L’espérance et la qualité de vie des patients hémophiles se sont nettement améliorées ces dernières décennies. L’espérance de vie a augmenté avec l’apparition de nouveaux traitements. En effet, celle-ci a fait un bond considérable au début des années 1970 avec l’apparition de concentrés de facteur de coagulation ainsi que leur bonne disponibilité (1).
Le traitement à domicile a alors été rendu possible, entraînant une nette diminution de la morbi-mortalité. Par après, l’introduction de traitement à visée prophylactique et la meilleure compréhension des soins ont contribué à l’augmentation considérable de l’espérance de vie (2).
Avant les années 1970, les hémophiles étaient traités par transfusion de sang ou de plasma ; ils décédaient fréquemment d’hémorragies et atteignaient rarement l’âge adulte (3).
Dans les années 1980-90, l'augmentation de l'espérance de vie fut interrompue brutalement et s’effondra même par la transmission de virus pathogènes via les dérivés sanguins. Les virus HIV et HCV ont alors été largement répandus dans la population hémophile. Cette contamination entraîna un pic de mortalité considérable chez les patients hémophiles (4).
Suite à cette contamination, les contrôles du sang furent nettement plus rigoureux (screening des donneurs, inactivation virale) et permirent de développer des concentrés bien plus sûrs et efficaces avec une nouvelle augmentation de l’espérance de vie (5), approchant actuellement l’espérance de vie avant l’ère du HIV (6).
La sécurité des produits fut encore augmentée avec la fabrication, dans les années 1990, de facteurs de coagulation recombinants (issus du génie génétique) et donc exempts de potentielles maladies virales.
Les patients hémophiles, non atteints du virus HIV ou HCV, présentent actuellement une espérance de vie comparable à celle de la population générale dans les pays développés (3,7).
Nous sommes aujourd’hui témoins de l’émergence de nouvelles populations de patients hémophiles d’âge moyen et plus âgés qui présentent non seulement des pathologies liées à leur maladie (arthropathie, nécessité de prothèses orthopédiques, cirrhose et hépatocarcinome liés au HCV, effets à long terme du virus HIV) auxquels les hématologues sont habitués mais qui développent également les mêmes comorbidités que la population générale à savoir les pathologies cardiovasculaires ou les néoplasies auxquelles la communauté médicale n’a encore été que rarement confrontée (2).
Il s’agit donc d’un nouveau défi que de prendre correctement en charge ces pathologies chez les patients hémophiles.
Les maladies cardiovasculaires représentent la première cause de décès en Europe. Les pathologies cardiovasculaires les plus fréquentes (et les plus fréquemment rencontrées en salle d’urgence) sont le syndrome coronarien aigu et la fibrillation auriculaire tant dans la population générale que chez les patients hémophiles.
La mortalité due aux pathologies cardiovasculaires chez les patients hémophiles aurait augmenté de 2 à 6% entre 1972 et 2001 (3,8) et la prévalence de maladies cardiovasculaires aurait quant à elle doublé pendant la période la période 2000-2007 par rapport à 1990-1999 (7). À facteurs de risque égaux, la survenue de maladies cardiovasculaires semble moindre dans la population hémophile (9). Des données issues d'études de cohorte suggèrent que les patients hémophiles présentent un taux de mortalité secondaire à une cause cardiovasculaire moindre que la population générale (6), ce phénomène étant probablement dû à leur état hypocoagulable (2,8). Ceci laisse à penser que l’hémophilie conférerait un effet protecteur par rapport aux maladies cardiovasculaires.
Comme dans la population générale, les patients hémophiles acquièrent des facteurs de risque cardiovasculaires (FR CV) à l’âge avancé (7,10,11) et sont exposés aux mêmes facteurs de risque que la population générale (3,9,11).
En 2011, Ragni et al. publient une étude sur cinq ans en Pennsylvanie. Six à 10 % des patients hémophiles hospitalisés sur cette période l’étaient pour une pathologie coronarienne. Les facteurs de risque, la sévérité de la pathologie et la mortalité intrahospitalière sont similaires à ce qui est rencontré dans la population générale. Ils soulignent donc l’intérêt d’une prévention par rapport aux FR CV identique à celle préconisée pour la population générale (8).
L’hémophilie ne protège aucunement contre les effets à long terme des facteurs de risque tels l’hypertension, l’hypercholestérolémie ou l’hyperglycémie qui accroissent également le risque de maladies microvasculaires et d’hémorragie cérébrale (12).
Certains facteurs de risque sont toutefois spécifiques à l’hémophilie. Les patients hémophiles avec arthropathies sévères sont enclins à exercer moins d’activité physique que leurs congénères; cette sédentarité entraîne une tendance à l’obésité et par conséquent au syndrome métabolique (13). Les douleurs liées aux arthropathies motivent la prise d’anti-inflammatoires non stéroïdiens qui accroissent les risques d’accident cardiovasculaires. Les patients hémophiles atteints de maladies virales tels le HIV et le HCV sont également plus à risque de pathologies cardiovasculaires tant par la pathologie même que par son traitement (par inhibiteurs de protéases par exemple) (14). Les patients atteints du HIV et traités par thérapie antirétrovirale voient les risques de survenue de syndrome métabolique, de diabète, d’insuffisance rénale et donc de maladie thrombo-embolique majorés (13).
Le lien entre la survenue d'un syndrome coronarien aigu et l'administration de facteur de coagulation a également été clairement mis en évidence. La thrombose artérielle serait en particulier favorisée par l’administration de complexe prothrombine activé (Feiba®) et de facteur VII activé (Novoseven®) (7,8,15), du moins chez les patients hémophiles avec inhibiteur traités par cet agent de bypass.
Il existe un certain paradoxe dans la prise en charge du syndrome coronarien aigu (SCA) chez le patient hémophile vu la nécessité d’un traitement anti-thrombotique chez des patients avec troubles de la coagulation. On retrouve dès lors beaucoup plus de littérature sur ce sujet que sur les autres comorbidités rencontrées par le patient hémophile (5).
Une analyse rétrospective allemande de patients nés avant 1971 (16) met en évidence une diminution de l’incidence d’infarctus du myocarde parmi les patients atteints d’hémophilie sévère par rapport à un groupe contrôle ce qui suggère un effet protecteur d’un taux effondré de facteur de coagulation sur la survenue d’un événement thrombotique cardiaque (Tableau A). Les données concernant les patients hémophiles non sévères ne montrent pas de différence significative (17). Il est possible que l’hémophilie sévère protège contre les événements ischémiques aigus, cette protection étant réduite par la substitution en facteur (12). Toujours est-il que la population hémophile vieillit et force est de constater qu’elle présente elle aussi des SCA. Les hématologues sont tous d’accord sur l’accessibilité aux traitements nécessaires dans un syndrome coronarien chez le patient hémophile mais ceci nécessite évidemment une importante collaboration entre cardiologues et hématologues et tout geste invasif doit être réalisé sous le couvert d’une substitution adéquate avant chaque traitement qu’il soit interventionnel, médical ou chirurgical (18). Lim, en 2012, après avoir analysé le traitement de huit patients hémophiles pour un SCA conclut à un traitement (interventionnel, médical et chirurgical) tout à fait possible sans complication majeure (19). L’équipe de Tuinenburg en arrive aux mêmes conclusions en 2013 (11) dans la première étude prospective selon les recommandations de 2009 (20).
En urgence, le patient hémophile doit bénéficier d’un traitement rapide comme ses pairs non hémophiles. La prise en charge est généralement facilitée par le port d’une carte stipulant son trouble de la coagulation (10).
Les indications de revascularisation, qui sont les mêmes pour les Américains et les Européens (15,21), doivent également s’appliquer aux patients hémophiles. Le caractère hémophile du patient ne doit en rien retarder ni le tri aux urgences ni la rapidité de prise en charge (22).
Les recommandations de l’European Society of Cardiology (ESC) sont basées sur des études excluant les patients avec troubles de la coagulation. Plusieurs équipes ont procédé à une revue systématique de la littérature quand aux cas de syndrome coronarien aigu chez les patients hémophiles. En 2012, Fefer recense seulement 20 cas, la même année Lim en recense 12 sur une période de 10 ans (2000-2010) après avoir exclu les thromboses survenant après administration de facteurs (19,22). Tous deux font le même constat : il existe une importante hétérogénéïté dans les prises en charge malgré des recommandations existantes pour les patients non hémophiles. À ce jour il existe uniquement des opinions d’experts mais pas de réelles lignes conductrices. En 2009, l’équipe de Schutgens propose les premières recommandations (20). Celles-ci seront ajustées par la même équipe en 2013 (11).
En 2013 également, Staritz présente un rapport de consensus de différents experts des plus importants centres européens pour patients hémophiles (groupe de travail ADVANCE [Age-related DeVelopments And ComorbiditiEs]) quand à l’applicabilité des recommandations ESC aux patients hémophiles (10). Vu l’absence d’étude spécifique il n’existe cependant pas de niveau de recommandation.
Nous vous proposons donc de revoir les différentes recommandations et leur évolution au cours des dernières années. Nous évoquerons successivement : la prise charge globale du syndrome coronaien aigu, la thrombolyse, l’angiographie diagnostique et thérapeutique avec choix de l’accès vasculaire et du type de stent, les traitements anti-coagulants et antiaggrégants, la substitution en facteur ainsi que la possibilité de pontages aortocoronariens.
Nous distinguerons les différents types de SCA pour leur prise en charge, ceci étant similaire à ce qui est déjà connu pour la population générale c’est-à-dire : le SCA type STEMI qui nécessite une revascularisation en urgence, le SCA type NSTEMI et l’angor instable (AI) qui nécessitent un traitement rapide et souvent une coronarographie +/-revascularisation dans un second temps. Pour conclure nous évoquerons les différents aspects du traitement des SCA. La figure A en annexe résume la prise en charge du SCA chez le patient hémophile.
Le SCA type STEMI nécessite une intervention par angiographie percutanée (Percutaneous Coronarography Intervention ou PCI) dans les douze heures du début des douleurs, il est en de même pour le SCA type NSTEMI/AI avec douleurs persistantes ou modifications dynamiques à l’ECG. La PCI est le traitement de choix, une substitution préalable est évidemment nécessaire (3,10,22,23). Un traitement anti-coagulant sera administré avant la coronarographie. Un abord vasculaire par voie radiale est recommandé afin de minimiser le risque de complication hémorragique locale vu l’accès aisé et la facilité de compression du site par rapport à la voie fémorale. Le choix du stent se portera davantage sur un BMS (Bare Metal Stent) qui ne nécessite qu’un mois de bithérapie antiplaquettaire après implantation, présente une diminution de risque de thrombose intrastent et une diminution de la période pour achever l’endothélialisation par rapport au stent DES (Drug-Eluting Stent). Le stent DES sera quant à lui réservé au cas particulier des patients présentant un haut risque de sténose intrastent (patients diabétiques, sténoses longues et dans des artères de petit calibre, antécédent de resténose) ceci vu la necessité de bithérapie anti-plaquettaire plus longue avec les stents DES (10,22,24). La décision devra de toute façon être prise en concertation avec les cardiologues et hématologues référents.
La PCI en urgence dans ce cas n’est pas recommandée mais aura lieu rapidement dans le décours de l’hospitalisation. Une anticoagulation par héparine non fractionnée (HNF) est débutée après substitution et ce pour 48h. Sont instaurés dans le même temps une bithérapie anti-plaquettaire pour 4 semaines et un traitement par aspirine à vie.
• Anti-coagulation
Elle est nécessaire et ne sera administrée qu'après substitution. Tous les anticoagulants sont acceptables, mais les experts préfèrent utiliser l’héparine non fractionnée (HNF) (10). En effet, vu le risque hémorragique du patient hémophile, les paramètres importants de la molécule à considérer sont: la durée d’action, la réversibilté du traitement et l’éventuel contrôle au laboratoire. Les experts préconisent donc l’utilisation de l’HNF (15). Il existe moins de saignement et de thrombopénie induite par l’héparine avec les héparines de bas poids moléculaires (HBPM) mais le contrôle en est impossible (22). La bivalirudine (inhibiteur direct de la thrombine) présente une courte durée d’action, moins de complications hémorragiques par rapport aux HNF (25) et est recommandée par les Guidelines ESC mais actuellement il n’existe que deux publications sur son utilisation chez les patients hémophiles (15).
Dans les nouvelles recommandations de cardiologie (14), il n’est plus nécessaire de poursuivre l’anticoagulation par HNF après la revascularisation; il en est de même chez les patients hémophiles (11).
Dans les données les plus récentes, Tuinenburg et son équipe en 2013 proposent d’administrer 70-100UI/kg d’HNF avant une angioplastie primaire, et d’administrer avant angiographie 5000UI ou 2500UI d’HNF en cas d’abord respectivement radial ou fémoral (11).
• Thérapie anti-aggrégante
Une bithérapie par Clopidogrel et aspirine est actuellement recommandée pour une durée de 4 semaines post stent (durée de l’endothélialisation). Chez les patients hémophiles avec un taux de facteur résiduel supérieur à 25%, Tuinenburg et son équipe proposent d’essayer une bithérapie sans substitution et d’arrêter le clopidogrel en cas de saignement; chez ces mêmes patients, la bithérapie peut être prolongée au-delà de 4 semaines (11). L’aspirine sera maintenue à vie. L’ajout d’un inhibiteur de pompe à protons en cas de haut risque de saignement est actuellement recommandé (5,11,15).
De nouveaux antiaggrégant (prasugrel et ticagrelor) sont à présent privilégiés à la place du clopidogrel pour une bithérapie au long cours dans la population générale (11,15) car ils diminueraient les complications ischémiques après un SCA. Toutefois ils augmenteraient le risque d’hémorragies spontanées (11,15). Vu le manque d’études sur patients hémophiles ils ne sont actuellement pas recommandés (15). Ils peuvent cependant être utilisés en bolus, après correction en facteur au début de la prise en charge (11).
Le recours aux inhibiteurs de la glycoprotéine IIbIIIa n'est pas recommandé chez les patients hémophiles, hormis certaines situations et selon avis des experts hématologues (10).
• Thrombolyse
En 2007, Franchini et al. proposent d’éviter la thrombolyse chez le patient hémophile vu le risque inacceptable d’hémorragie (26); la diathèse hémorragique étant de principe une contre-indication absolue à la thrombolyse. Toutefois, en 2009 la même équipe estime la thrombolyse possible sous substitution complète c’est-à-dire avec un taux de facteur supérieur à 100 UI/dl, à atteindre en bolus ou au pousse-seringue électrique (7). La thrombolyse devrait néanmoins laisser place tant que possible à la PCI vu les risques. La fibrinolyse resterait une option en cas de SCA type STEMI sans possibilité de cathéterisme cardiaque dans un délai rapide (90 minutes), si et seulement si une substitution préalable est administrée et avec une possibilité de contrôle fréquent des taux de facteurs sanguins (10). En 2012, Fefer ne retrouve aucun cas de thrombolyse chez le patient hémophile et propose de transférer le patient hémophile avec un SCA STEMI vers un centre pratiquant la PCI (22).
• Pontage aorto-coronarien
La PCI est préférable aux pontages (CABG), mais le recours aux pontages aorto-coronariens reste possible en cas de lésion trop complexe pour une PCI, c’est-à-dire en cas de maladie de trois vaisseaux, d’atteinte du tronc commun ou de l’artère interventriculaire antérieure proximale (3). En 2010, Mannucci ne recense que deux cas de CABG chez des patients hémophiles (3). Cette option reste toutefois possible sous couvert d’une substitution adéquate et d’un suivi rapproché par l’expert hématologue.
Tous les experts sont en accord sur la substitution nécessaire mais il n’existe pas encore de recommandations sur les taux de facteurs à atteindre. Nous constatons toutefois une tendance à la diminution des doses. En 2009, Mannucci propose les taux de facteur de coagulation à atteindre selon le tableau B. Un taux de facteur de 80 UI/dL est nécessaire avant et pendant les gestes invasifs (coronarographie, PCI) et lors du traitement par HNF, il propose de maintenir un taux de 30 UI/dL lors de la bithérapie et d’avoir minimum 5 UI/dL de facteur en cas de traitement par aspirine seule (18,27). En 2012, Fefer et al. proposent des taux moindre à savoir atteindre 40-60 UI/dL avant toute procédure invasive afin de minimiser le risque de thrombose due aux facteurs, son expérience sur 3 cas ne mentionne pas de complication (22). En 2013, Tuinenburg et al. proposent d’atteindre un taux de facteur de 80 UI/dL avant PCI et coronarographie suivie d’un bolus unique 12h après la procédure pour maintenir les taux sériques autour de 50 UI/dL les 24 premières heures. Staritz et al. privilégient quant à eux des taux moindres lors de la bithérapie avec des taux minima de 5-15 UI/dL en bithérapie et >1 UI/dL avec l’aspirine seule. Avant une thrombolyse, un taux de facteur de 100 UI/dL est nécessaire.
Une autre pathologie dont la prévalence va probablement augmenter dans la population de patients hémophiles âgés est la fibrillation auriculaire (FA).
La prise en charge de cette pathologie chez les patients hémophiles a fait l’objet de très peu de littérature. Mannucci et al. en 2009 (18) ont proposé quelques directives auxquelles l’équipe de Cayla (15) en 2013 apporte certaines nuances. La première étude de grande ampleur menée sur une large population hémophile a été publiée l’année dernière par le groupe ADVANCE (17). L’étude a porté sur 3952 patients hémophiles adultes dans près de 14 centres. Trente-trois cas de patients hémophiles présentant de la FA ont été identifiés et ont bénéficié d’un suivi de 57 mois en moyenne après diagnostic. La prévalence de la FA était significativement moindre chez les patients hémophiles sévères (0.4%) que non sévères (1.1%). Un tiers des patients ont été traités, le plus souvent par acide acétyl salicylique.
Il n’existe à ce jour pas d’évidence que l’hémophilie protégerait contre les maladies thromboemboliques. L’apparition de fibrillation auriculaire dans la population hémophile âgée nous confronte dès lors avec la problématique d’initier un traitement anti-thrombotique tant pendant et après une cardioversion (quel que soit le mode choisi) que pour prévenir les complications emboliques au long cours.
La stratégie proposée par Mannucci en 2009 pour la thromboprophylaxie à long terme chez le patient hémophile est décrite dans la figure B.
Chez les patients non hémophiles présentant une fibrillation auriculaire, le risque thromboembolique est évalué selon plusieurs facteurs de risque repris dans le CHADS₂ score (13) (à présent obsolète) et plus récent CHA₂DS₂-VASc score (15). Ces scores ne sont pas directement applicables aux patients hémophiles présentant une FA étant donné qu’ils n’évaluent pas le risque hémorragique. Toutefois, ils peuvent être utiles dans la prise de décision. Les recommandations ESC plus récentes ont souligné la nécessité de stratifier le risque hémorragique dans la FA et ont donc proposé le HAS-BLED score; les différents scores étant repris dans le tableau C.
L’utilisation du HAS-BLED score en plus du CHA₂DS₂-VASc score pour ajuster le traitement au risque hémorragique semble plus sensible chez les patients hémophiles.
En 2009, Mannucci propose les principes suivant : une anticoagulation orale par anti-vitamines K (AVK) devrait être proposée chez les patients hémophiles avec un haut risque de thrombose (CHADS₂ ≥ 2). En pratique, les AVK ne seront prescrits que chez les patients hémophiles avec un taux de facteur résiduel minimum de 30 UI/dL étant donné que chez les patients hémophiles modérés ou sévères ce traitement nécessiterait une substitution en facteur continue et à vie ce qui occasionnerait des coûts exorbitants. Par conséquent, une faible dose d’aspirine (100mg/jour) est habituellement préférée car cet agent antiplaquettaire, quoique moins efficace que les AVK chez les patients non hémophiles, ne nécessite qu’un taux de facteur minimum de 5 UI/dL pour éviter les saignements significatifs chez les patients hémophiles.
En 2014, Schutgens et al. menant l’étude pour le groupe ADVANCE émettent les propositions suivantes en tenant compte du risque thrombo-embolique (CHA₂DS₂-VASc score) et hémorragique (HAS BLED score) :
- si le risque thrombo-embolique semble moins important que le risque hémorragique sans traitement il convient de ne prescrire aucun traitement anti-coagulant ;
- si le risque thrombo-embolique est important et l’emporte sur le risque hémorragique un traitement par AVK est à envisager et ce uniquement si le taux de facteur résiduel semble suffisant. (30 UI/dL pour Mannucci, essais avec 20 UI/dL de facteur résiduel concluants chez Schutgens et al.) ;
- uniquement dans les cas de risque thrombo-embolique haut et de taux de facteur bas, l’aspirine pourrait être utilisée, spécialement pour les moins de 75 ans.
Un souci de taille reste la prise en charge des patients développant des inhibiteurs au facteur VIII qui présenteraient de la FA. Le risque hémorragique étant tellement important, les experts ne recommandent aucun traitement anticoagulant ou antiplaquettaire chez ces patients.
Le cas particulier des patients hémophiles B est également sensible. En effet, le facteur IX est vitamine-K dépendant, une anticoagulation par AVK majore donc la sévérité de l’hémophilie et nécessiterait une substitution en facteur chez les patients hémophiles B modérés ou faibles.
En cas de cardioversion chez un patient hémophile, Mannucci et al. proposent la prise en charge décrite dans la figure C.
Les patients présentant une FA de plus de 48h éligibles pour une cardioversion nécessitent une échographie cardiaque transoesophagienne (ETO) pour exclure la présence d’un thrombus auriculaire et une anticoagulation par AVK de 4 semaines post-procédure (INR cible : 2.0-3.0). L’ETO préalable permet d’éviter les 4 semaines d’anticoagulation avant la cardioversion. Cette stratégie utilisée par l’équipe de Mannucci semble appropriée et sûre pour autant qu’une substitution adéquate en facteur VIII soit administrée. Après cardioversion, un traitement anticoagulant à long terme sera prescrit selon les directives de la figure B.
La prophylaxie pour la prévention de thrombose est essentielle dans le traitement de la FA. Les AVK sont très efficaces mais amènent de nombreuses difficultés telles le maintien d’un INR correct, l’inconvénient du monitoring, les nombreuses interactions médicamenteuses et alimentaires et le risque hémorragique d’où leur utilisation moindre chez les patients hémophiles.
Les nouveaux anticoagulants oraux tels les inhibiteurs directs de la thrombine ou les inhibiteurs anti-Xa semblent montrer une diminution des complications hémorragiques spécialement des hémorragies intracérébrales (15). L’utilisation de ces nouvelles molécules évite les valeurs d’INR parfois très élevées observées chez les patients sous AVK. Leur temps de demi-vie est également plus court en comparaison aux AVK. Cependant, vu l’absence d’antidote disponible leur usage est limité chez les patients hémophiles.
Comme dans la prise en charge du syndrome coronarien aigu, la substitution en facteur de coagulation est essentielle dans la fibrillation auriculaire pour contrôler le risque hémorragique dû à l’usage des anticoagulants et antiplaquettaires.
La population hémophile vieillissant, les pathologies cardiovasculaires, en particulier le syndrome coronarien aigu et la fibrillation auriculaire, vont voir leur prévalence augmenter.
La prise en charge de ces pathologies nécessite donc un équilibre adéquat entre risque hémorragique et ischémique et par là une étroite collaboration entre hématologue et cardiologue.
Le nombre d’études très restreint à ce jour ne permet pas l’élaboration de recommandations basées sur l’évidence. La tendance actuelle, basée sur les opinions d’experts et sur l’évaluation de l’application des guidelines généraux sur la population hémophile, tendrait à prendre les patients hémophiles en charge comme tout autre patient présentant une pathologie cardiaque en choisissant évidement les alternatives thérapeutiques avec les moindres taux de complications hémorragiques et sous le couvert de substitution en facteurs de coagulation adéquate.
Comme la population générale, la population hémophile doit dès à présent bénéficier d’une importante prévention en termes de facteurs de risque cardiovasculaires.
La prise en charge des patients hémophiles se veut de plus en plus complexe tant par l’apparition de pathologies dues au vieillissement, des nouvelles stratégies thérapeutiques mais également de difficultés comme la prise en charge de patients hémophiles avec présence d’inhibiteurs.
Le syndrome coronarien aigu et la fibrillation auriculaire étant des pathologies très fréquentes en salle d’urgence, les médecins de première ligne seront amenés, bien que rarement, à prendre en charge des patients hémophiles. Il est nécessaire que ceux-ci soient à même de prendre les bonnes décisions et donc d’être informés de la conduite à tenir face à un patient hémophile présentant ces affections.
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Dr. Caroline Tutus
Clinique Saint-Pierre Ottignies
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1. Dr Jean-Pierre Pelgrim, Clinique Saint-Pierre, service des urgences et de l’unité d’hospitalisation de courte durée, B- 1340 Ottignies
2. Pr Frédéric Thys, Cliniques universitaires Saint-Luc, service des urgences, B-1200 Bruxelles
3. Pr Cédric Hermans, Cliniques universitaires Saint-Luc, service d’Hématologie, hémostase- Thrombose/hémophilie, B-1200 Bruxelles