Dr. ELISE COSTENOBLE
Cliniques universitaires Saint-Luc
Avenue Hippocrate 10, B-1200 Bruxelles
E-mail : elise.costenoble@student.uclouvain.be
La parakératose granulaire est une affection dermatologique bénigne caractérisée par une éruption cutanée papuleuse hyperkératosique intertrigineuse et comportant un aspect histologique pathognomonique. La littérature médicale fait état de nombreux cas de patients adultes, essentiellement des femmes d’âge moyen, présentant des lésions de parakératose dans les creux axillaires, aux sillons sous-mammaires ou au creux des plis abdominaux [1-3].
En ce qui concerne l’enfant, la littérature est nettement moins étoffée. La PGI touche principalement les enfants de 3 à 24 mois aux plis inguinaux, au périnée, au creux du sillon fessier et au pli hypogastrique inférieur [4-11]. Des facteurs favorisants ont été mis en évidence malgré qu’un lien de causalité direct n’ait pas encore été établi. Il n’existe aucun traitement spécifique à l’affection mais une résolution spontanée des lésions est classique quelques semaines après l’éruption.
Bien que peu fréquemment rapportée, la PGI est une affection dermatologique relativement fréquente chez le nourrisson ou l’enfant en bas âge. Cette pathologie doit faire partie du diagnostic différentiel de l’érythème fessier du nourrisson.
Une enfant de 14 mois est référée par son pédiatre traitant aux consultations de dermatologie des Cliniques universitaires Saint-Luc. Depuis trois mois, la petite fille souffre d’un érythème du siège prurigineux résistant au traitement antifongique. Ses lésions se sont d’ailleurs majorées depuis quelques semaines et ont conflué en plaques brunâtres étendues des régions inguinales et hypogastriques au niveau des plis.
Il n’y a aucun antécédent néonatal ou personnel particulier. Elle est le premier enfant de la famille. Elle ne prend aucun médicament. Il n’y a pas d’antécédent familial d’atopie ou de pathologie dermatologique. Elle porte, depuis sa naissance, des couches jetables. La mère applique de la crème à base d’oxyde de zinc quand le siège de son enfant est irrité.
À l’examen clinique général, l’état clinique de l’enfant est conservé. Rien de particulier n’est dégagé de l’examen clinique systématique. L’examen dermatologique permet de mettre en évidence une éruption de papules verrucoïdes kératosiques et pigmentées disposées de façon symétrique aux plis inguinaux et abdominaux. Des lésions de grattage satellites sont également présentes. Un prélèvement mycologique est réalisé et revient négatif. Une biopsie de la couche cornée est dès lors effectuée afin de confirmer le diagnostic clinique probable de parakératose granulaire. L’image histologique est pathognomonique.
Après un essai infructueux avec une crème à l’urée 5%, il est décidé d’abandonner toute thérapeutique locale, de rassurer les parents en leur recommandant d’éviter tout nettoyage intempestif et agressif de la région. L’évolution a été favorable en 3 mois. Il n’y a jamais eu de récidive des lésions par la suite.
La parakératose granulaire (PG) est une affection dermatologique bénigne décrite pour la première fois en 1991 par Northcutt, Nelson et Tschen [12]. L’article relate quatre cas cliniques de parakératose granulaire chez des patients adultes présentant des lésions prurigineuses, uni ou bilatérales, hyperkératosiques dans les creux axillaires. Les biopsies prélevées révèlent des caractéristiques histologiques pathognomoniques de cette pathologie.
Onze ans plus tard, en 2002, Trowers, Assaf et Jaworsky [13] décrivent le premier cas de parakératose granulaire infantile (PGI) chez un enfant de 9 mois présentant des lésions inguinales. À notre connaissance, à ce jour, 26 autres cas d’enfants [4-11,14], présentant les mêmes caractéristiques biopsiques ont été décrits dans la littérature. Ils sont rassemblés et explicités dans le Tableau 1.
Il existe deux types cliniques distincts de parakératose granulaire infantile : des papules verrucoïdes localisées préférentiellement aux plis inguinaux (Fig. 1) et des plaques érythémato-desquamatives fessières, figurées, en carte géographique, localisées aux endroits de friction du lange (Fig.2) [7]. Ces deux présentations comportent les mêmes caractéristiques histologiques. Les lésions s’accompagnent parfois d’un prurit important mais peuvent rester totalement asymptomatiques.
Dans la littérature, la grande majorité des enfants atteints de PGI présentaient des lésions aux creux inguinaux et dans la région du siège. Un cas clinique rapporte l’apparition d’une lésion axillaire unilatérale chez un enfant de 6 ans [5], localisation pourtant typique et abondamment décrite chez l’adulte (Tableau 1).
Le diagnostic de la PGI est basé sur la clinique et l’analyse anatomopathologique des squames et/ou d’une biopsie des lésions [3]. L’histologie cutanée des lésions de PG est pathognomonique. La couche cornée est épaissie et l’hyperkératose s’accompagne d’une parakératose composée de cellules contenant des grains de kératohyaline. Une prolifération et des ectasies vasculaires dermiques sont également mises en évidence [1-15] (Fig. 3) (6).
Néanmoins, un examen microscopique et une cytologie des squames suffisent au diagnostic de l’affection car ils permettent la mise en évidence des grains basophiles dans la couche cornée, présents à ce niveau spécifiquement dans la PG. Compte tenu du caractère moins invasif du prélèvement, ces techniques sont préconisées chez l’enfant [6,14].
L’étiopathogénie de la PGI est encore actuellement peu connue Les analyses immunohistochimiques et les techniques de microscopie électronique suggèrent l’existence d’une anomalie acquise ou congénitale dans le processus de kératinisation, provenant d’un défaut de transformation de la profilaggrine en filaggrine. Les grains de kératohyaline ne sont, de ce fait, pas détruits et persistent dans la couche cornée de l’épiderme rendant impossible l’agrégation des filaments de kératine durant la dernière phase de différenciation de l’épiderme [13].
La localisation typique aux plis semble imputer l’apparition de l’affection à des facteurs mécaniques tels le frottement, l’humidité, l’embonpoint [1,2,6,7,9]. L’utilisation excessive de préparations topiques induisant une irritation chimique semble également être un facteur favorisant la survenue de cette éruption [1-11,14,15] .
Le rôle exact de l’utilisation de crèmes émollientes (à base d’oxyde de zinc en particulier), prévenant l’apparition d’un érythème fessier irritatif classique du nourrisson, reste encore flou. Une expérience menée en 1994 par Jin et al. [16] a démontré que l’oxyde de zinc appliqué régulièrement sur la peau d’une souris induisait une augmentation considérable de l’index mitotique dans les cellules de la couche basale épidermique. Plusieurs articles scientifiques ont repris ce postulat en supposant que le même phénomène cutané survenait chez l’homme [8,10].
Parmi les cas décrits dans la littérature, il est intéressant de constater qu’une crème à base d’oxyde de zinc était appliquée quotidiennement sur le siège de plus de la moitié des enfants souffrant de PGI (Tableau 1). Compte tenu de la résolution rapide des lésions à l’arrêt de leur utilisation, un lien de causalité semble probable, du moins chez certains individus prédisposés [7,10,14].
Le diagnostic différentiel de cette pathologie inclut les infections bactériennes ou candidosiques du siège, lesdermatites de contact, les dermatites séborrhéiques, le psoriasis inversé, la maladie de Hailey-Hailey, le pemphigus végétant, le lichen plan, l’acanthosis nigricans, l’acrodermatite entéropathique, la maladie de Letterer-Siwe et la maladie de Darier [2,6-9].
L’hyperkératose pigmentée du siège est cliniquement semblable à la PG de type 1. Néanmoins, d’un point de vue histologique, les grains basophiles de kératohyaline présents dans la couche cornée des lésions de PG ne sont pas retrouvés.
De nombreux traitements ont été rapportés dans la littérature mais les résultats sont inconstants et souvent décevants. La réponse thérapeutique à l’application locale de corticostéroïdes [4,5,7-10], antibiotiques [8,10], antifongiques [7-9], acide salicylique [9], immunomodulateurs [7,8], émollients [4,6] ou vaseline [7-10] est variable.
Néanmoins, une résolution spontanée des lésions est classique entre deux semaines et douze mois. Sur les 27 cas de parakératose granulaire infantile décrits dans la littérature, une résolution spontanée des lésions a été constatée chez 23 enfants. Les 4 autres ont été perdus de vue (Tableau 1).
Bien que peu décrite dans la littérature, la PGI est une affection dermatologique de l’enfant à prendre en compte dans le diagnostic différentiel de l’érythème fessier persistant du nourrisson.
L’aspect des lésions et l’histologie de la parakératose granulaire sont tout à fait typiques. Un bon examen clinique et une analyse des squames suffisent à poser un diagnostic de certitude.
En raison de la réponse inconstante aux traitements topiques, la tentation est grande d’envisager une escalade thérapeutique. La patience est de mise car les lésions se résolvent spontanément en quelques semaines. Il faut donc rassurer les parents sur la bénignité de l’affection et insister sur le fait qu’il faut éviter des soins agressifs et intempestifs de la région concernée.
1. Wallace CA, Richardo RO, Yosipovitch G, Hancox J, Sangueza OP. Granular parakeratosis: a case report and literature review. J Cutaneous Pathol 2003 ; 30 (5): 332-335.
2. Paradisi A, Sisto T, Annessi G. Groin Granular parakeratosis. Eur J Dermatol 2010 ; 20 (2): 242-243.
3. Metze D, Rütten A. Granular parakeratosis - a unique acquired disorder of keratinization. J Cutaneous Pathol 1999 ; 26 (7): 339-352.
4. Patrizi A, Neri I, Misciali C, Fanti PA. Granular parakeratosis: four paediatrics cases. Br J Dermatol 2002 ; 147 (5): 1003-1006.
5. Neri I, Patrizi A, Guerrini V, Fanti PA. Granular parakeratosis in a child. Dermatol 2003 ; 206 (2): 177- 178.
6. Pimentel DR, Michalany N, Morgado de Abreu MA, Petlik B, Mota de Avelar Alchorne M. Granular parakeratosis in children: case report and review of the literature. Pediat Dermatol 2003 ; 20 (3): 215–220.
7. Chang MW, Kaufmann JM, Orlow SJ, Cohen DE, Mobini N, Kamino H. Infantile granular parakeratosis : recognition of two clinical patterns. J Am Acad Dermatol 2004 ; 50 (5): S93-96.
8. Woodhouse JG, Bergfeld W. Granular parakeratosis. Pediatc Dermatol 2004; 21 (6): 684.
9. Giraldi S, Taniguchi Abagge K, Oliveira de Carvalho V, Muller S, Parolin Marinoni L, Werner B et al. Granular parakeratosis: a report of six cases in children. An Bras Dermatol 2006 ; 81 (1): 59-64.
10. Bedocs LA et al., Persistent scale in the diaper area. Pediat Dermatol 2008 ; 25 (4): 477.
11. Leclerc-Mercier S, Prost-Squarcioni C, Hamel-Teillac D, Fraitag S. A case of congenital granular parakeratosis. Am J Dermatopathol 2011 ; 33 (5): 531-533.
12. Northcutt AD, Nelson DM, Tschen JA. Axillary granular parakeratosis. Am J Dermatopathol 1991 ; 24 (4): 541-544.
13. Trowers AB, Assaf R, Jaworsky C. Granular parakeratosis in a child. Pediat Dermatol 2002 ; 19 (2): 146-147.
14. Akkaya AD, Oram Y, Aydin O. Infantile Granular Parakeratosis: Cytologic Examination of Superficial Scrapings as an Aid to Diagnosis. Pediat Dermatol 2015; doi: 10.1111/pde.12444
15. Saurat JH, Grosshans E, Laugier P, Lachapelle JM, Lipsker D, Thomas L, Lacour JM, Naeyaert JM, Salomon D, Braun R. Dermatologie et infections sexuellement transmissibles. Masson, Paris, 2004.
16. Jin L, Murakami TH, Janjua NA, Hori Y. The effects of zinc oxide and diethyldithiocarbamate on the mitotic index of epidermal basal cells of mouse skin. Acta Med Okayama 1994 ; 48 (5): 231-236.