Introduction
La cirrhose est une pathologie chronique et irréversible du foie caractérisée par une fibrose cicatricielle et une réorganisation pathologique du tissu hépatique. Elle est responsable d’une morbidité et mortalité élevée et est la première cause de greffe hépatique que ce soit aux Etats-Unis ou en Europe (1). Le diagnostic peut être suggéré par certaines anomalies biologiques et certains signes échographiques. L’histologie (biopsie hépatique) reste le « gold standard » pour la confirmation du diagnostic, toutefois aujourd’hui des méthodes non invasives biologiques (par exemple : le fibrotest) ou d’imagerie (élastographie, par exemple par fibroscan) permettent de réaliser le diagnostic de cirrhose sans biopsie. Les aspects thérapeutiques englobent le traitement des facteurs étiologiques et des complications (2). Une partie de la prise en charge et du suivi peut facilement être réalisé en médecine générale.
Étiologie
La consommation excessive d’alcool (6-10% population belge), les hépatites B (0.3-0.7% de porteurs chroniques en Belgique) et C (1% de la population belge), les stéatoses hépatiques d’origine non alcoolique (NASH, 5% population belge) sont les principales étiologies de la cirrhose dans nos pays (1). Certains signes biologiques peuvent être le témoin d’un éthylisme chronique comme la présence d’une macrocytose (Volume globulaire moyen (VGM) > 100fL), une élévation des gamma GT (GGT), de l’acide urique, des triglycérides (TG), des transaminases (aspartate aminotransferases (GOT ou ASAT) > alanine aminotransferases (GPT ou ALAT)) et des immunoglobulines A. Un surpoids ou la présence d’un syndrome métabolique peuvent être responsable d’une stéatose non-alcoolique ou NASH. Le syndrome métabolique est défini comme la présence de 3 critères parmi les 5 suivants : l’hypertension artérielle, l’hypercholestérolémie, l’obésité abdominale, un taux bas de HDL, le diabète ou l’intolérance glucidique (3). Les étiologies infectieuses de la cirrhose regroupent principalement l’hépatite C et l’hépatite B. Les sérologies virales font donc partie du bilan étiologique d’une cirrhose et comprennent les Anticorps (Ac) anti HCV, Ac anti HBs, Ac antiHBc et l’Antigène HBs (Ag HBS). Une étiologie moins fréquente est la surcharge en fer (hémochromatose) qui est caractérisée par un dosage élevé de fer, de ferritine et de la saturation de la transferrine. Il faudra être attentif chez un patient avec une consommation excessive d’alcool, car la ferritine et la saturation de la transferrine peuvent être majorée sans présence d’hémochromatose. Dans ce cas, pour faire le diagnostic d’hémochromatose, ces tests devront être réalisés à jeun ou à distance de la prise d’alcool. Il est également intéressant de noter qu’on retrouve fréquemment une ferritine élevée dans le syndrome métabolique mais sans élévation de la saturation de la transferrine.
Les atteintes auto-immunitaires du foie (hépatites auto immunes, cholangite biliares primitive, cholangite sclérosante etc.) certaines maladies héréditaires (maladie de Wilson, déficit en α1 antitrypsine) sont des exemples d’étiologies plus rares de cirrhose et doivent être prise en charge par les hépatologues.
Le bilan initial doit inclure un bilan biologique complet comprenant une formule sanguine, les tests hépatiques complets (ASAT, ALAT, phosphatase alcaline, GGT), les tests de fonction hépatique (Temps de Prothrombine, bilirubine totale, albumine) pour notamment calculer le score de Child-Pugh et également comprendre les électrolytes (Na, K, Ca), la fonction rénale ainsi qu’un dosage de l’alpha-fœtoprotéine (AFP). Le bilan étiologique de départ comprendra la glycémie et le bilan lipidique (cholestérol, HDL, TG), le bilan martial à jeun (fer, ferritine, saturation de la transferrine), les sérologies des hépatites virales (Ag HBs, Ac anti-HBc, Ac anti-HCV,), On vérifiera également les Ac anti-HAV totaux et les Ac anti-HDV (si HBs Ag positif) et on effectuera un dépistage du VIH (Ac antiVIH). Des dosages plus spécifiques seront effectués en cas de bilan étiologique initial négatif ou non-concluant : les sérologies auto-immunes (anticorps antinucléaires, anticorps antimuscles lisses, anticorps anti-mitochondries, ANCA), une électrophorèse des protéines, le dosage des immunoglobulines IgG, IgA, IgM, un dosage de l’alpha 1-antitrypsine ainsi que du cuivre et de la céruloplasmine (uniquement chez le patient < 35 ans).
Diagnostic et évaluation
a. Diagnostic initial
Au niveau biologique, les anomalies devant faire évoquer une cirrhose sont la présence à l’hémogramme d’une leucopénie, d’une thrombopénie, une majoration des gammaglobulines avec ou sans tests hépatiques anormaux (ASAT, ALAT, GGT). A l’échographie abdominale, on peut retrouver une splénomégalie et un foie avec des contours irréguliers. Si de telles anomalies sont retrouvées, des examens complémentaires sont indiqués pour confirmer et évaluer le stade de la fibrose. Deux tests sont le mieux validés parmi les tests non invasifs :
- un test biologique (Fibrotest®) : dans ce test, les paramètres pris en compte sont la bilirubine totale, l’haptoglobine, les GGT, α5-macroglobuline et l’apoliprotéine A. Ce test a été validé dans les hépatites C, hépatite B, les co-infections HIV/HCV, les stéatoses hépatiques non alcooliques (NASH). Un résultat supérieur à 0,9 confirme le diagnostic de cirrhose et un résultat entre 0,81 et 0,89 signe une fibrose significative (4) ;
- l’élastographie impulsionnelle (Fibroscan®) : cet examen se base sur une technique d’ultrasons et mesure la vitesse de propagation des ondes envoyées au niveau du foie. Cette vitesse est directement corrélée à la rigidité du foie. Des mesures élevées sont associées à une fibrose élevée. L’interprétation des résultats dépend du type de pathologie hépatique sous-jacente (5,6). Certaines situations cliniques (insuffisance cardiaque, hépatite aigue, état post prandial, degré de stéatose ou d’inflammatoire élevé) peuvent être responsables d’une surestimation des résultats (7-11). L’obésité, la présence d’ascite, de petits espaces intercostaux peuvent représenter des obstacles techniques à la réalisation de cet examen (12).
b. Évaluation de la fonction de synthèse du foie
Une anomalie de la fonction de synthèse du foie sera détectée par le dosage de certains marqueurs biologiques comme la bilirubine et l’albumine et les marqueurs de la coagulation (INR, PTT). Dans un contexte de cirrhose, une élévation de la créatinine ou une hyponatrémie sont des signes biologiques indirects de la sévérité de l’atteinte du foie.
c. Complications cliniques
Les principales complications retrouvées chez un patient cirrhotique sont l’encéphalopathie et l’hypertension portale qui se traduit par la présence de varices œsophagiennes et/ou gastriques ou d’ascite. L’encéphalopathie est un diagnostic clinique. Dans un premier temps, elle peut cependant être infra clinique et ne se manifester que par de légers troubles de mémoire ou du sommeil. Les stades cliniques sont repris dans le tableau 1.
La présence de varices œsophagiennes et ou gastriques doit être recherchée par gastroscopie. En cas de varices, le risque de saignement se situe entre 5 à 15 % par an avec une mortalité non-négligeable de 15-25 % à 3 mois de l’hémorragie digestive (2). La détection d’ascite à l’examen clinique correspond à la présence d’une matité mobile dans les zones déclives. Bien sûr, l’échographie abdominale permet d’aider au diagnostic ou de détecter une faible quantité d’ascite (tableau 2), elle permet également de mettre en évidence par doppler la présence de collatérales intra-abdominales (voie de dérivation porto systémique comme la veine gastrique gauche, paraombilicale, …) pouvant être un signe précurseur de développement d’ascite. La présence d’ascite est un signe de gravité de la maladie car elle est liée à une mortalité à 1 an de 40 % et à 2 ans de 50%.
d. Scores pronostic
Plusieurs scores permettent d’évaluer le stade de la cirrhose et sont lié à la mortalité. Les plus utilisés sont le score de Child-Pugh et le score de MELD et sont repris ci-dessous.
Un score Child-Pugh A est corrélé à une mortalité à 1 an quasi nulle, un score Child-Pugh B est corrélé à 70% de survie à 2 ans et un score Child-Pugh C à 40% de survie à 2 ans (13). Le score MELD fait intervenir la créatinine, la bilirubine et l’INR (MELD = 3,8 x loge (bilirubine totale en mg/dl) + 11,2 x loge (INR) + 9,6 x loge (créatinine en mg/dl) + 6,4). Il peut facilement être déterminé via des calculateurs disponibles sur l’Internet. Utile dans nombre de situations cliniques en hépatologie, c’est surtout en transplantation hépatique que le score MELD s’est imposé. Ce score permet dans un premier temps d’identifier les patients susceptibles de bénéficier d’une transplantation, qui doivent être référés à un centre de transplantation pour évaluation (MELD ≥15). Le MELD peut également être utilisé pour prédire la mortalité à court et moyen termes (trois à douze mois) dans plusieurs situations cliniques, telles que le TIPS, l’hépatite alcoolique, le syndrome hépatorénal de type 2, le sepsis dans un contexte de cirrhose, l’insuffisance hépatique aiguë et la rupture de varices œsophagiennes et ou gastriques. Par exemple chez un patient présentant une cirrhose avec un sepsis non lié à une péritonite bactérienne spontanée, un MELD score > 20 est lié à une moralité à 3 mois de presque 60%. (14).
Principes de traitement
a. Etiologies
Éradiquer la cause de la cirrhose a clairement un impact sur l’évolution de celle-ci. Si l’origine est toxique, l’arrêt complet de la consommation d’alcool est indispensable et améliore le pronostic du patient. Dans le cas d’une NASH, la perte de poids doit être motivée ainsi que la prise en charge des facteurs du syndrome métabolique (traiter l’HTA, le diabète, l’hypercholestérolémie…). En cas d’hémochromatose, des plasmaphérèses sont parfois indiquées et sont à discuter avec les hématologues afin d’obtenir une ferritine en dessous de 100 µg/L. Un traitement curatif est maintenant disponible pour les hépatites C et permet une guérison dans 95% des cas (15). Pour l’hépatite B, un traitement empêchant la réplication virale existe et permet souvent de stabiliser la maladie ou de prévenir l’évolution vers une cirrhose et/ ou hépatocarcinome. Enfin dans le cas de maladie immunitaire, un traitement immunosuppresseur sera parfois indiqué. Ces traitements sont à discuter avec les spécialistes (hépatologues ou infectiologues).
b. Prévention
Certains médicaments sont à proscrire chez le patient cirrhotique comme les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine, les antagonistes de l’angiotensine II car ils augmentent le risque d’évolution vers une insuffisance rénale. Les AINS jouent également un rôle dans l’hyponatrémie et ont des effets secondaires gastro-intestinaux importants. Le paracétamol 500 mg est autorisé jusqu’à une dose de 2gr/jour. Le tableau 4 reprend les médicaments à éviter ou pour lesquels la posologie doit être ajustée.
En termes d’alimentation, il faut conseiller la prise de 3 repas par jour avec une collation au coucher. En effet, la malnutrition est fréquente (déjà au stade de cirrhose compensée) et représente un facteur délétère important. En présence d’ascite, le patient perd déjà 10% de ces calories. Les besoins en calories et protéines sont repris dans le tableau 5 ci-dessous.
Pour atteindre ces objectifs, la consommation de supplément alimentaire peut être utile. En cas d’encéphalopathie ou d’insuffisance hépatique avancée, il n’y a pas d’indication de restreindre l’apport en protéines. Si le patient n’est pas immunisé contre l’hépatite A et B, la vaccination est recommandée. En effet, en cas d’hépatite virale aigue, le patient cirrhotique est plus à risque d’infection sévère et elle peut être responsable d’une décompensation de la cirrhose. La vaccination annuelle contre la grippe, et celle contre le pneumocoque (Prevenar 13, vaccin conjugué 13-valent, suivie d’une dose de PPV23, vaccin polysaccharidique 23-valent, entre 8 semaines et 6 mois après avec un rappel tous les 5 ans par PPV23) sont également recommandées.
c. Traitement de l’ascite
Un régime pauvre en sel doit être adopté avec un objectif de < 6g de sel par jour, cela suppose l’absence de salière à table et de sel dans les préparations. Il faut supprimer les plats préparés, les charcuteries fumées et séchées, les aliments en conserve et en boite, les matières grasses salées et certaines eaux comme l’eau de Vichy. Au contraire, il faut recommander, les viandes, légumes non préparées, frais, les fromages blancs, la mozzarella, les fromages belges. Les produits surgelés non préparés peuvent être consommés. L’apport hydrique maximal est de 1,5L par jour ou de 1L en cas d’hyponatrémie. Ensuite, un traitement par diurétique doit parfois être introduit et la spironolactone (molécule de choix du fait d’un hyperaldostéronisme secondaire) est alors indiquée à un dosage de départ de 100mg/jour en cas de fonction rénale normale. Si c’est insuffisant, la spironolactone peut être majorée jusqu’à 300mg/jour avant d’envisager l’introduction d’un diurétique de l’anse comme le furosémide (40 à 80 mg/jour) (2). Dans cette situation, une prise en charge par un spécialiste est souvent indiquée vu la décompensation probable du patient cirrhotique. L’introduction d’un traitement par diurétiques implique une surveillance régulière de la fonction rénale (créatinine) et de l’ionogramme. De nouveau, l’apport calorique joue un rôle important car en cas d’hypoalbuminémie, les diurétiques ne pourront pas agir de façon optimale. Le maintien d’une albumine > 30g/l est l’objectif et il faut parfois avoir recours à des administrations intraveineuses d’albumine en plus du régime hyperprotéiné.
d. Prévention de l’hémorragie par varices œsophagiennes
L’administration de béta-bloquant non sélectif (propanolol, nadolol) ou de carvedilol (6,25 à 12,5mg/jour) peut être considérée en cas de varices de grade II. Il ne sera pas introduit ou sera suspendu en cas en cas d’ascite réfractaire associée à une hypotension (tension artérielle systolique < 90mmHg), à une créatinine > 1,5mg/dl ou à une hyponatrémie < 130mmol/L (2).
Suivi
Le patient cirrhotique doit bénéficier tous les 6 mois d’une échographie doppler abdominale en priorité et d’un dosage en α-foeto-protéine afin de dépister la présence d’un hépatocarcinome. L’incidence est de 1-8% par an chez le cirrhotique. Les cirrhoses dont l’étiologie est l’alcool, une NASH, une hépatite virale ou une hémochromatose semblent plus à risque que les autres étiologies de développer un hépatocarcinome. Une gastroscopie est à réaliser au moment du diagnostic de la cirrhose et ensuite tous les 2 à 3 ans si le patient n’est pas connu avec des varices œsophagiennes. En cas de varices à la gastroscopie initiale, il est recommandé de répéter l’examen 1x par an.
En conclusion
La prise en charge de la cirrhose peut être résumée en quatre grandes étapes :
- confirmer le diagnostic de cirrhose et en déterminer l’étiologie (échodoppler, fibroscan®, prise de sang) ;
- évaluer la sévérité de l’atteinte et rechercher les complications (prise de sang, gastroscopie,…) ;
- initiation d’un traitement de base si nécessaire
a. Nutrition : peu de sels, beaucoup de protéines
b. Spironolactone si présence d’ascite
c. Traitement des complications et des étiologies
- suivi
d. Echodoppler et prise de sang (α-foeto-protéine)tous les 6 mois
e. Gastroscopie tous les 1 à 3ans.
Affiliations
(1) Service de Médecine interne, Cliniques universitaires Saint-Luc, Université catholique de Louvain, Avenue Hippocrate 10, 1200 Bruxelles. Belgique
(2) Service de Hépato-Gastroentérologie, Cliniques universitaires Saint-Luc, Université catholique de Louvain, Avenue Hippocrate 10, 1200 Bruxelles. Belgique
Correspondance
Pr. Peter Stärkel
Cliniques universitaires Saint Luc
Service de Hépato-Gastroentérologie
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles
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