Introduction
Les rhumatismes sont une des principales causes d’invalidité dans notre pays. On distingue les rhumatismes mécaniques dégénératifs des rhumatismes inflammatoires caractérisés par de l’arthrite qui peut toucher les articulations périphériques et la colonne. Les rhumatismes inflammatoires comprennent également les maladies métaboliques avec des dépôts dont la plus fréquente est la goutte. Parmi les affections se présentant par des arthrites périphériques, on distingue la polyarthrite rhumatoïde (PR), les spondyloarthropathies séronégatives comprenant l’arthrite psoriasique et les rhumatismes inflammatoires systémiques dont le lupus et la sclérodermie. La PR est une des maladies inflammatoires chroniques les plus fréquentes (1). Elle touche 0,5 à 1% de la population avec un sex-ratio de 3 femmes pour 1 homme. Elle peut survenir à tout âge mais préférentiellement après la grossesse ou la ménopause. Elle atteint en priorité les articulations, principalement les mains et les pieds, mais peut être à l’origine d’une atteinte pulmonaire, oculaire, de nodules rhumatoïdes et d’un risque cardio-vasculaire augmenté. Elle peut entrainer un handicap fonctionnel majeur, une altération de la qualité de vie et avoir des conséquences socio-économiques non négligeables (1,2,3). Il est donc primordial pour réduire les dommages irréversibles de poser le diagnostic de manière précoce et de débuter un traitement le plus rapidement possible. En effet, la littérature évoque à ce propos une « fenêtre d’opportunité » (« window of opportunity ») durant laquelle le fait de débuter le traitement améliore la qualité de vie à long terme (4-6). Cet article illustre les derniers développements cliniques dans le cadre de la PR qui peuvent s’appliquer aux autres polyarthrites.
Le diagnostic précoce
Anamnèse et examen clinique
La reconnaissance de toute arthrite inflammatoire débutante est essentielle. L’anamnèse et l’examen clinique sont les piliers essentiels afin de distinguer les différentes formes d’arthrites inflammatoires des atteintes métaboliques liées aux dépôts dans les articulations ou des atteintes mécaniques liées à l’usure du cartilage. Les antécédents familiaux seront également pris en compte car ils représentent une augmentation du risque chez certains patients. La présentation clinique est très hétérogène ce qui permet de distinguer les formes classées dans les PR ou les spondyloarthropathies séronégatives avec des atteintes oligoarticulaires, des dactylites ou des formes associées à des enthésopathies inflammatoires. L’atteinte typique de la PR associe des douleurs et des gonflements articulaires bilatéraux et symétriques, d’apparition récente, avec une raideur matinale et des résurgences algiques nocturnes (1,5,7). Les articulations les plus souvent atteintes sont les mains et les pieds (5,7).
Un petit nombre de patients (5%) peut également entrer dans la maladie par une atteinte rhizomélique intéressant alors plutôt les épaules et les hanches.
Le patient peut rarement débuter la maladie par des plaintes extra-articulaires : atteinte pulmonaire, oculaire ou nodules rhumatoïdes (1,5,7).
L’évaluation clinique minutieuse est essentielle à la recherche des signes de synovite et de ténosynovite périphériques. Il est recommandé de faire un compte articulaire en notant les articulations douloureuses et gonflées. L’examen systémique est indispensable car l’arthrite peut s’accompagner de manifestations extra articulaires et il permet d’affiner le diagnostic différentiel.
Examens biologiques
Un syndrome inflammatoire biologique est présent dans 90% des cas d’arthrite.
La PR est une maladie auto-immunitaire caractérisée souvent par la production de 2 auto-anticorps, le facteur rhumatoïde et les anticorps anti-peptides citrullinés (ACPA). Les ACPA ont une spécificité de 98% pour une sensibilité de 50-60% et leur détection est dès lors très utile dès le début des symptômes articulaires inflammatoires. Le facteur rhumatoïde n’est quant à lui pas très spécifique (sensibilité 70-80% et spécificité 65-85%).
Face à une suspicion clinique d’arthrite, une prise de sang comprenant les éléments suivants sera donc réalisée :
- CRP, (VS), électrophorèse des protéines, fonction rénale, acide urique, enzymes musculaires et fonction hépatique ;
- facteur rhumatoïde et anti-CCP (ACPA) ;
- facteur anti-nucléaire.
Par ailleurs, on sait que la présence des auto-anticorps précède de longue date la phase clinique de la maladie (3). Il a dès lors été suggéré de détecter au plus tôt la présence des ACPA et de suivre attentivement l’évolution clinique de ces patients.
Lorsqu’il est possible de ponctionner une articulation qui est le siège d’une atteinte inflammatoire, l’analyse du liquide articulaire est très utile car elle permet de confirmer la nature inflammatoire de celui-ci (plus de 500 à 1000 leucocytes), d’exclure une origine septique ou métabolique (taux de leucocytes supérieur à 15000, présence de cristaux de pyrophosphate de calcium ou d’urate de sodium).
Bilan radiologique
Le bilan radiologique de base consiste en des clichés des mains et des pieds mais peut comprendre d’autres articulations douloureuses ou des sites de prédilection comme les sacro-iliaques pour la spondyloarthrite.
Une radiographie des poumons peut éventuellement être réalisée en cas de doute pour une atteinte extra-articulaire pulmonaire mais celle-ci sera confirmée par la réalisation d’un scanner pulmonaire et d’épreuves fonctionnelles respiratoires.
Les radiographies sont généralement négatives au début de la maladie. Les examens radiologiques servent cependant pour le diagnostic différentiel et pour l’évaluation de départ.
Sur base des radiographies osseuses dans la PR, le score de Sharp total modifié incluant les érosions et la chondrolyse peut être calculé pour évaluer l’évolution des lésions radiologiques au long cours.
Ce bilan de base peut être enrichi par la réalisation d’une échographie articulaire qui permet de détecter de manière précoce les synovites, ténosynovites et érosions ou d’une IRM qui pourra mettre en évidence toutes ces lésions précoces et l’œdème osseux (zone de développement potentiel d’érosions) (1). Ces examens sont en effet plus sensibles pour détecter l’arthrite débutante mais leurs interprétations devront être prudentes car les synovites a minima peuvent être influencées par des facteurs mécaniques, métaboliques et l’âge.
Le diagnostic repose sur tous ces éléments cliniques et paracliniques. Il est validé par des critères internationaux de classification de la polyarthrite. Les critères de l’American College of Rheumatology de 1987 ont été remplacés en 2010 par des critères américains et européens incluant la présence des ACPA et sont dès lors plus sensibles. Il est cependant essentiel avant d’utiliser ces critères d’exclure toute autre arthropathie (arthrose, chondrocalcinose, arthrite virale, autres rhumatismes inflammatoires…).
Biopsies synoviales
L’intérêt des biopsies synoviales reste du domaine de la recherche et de protocoles scientifiques. L’étiopathogénie de la PR reste complexe et vous est illustrée dans la figure 1. L’histologie de la synovite a été étudiée historiquement et ne permet pas de distinguer les différentes formes d’arthrite. La meilleure connaissance de la physiopathologie immunitaire de l’arthrite permet à nouveau de s’y intéresser et les techniques mini invasives échoguidées à l’aiguille fine permettent de réaliser ce geste avec une excellente tolérance. Elles permettent de biopsier toutes les articulations dont les plus petites comme celles de la main, ce qui représente un avantage indéniable dans l’étude des rhumatismes inflammatoires débutants. Les informations obtenues à partir de l’analyse du tissu synovial des patients souffrant d’arthrite sont susceptibles d’apporter une aide considérable au diagnostic en distinguant différents pathotypes selon les infiltrats cellulaires et, dans un futur peut-être proche, à la prise de décisions thérapeutiques en se basant sur l’analyse des signatures moléculaires. On pourrait en effet identifier des marqueurs de diagnostic précoce, de pronostic et de réponse thérapeutique.
L’évaluation de l’arthrite débutante
Les rhumatologues ont développé ces dernières années des outils cliniques et paracliniques très utiles pour évaluer l’arthrite et la PR. Ils permettent de mesurer de manière plus précise l’activité de la maladie et la réponse thérapeutique. La première démarche, une fois le diagnostic de PR confirmé, sera de compter les articulations douloureuses et gonflées par un examen minutieux des différents sites articulaires. Il sera également demandé au malade de compléter un questionnaire évaluant sur une échelle analogique de 0 à 10 le degré d’activité de la maladie, de la douleur, de la fatigue et de répondre à des questions évaluant le degré de difficultés de réaliser des activités courantes (questionnaire HAQ).
L’intégration du nombre d’articulations douloureuses, gonflées, de l’activité de la maladie évaluée par le patient et du taux inflammatoire (CRP ou VS) permet de calculer un score composite d’activité de la maladie (score DAS, le plus utilisé étant le DAS28-CRP en se limitant aux articulations des membres supérieurs et des genoux). Ce score validé dans de nombreux essais cliniques (8) permet à la fois de définir le degré d’activité (importante, modérée, légère ou rémission) et permet d’évaluer de manière plus précise la réponse thérapeutique. Ce score reste cependant imparfait car il inclut des paramètres subjectifs comme le compte articulaire douloureux et l’évaluation de la maladie par le malade ; il doit dès lors faire l’objet d’une interprétation et d’une analyse des composantes objectives et subjectives du score DAS (7).
D’autres scores ont été développés pour évaluer l’activité de la maladie comme le SDAI (Simplified Disease Activity Index) et le CDAI (Clinical Disease Activity Index) (8). Ce dernier est facile à réaliser car il consiste en une simple addition des articulations douloureuses et gonflées, de l’activité de la maladie évaluée par le patient mais également par le médecin (7). Le SDAI prend en compte la CRP en plus des éléments précités et constitue donc le score le plus global.
Les radiographies des mains et des pieds seront répétées annuellement (1) lors des 5 premières années afin de s’assurer de l’absence de destruction progressive. Les différents paramètres radiologiques de la PR sont le gonflement des tissus mous, l’ostéoporose périarticulaire, les érosions, le pincement de l’articulation, le désalignement, les subluxations, l’ankylose et la formation de kystes intraosseux. Afin de définir l’évolution, divers scores sont proposés dans la littérature dont le plus validé est le score de Sharp Van der Heijde (9).
L’échographie peut être un outil d’évaluation et de suivi intéressant pour analyser la réponse ou l’échappement thérapeutique mais l’interprétation des images doit souvent reposer sur un rhumatologue formé et expérimenté à cet outil. L’évaluation doit également inclure une radiographie du thorax (surtout chez les fumeurs qui sont plus à risque de souffrir d’une PR), une ostéodensitométrie, une évaluation des capacités physiques et un bilan fonctionnel.
Le malade sera également évalué dans un second temps pour les maladies associées principalement cardiovasculaires mais également pulmonaires surtout chez les patients fumeurs.
Enfin, des programmes d’information et d’éducation sur la maladie seront proposés car on sait que la compréhension et l’adhésion thérapeutique sont des facteurs clés pour la compliance thérapeutique et la réponse clinique.
Attitude thérapeutique
La littérature récente nous indique qu’une prise en charge précoce et intensive permet de modifier l’évolution de l’arthrite et de la PR (10,11).
La rémission, ou si elle n’est pas possible une activité faible de la maladie, doivent être l’objectif à atteindre (10,11).
L’inflammation est la cible thérapeutique principale (1). En réduisant l’inflammation rapidement, nous pouvons prévenir les dommages articulaires irréversibles et améliorer la fonction physique du patient à long terme (10).
La première médication pendant la phase de diagnostic et d’évaluation repose sur un traitement symptomatique par exemple par AINS (5) ou antalgiques en évitant les corticostéroïdes pour ne pas masquer la maladie.
Une fois le diagnostic établi, un traitement de fond par un sDMARD (synthetic Disease-Modifying Antirheumatic Drug), idéalement le méthotrexate sera débuté (3,7). La dose initiale de méthotrexate peut être d’emblée de 15 mg par semaine associée à 5 mg d’acide folique le lendemain. La dose pourra être majorée jusque 20 mg/semaine après 4 semaines. Des glucocorticoïdes à faible dose (prednisolone inférieure à 7,5 mg par jour) peuvent être associés au méthotrexate en début de traitement. Les glucocorticoïdes devront cependant être réduits puis arrêtés endéans les 6 mois (1,4,5,12).
En cas d’échec après 3 à 6 mois d’évaluation, le méthotrexate pourra être associé ou remplacé par d’autres traitements de fond tels que la sulfasalazine, l’hydroxychloroquine ou le leflunomide (12).
Si une activité élevée de la maladie persiste malgré les sDMARDs, les patients peuvent bénéficier d’un traitement par bDMARDS (Biologic Disease-modifying Antirheumatic Drug) ou par un inhibiteur des JAK kinases (2, 12). L’indication d’un bDMARD est indispensable chez les patients réfractaires au sDMARDs avec des facteurs de mauvais pronostics (facteur rhumatoïde ou ACPA positifs et lésions radiologiques notamment). Ces traitements ont pu être développés suite à une meilleure compréhension de l’activation du système immunitaire en bloquant certaines protéines inflammatoires (TNF, IL-6) ou en modulant les lymphocytes (T ou B). Les critères utilisés en Belgique sont une maladie active (DAS28-CRP > 3.7) malgré l’utilisation de 2 sDMARDs.
Il existe actuellement 4 types de bDMARDS avec des mécanismes d’action différents (1) :
- agents bloquant le TNF (infliximab, adalimumab, certolizumab, etanercept et golimumab) ;
- agents bloquant la co-stimulation avec le lymphocyte T (abatacept) ;
- agents bloquant le récepteur de l’IL6 (tocilizumab, sarilumab) ;
- agents inhibant les lymphocytes B (rituximab).
On dispose également de biosimilaires pour certaines de ces molécules. Les biosimilaires sont des molécules pharmaceutiques qui sont hautement similaires aux traitements biologiques déjà approuvés (2).
Les inhibiteurs des JAK kinases sont les dernières molécules arrivées sur le marché. Ce ne sont pas des traitements biologiques mais des molécules synthétiques ciblées permettant de moduler la voie enzymatique intracellulaire de la production des cytokines pro inflammatoires. Nous disposons des molécules suivantes en Belgique : tofacitinib, baricitinib, upadacitinib et filgotinib. Elles sont administrées par voie orale.
Avant l’initiation d’un traitement biologique ou synthétique, il est recommandé de réaliser une radiographie du thorax, une intra-dermoréaction à la tuberculine ou un dosage du Quantiferon afin d’exclure une tuberculose et des sérologies HIV, hépatites B et C.
L’efficacité de ces biothérapies est meilleure lorsqu’elles sont combinées avec du méthotrexate ou un autre sDMARD. Si le traitement biologique doit être donné en monothérapie, l’utilisation du tocilizumab, du sarilumab ou d’un anti-JAK kinase sera privilégiée (12).
En cas d’échec thérapeutique avec un bDMARD (associé au méthotrexate), l’utilisation d’un autre bDMARD ou d’un inhibiteur des JAK-kinases doit être envisagée (12).
Lorsque le patient est en rémission sous traitement biologique depuis plus de 6 mois, une réduction de la dose du traitement biologique peut être proposée (après avoir réduit puis arrêté les glucocorticoïdes) (1,10,12).
En général, les bDMARDs sont bien tolérés. Il est à noter qu’ils majorent légèrement le risque infectieux, surtout respiratoire et cutané. Le risque d’apparition de tumeurs solides n’est pas augmenté dans la population traitée au long cours, seul le risque des cancers baso- ou spinocellulaires est légèrement augmenté. Le lymphome peut être observé sous biothérapie mais il est attribué à une complication potentielle de la PR et ce risque augmente en fonction de la sévérité de la maladie (13).
Le principal obstacle à l’utilisation des biothérapies en clinique est leur coût élevé par rapport aux DMARDs conventionnels : un traitement d’une année représente un coût de 10 000 à 15 000 €. À l’opposé, il faut prendre en considération les économies réalisables grâce à l’introduction précoce des traitements biologiques, avec une réduction des frais médicaux à long terme d’une maladie chronique par la prévention du handicap fonctionnel, des maladies associées et de la préservation de la vie socioprofessionnelle.
Des études cliniques ont démontré que l’utilisation précoce de ces agents chez des patients présentant une PR débutante apporte un bénéfice surtout marqué sur la prévention des destructions articulaires (11).
Outre les traitements médicamenteux, la prise en charge de la polyarthrite rhumatoïde doit être multidisciplinaire.
L’infirmière qui permettra la coordination, le suivi et l’éducation thérapeutique.
Le kinésithérapeute effectuera le bilan fonctionnel, l’éducation et la prise en charge souvent indispensable dans les formes évoluées.
L’ergothérapeute permettra de lutter contre les déformations des doigts, d’éduquer le patient (hygiène gestuelle et de vie), et de lui donner des conseils.
Le chirurgien dont l’intervention est nécessaire pour les arthroplasties et pour corriger les déformations dans certains cas avancés.
Le psychologue est souvent nécessaire pour soutenir le patient dans sa maladie.
L’assistant social apportera son aide en vue de maintenir ou adapter les capacités professionnelles du patient.
Conclusion
La connaissance plus précise de la physiopathologie, une meilleure évaluation clinique et l’avènement de nouveaux traitements ont permis de changer l’évolution de la polyarthrite. Des stratégies thérapeutiques ont ensuite pu être établies avec comme objectif principal la rémission ou du moins une activité faible de la maladie. Comme nous l’avons évoqué, la polyarthrite rhumatoïde peut causer un handicap fonctionnel majeur et impacter la qualité de vie de manière significative. Un diagnostic et une prise en charge précoces sont donc essentiels pour prévenir les conséquences potentielles de cette maladie. µ
Affiliations
* Ces auteurs ont contribué de manière identique à cette publication
- Service de Rhumatologie, Cliniques universitaires Saint-Luc, Université catholique de Louvain (UCLouvain), Institut de Recherche Expérimentale et Clinique (IREC)
- Service de Rhumatologie, CHU Mont-Godinne – UCL,
- Service de Rhumatologie, CHU Saint-Pierre, Bruxelles,
Correspondance
Dr. Tatiana Sokolova
Cliniques universitaires Saint-Luc
Service de Rhumatologie,
avenue Hippocrate 10,
B-1200 Bruxelles
Université catholique de Louvain (UCLouvain)
Institut de Recherche Expérimentale et Clinique (IREC)
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