INTRODUCTION
La prise en charge du profil lipidique en prévention des maladies cardiovasculaires (Figure 1) s’effectue en trois temps (1-5). Le premier temps est celui de prédiction du risque, l’objectif ici étant d’identifier, parmi tous les patients, ceux qui ont les plus haut risques de développer dans les 10 prochaines années un incident cardiovasculaire. C’est sur ces patients en particulier que porteront nos efforts en priorité. Le second temps est celui de la planification, chez ces patients, d’objectifs (ou cibles) thérapeutiques raisonnables et utiles (souvent orientés selon les recommandations publiées les plus récentes). Le troisième temps est celui de la prescription des traitements médicamenteux nécessaires pour réaliser ces objectifs, le choix dépendra de leur puissance, mais aussi de leur disponibilité et des possibilités de remboursement.
Outre ces patients prioritaires, il est important de rappeler que la promotion de la santé cardiovasculaire s’adresse à tous et consiste à délivrer les conseils nécessaires pour améliorer le style de vie et l’alimentation. Quand on sait que le taux idéal de cholestérol pour qu’une population ne connaisse plus de maladie cardiovasculaire (ou très peu) est de moins de 190 mg/dL, il est facile de comprendre que dans la population belge qui exhibe des taux de cholestérol entre 160 et 250 mg/dL, 2/3 des belges ont un taux de cholestérol considéré comme trop élevé…, et près de la moitié des belges souffrent de maladie cardiovasculaire au cours de leur vie. La lutte contre ces maladies passe par le conseil chez tous les belges depuis l’enfance d’une alimentation équilibrée pauvre en graisses saturées. Et ce n’est que pour certains d’entre eux à partir d’un certain âge et dans certaines conditions de risque élevé de maladies cardiovasculaires, qu’il faudra user de toute notre attention pour les repérer au milieu du nombre de nos patients et que seront réservés les médicaments qui ont fait depuis des années leur preuve en matière d’evidence-based medicine.
Dans les quatre papiers (6-9) qui suivent celui-ci, nous nous sommes attachés à présenter plus en détails quelques aspects des aspect lipidiques de la prévention cardiovasculaire.
NOUVEAUTÉS DES RECOMMANDATIONS 2016
Les trois temps de la prévention ont connus quelques développements ces derniers mois avec les nouvelles recommandations édictées en juillet 2016 par les sociétés européennes d’athérosclérose (EAS) et de cardiologie (ESC) (4), (Tableau 1).
D’une part, l’optimalisation de la prédiction du risque de la charte SCORE via la présence d’autres facteurs comme le taux de HDL-Cholestérol et les antécédents familiaux se confirment. ! Petite nuance belge toutefois par rapport aux guidelines européens, la correction par un multiplicateur dépendant du taux de HDL-C du risque SCORE estimé à partir des cinq facteurs de risque classique (âge, sexe, tabagisme, cholestérol total, tension artérielle systolique) (10,11).
D’autre part, dans notre planification, on a vu se clarifier la « théorie du cholestérol LDL », selon laquelle l’excès de particules LDL est la cause de l’athérosclérose et que l’athérosclérose peut être prévenue en réduisant son facteur étiologique principal, le LDL. Cette théorie (non plus une hypothèse) est confortée par de multiples observations épidémiologiques et génétiques ainsi que les études interventionnelles avec les statines (12) et plus récemment avec l’ézétimibe (13, 14). Les premières montrent qu’un taux élevé de cholestérol LDL [LDL-C] ou le fait de porter des variants génétiques susceptibles de causer une élévation (même minime) du taux de LDL-C sont associés à un risque plus grand de maladies cardiovasculaires au cours de la vie. Les dernières montrent que la réduction du taux de LDL-C associée à des traitements médicamenteux résulte en une réduction proportionnelle des événements cardiovasculaires.
Dans ce contexte qui conforte la théorie du LDL, la cible de LDL-C pour les patients à "risque élevé" et "à risque très élevé" a ainsi été légèrement revue apportant une nuance importante. Chez les patients à "risque très élevé" dont le taux de LDL-C se situe entre 70 et 140 mg/dL ou ceux à "risque très élevé" dont le taux de LDL-C se situe entre 100 et 200 mg/dL, la cible n’est plus seulement d'atteindre moins de 70 mg/dL pour les premiers et moins de100 mg/dL pour les seconds, mais bien de réduire d'au moins 50% le taux basal de LDL-C. Se confirme également l’intérêt de la cible appelée « cholestérol non HDL » (« Non HDL-C ») à côté de la cible classique du cholestérol LDL (« LDL-C ») avec la proposition d’une cible de non HDL cholestérol de moins de 145 mg/dL pour les patients à risque modéré (alors qu’une telle cible n'existait pas dans les précédentes recommandations).
Par contre, il s’affirme de plus en plus que le HDL-cholestérol qui est bien un marqueur de risque et permet de nuancer significativement la prédiction du risque cardiovasculaire, n’est pas un acteur de risque et donc pas une cible ! Cette différence entre « acteur » et marqueur » se retrouve avec d’autres paramètres tels que la CRP (Figure 2). Ainsi, les preuves s’accumulent pour renvoyer le HDL-C au simple rôle de marqueur plutôt que de celui d’acteur des maladies cardio-vasculaires. D’une part les études génétiques ont démontré que la présence de variants génétiques susceptibles d’augmenter le taux de HDL-C depuis la naissance ne sont pas associés à une réduction des maladies cardiovasculaires. D’autre part, de multiples médicaments associés à une augmentation du HDL-C n’ont pas montré de bénéfice cardiovasculaire : la niacine (ou acide nicotinique) qui augmentait de 20% dans l’étude HPS2-THRIVE (15), les médicaments de la classe de « trapib », dont le dernier en date, l’evacetrapib qui augmentait pourtant le HDL-C de 130% dans l’étude ACCELERATE (16).
Enfin en matière de prescription, la première nouveauté est surtout l’affirmation de l’intérêt de l’ezetimibe comme médicament non-statinique efficace et recommandé en association avec les statines (à dose maximale tolérée) pour prévenir les maladies cardiovasculaires. Et ceci suite à la récente étude IMPROVE IT (17, 18) qui a montré un bénéfice superposable aux statines en proportion de la réduction obtenue du LDL-C.
La deuxième nouveauté est l'arrivée des traitements par anticorps anti-PCSK9. Ceux-ci sont d'ors et déjà disponibles en Belgique pour améliorer le traitement de l'hypercholestérolémie familiale, mais pourraient (comme c'est déjà le cas dans certains pays européens) aussi s'adjoindre aux traitements classiques en cas de taux de LDL-C insuffisamment corrigé ou en cas d'intolérance aux statines.
NON ADHÉRENCE ET POLÉMIQUES AUTOUR DES STATINES
La prescription, particulièrement des statines a été marquée ces dernières années par diverses polémiques qui remettent en question leurs innocuités et leurs utilités. Les médecins sont aussi confrontés régulièrement à des plaintes de patients à propos de gênes musculo-articulaires qu’ils attribuent à leur traitement par statine. Tout cela a fait grossir ces dernières années le nombre de patients qui abandonnaient leur traitement parfois sans avis médical. Face à ses problèmes, nous avons trouvé utile de développer un chapitre à part pour discuter des moyens que peut utiliser un médecin pour remettre en route le traitement de son patient (8).
UNE MALADIE SOUS-DIAGNOSTIQUÉE ET SOUS-TRAITÉE
Dans un quatrième papier, nous évoquerons aussi une maladie génétique particulière du profil lipidique : « l’hypercholestérolémie familiale ». Il est important de bien distinguer cette maladie génétique affectant une personne sur 300 de « l’hypercholestérolémie commune » qui se retrouve dans 2/3 de la population (19, 20).
Comme rappelé plus haut, si 2/3 des belges ont un taux estimé trop élevé (cholestérol total > 190 mg/dL, LDL-C > 115 mg/dL) explique la grande incidence des maladies cardiovasculaires entre 50 et 75 ans, certains ont des taux extrêmes avec des complications bien plus précoces. Les patients avec une hypercholestérolémie familiale (environ 30,000 belges) ont, suite à une mutation sur un des gènes importants de l’élimination de cholestérol, des taux très élevés de LDL-C, entre 200 et 400 mg/dL. De tels taux de LDL-C deux fois plus élevés expliquent le développement de complications cardiovasculaires deux fois plus tôt (entre 25 et 55 ans). Contrairement à la prévention classique, chez ces patients, il est donc important de corriger les taux de LDL-C bien avant 25 ans, c’est-à-dire au sortir de l’enfance. Le challenge est donc très important, et de nombreux efforts ont été faits depuis quelques années pour faire connaitre cette maladie et promouvoir son dépistage notamment par la création d’une association de patients souffrant de l’hypercholestérolémie familiale : l’association « Belchol » (www.belchol.be).
CONCLUSIONS
Cet article a parcouru les quatre problématiques d’actualité dans la prise en charge de l’aspect lipidique en prévention cardiovasculaire. Les articles qui suivent dans cette édition du Louvain Médical détailleront ces points en répondant, nous l’espérons, aux questions des lecteurs.
Affiliations
1. Centres Hospitaliers Jolimont, Département de Médecine Interne, B-7100 Haine Saint-Paul. Tel 064/23 31 67
2. Cliniques universitaires Saint-Luc, Service de cardiologie, B-1200 Bruxelles. Tel 02/764 2812
Correspondance
Dr. Olivier S Descamps
Centres Hospitaliers Jolimont - Département de Médecine Interne
B-7100 Haine Saint-Paul - Tel 064/23 31 67
olivierdescamps@hotmail.com
Cliniques universitaires Saint-Luc
Service de cardiologie
B-1200 Bruxelles - Tel 02/764 2812
Références
1 Reiner Z, Catapano AL, De Backer G, et al. : ESC/EAS Guidelines for the management of dyslipidaemias: the task force for the management of dyslipidaemias of the European Society of Cardiology (ESC) and the European Atherosclerosis Society (EAS). European Association for Cardiovascular Prevention & Rehabilitation. Eur Heart J 2011; 32: 1769-1818.
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2 Descamps OS, De Backer G, Annemans L, Muls E, Scheen AJ. Belgian Atherosclerosis Society/ Belgian Lipid Club. Les nouvelles recommandations européennes pour le traitement des dyslipidémies en prévention cardiovasculaire. Louvain Med 2012; 131(4): 157-165.
3 Descamps OS. Mettons en pratique le traitement des dyslipidémies selon les nouvelles recommandations européennes. Louvain Med 2012; 131(4):1 66-176.
4 Catapano AL, Graham I, De Backer G, Wiklund O, Chapman MJ, Drexel H, et al; Authors/Task Force Members. 2016 ESC/EAS Guidelines for the Management of Dyslipidaemias: The Task Force for the Management of Dyslipidaemias of the European Society of Cardiology (ESC) and European Atherosclerosis Society (EAS)Developed with the special contribution of the European Assocciation for Cardiovascular Prevention & Rehabilitation (EACPR). Eur Heart J 2016 Aug 27.
5 Descamps OS, Brucker E, Toglosoglu L. Practical case based approach to dyslipidemia in light of the european guidelines. Book editor: Ashok Kumar. Publisher : intech. 2015.
6 Descamps OS. Approche thérapeutique des dyslipidémies en prévention cardiovasculaire. Louvain Med 2016 ; 135 (9) : 582-599.
7 Chenu P. Objectifs lipidiques. Louvain Med 2016 ; 135 (9) : 577-581.
8 Descamps OS. Polémique, intolérance, non adhérence et autres contrariétés autour de la prescription des statines. . Louvain Med 2016 ; 135 (9) : 600-608.
9 Descamps OS. Hypercholestérolémie familiale. Louvain Med 2016 ; 135 (9) : 613-620.
10 Descamps OS. Tableau SCORE adapté pour le HDL-Cholestérol, une mise à jour. Louvain Med 2013; 132 (7): 1-4.
11 Descamps OS, Cooney MT, De Backer G, Graham I. A simple multiplier to calculate the impact of HDL cholesterol on cardiovascular risk estimation using SCORE. Atherosclerosis 2012; 222;564-566.
12 Cholesterol Treatment Trialists, Baigent C, Blackwell L, Emberson J, Holland LE, Reith C, Bhala N et al. Efficacy and safety of more intensive lowering of LDL cholesterol: a meta-analysis of data from 170,000 participants in 26 randomised trials. Lancet 2010 ; 376, 1670-1681.
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13 Cannon CP, Blazing MA, Giugliano RP, McCagg A, White JA, Theroux P, et al.; IMPROVE-IT Investigators. Ezetimibe Added to Statin Therapy after Acute Coronary Syndromes. N Engl J Med 2015 Jun 18;372(25):2387-97.
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14 Descamps OS. Implication pratique des résultats de l’étude IMPROVE-IT: l’association ézétimibe et statine en prévention cardiovasculaire. J Cardiol 2015; 27 (1) : 15-19.
15 HPS2-THRIVE Collaborative Group. HPS2-THRIVE randomized placebo-controlled trial in 25 673 high-risk patients of ER niacin/laropiprant: trial design, pre-specified muscle and liver outcomes, and reasons for stopping study treatment. Eur Heart J 2013;34(17):1279-91.
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16 ACCELERATE investigators. Assessment of Clinical Effects of Cholesteryl Ester Transfer Protein Inhibition With Evacetrapib in Patients at a High-Risk for Vascular Outcomes. https://clinicaltrials.gov/ct2/show/NCT01687998
17 Cannon CP, Blazing MA, Giugliano RP, McCagg A, White JA, Theroux P, et al; IMPROVE-IT Investigators. Ezetimibe Added to Statin Therapy after Acute Coronary Syndromes. N Engl J Med 2015;372(25): 2387-97.
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18 Descamps OS, De Backer G, Scheen AJ, Balligand J-L, Ducobu J, Radermecker RP, et al; on behalf of the Belgian Society of Atherosclerosis. Étude « IMPROVE-IT » : bénéfice de l’ajout d’ézétimibe à une statine pour prévenir les maladies cardiovasculaires, commentaire de la Société Belges d’Athérosclérose / Belgian Lipid Club. Louvain Med 2014; 133(10): 692-701.
19 Descamps OS. Hypercholestérolémie familiale. Louvain Med 2016 ; 135 (5): 283-290.
20 Descamps OS. Hypercholestérolémie Familiale. J Cardiol 2015 ; 27 (5) : 145-49.