INTRODUCTION
Monsieur G. est un patient atteint de schizophrénie. Il se présente en consultation pour un trouble de l’identité sexuelle avec l’impression d’une « ambiguïté sexuelle ».
La dysphorie de genre est la conviction intime d’appartenir au sexe opposé, avec un mal-être ressenti dans le sexe originel. Un des critères d’exclusion d’acceptation de la dysphorie de genre est la schizophrénie. Dès lors, ce patient suscite la réflexion.
La schizophrénie est une dislocation de la personnalité, une maladie mentale d’une extrême complexité, qui se développe le plus souvent chez de jeunes adultes. La perte de l’image de soi, la perte d’identité et la non-reconnaissance de son propre corps et de sa personnalité font partie des symptômes de la schizophrénie.
Toutefois un patient schizophrène peut-il être atteint en même temps d’une dysphorie de genre ou est-ce là seulement l’expression de sa schizophrénie ?
La compréhension du symptôme de trouble de l’identité sexuelle chez un patient schizophrène est délicate dans ce cas. En effet, des études ont démontré une atteinte possible au sein du thalamus au niveau du « bed nucleus » dans la dysphorie de genre et une atteinte thalamique du noyau médiodorsal dans la schizophrénie. Est-ce là, par une atteinte thalamique, un lien expliquant un trouble de l’identité sexuelle chez ces patients ?
Dès lors quelle attitude thérapeutique devons-nous adopter ? Il nous est nécessaire de réaliser un bilan et une prise en charge adéquats pour répondre à la demande des patients. Les traitements hormonaux d’une dysphorie de genre et les traitements chirurgicaux ne sont pas dénués d’effets secondaires : l’acceptation d’une prise en charge pour une dysphorie de genre doit rester soumise à un diagnostic précis.
VIGNETTE CLINIQUE
Monsieur G., est un patient âgé de 36 ans. Il se présente en consultation d’endocrinologie, inquiet par son « sexe » et par son impression de « clitoris atrophié » à la base supérieure de la verge.
Il souhaiterait connaître son « vrai » sexe, ne sachant pas s’il doit accepter ou non son « côté féminin » qui, selon lui, s’exprime par cette zone au-dessus de sa verge. Il ne souhaite pas d’emblée une médication particulière.
Monsieur G. présente une gynécomastie bilatérale non douloureuse depuis 2 ans. Il dit avoir eu tendance à jouer à des jeux féminins dans son enfance et à porter, et porte toujours d’ailleurs, des vêtements et des sous-vêtements féminins. Le patient décrit une attirance sexuelle uniquement pour les femmes. Il a connu de nombreuses relations instables. Il n’est pas en couple et il n’a pas d’enfants. Ses érections sont normales et elles ne le gênent pas.
Notre patient est en incapacité de travail. Il a été officier dans l’armée pendant 8 ans. Le patient fume 8 unité-année-paquet, il ne consomme pas d’alcool et il n’a pas d’allergies connues.
Parmi ses antécédents, on retiendra une schizophrénie diagnostiquée en 2006, traitée par Xeplion® (Palipéridone : 1 comprimé 150 mg/4 semaines), a priori bien contrôlée. Le patient est suivi pour sa schizophrénie en hôpital de jour.
Ses antécédents familiaux sont sans particularités, notamment l’absence d’une schizophrénie, d’une bipolarité ou d’une dysphorie de genre chez ses parents proches.
Une zone légèrement incurvée à la base supérieure de la verge, pourrait être évoquée à l’examen clinique, toutefois celle-ci est non significative et ne correspond pas à un clitoris anatomique atrophié. La gynécomastie bilatérale est bien observable. Le volume testiculaire est normal. Le reste de l’examen clinique est sans particularité. On relève le port de sous-vêtements féminins.
La biologie sanguine reflète une fonction thyroïdienne normale, des taux de progestérone, de delta-4-androstènedione et de DHEA-S élevés, un cortisol qui reste dans les normes et une testostérone normale. Le reste de l’analyse sanguine ne révèle aucune anormalité.
D’autres analyses complémentaires ont été effectuées pour pouvoir nous aider à mieux comprendre ce « trouble de l’identité sexuelle ». En effet, lors de l’analyse du caryotype, nous aurions pu trouver une anomalie des chromosomes sexuels expliquant peut-être, en partie, la clinique que nous avions, toutefois les résultats se sont avérés normaux avec un caryotype normal, 46 XY et l’absence d’aneuploïdie.
Face aux androgènes surrénaliens majorés et face à l’aspect incurvé au-dessus la verge, nous avons aussi réalisé un test à l’ACTH et pratiqué une IRM surrénalienne. Celle-ci démontre des glandes surrénales fines et régulières, pas d’image nodulaire. On notera seulement la présence d’une image kystique de 22 mm au niveau du rein gauche.
Devant la majoration de la prolactine, nous décidons de vérifier l’hypophyse pour exclure toute anomalie, sachant toutefois l’impact du Xeplion® sur cette valeur et un arrêt impossible de cette thérapeutique. L’IRM hypophysaire est rassurante, en effet, il n’y a pas d’adénome et on note une intégrité de la glande hypophysaire, de la posthypophyse, de la tige pituitaire et enfin du chiasma optique.
RÉSULTATS BIOLOGIQUES HORMONAUX
L’IGF-1 total est à 306,8 ng/ml (102,0-292,0), contrôlée normale à 269,4 ng/ml et l’ACTH est à 43,7 pg/ml (5,0-49,0). Le cortisol est normal à 385 nmol/L (130-500 nmol/L) ; l’androstènedione est majorée à 3,51 ng/mL (0,33-1,34) ainsi que le DHEA sulfate à 13,9 µmol/L (2,4-11,6) et la progestérone à 0,38 ng/mL (0,05-0,15).
La testostérone totale est dans les normes à 14,46 nmol/L (11,40-27,90).
Les gonadotrophines basales sont normales avec une LH à 8,1 UI/L (1,7-8,6) et une FSH à 4,2 UI/L (1,5-12,4). L’œstradiol est normal à 19 ng/L (8-43) ainsi que la SHBG à 34,1 nmol/L (18,3-54,1).
La prolactine est majorée à 27,6 µg/L (4,0-15,0), stimulable à 53,9 (probable interférence médicamenteuse par le traitement anti-psychotique).
La TSH est normale basse à 0,29 mU/L (0,27-4,20 mU/L) et la T4 libre est normale à 17,5 pmol/L (12,0-22,0).
La parathormone intacte est normale à 23 pg/ml (15-80) et la 25-OH-vitamine D est basse à 19 ng/ml (30-100).
Le 11-deoxycortisol est majoré à 131,4 ng/dl (>50) à l’état basal.
Le test au synacthen est normal. En effet, à 60 minutes, le cortisol répond de manière correcte à 597,2 nM ; et la 17-OH progestérone est normale à 60 min à 185,0 ng/dL donc < à 10 ng/ml.
Le 11-Deoxycortisol est correct à 277,7 ng/dl (< 400 ng/dL) et enfin la prégnenolone est correcte.
Le test à la TRH démontre une prolactine à 27,6 µg /L (4,0-15,0), stimulable à 53,9. Une TSH basse à l’état basal à 0,28 mU/L (0,27-4,2), stimulable de manière faible 2,83 à 30 min. Une GH avec une libération paradoxale à 30 min à 2,11 (<3,5 ng/ml), diminution par après.
Le test à la GnRH révèle une FSH basale 4,2 UI/L stimulable à 6,7, une LH basale 8,2 stimulable à 26,2 U/L.
Le reste du bilan biologique est tout à fait normal.
DISCUSSION
La schizophrénie et le trouble de l’identité présent chez certains de ces patients, nous amènent à nous trouver devant des cas complexes.
Le phénotype masculin s’oppose chez ces patients à une «personnalité» féminine ressentie.
Bien souvent, dans le contexte de leur schizophrénie, le développement d’une gynécomastie sous traitement anti-psychotique, voire comme chez notre patient, une incurvation non significative sus-pubienne, peut engendrer chez eux l’impression d’être une femme.
Aussi, l’expression de leur schizophrénie est-elle responsable du trouble identitaire, ou s’agit-il d’une vraie dysphorie de genre sur un terrain schizophrénique ?
La schizophrénie, aussi appelée dislocation de la personnalité, est une maladie mentale d’une extrême complexité qui se développe le plus souvent chez de jeunes adultes. Elle concerne environ 0,7% de la population mondiale. Les psychiatres posent ce diagnostic de personnalité disloquée lorsque coexistent ou se succèdent des comportements anormaux tels que les hallucinations visuelles ou auditives, le langage délirant, hermétique ou chaotique et les conduites incohérentes. On note aussi une humeur dépressive ou exagérément euphorique, une désorganisation de la pensée et une grande perturbation des relations affectives. Les étiologies multiples, physiologiques ou psychiques sont encore loin d’être élucidées et cela reflète la complexité dans la prise en charge d’un patient atteint de schizophrénie et il en est de même pour la dysphorie de genre (1). Il faut savoir que la schizophrénie est à ce jour bien traitée et contrôlée grâce à la médecine d’aujourd’hui, mais celle-ci ne guérit pas la maladie. Il ne faut pas oublier que ce patient est traité depuis 10 ans pour sa schizophrénie (2). Il semble a priori bien traité et suivi.
La discussion avec le psychiatre de notre patient, aboutit à un diagnostic de schizophrénie vraie, à présent stabilisée, voire améliorée depuis les démarches entreprises par le patient devant ce trouble de l’identité sexuelle. Il est convenu d’assurer un suivi commun rigoureux.
La dysphorie de genre est, quant à elle, caractérisée par la conviction extrême d’appartenir au sexe opposé, avec un mal-être ressenti dans le sexe originel. Elle concerne 1/11900-12900 hommes (Male to Female) et 1/30400-33800 femmes (F to M). Le sex-ratio (M-F) est de 2,5/1. Pour accepter ce diagnostic, plusieurs critères sont requis : le désir de vivre et d’être accepté comme membre du sexe opposé, la présence du trouble de l’identité sexuelle depuis au moins deux ans, l’absence de maladie mentale ou d’anomalie chromosomique, etc. Entrent en compte, bien évidemment, l’âge, la connaissance des bénéfices et risques du traitement hormonal, la phase de « real life test » et enfin le suivi psychiatrique-psychologique qui comprend cette phase de « real life test ». Selon la littérature, plusieurs hypothèses étiologiques existent, bien qu’incertaines. La première consiste en une perturbation de la différenciation sexuelle cérébrale. Cela touche la partie centrale de la strie terminale du bed nucleus et le noyau unciné hypothalamique (3). Une autre hypothèse implique une composante génétique, avec l’existence d’une dysphorie de genre chez plusieurs membres d’une même famille (4).
Ce patient n’est pas le seul patient schizophrène à se présenter en consultation de dysphorie de genre. Il pourrait exister une relation entre leur schizophrénie et le trouble de l’identité sexuelle (5,6). La littérature indique que le trouble schizophrénique semblerait impliquer le noyau thalamique médiodorsal, tandis que la dysphorie de genre intéresserait le bed nucleus (7), une région adjacente et intimement liée au noyau médiodorsal. En effet, il a été démontré, d’une part, que la différenciation sexuelle se produit au niveau du bed nucleus de la strie terminale au début de la vie fœtale, se prolongeant jusqu’à l’âge adulte et d’autre part, des études neurobiologiques ont démontré une modification des cellules du noyau thalamique médio-dorsal dans les maladies psychiatriques telles que la schizophrénie (8,9). Ainsi, au vu de ces résultats, nous pouvons nous questionner sur l’existence d’un lien direct entre la zone thalamique impliquée dans la schizophrénie et celle impliquée dans la dysphorie de genre.
Si, in fine, un traitement doit être entrepris chez ces patients pour une dysphorie de genre, ce traitement demeurera hormonal avec un suivi psychologique et psychiatrique au long cours. Ce traitement devra être de type transdermique et non oral, évitant ainsi le premier passage hépatique ; et par cela, la production des facteurs de l’inflammation n’en sera pas modifiée, et ceci, en sachant aussi les interactions possibles avec le traitement antipsychotique déjà pris (10,11). En effet, le métabolisme des œstrogènes, à prise orale, peut être augmenté lors de l’utilisation concomitante de substances connues comme des inducteurs des enzymes responsables de la métabolisation des médicaments, spécifiquement des enzymes du cytochrome P450. Les traitements antipsychotiques pourraient ainsi interférer et engendrer des variations hormonales ; par ailleurs, les formes orales oestrogéniques accentuent la production des protéines de l’inflammation, augmentant ainsi le risque cardio-vasculaire, sachant que les traitements anti-psychotiques peuvent également majorer les risques thromboemboliques. Le tabagisme représente également un risque thrombo-embolique majoré.
En théorie, au long cours, après un traitement hormonal et un suivi psychologique, la majorité des patients finit par demander une prise en charge chirurgicale de réassignation sexuelle. Cet acte chirurgical est une contre-indication relative voire absolue chez les patients souffrant de schizophrénie, même si la schizophrénie est bien contrôlée. En effet, la chirurgie est un acte définitif qui peut être perçu par un patient schizophrène comme une mutilation. Le patient perd alors ses repères et peut aboutir au suicide. La chirurgie dans le parcours doit être extrêmement réfléchie voire contre-indiquée. Le suivi psychologique doit être assuré et le traitement hormonal quant à lui peut être proposé devant sa réversibilité. Il est à noter que le traitement de la dysphorie de genre peut faciliter l’intolérance au glucose. Par conséquent, un suivi au long cours des paramètres métaboliques devra être assuré pour prévenir l’apparition, entre autres, d’un éventuel diabète chez ces patients sous traitement anti-psychotique.
CONCLUSION
Pour accéder à une demande de changement de sexe, il existe des critères d’exclusion et parmi eux, la schizophrénie, même si celle-ci est bien contrôlée. Un patient schizophrène traité reste schizophrène, avec une dislocation de sa personnalité. Dès lors, un patient atteint de cette maladie ne saura jamais avec exactitude à quel sexe il appartient, ou à quel genre il appartient ; le changement de personnalité étant le point central de cette maladie. Si une « dysphorie de genre » est majeure chez un patient, il nous est parfois difficile de refuser catégoriquement la prise en charge, ces patients présentant une vraie souffrance. Des études démontrent une atteinte contiguë du thalamus pour ces deux entités et cela nous renforce sur la réévaluation des critères d’acceptation et sur une flexibilité au cas par cas. Une réassignation chirurgicale de changement de sexe, et donc radicale, n’est pas à considérer a priori ; par contre, une prise en charge hormonale, réversible, est envisageable. La prise en charge doit tenir compte des risques-bénéfices du traitement hormonal et de la qualité de vie de ces patients. Le suivi endocrinologique conjoint au suivi psychiatrique est indispensable.
RECOMMANDATIONS PRATIQUES
Lorsque nous sommes face à un patient atteint de dysphorie de genre sur un terrain de schizophrénie, le seul traitement à proposer est un traitement hormonal au vu de sa réversibilité. Un suivi psychiatrique est recommandé et nécessaire à la bonne prise en charge des patients. La chirurgie est quant à elle contre-indiquée dans ce genre de situation, à évaluer toutefois au cas par cas.
AFFILIATIONS
1 Cliniques universitaires Saint-Luc, Service d’endocrinologie, Avenue Hippocrate 10, B-1200 Bruxelles
CORRESPONDANCE
Dr. VINCIANE CORMAN
Cliniques universitaires Saint-Luc
Spécialisée dans la dysphorie de genre
Service d’endocrinologie
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles
E-mail : vinciane.corman@gmail.com
Tél : 02/7645475
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