HYPERTENSION ARTÉRIELLE ET DYSFONCTION SEXUELLE
La prévalence de la dysfonction érectile chez les patients hypertendus varie de 15 à 46% en fonction de l’âge, de la durée et de la sévérité de l’hypertension, de la présence ou de l’absence de « dip » nocturne et enfin des facteurs de risque (diabète, obésité, tabagisme) et comorbidités associées (artérite périphérique, maladie coronaire). À l’inverse, près de 30% des patients atteints d’une dysfonction érectile rapportent une histoire d’hypertension. On admet généralement que le substratum commun aux deux entités est une dysfonction endothéliale avec biodisponibilité réduite du monoxyde d’azote.
MÉDICAMENTS ANTIHYPERTENSEURS ET DYSFONCTION SEXUELLE : RELATION CAUSALE ?
L’évaluation de l’impact des médicaments antihypertenseurs sur la dysfonction sexuelle sur base de la littérature existante est difficile pour les raisons suivantes :
- Dans la plupart des études, mêmes randomisées, la dysfonction érectile n’est pas l’objectif primaire.
- Le diagnostic de dysfonction sexuelle est généralement posé sur base déclarative, en l’absence de questionnaires validés ou de mesures de la rigidité pénienne.
- Il pourrait être biaisé par l’impact psychologique lié à la « mauvaise réputation » du traitement.
- Il est difficile de distinguer l’effet du médicament d’intérêt de celui des autres antihypertenseurs ou médications associées, de l’hypertension per se et des comorbidités.
- Chez des patients présentant une vascularisation compromise, la dysfonction érectile peut être liée à la baisse tensionnelle per se, quels que soient les médicaments utilisés pour l’obtenir.
- L’adhérence au traitement antihypertenseur n’a pas été vérifiée.
EFFET DES DIFFÉRENTES CLASSES D’ANTI-HYPERTENSEURS SUR LA FONCTION SEXUELLE
Diurétiques thiazidiques. L’incidence de la dysfonction érectile attribuée aux thiazidiques varie entre 4 et 32% selon les études. Elle serait moins fréquente chez les sujets suivant en parallèle à un régime hypocalorique. À l’inverse, elle est potentialisée par l’utilisation concomitante d’autres médicaments antihypertenseurs. Les mécanismes sous-jacents restent mal connus. Il a été suggéré que ces médications interfèrent avec la relaxation du muscle lisse et provoquent une diminution de la réponse aux catécholamines.
Spironolactone. La spironolactone, un puissant antagoniste des minéralo-récepteurs, a des effets anti-androgéniques qui peuvent conduire à une dysfonction sexuelle. Elle inihibe la fixation de l’hydrotestostérone aux récepteurs androgéniques parce que sa structure moléculaire ressemble à celle des hormones sexuelles, avec pour conséquence une clairance majorée de la testostérone.
Bêta-bloquants. La prévalence de la dysfonction érectile sous bêta-bloquants est de 5 à 43%. Dans une étude transversale observationnelle récente incluant 1007 patients hypertendus à haut risque d’âge moyen ou avancé traités par bêta-bloquants, elle atteignait même les 71% (dysfonction légère : 38% ; modérée : 17% ; sévère : 16%). Elle dépend de la posologie utilisée. Elle est principalement documentée pour l’Aténolol et le Propranolol, mais un bêta-bloquant de troisième génération avec des propriétés vasodilatatrices comme le Carvédilol a également été incriminé. Seul le Nébivolol paraît échapper à la règle, vraisemblablement en raison de ses effets favorables sur l’expression de la nitric oxide synthase et d’une réduction du stress oxydatif.
La dysfonction érectile induite par les bêta-bloquants pourrait être influencée par la connaissance préalable des effets secondaires. Toutefois, trois essais randomisés avec crossover démontrent sans ambiguïté un effet néfaste des bêta-bloquants sur la fonction érectile. La dysfonction érectile attribuée aux bêta-bloquants est classiquement attribuée à l’effet anti-adrénergique de ces médications, qui conduit à une relaxation insuffisante des corps caverneux, de même qu’à une libido réduite liée à une sédation légère ou à une dépression. Une étude a également rapporté une réduction modérée des taux de testostérone chez les patients atteints d’une dysfonction érectile traités par Aténolol.
Centraux. Les antihypertenseurs centraux tels que l’alpha-méthyldopa et la clonidine ont également un impact négatif sur la fonction érectile. La méthyldopa agit comme un pseudo-neurotransmetteur et diminue le flux adrénergique, avec pour conséquence une altération de la fonction érectile et de la libido. Les symptômes de dysfonction érectile observés les premiers jours après l’initiation du traitement dépendent de la posologie et disparaissent endéans les deux semaines après arrêt du médicament. L’incidence de dysfonction érectile sous traitement par l’alpha-méthyldopa varie selon les études entre 21 et 80%. La clonidine quant à elle agit comme agoniste des récepteurs alpha-adrénergiques prosynaptiques et diminue le flux adrénergique. Son impact sur la fonction érectile serait toutefois moindre que celui de l’alpha-méthyldopa, avec une incidence de l’ordre de 12 à 15%.
Les antagonistes du calcium tant de type dihydropyridine que non dihydropyridine semblent être neutres pour la fonction sexuelle. Il en est de même pour les inhibiteurs de l’enzyme de conversion et les sartans. Le Valsartan et le Losartan pourraient même améliorer l’activité sexuelle. Ces effets favorables pourraient au moins en partie s’expliquer par leur capacité de bloquer l’angiotensine 2, qui est également un médiateur de dysfonction érectile. D’autres mécanismes potentiels sont l’atténuation de la dysfonction endothéliale, l’augmentation de la biodisponibilité du monoxyde d’azote et une dégradation moindre de la bradykinine.
L’étude ONTARGET incluant des patients à haut risque cardiovasculaire traités par Telmisartan, Ramipril ou l’association des deux mérite une discussion à part. La fonction sexuelle a été analysée dans un sous-groupe de 1549 participants. Une dysfonction érectile était observée chez 55% d’entre eux. Le traitement par Telmisartan et/ou Ramipril n’a pas apporté d’amélioration chez les patients souffrant déjà d’une dysfonction érectile ni prévenu son apparition. L’interprétation de l’étude est toutefois rendue difficile par le fait que les patients inclus étaient déjà traités par un polythérapie complexe comprenant des bêta-bloquants dans 58% des cas, des diurétiques dans 24% des cas et des antagonistes du calcium dans 39% des cas. En outre, plus de 30% des patients n’avaient pas rempli les questionnaires de suivi.
Les alpha-1 bloquants tels que la prazosine ou la doxazosine améliorent plutôt l’activité sexuelle. En particulier, la doxazosine (non disponible en Belgique) aurait un effet bénéfique sur la fonction érectile chez les patients hypertendus, vraisemblablement en raison d’une diminution du tonus adrénergique des artères irriguant les corps caverneux. De plus, les alpha-1 bloquants augmentent la sécrétion de prolactine, une hormone dont la sécrétion est réduite en cas de dysfonction érectile et de perte de libido. Rappelons toutefois que les alpha-1 bloquants peuvent entraîner une hypotension orthostatique, potentialisée par la prise concomitante d’inhibiteurs de la phosphodiestérase, des troubles de l’éjaculation et - rarement - un priapisme.
DYSFONCTION SEXUELLE ET ADHÉRENCE AU TRAITEMENT ANTIHYPERTENSEUR
Dans une étude portant sur des sujets de 35 à 64 ans atteints d’une hypertension artérielle légère traitée par diurétiques, la dysfonction érectile était la cause principale d’arrêt du traitement (20 cas par 1000 patients par an). La dysfonction érectile serait également responsable de 5.5% d’arrêt des bêta-bloquants par 1000 patients par an. Plus généralement, la dysfonction érectile induite par ou attribuée aux médicaments antihypertenseurs est une cause majeure de non-adhérence et/ou d’arrêt du traitement antihypertenseur. A l’inverse une prise en charge adéquate de la dysfonction sexuelle est susceptible d’améliorer l’adhérence au traitement antihypertenseur. Il a ainsi été démontré que l’utilisation du Sildénafil chez des patients hypertendus atteints de dysfonction érectile augmentait l’adhérence au traitement antihypertenseur de 48 à 66%.
DYSFONCTION SEXUELLE CHEZ LA FEMME, HYPERTENSION ET TRAITEMENT ANTIHYPERTENSEUR
La fréquence de dysfonction sexuelle féminine, plus difficile à évaluer, est vraisemblablement sous-estimée. Elle serait plus fréquente chez les femmes hypertendues. Dans une étude incluant 417 femmes hypertendues et normotendues, une pression artérielle élevée, un âge plus avancé et la prise de bêta-bloquants étaient des prédicteurs de dysfonction sexuelle, alors que celle-ci était moins fréquente en cas de bon contrôle tensionnel. L’existence d’un impact négatif des bêta-bloquants sur la fonction sexuelle féminine a été rapportée dans une étude mais non confirmée dans trois autres. Dans deux études, les antagonistes du calcium n’étaient pas associés à une dysfonction sexuelle féminine. Dans une troisième, il en était de même pour les alpha-bloquants, les inhibiteurs de l’enzyme de conversion et les thiazidiques. Une étude plus récente n’a pas montré d’association entre antagonistes calciques, bêta-bloquants, médications inhibant le système rénine angiotensine, diurétiques et alpha-bloquants et la dysfonction sexuelle féminine. Cependant, la plupart de ces études sont de petite taille et aucune d’entre-elles n’a utilisé des mesures validées de la fonction sexuelle.
Deux études ont évalué la fonction sexuelle féminine de manière plus approfondie. Dans la première, 120 femmes post-ménopausées ont été randomisées pour recevoir un traitement par Valsartan ou Aténolol. La fonction sexuelle a été évaluée en utilisant un questionnaire de 10 items. L’effet du Valsartan était favorable, alors que l’Aténolol avait un impact négatif sur la fonction sexuelle. Dans l’autre étude, 160 femmes hypertendues de 18 à 60 ans ont été randomisées à un traitement par Félodipine associé à de l’Irbesartan vs. une association de Félodipine et de Métoprolol. La fonction sexuelle a été évaluée par le « female sexual function index » (FSFI). Chez les femmes recevant de l’Irbesartan, les scores FSFI se sont améliorés, alors qu’ils étaient inchangés chez les patientes traitées par Métoprolol. Cependant, l’amélioration des scores chez les femmes sous Irbesartan était inférieure à 1 point. La pertinence clinique de cette amélioration est donc discutable.
Enfin, tout récemment, l’activité sexuelle et la qualité de la fonction sexuelle évaluée par le FSFI, ainsi que leur relation avec la prise des médicaments antihypertenseurs ont été évaluées chez 690 femmes hypertendues à risque de 50 ans et plus incluses dans une sous-analyse de l’étude SPRINT. Un quart d’entre-elles (27%) étaient sexuellement actives. Il n’existait pas de différence significative en terme d’activité sexuelle entre les femmes ne prenant pas d’antihypertenseur et celles qui en recevaient. L’odds ratio d’activité sexuelle était supérieur (1.66, P=0.011) chez les femmes traitées par un inhibiteur de l’enzyme de conversion ou un sartan. Dans le sous-groupe des femmes sexuellement actives, la prévalence de la dysfonction sexuelle était supérieure à 50%. Aucune classe d’antihypertenseurs n’était spécifiquement associée à cette dysfonction sexuelle. La prévalence élevée de dysfonction sexuelle dans cette cohorte pourrait s’expliquer au moins en partie par l’âge avancé des patientes et la fréquence des comorbidités associées.
COMMENT INTÉGRER LA DYSFONCTION ÉRECTILE DANS LA PRISE EN CHARGE PRATIQUE DE L’HYPERTENSION ARTÉRIELLE
Les études ayant permis de tester l’effet des antihypertenseurs sur la dysfonction érectile ont pour la plupart d’importants biais méthodologiques. Elles doivent donc être prises cum grano salis.
Les patients lisent les notices et internet, ce qui peut influencer leur perception de l’effet des antihypertenseurs sur la « performance sexuelle ».
Chez certains patients vasculaires, l’abaissement de la tension artérielle en dessous d’un certain seuil s’accompagne inévitablement d’une aggravation de la dysfonction érectile, quels que soient les médicaments utilisés pour l’obtenir.
La problématique de la dysfonction érectile doit être évoquée explicitement dans une consultation d’hypertension et tous les efforts raisonnables doivent être tentés pour améliorer la tolérance du traitement. Un traitement mal supporté ne sera pas pris par le patient, surtout si les effets secondaires n’ont pu être discutés et mis en balance avec les bénéfices du traitement antihypertenseur. Comme déjà mentionné, la prise en charge de la dysfonction érectile peut également améliorer l’adhérence au traitement antihypertenseur. La plupart des patients hypertendus ont besoin d’au moins deux médicaments pour obtenir un contrôle tensionnel satisfaisant. En cas de diabète, d’obésité, d’athérosclérose ou de rigidité artérielle accrue - profil fréquent chez les patients atteints de dysfonction érectile - une tri- voire une quadruple thérapie anti-hypertensive est souvent nécessaire. Classiquement, celle-ci comprend un inhibiteur du système rénine angiotensine, un antagoniste calcique et un diurétique thiazidique.
Il est habituellement difficile de traiter une hypertension sévère sans une (faible) dose de diurétique. En outre, les diurétiques sont souvent nécessaires pour contrôler l’hypertension chez les patients originaires d’Afrique sub-saharienne ou encore en cas d’insuffisance rénale. Enfin, en l’absence de contre-indication, la spironolactone est considérée comme le traitement de choix en cas d’hypertension résistante. Si elles ne peuvent être évitées, il conviendra d’individualiser la posologie de ces médications en fonction du rapport tolérance/bénéfice, en dialogue constant avec le patient.
En l’absence d’un angor ou d’une insuffisance cardiaque, les bêta-bloquants ne sont plus considérés comme un traitement antihypertenseur de première ligne. Chez le patient atteint de dysfonction érectile, on donnera si possible la préférence au Nebivolol. Enfin, en l’absence de bénéfice démontré dans des études de morbi-mortalité, les alpha-bloquants ne sont plus guère utilisés dans le traitement de première ligne de l’hypertension.
Correspondance
Pr. Alexandre Persu
Université catholique de Louvain
Pôle de recherche cardiovasculaire, Institut de Recherche Expérimentale et Clinique
Cliniques universitaires Saint-Luc
Service de Cardiologie,
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles
Tél. : 02 764 63 06
Fax : 02 764 89 80
Alexandre.persu@uclouvain.be
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