L’obésité, du fait de ses nombreuses complications graves et de son caractère de facteur de risque majeur représente aujourd’hui et de plus en plus un problème de santé publique particulièrement préoccupant en termes d’effets délétères sur le plan médical, mais également sur le plan budgétaire. On estime qu’aux Etats-Unis, où la prévalence de ce fléau peut être qualifiée d’énorme (voir encadré ci-dessous), les coûts liés à l’obésité se sont élevés en 2019 à près de 173 milliards de dollars, soit près de 162 milliards d’euros, les coûts médicaux pour les patients obèses étaient supérieurs de 1861 dollars par an en comparaison des sujets non obèses, selon les Centers for Disease Control and Prevention (CDC).
C’est pour faire le tour de ce problème inquiétant que nous sommes allés éclairer notre lanterne auprès d’un orfèvre en la matière, le professeur Jean-Paul Thissen, de l’UCLouvain et qui a notamment mis sur pied une consultation d’obésité.
Si la notion d’IMC (indice de masse corporelle) ou BMI (Body Mass Index) est intéressante sur le plan épidémiologique, elle fait l’objet d’un nombre croissant de critiques et ne s’utilise plus guère pour la prise en charge individuelle. « Ce que l’on fixe en général comme objectif du traitement, c’est la recherche d’un meilleur équilibre alimentaire, un traitement des comorbidités éventuelles et une perte de 10% du poids de départ, ainsi que la prévention des récidives », fait remarquer le Pr Thissen. 80% de ses patients sont des femmes et contrairement à ce que l’on pourrait penser, les cas de celles qui ont un poids parfaitement normal et souhaitent malgré tout maigrir sont assez rares. Il fait par ailleurs remarquer que, plus peut-être que l’IMC c’est le périmètre abdominal qui est important à surveiller pour évaluer le risque cardiométabolique.
On sait que l’obésité représente un facteur de risque important pour toute une série de pathologies parfois lourdes. « Le diabète de type 2 constitue de très loin le risque numéro un lié à l’obésité. La perte de poids au contraire réduit rapidement et nettement ce risque, ce qui est sensiblement moins le cas pour les autres pathologies favorisées par l’obésité, comme l’hypertension ou les maladies cardiovasculaires par exemple ». Pour ce qui de ces autres risques liés à l’obésité le Pr Thissen cite notamment les maladies du foie, ce qui est moins connu et qui peut aller jusqu’à la cirrhose hépatique chez des sujets ne buvant que peu ou pas d’alcool et même le cancer du foie. « Les hépatologues américains nous disent que le motif majeur de transplantation hépatique est désormais la cirrhose due à l’obésité ». Et de citer encore, parmi d’autres de ces complications les problèmes ostéoarticulaires, surtout au niveau des genoux et des hanches, l’apnée du sommeil ou les cancers, particulièrement celui du sein et celui de l’endomètre chez la femme ménopausée. En ce qui concerne la prévalence de l’excès pondéral et de l’obésité en Belgique on peut dire qu’un adulte sur deux présente une surcharge pondérale avec un IMC supérieur à 25 et entre 15 et 20% sont en obésité. Une question intrigante est celle des raisons pour lesquelles il y a véritablement eu une explosion du nombre de cas d’obésité depuis quelques décennies, naguère assez peu fréquents. Les données de l’OMS nous apprennent en effet que le nombre de cas d’obésité au niveau mondial a triplé depuis 1975 et que 1,9 milliards de personnes dans le monde présentent une surcharge pondérale. Si on cite souvent la consommation excessive de boissons sucrées (soft drinks) comme facteur causal à cet égard, les raisons de cette explosion sont multifactorielles, souligne le Pr Thissen. « La nourriture joue un rôle essentiel à cet égard, avec des aliments bon marché, à l’aspect appétissant, que l’on ingurgite à tout moment de la journée, que l’on consomme souvent dans des restaurants et des cantines, le fast food, les aliments ultra-transformés, tout cela intervient à ce niveau. Il est important de se rappeler que plus la nourriture est bon marché, ce qui est de plus en plus souvent le cas, moins sa qualité nutritionnelle est bonne et plus elle est riche en calories. En fait, la faim a deux aspects, l’un, classique, homéostatique, l’autre hédonique, dépendant du système limbique et qui fait que l’on mange sans nécessité physiologique. Cette dernière prend de plus en plus le pas sur les mécanismes physiologiques ».
Pour ce qui concerne les traitements de l’obésité, il faut évidemment que le patient n’attribue pas sa cause à une fatalité contre laquelle on ne pourrait rien faire mais qu’il accepte une véritable prise en charge médicale. Quant aux succès des traitements ils ne sont pas spectaculaires. « On estime que 20% environ des patients concernés atteignent une perte de poids de 10% et la maintiennent pendant un an. Dans les échecs on a, d’une part les patients qui n’arrivent à perdre suffisamment de poids et, d’autre part ceux qui regagnent progressivement les kilos perdus. Les études montrent par ailleurs qu’il ne suffit pas de corriger les erreurs alimentaires commises au départ pour régler le problème. Tout ceci fait qu’il est très difficile de perdre du poids de façon durable ».
L’exercice physique, souvent prôné, joue un rôle secondaire dans cette prise en charge, d’autant que pour le sujet réellement obèse, la pratique du sport est plus difficile, voire parfois quasi-impossible. Pour maintenir son poids une fois l’objectif de réduction de celui atteint, par contre, l’exercice physique est probablement indispensable.
En ce qui concerne le traitement chirurgical, on ne pose pratiquement plus d’anneau gastrique, mais on recourt surtout au bypass gastrique ou à la sleeve gastrectomie, dans laquelle ce qui reste de l’estomac devient un prolongement en ligne droite de l’œsophage. Les dangers liés à la chirurgie bariatrique sont limités si le patient est médicalement bien suivi, mais deux risques existent bel et bien, à savoir la reprise du poids et, par un mécanisme qui n’est pas très clair, l’alcoolisme. Du côté des médicaments, enfin, on a notamment les analogues du GLP-1, utilisés dans le traitement du diabète de type 2 et toute une série de nouvelles molécules qui s’annoncent.