Daszak.
EcoHealth Alliance (EHA) a pour principal objectif de participer à la prédiction et prévention des pandémies. Bien soutenue par plusieurs « grants » américains (NIH/NIAID, USAID, DARPA) et privés, EHA collabore depuis des années avec le Dr Zhengli Shi au WIV et des crédits du NIH ont servi à subsidier les travaux de Wuhan. Or, le Dr Daszak est chargé de diriger une commission d’enquête du Lancet sur l’origine du virus et fait partie de la « China-WHO joint mission ». Il n’a jamais fait état de son conflit d’intérêt et est probablement le plus virulent à l’hypothèse d’une fuite à Wuhan.
Ces données ne prouvent pas une fuite au WIV, ce qui est impossible puisque les autorités chinoises ont bloqué les tentatives dans ce sens lors de la « joint mission » dont le rapport est connu. Mais les faits sont tellement troublants qu’ils nécessitent et méritent réflexion. C’est ce qui a fait l’objet de lettres ouvertes, comme, par exemple, celles publiées dans le Wall Street Journal ou Le Monde suite au rapport de l’OMS, aux données trop incomplètes.
En conclusion, connaître l’origine du virus SARS-CoV-2 est crucial pour définir les mesures à prendre en vue d’éviter une prochaine pandémie. C’est pourquoi un complément d’enquête est demandé à l’OMS par plusieurs scientifiques, avec un meilleur accès aux données et sans exclure l’origine par fuite accidentelle d’un coronavirus étudié au WIV à Wuhan, ce qui est actuellement l’hypothèse la plus probable.
Références
1. Andersen KG et al. The proximal origin of SARS-COV-2. Nature Medicine. 2020; 26: 450-452.
2. Zhou P. et al. A pneumonia outbreak associated with a new coronavirus of probable bat origin. Nature. 2020; 579: 270-273.
3. Yiao K. et al. Isolation of SARS-Cov-2 related coronavirus pangolins. Nature. 2020; 583: 286-389.