Il y a 40 ans déjà que la première angioplastie coronaire a été réalisée par Andreas Gruentzig et on peut dire que le chemin parcouru depuis lors est énorme. Le matériel utilisé s’est progressivement amélioré, d’années en années, pas toujours de manière contrôlée mais ce mouvement n’a jamais fait marche arrière. Le « sur place » n’a jamais été de mise chez les cathétériseurs qui, une fois une étude réalisée et publiée, étaient déjà en train d’utiliser la génération de stent suivante en se basant sur le fait que cela devrait être encore meilleur. Régulièrement, il y a eu ainsi de grosses études pivots pour prouver l’un ou l’autre concept (le stent est supérieur au ballon, le stent coaté (DES) est supérieur au stent nu (BMS), …) mais on s’est souvent contenté d’études de faisabilité pour lancer des nouvelles versions plus ou moins légèrement modifiées de la version du stent précédent ! On est assez loin du monde « des médicaments » où on exige des études portant sur des milliers (et même parfois des dizaines de milliers) de patients prouvant une réduction significative de la morbidité et de la mortalité.
Le plus merveilleux dans cette réelle aventure est de pouvoir dire que cela a marché et que l’angioplasticien moderne envahit des territoires de plus en plus complexes, dont certains étaient auparavant interdits comme les lésions aigues, thrombotiques, et d’autres réservés uniquement aux mains des chirurgiens, comme les lésions du tronc commun, les bifurcations ou encore les occlusions chroniques. L’amélioration s’est vue non seulement sur le plan du matériel mais aussi sur le plan médicamenteux tout d’abord.
Le thrombus a longtemps été l’ennemi public N° 1 et dans les temps héroïques, la présence d’un caillot faisait reculer mais dans le but de pouvoir mieux sauter. On parlait de prémédication et de refroidir la lésion. Les progrès dans les anticoagulants mais surtout dans les antiagrégants plaquettaires nous ont permis une approche invasive dans les syndromes coronariens aigus. À l’époque, il a fallu le développement des héparines de bas poids moléculaire et des antagonistes des récepteurs de la glycoprotéine IIb/IIIa par voie intraveineuse pour s’attaquer à un angor instable ou à un infarctus sous-endocardique après avoir attendu un certain temps, qui a d’ailleurs été de plus en plus court. Actuellement, le patient présentant un syndrome coronarien aigu est pris rapidement en salle quand il s’agit d’un NSTEMI. Les antiagrégants plaquettaires de l’époque ont été remplacés à de rares exceptions près pas les inhibiteurs plus modernes du récepteur P2Y12 , les successeurs de la brave ticlopidine qui en son temps avait permis la survie des stents qui avaient tendance à se boucher « un peu trop souvent ». En ce qui concerne les STEMI, la prise en charge invasive est même « immédiate » : l’angioplastie primaire étant devenue le traitement de premier choix par rapport à la fibrinolyse.
Le matériel est donc parallèlement devenu de plus en plus performant, avec des ballons et des stents dont le profil n’a plus rien à voir avec le matériel des temps héroïques. Il est loin le temps des stents qu’on attachait (crimpait) à la main sur le ballon (et qu’on perdait de temps en temps…). Ce matériel plus performant a non seulement pour but de faciliter le geste technique, de le rendre plus reproductible mais a surtout permis de se lancer à l’attaque de lésions dont on n’aurait pas osé penser avant, chez des patients de plus en plus fragiles et cela avec des résultats excellents, faisant reculer les limites du territoire réservé aux chirurgiens.
Les stents BMS nous avaient aidé à l’époque à rendre plus prédictif le résultat d’une dilatation au ballon (un geste finalement assez brutal pour une coronaire), en maitrisant la problématique de la dissection et en diminuant la resténose. Les stents pharmacologiques (DES) ont permis non seulement d’avoir moins de resténoses sur des lésions « faciles » mais aussi d’aborder des lésions plus longues, des coronaires de plus petit calibre même si cela reste toujours une limitation. Enfin, les stents modernes ont aussi permis d’obtenir de bons résultats par rapport à la chirurgie dans les maladies touchant plusieurs vaisseaux. A ce niveau, une évaluation globale de l’arbre coronaire est toutefois indiquée avec par exemple des scores comme le score SYNTAX. Il faut évaluer non seulement la complexité des lésions individuelles mais également le nombre de lésions coronaires et il reste une place pour la chirurgie coronaire quand ce score est trop élevé. La discussion pluridisciplinaire voit parfois alors toute son utilité, en respectant les avantages et limitations de ces deux approches.
Il y a bien longtemps déjà aussi que des techniques comme le rotablator permettent de s’attaquer à des lésions fort calcifiées, qui résistent au ballon. Ces petites fraises diamantées permettent d’ouvrir un passage avant de terminer le travail par une inflation au ballon puis par la mise en place d’un stent. L’utilisation de ballons avec des profils très bas, pouvant être gonflé à haute pression ou de ballons spéciaux permettant une petite « section » dans la paroi de l’artère rendent néanmoins l’utilisation du rotablator assez rare.
Les bifurcations constituent pour l’angioplasticien toujours un challenge. S’il est relativement facile d’avoir un bon résultat dans un axe, préserver l’autre branche n’est pas toujours facile mais nous avons appris progressivement à maitriser les techniques de kissing : en gonflant simultanément un ballon dans les deux axes de la bifurcation, on parvient bien souvent à un bon résultat, surtout si la branche « latérale » est d’un bon calibre. La bifurcation suprême reste le tronc commun et dans cette indication naguère typiquement chirurgicale, les résultats deviennent dans des mains bien entrainées assez comparables à la chirurgie, surtout s’il n’y a pas « trop » de lésions ailleurs sur les coronaires, en d’autres termes si le score SYNTAX n’est pas prohibitif. L’angioplastie du tronc commun n’est donc plus uniquement la dernière option d’un patient qui aurait un risque chirurgical prohibitif mais peut être réellement considérée comme une option thérapeutique à part entière. Bien évidemment, une analyse soigneuse du film angiographique est indispensable pour bien peser le risque en fonction de la morphologie de la lésion (ou des lésions) et de l’expérience du cathétériseur.
Les occlusions chroniques (CTO ou OCT en anglais) ont longtemps constitué une barrière paraissant infranchissable ! Surtout à la suite de l’école japonaise, le matériel a progressé à ce niveau et le type d’approche a évolué. Les progrès ont porté sur les filaments, pouvant être « souples » pour se faufiler dans des micro-channels ou plus « rigide » pour perforer une plaque résistante, ainsi que sur certains devices spécifiques comme les microcathéters en particulier. La philosophie pour aborder ce type de lésion s’éloigne de l’angioplastie conventionnelle avec la nécessité d’un abord bi-artériel, afin de pouvoir par exemple injecter l’artère controlatérale pour visualiser les collatérales et guider l’avancée du filament dans l’artère occluse. Cela permet aussi si on ne sait pas franchir l’occlusion par voie antérograde de passer par voie rétrograde, en empruntant les collatérales pour franchir l’occlusion. Ces techniques nécessitent une courbe d’apprentissage plus longue que l’angioplastie classique mais dans des mains expertes, les taux de succès peuvent atteindre les 90%. La question de l’utilité de ces techniques chez un patient donné doit évidemment être posée en termes de viabilité et d’ischémie. Il existe actuellement des données, tirées de registres essentiellement, prouvant l’utilité clinique de ce type d’approche.
En conclusion, l’angioplastie coronaire a fortement progressé en 40 ans et permet d’aborder maintenant des lésions plus complexes chez des patients de plus en plus fragiles, avec des taux de succès élevés. Une évaluation soigneuse de l’angiographie est pourtant toujours indispensable afin d’évaluer la probabilité de succès et les risques, et dans ce contexte, la concertation entre cardiologues et chirurgiens reste un MUST pour les cas complexes car les deux approches ont leurs avantages et leurs inconvénients respectifs. Connaître les limites de sa technique est la seule possibilité de progresser, pour pouvoir un jour espérer reporter plus loin cette limite.
CORRESPONDANCE
Pr. Olivier Gurné
Cliniques universitaires Saint-Luc
Service de Cardiologie
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles
olivier.gurne@uclouvain.be