Introduction
Les hyperoxaluries primaires sont un groupe de maladies autosomiques récessives qui sont associées à une production accrue d’oxalate hépatique. Des trois formes actuellement décrites, l’hyperoxalurie primaire de type 1 (HP1) est la plus fréquente et la plus sévère, notamment au niveau rénal. En effet, la majorité des patients souffrant d’HP1 présente une insuffisance rénale terminale (IRT) entre l’âge de 20 et 30 ans (1).
L’HP1 est extrêmement rare avec une prévalence de l’ordre de 1-3 cas/million d’habitants en Europe (2). Elle est néanmoins plus prévalente dans certaines régions où les mariages consanguins sont plus nombreux (>10% dans certaines régions d’Afrique du Nord et d’Asie mineure) (3). L’HP1 est essentiellement une maladie pédiatrique avec un âge médian au diagnostic de 5.5 ans (1). Néanmoins, il n’est pas rare que des adultes soient diagnostiqués HP1 (4).
À ce jour, les possibilités thérapeutiques (dites conservatives) sont contraignantes pour les patients et souvent peu efficaces à les protéger de l’IRT (5). De plus certains patients (essentiellement les adultes) entrent dans la maladie alors qu’ils sont déjà en IRT (4). Dès lors, beaucoup des patients HP1 vont à terme avoir besoin d’une transplantation rénale (TR) qui fait face à de nombreuses difficultés. Comme l’HP1 résulte d’un déficit métabolique hépatique, les stratégies de transplantation actuelles comprennent toujours une transplantation hépatique, soit combinée à la TR, soit avant la TR (approche séquentielle). Or, la transplantation hépatique est grevée d’une morbidité et d’une mortalité importantes.
Heureusement, une véritable révolution est en marche avec de nombreuses nouvelles approches thérapeutiques actuellement en phase de développement clinique et pré-clinique. Sans aucun doute, ces traitements innovants vont profondément modifier la prise en charge des patients souffrant d’HP1 dans un futur très proche.
Physiopathologie de l’hyperoxalurie primaire de type 1
L’HP1 est causée par une dysfonction de l’enzyme hépatique alanine-glyoxylate aminotransférase (AGT) qui catalyse la transamination du glyoxylate en glycine. Il en résulte une production excessive d’oxalate et de glycolate (Figure 1) (1). L’oxalate forme ensuite un sel calcique hautement insoluble. Le seul organe capable d’éliminer cet excès d’oxalate est le rein. À un stade précoce, l’HP1 se manifeste cliniquement par des épisodes répétés de lithiases urinaires, par de la néphrocalcinose et finalement par un déclin progressif de la fonction rénale. Ces manifestations sont les conséquences d’une oxalurie (OxU) excessive. À partir d’un débit de filtration glomérulaire estimé (DFGe) inférieur à 30-45 mL/min/1.73 m2, le rein n’est plus capable d’éliminer les stocks d’oxalate qu’il reçoit (1). Dès lors, l’oxalémie plasmatique (OxP) augmente et dépasse rapidement le seuil de saturation. L’oxalate va alors se déposer dans potentiellement tous les organes, essentiellement dans les os, les reins, la peau, la rétine, le myocarde, les vaisseaux sanguins et le système nerveux central. Cette situation clinique s’appelle l’oxalose systémique qui peut être associée à des manifestations cliniques sévères voire fatales (Figure 2) (1).
Génétique
L’HP1 résulte de mutations dans l’AGXT, le gène codant pour l’AGT. À ce jour, plus 190 mutations ont été décrites (6). Cependant, la corrélation génotype-phénotype est très pauvre dans cette maladie, avec une hétérogénéité clinique importante pour des mêmes mutations, même chez des jumeaux homozygotes (1). La seule corrélation génotype-phénotype connue est la réponse à la pyridoxine (un cofacteur essentiel pour le bon fonctionnement de l’AGT), essentiellement décrite chez les patients porteurs des mutations Gly170Arg et Phe152Ile. (1,7)
Traitements actuels
Les mesures conservatrices, qui doivent être mise en route rapidement une fois le diagnostic posé, associent une hydratation massive (>3 litres/m2, nécessitant parfois une gastrostomie chez les jeunes enfants), les inhibiteurs de la cristallisation urinaire de l’oxalate de calcium (le citrate de potassium, ou de magnésium en cas d’insuffisance rénale) et la pyridoxine (à une dose initiale de 5 mg/kg/jour qui peut être progressivement augmentée jusqu’à 20 mg/kg/jour) (1). La pyridoxine est une excellente molécule chaperonne qui stabilise l’AGT et favorise son importation dans le peroxysome où elle agit dans l’hépatocyte (Figure 1) (8). Néanmoins, comme déjà évoqué, elle est surtout efficace chez les patients porteurs de certaines mutations génétiques.
Lorsque le DFGe est < 30 mL/min/1.73 m2, la greffe combinée hépato-rénale est proposée, surtout en cas de déclin rapide de la fonction rénale. En effet, à ce niveau d’insuffisance rénale chronique (IRC), le niveau de rétention systémique d’oxalate est tel que l’évolution vers l’IRT est inéluctable. La greffe hépato-rénale doit être la plus précoce possible et si possible avant la prise en dialyse chronique. En effet, en dialyse, l’oxalose systémique s’aggrave rapidement. Des stratégies d’hémodialyse intensives (hémodialyse quotidienne, hémodialyse nocturne ou une combinaison d’hémodialyse et de dialyse péritonéale) sont alors nécessaires pour minimiser ce stockage systémique en essayant de maintenir une OxP < 20-35 µmol/L (seuil à partir duquel la saturation de l’oxalate de calcium est dépassée) (1). Malgré cela, la production hépatique est tellement importante qu’atteindre un niveau d’équilibre entre la production et l’élimination de l’oxalate est difficile voire illusoire. Il existe alors un risque que cette charge oxalique systémique (essentiellement osseuse) soit mobilisée dès après la TR et précipite dans le greffon rénal, ce qui peut occasionner une dysfonction voire un échec précoce. Dès lors, une approche séquentielle peut être proposée dans ce genre de situation. Elle consiste en une transplantation hépatique pour traiter le déficit enzymatique, suivie d’une hémodialyse intensive pour vider les stocks d’oxalate et enfin une TR. Néanmoins, le bénéfice de cette stratégie n’a jamais été clairement établi dans la littérature.
Par ailleurs, il a été démontré qu’après greffe combinée hépato-rénale, l’hyperoxalurie persiste pendant des années (9). Cela montre à quel point le stockage systémique est majeur et prend du temps à se vider, même après correction du déficit métabolique hépatique. En conséquence, les mesures conservatrices (hyperhydratation, utilisation des inhibiteurs de la cristallisation) doivent être maintenues après la double greffe hépato-rénale (combinée ou séquentielle) jusqu’à normalisation de l’OxU et de l’OxP.
Même si ces stratégies donnent de résultats satisfaisants au terme de survie rénale à 5 ans de l’ordre de 76-78% (9,10), la morbidité et la mortalité liées à la greffe hépatique ne sont pas négligeables, surtout pour une population aussi jeune. Une étude de registre européenne a montré une survie à 5 et 10 ans de 80% et 69%, respectivement (11).
Nouvelles approches thérapeutiques
De nombreuses approches thérapeutiques innovantes sont en cours de développement clinique et pré-clinique (12).
Les molécules ARN interférentes
L’ARN interférence (ARNi) est un mécanisme cellulaire naturel permettant la régulation de l’expression d’un gène via des « small interfering RNAs » (siRNAs). Des siRNAs synthétiques peuvent être développés afin de cibler un transcrit d’ARN messager endogène d’un gène donné, conduisant à son clivage et in fine à la suppression de la synthèse de la protéine encodée (13).
Une des enzymes clefs de la synthèse hépatique d’oxalate est la glycolate oxydase (GO) (Figure 1). Le lumasiran est un ARNi ciblant la GO hépatique. Trois études cliniques de phase 3 sont actuellement en cours, incluant respectivement des patients PH1 de 6 ans et plus avec un DFGe ≥30 mL/min/1.73m2 (Illuminate A), des patients PH1 de ≤5 ans avec une fonction rénale normale (Illuminate B) et des patients de tout âge avec un DFGe ≤45 mL/min/1.73m2 incluant des dialysés chroniques (Illuminate C). Les résultats partiels d’Illuminate A montrent une réduction de 65% de l’OxU à 6 mois de traitement sans effet secondaire important (14).
Le nedosiran est un autre ARNi qui cible la lactate dehydrogenase (LDH) hépatique (Figure 1). Une étude de phase 3 (NCT04042402) est en cours.
Stiripentol
Le stiripentol est un anti-épileptique utilisé de longue date dans le syndrome de Dravet. Il est capable d’inhiber la LDH hépatique (Figure 1). Le stiripentol a montré son efficacité in vitro et in vivo dans des modèles expérimentaux, ainsi que chez une patiente HP1 avec fonction rénale normale et qui présentait des lithiases récidivantes (15). Malheureusement, des cas cliniques publiés plus récemment ont montré des résultats décevants (16). Néanmoins, une étude de phase 2 (NCT03819647) est en cours. Cette molécule a le très grand avantage d’être très peu couteuse et, si elle montre une efficacité, pourrait devenir une option thérapeutique très intéressante, notamment dans les pays en voie de développement.
Oxalabacter formigenes
L’oxalabacter formigenes est une bactérie anaérobe qui colonise le tractus digestif humain et qui utilise l’oxalate comme seule source d’énergie. Des études antérieures ont montré des résultats conflictuels quant à l’efficacité de l’administration orale d’Oxalabacter formigenes chez les patients HP1 (17,18). Une étude de phase 3 est néanmoins en cours (NCT03938272).
Thérapie génique
La transplantation d’hépatocytes allogéniques a été essayée dans le passé, avec des résultats assez décevants (12). L’obstacle principal était que le nombre d’hépatocytes requis pour une greffe réussie était très important et qu’il était difficile de se procurer une telle quantité techniquement. Néanmoins, des essais pré-cliniques ayant pour objectif de délivrer un gène AGXT normal à un hépatocyte via différents vecteurs sont actuellement en cours (12). Une autre approche récemment développée dans un modèle animal murin HP1 consiste à utiliser la technique clustered regularly interspaced short palindromic repeats (CRISPR)/Cas 9 nuclease pour inhiber le gène HAO1 qui code pour la GO (Figure 1) (19).
Perspectives et conclusions
Sans aucun doute, ces thérapies innovantes vont drastiquement et rapidement modifier la prise en charge des patients HP1 en améliorant leur qualité de vie et en réduisant la prévalence d’IRT associée à la maladie. Le lumasiran semble le plus avancé dans son développement clinique. Récemment, la FDA (Federal Drug Administration) américaine et la commission européenne ont autorisé la mise sur le marché du lumasiran pour toutes les tranches d’âge. Son arrivée en Belgique en routine clinique est donc imminente.
Avec l’avènement futur des ARNi, la greffe hépatique devrait disparaitre des stratégies thérapeutiques pour les patients HP1 avec IRT pour faire place à de nouvelles stratégies de greffe comme celle que nous avons récemment proposée (Figure 3) (20).
Enfin, n’oublions pas que l’HP1 est bien plus prévalente dans certains pays émergents que dans nos contrées occidentales et qu’il est peu probable que les systèmes de soins de santé de ces pays soient capables d’assurer le coût (qui sera certainement important) de ces thérapies innovantes. Nous devrions réfléchir à des propositions permettant de ne pas exclure ces patients de ces avancées médicales.
Affiliations
1. Service de néphrologie, cliniques universitaires Saint-Luc, Bruxelles, Belgique
2. Institut de Recherche Expérimentale et Clinique, Université catholique de Louvain, Brussels, Belgique
3. Service de néphrologie pédiatrique, cliniques universitaires Saint-Luc, Bruxelles, Belgique
Correspondance
Dr. Arnaud Devresse, MD
Cliniques universitaires Saint-Luc
Service de néphrologie
Avenue Hippocrate, 10
B-1200 Brussels, Belgium
arnaud.devresse@uclouvain.be
Conflits d’intérêt : AD est investigateur principal pour Alnylam. NG et NK n’ont pas de conflit d’intérêt.
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