La COVID-19 a fait entrer dans le vocabulaire populaire trois termes jusqu’alors réservés aux spécialistes : ARN messager (ARNm), test PCR et dexaméthasone. S’agissant de l’ARNm, on a souligné à l’envi dans la grande presse - et à juste titre - la rapidité inédite de mise au point des vaccins utilisant ce messager qui permettent aujourd’hui de contrer la pandémie. On s’est beaucoup plus rarement interrogé sur l’histoire des découvertes à l’origine de ces innovations diagnostiques (la PCR) et thérapeutiques (vaccin à ARNm et dexaméthasone). Il est dès lors heureux que notre collègue émérite Guy Rousseau ait pris la plume pour nous conter par le menu les étapes fascinantes, parfois rocambolesques, de ces conquêtes scientifiques.
Biochimiste renommé du Team de Christian de Duve, au sein duquel il a dirigé le groupe « Hormones et métabolisme » l’auteur a débusqué des mécanismes clés de l’action des hormones sur les gènes, ce qui a valu de nombreux prix. Explorateur passionné de la cellule durant toute sa carrière, Guy Rousseau était particulièrement bien placé pour remonter « la piste des messagers cellulaires ». Aussi à l’aise dans la langue du vulgarisateur que dans celle du romancier, il entremêle avec bonheur les genres littéraires, son livre se faisant tour à tour, au gré des chapitres, autobiographie, récit de voyage (autant géographique que cellulaire), galerie de portraits et essai philosophique.
C’est la rencontre de maîtres charismatiques successifs qui va orienter G. Rousseau vers la recherche à temps plein. Celle de Jacques Genest, le pape d’alors du système rénine-angiotensine, patron en exercice de l’Hôtel Dieu de Montréal où le jeune assistant commence son cursus de médecine interne : il y défend une thèse sur l’aldostérone qui lui met véritablement le pied à l’étrier. Celle ensuite de Jean Crabbé à son retour en Belgique en 1966, lequel le convainc d’étudier le mécanisme d’action des hormones stéroïdes et de vérifier l’hypothèse audacieuse selon laquelle elles agissent sur les gènes. Puis celle du groupe d’Hubert Chantrenne à l’ULB, qui s’intéresse à un deuxième messager potentiel de cette action : l’ARNm. Rencontres fructueuses puisqu’elles se soldent pour le jeune chercheur par sa démonstration de la réalité de l’hypothèse hormone-gène, l’aldostérone, en l’occurrence, faisant apparaitre dans les cellules cibles un nouvel ARN.
Nanti de la flatteuse carte de visite que constitue la publication de ce travail ainsi que d’une bourse du NIH, Guy Rousseau décide, en 1970, de rejoindre à l’Université de Californie le groupe qui est à la pointe de la recherche dévolue aux mécanismes d’action des hormones stéroïdiennes. Il y restera 6 ans. Il y décryptera la nature des récepteurs nucléaires des stéroïdes, ce qui lui vaudra des publications dans Nature, Science… et même The Times !
De retour à l’Institut de Duve, il entreprend une collaboration fructueuse avec Louis Hue, Emile Van Schaftingen et Frédéric Lemaigre avec qui il identifie des facteurs de transcription (protéines qui allument ou éteignent certains gènes dans un tissu donné, à un moment donné) facteurs qui permettent aujourd’hui, on le sait, d’orienter le devenir de cellules souches vers les lignées désirées.
En bon vulgarisateur, l’auteur insère quelques brèves mais utiles notices scientifiques (biologie cellulaire, génétique moléculaire, biologie moléculaire, la PCR), tout en recourant fréquemment à des métaphores qui révèlent le didactisme de l’enseignant : ainsi, les mitochondries deviennent des piles électriques, les ribosomes une chaîne de montage, le lysosome un conteneur…
Une autre facette de notre chercheur, plus surprenante pour moi, est son talent de conteur. Dans les 5 chapitres de son aventure sud-américaine - entreprise comme une mission humanitaire à l’instigation de Jean Crabbé alors qu’un avenir académique lui était proposé à San Francisco - le récit prend des allures d’un roman digne de Jack London. Le narrateur se retrouvera notamment, avec sa femme et deux jeunes enfants, aux premières loges du coup d’état de Pinochet. Ils échapperont au bombardement qui visait la maison d’Allende, située à 300 m de la leur à Santiago…
Vulgarisateur, conteur, mais aussi portraitiste. C’est ainsi qu’entrent en scène, parmi les plus connus : Albert Claude Pierre Crabbé, Raymond Devis, Pierre-Etienne Baulieu (le père de la pilule abortive), Stanley Prusiner (le découvreur des prions), Joseph Martial, Michel Lechat, Axel Kahn, Salvador Moncada, et même Howard Hughes ! Leurs descriptions, parfois hautes en couleurs et non dénuées d’humour, sont une respiration bienvenue dans l’ouvrage.
Chemin faisant, impossible enfin qu’un chercheur faisant le bilan de sa carrière ne veuille pas faire partager ses réflexions plus profondes sur le monde scientifique dans lequel il a vécu. Ainsi, le chapitre « Publier ou périr ». Son « Take home message » est cristallisé dans un des derniers paragraphes du livre : « Notre tour d’horizon montre l’importance d’une recherche déchargée de la contrainte d’applications immédiates. Il illustre le caractère imprévisible des découvertes scientifiques où hasard et intuition jouent souvent un rôle complémentaire. Qui aurait pu prévoir que l’étude des glandes salivaires de moustique lancerait une course sur la piste des ARN messagers chez l’animal ? Que la PCR, cette technique née d’une source volcanique, quitterait la boite à outils des enquêteurs de la criminelle pour détecter le coronavirus chez des millions d’êtres humains ? Que la dexaméthasone, un des prototypes de premier messager cellulaire et ma fidèle compagne de route, retrouverait une nouvelle jeunesse comme médicament au chevet des malades gravement atteints par la Covid-19 ? Faire une découverte c’est trouver autre chose que ce que l’on cherchait et ainsi faire progresser les connaissances. »
Je recommande particulièrement la lecture de ce petit livre captivant à ceux qui, comme moi, ont choisi la clinique plutôt que la recherche fondamentale.