Abréviations
FA : fibrillation auriculaire
NOAC : nouveaux anti-coagulants
SCA : syndrome coronarien aigu
AAS : aspirine
OAC : anticoagulation orale
INTRODUCTION
Le domaine de la cardiologie vit depuis quelques années de nombreux bouleversements en matière de nouveautés thérapeutiques, notamment avec l’avènement des anticoagulants et des antiagrégants de nouvelle génération. Parmi les nouveaux anticoagulants, ceux qui sont remboursés en Belgique sont le Xarelto® (rivaroxaban), le Pradaxa® (dabigatran), l’Eliquis® (apixaban) et le Lixiana® (edoxaban). Parmi les nouveaux antiagrégants, on compte le Brilique® (ticagrelor) et l’Efient® (prasugrel).
Les recommandations européennes les plus récentes sont très claires au sujet de ces deux types de traitement. Les nouveaux anticoagulants doivent être administrés comme traitement de première ligne dans la prévention thromboembolique liée à la fibrillation auriculaire (1); tandis que les nouveaux antiagrégants constituent le traitement antiplaquettaire de première ligne après un syndrome coronarien aigu (2,3). Il n’en reste pas moins que la combinaison de ces deux traitements comporte quant à elle nettement moins de preuves et les avantages et effets secondaires sont actuellement encore peu connus. Les deux grandes situations dans lesquelles le praticien peut rencontrer un patient qui combine anticoagulants et antiagrégants sont (1) le patient qui est anticoagulé pour une FA et qui doit être stenté dans le cadre d’un syndrome coronarien aigu ou de façon élective et (2) le patient qui a été stenté dans le cadre d’un syndrome coronarien aigu ou de façon élective et qui présente de la FA. Ces deux situations vont être abordées plus bas.
Plus récemment, l’utilisation des nouveaux anticoagulants en post-syndrome coronarien aigu a été proposée suite à la persistance d’un risque résiduel élevé durant les mois qui suivent un évènement coronarien aigu. Cette nouvelle indication va également être détaillée dans la suite de l’article.
L’ANTICOAGULATION EN PRÉVENTION SECONDAIRE POST SYNDROME CORONARIEN AIGU
Depuis plus de dix ans déjà, on sait que 10 à 15% des patients ayant fait un SCA sont amenés, soit à mourir, soit à refaire un nouvel infarctus dans l’année malgré la mise sous aspirine (4). Ce phénomène est en partie expliqué par le fait que le facteur Xa et la thrombine sont encore présents à un taux élevé dans le sang de ces patients par rapport au groupe contrôle, et ce même six mois après l’évènement (5). D’autre part, l’étude Oasis-2 a montré il y a plus de 15 ans déjà que l’utilisation de warfarine en post-SCA réduisait de façon significative le taux de récidive, mais au prix d’un risque hémorragique non-négligeable (6). Ces constatations ont constitué la base de la réflexion que l’introduction de NOAC dans le traitement post-SCA pourrait contribuer à réduire le risque résiduel de récidive ischémique. Malheureusement, toutes les études de phase 2 menées avec les NOAC en post-SCA ont montré une augmentation du risque de saignement parallèlement à une majoration de la dose (7). Parmi ces études, seule celle utilisant le rivaroxaban (ATLAS-ACS TIMI 46) a montré un intérêt en termes de réduction de risque ischémique, bien que ces études ne soient pas désignées pour cela (8). Parmi les études de phase III, APPRAISE 2, qui testait l’apixaban + aspirine ± clopidogrel vs. aspirine ± clopidogrel, a été stoppée prématurément pour un excès d’hémorragies en l’absence de diminution du risque thrombotique. Il faut néanmoins noter que dans cette étude, les doses d’apixaban étaient similaires à celles utilisées dans la FA (5mg 2x/jour et 2.5 mg 2x/jour dans certaines circonstances) (9). Par contre, l’étude ATLAS ACS 2 – TMIMI 51 testant le rivaroxaban aux doses de 2.5 mg ou 5mg 2x/jour chez des patients en post-SCA, a clairement montré une diminution du taux d’évènement cardio-vasculaires comparé à l’aspirine seule (7% des patients) ± clopidogrel (93% des patients) (10). Le prix à payer est néanmoins une majoration du risque hémorragique (excepté les hémorragies fatales).
Dès lors, s’il apparait désormais clairement que l’association aspirine + inhibiteurs du récepteurs P2Y12 + NOAC semble bénéfique en termes de réduction du risque de récidive d’évènement cardiovasculaire, il n’en reste pas moins que la complication la plus redoutée reste l’hémorragie. Et certains donc d’évoquer la possibilité d’abandonner l’aspirine du triple traitement antiagrégant/anticoagulant afin de potentiellement réduire ce risque. Cela a été étudié dans l’étude WOEST (11). Cette étude randomisée double aveugle a enrôlé 573 patients devant subir une angioplastie et requérant par ailleurs un traitement anticoagulant au long cours. Les patients ont été randomisés entre le bras aspirine + clopidogrel + warfarine et le bras clopidogrel + warfarine. La bithérapie a permis de diminuer de 60% le risque hémorragique sans augmenter le risque thrombotique par rapport à la trithérapie. Plus récemment, l’étude de phase II, GEMINI-ACS 1 évaluant l’utilisation du rivaroxaban à la dose de 2.5 mg 2x/jour en lieu et place de l’aspirine en post-SCA n’a pas montré de majoration significative des saignements dans le bras rivaroxaban, que ce soit en association avec le ticagrelor ou le clopidogrel (12). Des études d’efficacité sont toutefois nécessaires afin d’objectiver si cette stratégie permet également de diminuer le risque de récidive d’évènement cardiovasculaires et de déterminer plus précisément à quelle population s’adresse cette stratégie thérapeutique.
Lors du congrès de la Société Européenne de Cardiologie 2017, ont été présentés les résultats de l’étude de phase III, COMPASS. Cette étude prometteuse a montré une diminution du risque d’évènements cardio-vasculaires chez les patients porteurs d’angor stable ou d’artérite périphérique et chez qui du Xarelto 2.5 mg 2x était ajouté au traitement par aspirine. Ce traitement était comparé à la prise d’aspirine seule ou de Xarelto seul (5mg 2x). Par contre, dans les deux bras Xarelto, le risque de saignement était accru comparativement à l’aspirine seule (13).
LE STENTING CHEZ LES PATIENTS SOUS NOAC OU LE DÉVELOPPEMENT DE FA CHEZ LES PATIENTS STENTÉS
Les études
Comme mentionné dans l’introduction, les recommandations sont claires quant à l’utilisation des NOAC comme prévention thrombo-embolique de première intention dans la FA ainsi que sur l’administration de nouveau antiagrégants dans le SCA. Toutefois, peu de données existent actuellement sur l’utilisation concomitante de ces deux traitements : NOAC + ticagrelor/prasugrel.
Les études princeps des NOAC montrent clairement que le risque thrombo-embolique des patients sous NOAC et sous antiagrégant n’est pas inférieur à ceux sous warfarine uniquement. En revanche, il est clairement démontré qu’en cas de prise concomitante d’anti-agrégant, le risque hémorragique s’en trouve majoré et ce d’autant plus si le patient prend deux antiagrégants (aspirine + inhibiteur des récepteurs P2Y12) plutôt qu’un (14). Comme mentionné ci-dessus, la stratégie qui semble prometteuse pour contrer cet excès de saignement est la bithérapie plutôt que la trithérapie avec le retrait de l’aspirine du traitement tel que démontré dans l’étude WOEST (11), mais également la réduction de la durée de la prise de clopidogrel de 6 mois à 6 semaines tels que testé dans l’étude ISAR TRIPLE où il n’y a pas de différence significative en termes d’évènement ischémique et hémorragique entre les deux bras (15).
Concernant l’utilisation des antiagrégants de dernière génération concomitamment aux NOAC, les études de phase II sont encore pour la plupart en cours et portent sur des patients anticoagulés par NOAC qui nécessitent une revascularisation percutanée pour syndrome coronarien aigu. Parmi ces études, on mentionne PIONEER-AF PCI (16) et RT-AF (17) qui testent le rivaroxaban, REDUAL-PCI avec le dabigatran (18), AUGUSTUS avec l’apixaban et ENTRUST AF - PCI avec l’edoxaban. Actuellement, seule l’étude PIONEER AF-PCI est terminée et les résultats sont connus. Le design de l’étude qui porte sur 2100 patients est complexe et compare trois bras qui sont repris dans la Figure 1. En termes de sécurité, il apparait clairement que le risque de saignement est significativement moins élevé parmi les patients bénéficiant du rivaroxaban comme anticoagulant comparé à la warfarine. En termes d’efficacité, les patients sous rivaroxaban ont un taux d’évènement ischémique qui est significativement moindre que les patients sous warfarine. Cette première étude offre de belles perspectives dans l’ère des nouveaux traitements antithrombotiques et démontre que tant les recommandations sur la FA que sur les syndromes coronariens aigus ne sont pas incompatibles, pour autant que les indications soient ciblées, que les doses soient adaptées et que les patients soient suivis.
Des études à la pratique : recommandations en 2017 concernant l’utilisation combinée des traitements anticoagulants et antiagrégants
À l’heure d’aujourd’hui, à la lumière des premières études qui ont été citées mais où les données sont encore incomplètes pour établir de réelles recommandations, quelques précautions quant à l’utilisation combinées des antiagrégants et des anticoagulants doivent être mentionnées, à savoir :
- la durée de la période de la triple thérapie (aspirine + inhibiteur des récepteurs P2Y12 + OAC) doit être courte et doit être suivie par une double thérapie (inhibiteur des récepteurs P2Y12 + OAC) ;
- l’utilisation de prasugrel ou ticagrelor doit être évitée à moins qu’il n’existe une raison à l’utilisation d’un de ces agents (thrombose de stent sous clopidogrel par exemple), suite au manque d’évidence et au risque plus élevé d’hémorragie ;
- concernant l’anticoagulation, l’INR visé sous AVK doit être de 2.0 à 2.5 (excepté les patients avec une valve mécanique en position mitrale) et les plus petites doses d’anti-coagulants doivent être utilisées le temps de l’association avec les antiagrégants (Rivaroxaban 15 mg, Apixaban 2.5 mg, Dabigatran 110 mg) ;
- une protection gastrique par inhibiteur de la pompe à proton doit être instaurée ;
- pour la coronarographie, l’accès radial et l’utilisation de stent à libération de médicament (stent DES) doivent être privilégiés.
Les recommandations européennes concernant l’association anti-coagulant et anti-agrégant sont reprise dans les Figures 2A et 2B.
CONCLUSION
À l’heure d’aujourd’hui, les NOAC semblent avoir une place de choix en prévention secondaire après un syndrome coronarien aigu. Toutefois, le prix à payer reste le risque hémorragique qui semble néanmoins pouvoir être raisonnablement contrôlé moyennant des adaptations thérapeutiques. Les études à ce sujet sont encore en cours. D’autre part, l’utilisation des NOAC chez les patients ayant eu ou devant être stentés, soit de façon élective, soit dans le cadre d’un syndrome coronarien aigu, doit se faire avec la plus grande prudence. Dans le premier cas, le clopidogrel est préconisé comme inhibiteur des récepteurs P2Y12 et ce, moyennant une diminution des doses de NOAC, dans le second cas du syndrome coronarien aigu, l’association des NOAC avec les nouveaux anti-agrégants doit être évitée vu le risque hémorragique élevée. Bon nombre d’études de phase II sont actuellement en cours avec cette association.
CORRESPONDANCE
Dr. Sophie Pierard
Cliniques universitaires Saint-Luc
Cardiologie
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles
sophie.f.pierard@uclouvain.be
AFFILIATION
Département de Pathologies Cardio-vasculaires, Service de Cardiologie
Cliniques Universitaires Saint-Luc, Bruxelles
RÉFÉRENCES
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