Pourquoi les patients avec antécédents thrombo-emboliques veineux sous anti-vitamine K n’ont-ils pas droit aux nouveaux anticoagulants oraux ?

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C. Hermans, C. Lambert Publié dans la revue de : Novembre 2016 Rubrique(s) : Hématologie
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Résumé de l'article :

Formidable succès thérapeutique des dernières années, désormais remboursés dans un nombre croissant d’indications, les nouveaux anticoagulants oraux (NACOs) ou anticoagulant directs oraux (ADOs) s’imposent comme les agents thérapeutiques de premier choix pour les patients devant bénéficier d’un traitement anticoagulant oral.

Mots-clés

Maladie thrombo-embolique veineuse, anti-vitamine K, nouvel anticoaguilant oral

Article complet :

Formidable succès thérapeutique des dernières années, désormais remboursés dans un nombre croissant d’indications, les nouveaux anticoagulants oraux (NACOs) ou anticoagulant directs oraux (ADOs) s’imposent comme les agents thérapeutiques de premier choix pour les patients devant bénéficier d’un traitement anticoagulant oral.

Il suffit d’avoir suivi quelques patients sous NACO pour être convaincu de leurs avantages majeurs et incontestables. Certes, ils ne sont pas dénués de risque hémorragique, d’ailleurs inhérent à tout anticoagulant. Cependant leur facilité d’utilisation, l’absence de monitoring, des adaptations posologiques aisées, le risque sans conteste moindre de complications hémorragiques notamment cérébrales par comparaison aux anti-vitamine K (AVKs), le nombre limité d’interférences médicamenteuses, la disponibilité d'un agent neutralisant tel que le Praxbind®, représentent autant d’atouts majeurs appréciés tant par le patient que par le corps médical.

Les candidats les plus nombreux aux NACOs sont sans aucun doute les patients en fibrillation auriculaire (FA). La plupart des médecins, qu’ils soient généralistes ou spécialistes, ont désormais adopté et appris à bien utiliser les NACOs dont ils maîtrisent les contre-indications (insuffisance rénale, valve cardiaque mécanique). La plupart des patients en FA sont d’ailleurs éligibles pour les NACOs, qu’ils aient déjà présenté un accident thrombo-embolique ou qu’ils soient à risque tel qu’évalué par le score CHADS2-VASc. Tous ces patients ont en commun un âge égal ou supérieur à 65 ans, une limite d’âge fixée par les critères de remboursement. Les NACOs s’imposent donc comme l’anticoagulant de choix chez tout patient en FA éligible à l’initiation d’une anticoagulation orale. En outre rien ne s’oppose à ce que tout patient en FA sous AVK même de longue date, indépendamment de la qualité de l’anticoagulation obtenue, soit switché vers un NOAC. Cela se comprend aisément si l’on tient compte des multiples avantages des NOACs détaillés ci-dessus.

Au-delà de la FA, la maladie thrombo-embolique veineuse (thrombose veineuse et/ou embolie pulmonaire) représente actuellement la deuxième indication des NOACs. Dans ce contexte et tel que démontré par des études plus récentes, les NOACs font certainement aussi bien que les AVKs en termes d’efficacité antithrombotique et même beaucoup mieux si on considère le risque de complications hémorragiques.

Même si une grande patience a été requise, on peut se satisfaire que les NOACs sont désormais remboursés pour tout patient avec un épisode de TVP et/ou EP pour une période maximale de 1 an. Sur base de critères qui ont le mérite d’être relativement souples, ce remboursement peut être prolongé et renouvellé annuellement chez les patients candidats à une anticoagulation prolongée. Ceci constitue une avancée majeure pour tous les patients qui développent une TVP/EP et qui, comme les patients en FA, peuvent prétendre à une anticoagulation orale optimalisée par un NOAC.

Les critères de remboursement ont toutefois oublié, sinon ignoré, de nombreux patients actuellement anticoagulés. Il s’agit de ces milliers de patients qui sont actuellement sous AVK de façon prolongée suite à la survenue dans le passé d’un ou de plusieurs accidents thrombotiques veineux (thrombose veineuse et/ou embolie pulmonaire) justifiant une anticoagulation orale prolongée et survenus avant l’ère des NOACS.

Ces patients peuvent présenter une thrombophilie sévère (déficit en antithrombine par exemple), une thrombophilie mixte, des antécédents d’EP massive et/ou idiopathique, des antécédents d’accidents thrombotiques veineux récurrents, autant de circonstances justifiant une anticoagulation prolongée, parfois indéfinie. Tous ont en commun d’être sous AVK depuis des années.

Pour ces derniers, il n’y a actuellement aucune perspective de pouvoir bénéficier du remboursement d’un NOAC. Regrettable de les avoir oubliés. Plus regrettable encore de leur refuser systématiquement tout remboursement d’un NOAC. Les mutuelles sont généralement inflexibles et les sociétés pharmaceutiques ont mis une croix définitive sur leur programme d’usage compassionnel que certaines ont bien valorisé avant le remboursement pour introduire largement leurs molécules sur le marché.

L’injustice est grande. Alors qu’une patiente de 78 ans en FA a droit à un NOAC, alors qu’un patient de 71 ans en FA et sous AVK depuis 10 ans a droit au remplacement de son AVK par un NOAC, alors qu’une patiente qui présente une TVP du mollet après une chute a droit à un NOAC, un jeune homme de 28 ans qui a présenté une thrombose étendue de la veine cave inférieure à l’âge de 19 ans avec embolie pulmonaire massive, favorisée par un déficit familial en antithrombine et sous AVK depuis plus de 10 ans ne peut prétendre à un NOAC. Révoltant, à l’encontre de tout bon sens scientifique, ce patient est actuellement condamné à son AVK, à ses contraintes, ses interférences.

Il est temps de mettre fin à cette ségrégation et à cette injustice et de donner les mêmes chances à tous les patients devant bénéficier d’une anticoagulation orale prolongée. C’est un devoir de santé publique et une exigence médicale.

Affiliations

Cliniques universitaires Saint-Luc, Service d’Hématologie, Hémostase - Thrombose/hémophilie,
Avenue Hippocrate 10, B-1200 Bruxelles