INTRODUCTION
La manœuvre de Heimlich a été décrite la première fois en 1975 par Henry Heimlich (1). Depuis lors, cette technique est totalement acquise par la communauté médicale et elle s’est également fait largement connaitre du grand public grâce à de multiples programmes d’éducation. La popularisation de cette manœuvre a permis de sauver la vie de nombreuses victimes de suffocation, sans aucun effet indésirable.
Néanmoins, de rares complications consécutives à la réalisation d’une manœuvre de Heimlich ont été rapportées dans la littérature (2). Parmi celles-ci, on retrouve des lacérations gastriques, une perforation duodénale, une rupture du pancréas et une rupture du foie, une pancréatite, une lacération mésentérique avec hémorragie intrapéritonéale, une déchirure diaphragmatique, des lésions aortiques, des fractures costales, des pneumomédiastins et des ruptures de valves cardiaques.
Trois cas de perforation œsophagienne ont été recensés à ce jour dans la littérature (3-5). Il s’agissait de 2 adultes et 1 enfant. Chaque adulte présentait une impaction alimentaire au niveau de l’œsophage et pouvait encore parler ; la manœuvre de Heimlich réalisée n’était donc, en réalité, pas indiquée. Les trois perforations ont été traitées chirurgicalement et elles ont toutes bénéficié d’une récupération complète sans séquelle.
Nous rapportons un quatrième cas de perforation œsophagienne consécutive à la manœuvre de Heimlich. Il s’agit du premier cas mondial de double perforation œsophagienne traitée endoscopiquement par la mise en place d’une prothèse œsophagienne.
Observation clinique
Une femme âgée de 56 ans se présente aux urgences pour une douleur épigastrique intense. Elle dit avoir fait une fausse déglutition lors du repas, associée à un épisode de suffocation. Son mari a alors rapidement réalisé une manœuvre de Heimlich qui lui a permis de déglutir l’aliment. Immédiatement après ce geste, la patiente a brutalement ressenti une intense douleur épigastrique respiro-dépendante, avec irradiation dorsale. Elle a présenté des vomissements glaireux striés de sang. Ces symptômes ont motivé l’appel du SMUR.
Il est à noter que la patiente souffre d’une hypotonie du sphincter gastro-œsophagien, de troubles de la déglutition en cours de bilan et est porteuse d’une hernie hiatale. Elle prend quotidiennement du Pantomed 40 mg, du Riopan et de la Simvastatine 40 mg.
À l’examen clinique, les paramètres sont normaux. Des crépitants sont présents au niveau de la base pulmonaire droite. À l’examen abdominal, le transit semble diminué et la palpation épigastrique est douloureuse mais sans rebond ni défense. La patiente présente également des marbrures aux extrémités.
Une biologie est réalisée à l’admission mais elle ne révèle aucune anomalie, de même que l’électrocardiogramme. Une hypotransparence basale droite est visible sur la radiographie de thorax. Le scanner thoraco-abdominal met en évidence des bulles de gaz para-œsophagiennes devant l’aorte thoracique et au niveau de la petite courbure gastrique (Figures 1 et 2). Le radiologue conclut à une perforation de la partie inférieure de l’œsophage, associée à un pneumopéritoine et à un pneumomédiastin. Une intervention coelioscopique est réalisée en urgence et la patiente reçoit au préalable du Pantomed 40 mg et de l’Augmentin 2 g/200 mg en intraveineux.
Lors de la cœlioscopie, l’œsophage est disséqué sans que la perforation ne puisse être retrouvée. Une gastroscopie peropératoire est donc réalisée et permet de déceler deux lésions œsophagiennes au niveau du bord gauche, en regard de la crosse aortique (Figure 3). La première perforation est localisée de 22 cm à 25 cm des arcades dentaires, implique un quart de la circonférence et concerne la muqueuse et la sous-muqueuse. La deuxième lésion, centimétrique et localisée à 30 cm, est moins profonde. En raison de leur localisation, ces perforations sont difficilement accessibles pour une raphie chirurgicale habituellement recommandée. Une endoprothèse œsophagienne est mise en place et une jéjunostomie d’alimentation transitoire est réalisée. Il n’y a pas eu de complication post-interventionnelle et la radiographie du transit oesogastroduodénal réalisée le 4ème jour a montré un passage fluide au niveau œsophagien. La patiente a reçu une antibiothérapie de 15 jours.
La prothèse œsophagienne a été retirée 5 semaines après sa mise en place et la gastroscopie de contrôle montrait deux zones cicatricielles correspondant aux deux zones de perforation, sans sténose associée. La patiente se réalimentait normalement sans douleur. Après quelques mois, une sténose œsophagienne à 20 cm des arcades dentaires a été mise en évidence par contrôle endoscopique suite à des plaintes de dysphagie et d’odynophagie. Ces symptômes récidivent depuis 2 ans malgré six dilatations hydrauliques et cinq incisions de la sténose.
Discussion
La manœuvre de Heimlich est une technique de désobstruction des voies aériennes supérieures susceptible de provoquer des lésions des organes internes, dont des perforations œsophagiennes. L’application d’une pression abdominale entraîne une augmentation importante de la pression au sein de la lumière œsophagienne en cas d’impaction alimentaire et peut engendrer la déchirure de l’organe.
Il s’agit du quatrième cas de perforation œsophagienne suite à une manœuvre de Heimlich recensé dans la littérature. Les précédents cas concernaient deux adultes (3,4) et un enfant (5) ; tous ont survécu après une prise en charge chirurgicale.
Les principales causes de rupture œsophagienne (6) comprennent les lésions iatrogènes lors d’une endoscopie (50 %), les perforations spontanées sur effort de vomissement (syndrome de Boerhaave : 25 %) et la déglutition d’un corps étranger (16 %). Il s’agit d’une pathologie rare (cinq cas par million d’habitants par an) avec un taux de mortalité de l’ordre de 15 à 30%.
Une perforation œsophagienne peut être évoquée devant des douleurs thoraciques et abdominales, des vomissements, une hématémèse, de la fièvre ou un choc. On retrouve un emphysème sous-cutané chez environ 30% des patients.
La manœuvre de Heimlich peut provoquer d’autres complications potentiellement mortelles (7) telles que des ruptures du diaphragme (8), du jéjunum (9), du pancréas (10), du foie (11), de l’œsophage et de l’estomac (12) (tableau).
Cette technique est uniquement indiquée lors d’un épisode de suffocation lié à une obstruction sévère des voies respiratoires supérieures par un corps étranger. Dans ce cas, le patient est incapable de parler, tousser ou respirer. Elle est contre-indiquée chez les enfants de moins d’un an. Les compressions thoraciques sont préférées chez les patients obèses et les femmes enceintes.
En conclusion, la connaissance des complications potentielles d’une manœuvre de Heimlich est importante afin d’initier rapidement une prise en charge adéquate et multidisciplinaire. La perforation œsophagienne, bien qu’exceptionnelle, est une pathologie grave et urgente à traiter. Le suivi à long terme de ces patients est également indispensable pour dépister les éventuelles sténoses œsophagiennes récurrentes.
Recommandations pratiques
Chaque personne ayant subi une manœuvre de Heimlich devrait être examinée attentivement par un médecin qui connaît les éventuelles complications et leur prise en charge initiale afin de limiter le risque de mortalité. Cette technique ne doit être pratiquée que lors d’une obstruction sévère des voies aériennes par un corps étranger.
Affiliations
1 Faculté de Médecine, Université Catholique de Louvain, Belgique
2 CHU Mont-Godinne, Service de Gastro-entérologie, Belgique
Correspondance
Dr. Marie de Broux
marie.debroux@student.uclouvain.be
Références
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