Introduction
L’infection du pied diabétique complique le plus souvent l’évolution d’un ulcère survenu à la faveur de micro-traumatismes répétés (ex. frottement dans une chaussure) sur un pied diabétique neuropathique. Elle résulte plus rarement d’un traumatisme direct (ex. marcher sur un clou). L’infection des tissus mous et l’infection osseuse (ostéite) compliquent plus d’un tiers des ulcères du pied (1). L’artérite des membres inférieurs et l’insuffisance vasculaire accroissent la fréquence et la sévérité des infections (2). Or, l'artérite est présente chez la majorité des patients qui ont un ulcère du pied. Finalement, l’infection du pied diabétique est reconnue comme un facteur de mauvais pronostic tant pour le pied que pour le patient. Sa prise en charge est complexe et multi-disciplinaire.
Notre article résume les principes généraux de la prise en charge de l’infection du pied diabétique, basés principalement sur les nouvelles recommandations de l’IWGDF (3) et présente les recommandations antibiotiques, basées sur la classification PEDIS, telles qu’elles sont appliquées aux Cliniques universitaires Saint-Luc.
Présentation clinique et diagnostic
Infection des tissus mous
Le diagnostic de l’infection des tissus mous (cellulite, abcès, infections nécrosantes) est d’abord clinique et basé sur la présence de signes inflammatoires locaux et/ou systémiques. Au moins deux signes d’inflammation locale (douleur, chaleur, érythème, œdème) et/ou des sécrétions purulentes doivent être présents (3). Toutefois, ces signes peuvent être masqués par l’hypoesthésie secondaire à la neuropathie et par l’insuffisance vasculaire secondaire à l’artérite. Une odeur fétide, un tissu cutané friable, un exsudat, un changement d’aspect de l’ulcère ou la présence de tissus nécrotiques constituent des signes « secondaires » d’infection. Les signes systémiques (fièvre, frissons, sensation de chaud-froid, …) ou équivalents métaboliques (acido-cétose, coma hyper-osmolaire, augmentation des besoins en insuline) sont peu fréquents même en cas d’infection étendue et profonde ou de bactériémie.
Ostéite
L’ostéite du pied diabétique est une ostéite de contiguïté, pauci-symptomatique. Elle doit être recherchée de manière systématique en cas d’ulcère du pied et doit être suspectée devant une combinaison de données cliniques et radiologiques (Tableau 1). Lorsque ces données sont discordantes malgré une forte suspicion clinique, il est recommandé : soit de contrôler la radiographie osseuse standard après un intervalle de 10 à 14 jours, soit de réaliser une imagerie par résonnance magnétique (IRM) ou un scanner (CT-Scan), soit de réaliser une biopsie osseuse (percutanée ou chirurgicale). L’IRM, principalement, et le CT-scan permettent un diagnostic précoce de l’ostéite par comparaison à la radiographie standard. La biopsie osseuse permet un diagnostic de certitude sur base de la microbiologie et de l’histologie. Elle permet également l’identification des germes responsables de l’ostéite. Les données biologiques (C-reactive protein (CRP), globules blancs neutrophiles) sont en revanche peu contributives au diagnostic de l’ostéite.
Tableau 1.
Classification et évaluation systématique
De nombreuses classifications ont été publiées dans le but de catégoriser et d’évaluer l’ulcère du pied diabétique. La classification PEDIS a l'avantage de permettre une évaluation complète et systématique (4). Nous recommandons d'évaluer la sévérité et la profondeur de toute infection du pied diabétique selon cette classification. (Tableau 2). Initialement développée pour un usage en recherche, son utilisation dans la pratique clinique a été validée et son système de grades est bien corrélé au pronostic de l’infection (4). Dans les nouvelles recommandations de l’IWGDF (3), l’ostéite (« O ») est reconnue comme une entité distincte et indépendante de la sévérité de l’infection des tissus mous car elle constitue un facteur pronostique additionnel et requiert une prise en charge diagnostique et thérapeutique spécifique.
Prélèvements
En règle générale, les prélèvements sont réservés aux ulcères infectés (I2-I4) (Tableau 3). En effet, ils ont pour but de guider le traitement antibiotique par l’identification des germes pathogènes. Le frottis de l’ulcère est un prélèvement facile à réaliser. Toutefois, le taux de concordance des germes identifiés par le frottis superficiel et par un prélèvement tissulaire profond est faible (5,6). Il est donc recommandé de réaliser un frottis profond (contact osseux, …). Les alternatives au frottis profond sont le prélèvement tissulaire à la curette et la « punch » biopsie, tous deux recommandés par l’IWGDF (3). Il n’est pas non plus contre-indiqué de prescrire une antibiothérapie empirique (probabiliste) sans réaliser de prélèvement en cas d’infection aiguë légère des tissus mous (I2) et en l’absence d’antibiothérapie préalable ou de germes résistants connus (3). Comme expliqué précédemment, la biopsie osseuse (transcutanée, radioguidée ou chirurgicale) est intéressante pour le diagnostic de l’ostéite.
Écologie de l’infection du pied diabétique
L’infection d’un ulcère du pied récent (« aigu ») chez un patient n’ayant pas reçu d’antibiothérapie préalable peut, empiriquement, être considérée comme monomicrobienne à coques Gram positif (staphylocoque doré, streptocoques B-hémolytiques). L’infection compliquant l’évolution d’un ulcère chronique est en revanche habituellement polymicrobienne à coques Gram positif et à bacilles Gram négatif (Escherischia Coli, Klebsiella spp, Proteus spp, Enterobacter spp, Pseudomonas aeruginosa, …) associés à des anaérobes (ex. basteroïdes spp). Les traitements préalables par antibiotiques ainsi que l’insuffisance vasculaire favorisent aussi les infections polymicrobiennes. Il convient de souligner que cette écologie de l’infection du pied diabétique est principalement basée sur des données nord-américaines et européennes (7). L’utilisation d’antibiotiques à large spectre peut sélectionner des bactéries résistantes voire multi-résistantes tels que le staphylocoque doré résistant à la methicilline (MRSA), l’entérocoque résistant à la vancomycine (VRE) et les entérobactéries productrices de béta-lactamases à spectre élargi (BLSE) ou carbapénémases (CPE) (7).
Facteur de risque de colonisation et d’infection par bactéries multi-résistantes (BMR)
Ces facteurs de risque doivent être pris en compte pour la réalisation des frottis de dépistage des BMR et pour l'isolement du patient en hospitalisation (Tableau 4, selon les recommandations de l’équipe de contrôle et de prévention des infections aux Cliniques universitaires Saint-Luc). Les frottis de dépistage (frottis nez/gorge/périnée, frottis rectal et frottis de l’ulcère) consistent en des frottis superficiels réalisés sans nettoyage ou désinfection préalables. Ils sont prélevés à l’admission du patient hospitalisé en urgence ou dès la consultation dans la perspective d’une hospitalisation programmée. L’isolement préventif du patient hospitalisé en urgence sera levé en cas de frottis de dépistage négatifs tandis que l’isolement du patient hospitalisé de manière programmée pourra être anticipé.
Prise en charge : principes généraux
La prise en charge du pied diabétique et de son infection est multi-disciplinaire. Elle fait appel à de nombreux métiers et spécialités médicales. De manière générale, l’infection des tissus mous constitue une urgence diagnostique et thérapeutique en raison du risque d’extension rapide. L’infection peut également entrainer une ischémie tissulaire secondaire par hyperpression au sein des compartiments inextensibles du pied (avec ou sans abcès constitué); celle-ci doit être levée rapidement par un débridement chirurgical. L’utilisation d’agents antimicrobiens topiques pour les soins locaux (ex. pansements à l’argent) ou lors du débridement chirurgical (ex. éponges de gentamycine) n’est pas recommandée dans la pratique quotidienne par manque de données ou par manque d’efficacité dans le traitement de l’infection (3). Des données encourageantes ont été publiées concernant l’utilisation d’agents actifs contre le biofilm bactérien mais leur efficacité reste à démontrer (3). L’ostéite, en revanche, ne constitue pas une urgence ; sa prise en charge requiert une concertation médico-chirurgicale selon sa localisation, la vascularisation, les caractéristiques du patient et des germes pathogènes. La résection chirurgicale de l’os infecté reste l’option thérapeutique privilégiée chez la plupart des patients et le traitement par antibiotiques seuls, une option possible chez des sous-population de patients correctement sélectionnés (3). La prise en charge de l’infection du pied diabétique est schématisée ci-dessous (Figure 2), adaptée des nouvelles guidelines de l’IWGDF (3)). Le statut vasculaire et le diagnostic différentiel (pied de Charcot aigu) ne doivent jamais être négligés.
L’antibiothérapie empirique tient compte de la durée d’évolution de l’ulcère, de la sévérité de l’infection, du profil et des comorbidités du patient ainsi que des antécédents d’infections du pied par un germe résistant et des traitements antibiotiques préalables.
Nos recommandations antibiotiques selon la classification PEDIS sont détaillées dans les tableaux 5 à 7. De manière générale, notre stratégie pour le traitement de l’infection des tissus mous modérées à sévères implique une antibiothérapie probabiliste intra-veineuse, ultérieurement adaptée aux résultats de la microbiologie. La voie intra-veineuse est poursuivie jusqu’à l’obtention d’une réponse clinique et biologique dans le cas d’une cellulite étendue ou poursuivie jusqu’au geste chirurgical définitif (amputation ou chirurgie conservatrice) dans le cas d’une infection sévère des tissus mous ou d’un abcès ayant nécessité un ou plusieurs gestes de débridement. Dans ce dernier cas, comme dans l’ostéite opérée de manière programmée, la voie intra-veineuse encadre le geste pour une durée de 2 à 5 jours selon le caractère radical ou non du geste chirurgical. Lorsque le geste chirurgical est radical, il ne laisse aucun tissu infecté résiduel et l’antibiothérapie est interrompue après 48 heures sans relais oral. Dans le cas contraire, un délai de 5 jours permet l’obtention des derniers résultats microbiologiques afin de guider le relais oral. Celui-ci est poursuivi pour une durée totale de traitement de 10 à 14 jours dans la cellulite étendue, de 21 jours dans les autres infections sévères des tissus mous sans ostéomyélite et de 6 semaines en cas d’atteinte osseuse. Concernant l’ostéite, l’étude OVIVA a démontré la non-infériorité de la voie orale (antibiotiques avec une bonne biodisponibilité orale) par rapport à la voie intra-veineuse, ne faisant que confirmer notre attitude (8). À l’inverse, l’hospitalisation à domicile (HAD ou OPAT, Outpatient Parenteral Antimicrobial Therapy) consistant en l’administration intra-veineuse d’antibiotiques au domicile (via une PICC line) est une option thérapeutique envisageable dans l’ostéite du pied diabétique lorsque le relais oral est impossible en raison de multi-résistances (9). VASCULARISATION L’état vasculaire du pied et du membre inférieur doit être systématiquement évalué comme indiqué dans la classification PEDIS. En l’absence de pouls périphériques, en présence de signes d’ischémique critique (gangrène, érythème positionnel) ou en l’absence d’évolution favorable malgré une antibiothérapie adéquate voire un débridement chirurgical, un doppler artériel doit être réalisé comme examen de base. Celui-ci ne doit pas négliger l’évaluation des troncs jambiers où siègent préférentiellement les lésions d’artérite diabétique. En cas d’anomalie, le bilan doit être complété par une angio-IRM, préférentiellement, ou un angio-CT sur avis du radiologue interventionnel ou du chirurgien vasculaire. L’angio-CT et le doppler artériel ciblé seront privilégiés en cas d’antécédents de stents. La revascularisation doit être réalisée dès que possible, sans toutefois retarder le débridement chirurgical lorsque celui-ci est urgent.
Diagnostic différentiel : le pied de Charcot aigu
Le pied de Charcot ou neuroarthropathie est un processus inflammatoire progressif et destructeur des articulations du pied et/ou de la cheville (10). Il s’agit d’une forme rare et particulière de pied diabétique survenant exclusivement chez des patients ayant une neuropathie. En conséquence, la neuroarthropathie complique habituellement un diabète de longue évolution (> 10 ans) mais elle peut, comme l’ulcère du pied, révéler un diabète de type 2 méconnu. L’inflammation aiguë du pied ou de la cheville (Figure 3A) en est la manifestation inaugurale. Trop souvent, le diagnostic de neuroarthropathie aiguë est erroné ; sa présentation clinique évoquant une crise de goutte, une thrombose veineuse profonde, une cellulite ou une entorse. Son diagnostic repose sur la clinique et l’imagerie ; la radiographie standard en charge (Figure 3B) et avec incidences obliques constitue l'examen de base. En cas de doute diagnostique, il est utile de réaliser un CT-scan ou une IRM. Le traitement de la neuroarthropathie aiguë consiste en l’immobilisation et la mise en décharge par plâtre (« total contact cast ») ou botte de marche, dès le diagnostic, afin de prévenir les déformations et l’instabilité.
Conclusion
L’infection du pied diabétique reste une situation complexe et une cause majeure d’amputation. Elle doit être rapidement diagnostiquée, systématiquement évaluée et adéquatement traitée. La vascularisation et le diagnostic différentiel, en particulier la neuroarthropathie aiguë, ne doivent jamais être négligés.
Affiliations
Cliniques universitaires Saint-Luc, B-1200 Bruxelles
1. Service d’endocrinologie et nutrition
2. Service d’orthopédie et traumatologie de l’appareil locomoteur
3. Pharmacie clinique
4. Service de microbiologie
5. Service de médecine interne et maladies infectieuses
Correspondance
Dr. Laura Orioli
Cliniques universitaires Saint-Luc
Service d’endocrinologie et nutrition
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles
laura.orioli@uclouvain.be
Références
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