Pourquoi aborder ce sujet ?
Notre santé est intimement liée à celle de notre environnement et cette notion est devenue un enjeu majeur de santé publique, comme le souligne le Lancet Countdown (1). L’environnement est soumis à de nombreux bouleversements : pollutions de l’air et de l’eau, transformations de notre alimentation, changement climatique entraînant vagues de chaleur, sécheresses, inondations, évènements climatiques extrêmes, perte de biodiversité, … Les gains obtenus ces dernières années en termes d’espérance de vie ou de santé globale pourraient être mis à mal par tous ces changements (2). La WONCA (Organisation Mondiale des Médecins Généralistes) a publié en 2019 un appel à l’action en faveur de la santé planétaire (3). Dans celui-ci, on retrouve cinq catégories de conséquences pour notre santé (tableau 1).
De nombreuses institutions et équipes de recherche se penchent sur les actions possibles. Le GIEC, dans son rapport de 2018 (4), recommande une réduction de 45% d’émissions des gaz à effet de serre d’ici 2030 et un objectif d’émissions nulles pour 2050, afin de limiter le réchauffement planétaire à 1,5°C. L’approche One Health, ou « une seule santé », permet aux professionnels de la santé humaine, animale, et environnementale de croiser leurs compétences et connaissances, afin de progresser de manière transdisciplinaire dans la santé publique (5). Citons aussi cet « Abrégé à l’intention des professionnels de la santé » (6), où pour chaque domaine clinique, les risques liés au réchauffement clinique sont répertoriés et peuvent aider à de meilleures prises en charge. En Belgique, une étude de 2021 sur les conséquences du changement climatique sur notre système de santé (7) a établi une liste de recommandations pour des mesures d’adaptation afin d’atténuer ou éviter les effets du changement climatique. Pour les médecins généralistes, la WONCA a spécifiquement listé un ensemble d’actions réalisables (3) (tableau 2).
Dans la suite de ce résumé, nous allons développer plus spécifiquement le conseil du cobénéfice au patient. La WONCA le définit cliniquement comme étant « Les choix quotidiens et les changements clés que les personnes/patients peuvent faire dans leur propre vie qui conduisent simultanément à un bénéfice pour leur propre santé et pour celle de l’environnement. » Il en existe de nombreux types : les choix alimentaires, le transport actif, les choix énergétiques, la santé reproductive, la connexion à la nature, …
Comment aborder ce sujet ? Un exemple de situation clinique pour aborder les cobénéfices
Nous vous proposons pour illustrer le concept, une situation clinique. Pour l’enseignement, celle-ci pourrait par exemple être rapportée lors d’une séance d’accompagnement de stage, avec une méthode d’apprentissage actif, comme la pédagogie narrative. En intégrant de la théorie à des situations vécues, cette situation permet à la fois d’apprendre ensemble, de générer des connaissances diversifiées en questionnant les autres possibilités existantes ; elle va également limiter l’isolement et soutenir le partage émotionnel (8).
Dans cette situation, on peut relever certains leviers, où le médecin peut avoir une prise pour stimuler des changements de comportements pouvant être à la fois bénéfiques pour la santé du patient, et durables pour notre environnement.
Quelle utilité de l’abord des cobénéfices en consultation
Cobénéfices liés à l’alimentation
Dans la situation clinique, Mr R rapporte une alimentation riche en aliments sucrés, ultratransformés et en viande rouge. Les impacts sur la santé d’un tel régime sont multiples : majoration des facteurs de risques pour certains cancers, du risque de diabète, d’hypercholestérolémie, d’hypertension ou d’obésité. Les recommandations alimentaires belges actuelles conseillent pourtant une limitation de la viande rouge à 300g par semaine, de la viande transformée à 30g, stimulent plutôt une consommation de céréales complètes, de légumineuses hebdomadaires au minimum et font toujours la part belle aux légumes et aux fruits (9). Le EAT-Lancet va dans ce sens et a imaginé une assiette-type pour nourrir de façon saine et durable la population mondiale qui va s’accroitre (10).
De plus, les conséquences pour l’environnement d’un tel régime sont nombreuses (11) : l’agriculture et l’élevage engendrent jusque 30% des émissions de gaz à effet de serre, la transformation des terrains en terres agricoles va fragmenter les habitats naturels et participer à une diminution de la biodiversité, ceci aussi suite à l’utilisation de pesticides. Outre cela, produire des aliments d’origine animale est beaucoup plus énergivore en ressources que ceux d’origine végétale. A titre comparatif, produire 1g de protéines issues de légumineuses émet 0,3g de CO2, alors que produire 1g de protéines de viande de ruminants va émettre environ 62g de CO2. Pourtant, la tendance des régimes va bien vers une augmentation de la consommation des produits d’origine animale, contrastant avec un gaspillage des aliments allant jusque 30% de la production jusqu’au consommateur (11). Comme professionnel de santé, si je stimule, encourage, conseille Mr R à modifier ses choix alimentaires, il y aura donc de nombreux cobénéfices possibles.
Cobénéfices liés à la mobilité
Concernant la mobilité de Mr R, celle-ci se fait essentiellement par la voiture. Les impacts sur la santé sont nombreux : cela renforce la sédentarité, entraine des maladies cardiovasculaires et pulmonaires par exposition à la pollution atmosphérique, et les infrastructures nécessaires vont réduire les espaces verts qui sont notamment des lieux de rencontre sociale (11). Pour un adulte, l’OMS recommande au minimum 150 minutes d’activité physique modérée par semaine. Pourtant, en 2018, plus de 70% de la population belge ne répondait pas à cette recommandation (12). Pour notre environnement, en plus d’être une source majeure d’émissions de gaz à effet de serre participant au changement climatique, le transport motorisé participe à une pollution atmosphérique dégradant de nombreux écosystèmes, et la production des véhicules et des infrastructures émet à elle seule des gaz à effet de serre, morcelle les habitats naturels et nécessite des ressources non renouvelables (11). En stimulant Mr R à utiliser d’autres moyens de transports plus actifs, nous pourrions à nouveau engendrer de nombreux cobénéfices.
Conclusions
Notre santé étant étroitement liée à celle de notre environnement, en permettant de concilier santé individuelle et collective, bénéfices sur le court et le long terme (11), le conseil des cobénéfices aux patients fait partie des recommandations établies par la WONCA pour agir en faveur de la santé planétaire (2).
Dans cet article, nous avons choisi de présenter les cobénéfices liés aux choix alimentaires et au mode de transport. Ayant ses propres limites, comme la nécessité de mesures structurelles accompagnant ces changements, ce concept a néanmoins de nombreux avantages : renforcer la visibilité des liens entre santé et environnement, permettre à la santé de jouer un rôle moteur dans la transition de nos sociétés, se représenter l’environnement comme n’étant plus externe à l’individu mais bien intégré dans une relation dynamique et complexe avec lui (11).
Correspondance
Dre Mathilde Lechat
Assistante en médecine générale
m.lechat@ecomail.be
Références
- Watts N, Amann M, Arnell N, Ayeb-Karlsson S, Beagley J, Belesova K, & al. The 2020 report of The Lancet Countdown on health and climate change: responding to converging crises. Lancet. 2021 Jan 9;397(10269):129-170.
- Gonzalez Holguera, J., & Senn, N. (2021). Co-bénéfices santé-environnement: revue de la littérature. Bulletin des médecins suisses, 102(24), 807-809.
- WONCA, Planetary Health Alliance (2019). Declaration calling for family doctors of the world to act on planetary health.
- Masson-Delmotte V, Zhai P, Pörtner HO, Roberts D, Skea J, Shukla PR, et al . GIEC, 2018: Résumé à l’intention des décideurs, Réchauffement planétaire de 1.5° C.
- World Health Organization (WHO) [En ligne]. « Une seule santé » ; [consulté le14 août 2023]. Disponible : https://www.who.int/fr/news-room/questions-and-answers/item/one-health
- Bélanger, P. Les changements climatiques - Abrégé à l’intention des professionnels de la santé, Institut national de santé publique du Québec. 2021.
- Van de Vel, K., Vandenberghe, D, Bruffaerts, N, De Clercq, E, De Ridder, K, Devleesschauwer, B, et al. Impacts des changements climatiques sur le système des soins de santé en Belgique. Résumé à l’intention des décideurs. 2021.
- Bélanger, L. & Porlier, M. (2017). La pédagogie narrative en sciences infirmières : activités éducatives et défis. Recherche en soins infirmiers, 129, 52-59. https://doi.org/10.3917/rsi.129.0052
- Conseil supérieur de la santé. (Juin 2019 ). Recommandations alimentaires pour la population belge adulte. CSS N° 9284.
- EAT [En ligne]. The Planetary Health Diet - EAT ; [consulté le 14 août 2023]. Disponible : https://eatforum.org/eat-lancet-commission/the-planetary-health-diet-and....
- Holguera, JG, Senn, N. Co-bénéfices santé-environnement et changement climatique: concepts et implication pour l’alimentation, la mobilité et le contact avec la nature en pratique clinique. La Presse Médicale Formation. 2021 ; 2(6) : 622-627.
- Vers une Belgique en bonne santé [En ligne]. Activité physique - Vers une Belgique en bonne santé ; [consulté le 14 août 2023]. Disponible : https://www.belgiqueenbonnesante.be/fr/etat-de-sante/determinants-de-san...