Stéatose hépatique : ce que l’endocrinologue doit savoir

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Nicolas Lanthier Publié dans la revue de : Avril 2024 Rubrique(s) : 18e Congrès UCL d’Endocrino-Diabétologie - Mars 2024
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Résumé de l'article :

La maladie stéatosique du foie liée à une dysfonction métabolique (MASLD) est une affection fréquente chez le patient présentant un syndrome métabolique et, a fortiori, un diabète de type 2. Des outils simples sont disponibles pour nous indiquer la sévérité de la maladie qui doit être évaluée en pratique courante.

Mots-clés

Stéatose, foie, MASLD, MASH, dépistage

Article complet :

La stéatose hépatique est définie par un taux de graisse intra-hépatique supérieur à 5% du poids du foie ou par plus de 5% des hépatocytes stéatosiques à l’analyse histologique. Cette stéatose peut être présente dans de nombreuses situations, dont un contexte dysmétabolique (syndrome métabolique, surpoids, diabète de type 2…), une consommation de boissons alcoolisées, certaines maladies (hépatites virales, maladie de Wilson, maladie cœliaque…), une atteinte médicamenteuse, une dénutrition…

Une nouvelle terminologie plus appropriée

La stéatose d’origine dysmétabolique était auparavant appelée « non-alcoolique », suite à la mise en évidence de maladies stéatosiques hépatiques au stade de cirrhose chez des personnes qui ne consommaient pas d’alcool. Les investigations ont ensuite mis en évidence que ces personnes présentaient des caractéristiques communes (obésité, diabète de type 2…). Vu la fréquence désormais de cette affection, la possibilité d’un diagnostic non-invasif (sans biopsie) et les caractéristiques cliniques connues, nous sommes passés d’un diagnostic d’exclusion (« NAFLD » pour non-alcoholic fatty liver disease) à un diagnostic positif (« MASLD » pour maladie stéatosique du foie liée à une dysfonction métabolique) reposant sur des critères clairs, à savoir la présence d’une stéatose à l’imagerie ou à l’histologie ainsi qu’au moins un critère cardio-métabolique. La stéatohépatite liée à une dysfonction métabolique (MASH) demeure un diagnostic histologique caractérisant les formes sévères et associant stéatose, souffrance hépatocytaire (ballonisation) et inflammation lobulaire. La consommation de boissons alcoolisées doit être quantifiée chez tout patient. Selon la présence ou non d’au-moins un critère cardio-métabolique et la consommation d’alcool, la stéatose hépatique sera classée comme liée à une dysfonction métabolique (MASLD), liée à l’alcool (ALD) ou aux deux (MetALD) (1).

Une maladie à risque de complications nécessitant un dépistage

Longtemps considérée comme anodine en raison de la majorité des patients ne présentant pas de complication, la MASLD reste encore actuellement sous-évaluée principalement en médecine générale et en endocrinologie (2).

La MASLD, et principalement sa forme sévère (MASH), peuvent cependant mener à des complications hépatiques nécessitant une transplantation (cirrhose décompensée et hépatocarcinome). Sa sévérité peut être aisément évaluée par des outils simples à notre disposition. C’est la raison pour laquelle les sociétés scientifiques (dont la société américaine d’endocrinologie) ont publié des recommandations (2,3). Celles-ci peuvent être synthétisées en 7 points :

1. Les personnes avec stéatose à l’imagerie, ou présentant une obésité ou un syndrome métabolique ou une élévation des tests hépatiques doivent être dépistés pour une éventuelle MASLD et une fibrose hépatique.

2. La présence de tests hépatiques normaux ne doit pas faussement rassurer le clinicien sur l’absence de fibrose hépatique.

3. Les patients évalués pour une chirurgie bariatrique doivent bénéficier d’une biopsie hépatique peropératoire systématique ou d’une biopsie hépatique préopératoire en cas de signes de maladie hépatique sévère au bilan de dépistage. Une cirrhose compensée sans hypertension portale ne constitue pas une contre-indication à la chirurgie mais doit être examinée de manière individuelle.

4. Le test non-invasif préféré initial pour le dépistage de la fibrose hépatique est le calcul du score FIB-4 (se basant sur l’âge, le taux de plaquettes et les transaminases).

5. En cas de résultat FIB-4 intermédiaire (1.3-2.67) ou élevé (>2.67), une mesure de l’élasticité hépatique par élastométrie transitoire (Fibroscan®) est recommandée.

6. En cas de résultat faible (FIB-4 <1.3 ou élasticité <8kPa), les patients peuvent être pris en charge par l’endocrinologue ou le médecin traitant (conseils diététiques, prévention cardio-vasculaire).

7. Les patients avec une élévation chronique des transaminases ou une élasticité hépatique majorée (≥8kPa) doivent être adressés en consultation d’hépatologie pour mise au point et éventuel suivi. D’autres causes de maladie chronique du foie doivent être recherchées au cas par cas. Une biopsie hépatique peut être recommandée.

Les liens entre MASLD, insulinorésistance et autres complications extra-hépatiques

Le foie est un organe endocrine jouant des rôles essentiels dans de nombreux processus physiologiques, dont le métabolisme lipidique et glucidique systémique. La stéatose hépatique, indépendamment de l’adiposité, est associée avec une insulinorésistance (mesurée par la technique du clamp) dans le foie mais également dans le muscle et le tissu adipeux, chez des personnes en surpoids ou même minces (4). Ceci est notamment lié à une modification de la sécrétion des protéines produites par les hépatocytes en cas de stéatose, appelées hépatokines, atteignant la circulation sanguine et les organes périphériques (4,5). La fétuine-A est l’une de ces hépatokines dont la concentration sanguine augmente dès le stade de stéatose hépatique (6,7). Elle inhibe l’activation du récepteur à l’insuline et agit comme un ligand endogène du TLR4. Donc, contrairement à l’idée fréquemment diffusée que la stéatose serait une situation bénigne, elle participe au développement de l’insulinorésistance et du diabète de type 2. La stéatose hépatique précède également l’apparition de l’inflammation du tissu adipeux, de la myostéatose, de l’hyperinsulinisme ou de l’hyperglycémie (4). A contrario, l’insulinorésistance et le diabète de type 2 favorisent également la sévérité de la maladie hépatique, notamment en augmentant les acides gras libres dans le sang suite à une diminution de capacité de l’insuline d’inhiber la lipolyse périphérique (8). Il convient donc d’évaluer l’insulinorésistance en cas de stéatose hépatique et de dépister la MASLD en cas de diabète.

En plus des complications hépatiques (qui sont associées aux stades de fibrose avancés) et de l’insulinorésistance, la MASLD est également liée, de manière indépendante des facteurs de risque classiques, à un risque cardio-vasculaire accru, ainsi qu’à une incidence plus élevée de cancers (2). Ceci permet d’expliquer une augmentation générale des complications extra-hépatiques dès les premiers stades de la MASLD et une augmentation des complications hépatiques pour les stades de fibrose avancés (9).

Les résultats du dépistage de la MASLD en vraie vie ?

Grâce à un algorithme assez classique débutant par le calcul de scores clinico-biologiques, nous avons évalué la présence d’une MASLD et de sa sévérité parmi les patients suivis pour un diabète de type 2 à Saint-Luc (10). Ceci était très bien accepté par les patients. La MASLD a été confirmée chez 87% des patients et associée à un moins bon contrôle glycémique, des transaminases plus élevées et un taux bas d’HDL cholestérol. Respectivement ١١٪ et ٤٪ des patients avaient une fibrose avancée et une cirrhose. Ces patients avec fibrose étaient caractérisés par un périmètre abdominal plus élevé ou une consommation majorée de boissons alcoolisées (10).

Des traitements disponibles et en cours d’essai pour la stéatohépatite fibrosante

Une perte de poids de 5% du poids initial est associée à une réduction de la stéatose et ≥10% à une réduction de la fibrose (11). Plusieurs changements d’alimentation sont possibles, ainsi qu’une majoration de l’activité physique (12). Des traitements médicamenteux sont en cours d’étude, ciblant la MASH compliquée de fibrose, dont plusieurs en phase 3 avec des mécanismes d’action variés et des résultats prometteurs (11,13-15).

Références

  1. Rinella ME, Lazarus J V., Ratziu V, et al. A multisociety Delphi consensus statement on new fatty liver disease nomenclature. J Hepatol 2023;79(6):1542–56.
  2. Cusi K, Isaacs S, Barb D, et al. American Association of Clinical Endocrinology Clinical Practice Guideline for the Diagnosis and Management of Nonalcoholic Fatty Liver Disease in Primary Care and Endocrinology Clinical Settings. Endocr Pract. 2022;28(5):528–62.
  3. Francque S, Lanthier N, Verbeke L, et al. The Belgian Association for Study of the Liver Guidance Document on the Management of Adult and Paediatric Non-Alcoholic Fatty Liver Disease. Acta Gastroenterol Belg. 2018;81(1):55–81.
  4. Watt MJ, Miotto PM, De Nardo W, Montgomery MK. The Liver as an Endocrine Organ - Linking NAFLD and Insulin Resistance. Endocr. Rev. 2019;40(5):1367–93.
  5. Stefan N, Schick F, Birkenfeld AL, Häring H-U, White MF. The role of hepatokines in NAFLD. Cell Metab. 2023;35(2):236–52.
  6. Lanthier N, Lebrun V, Molendi-Coste O, van Rooijen N, Leclercq IA. Liver Fetuin-A at Initiation of Insulin Resistance. Metabolites. 2022;12(11):1023.
  7. Etienne Q, Lebrun V, Komuta M, et al. Fetuin-A in Activated Liver Macrophages Is a Key Feature of Non-Alcoholic Steatohepatitis. Metabolites. 2022;12(7):625.
  8. Binet Q, Loumaye A, Preumont V, Thissen JP, Hermans MP, Lanthier N. Non-invasive screening, staging and management of metabolic dysfunction-associated fatty liver disease (MAFLD) in type 2 diabetes mellitus patients: what do we know so far ? Acta Gastroenterol Belg. 2022;85(2):346–57.
  9. Serra-Burriel M, Juanola A, Serra-Burriel F, et al. Development, validation, and prognostic evaluation of a risk score for long-term liver-related outcomes in the general population: a multicohort study. Lancet. 2023;402(10406):988–96.
  10. Binet Q, Loumaye A, Hermans MP, Lanthier N. A Cross-sectional Real-life Study of the Prevalence, Severity, and Determinants of Metabolic Dysfunction-associated Fatty Liver Disease in Type 2 Diabetes Patients. J Clin Transl Hepatol. 2023;11(6).
  11. Lanthier N. New therapies in non-alcoholic steatohepatitis | Les nouveaux traitements de la stéatohépatite non-alcoolique. Nutr Clin Metab. 2020;34(3):216–22.
  12. André-Dumont SI, Lanthier N. What diet can we offer to patients with non-alcoholic steatohepatitis? Nutr. Clin. Metab. 2022;36(1):12–20.
  13. Harrison SA, Loomba R, Dubourg J, Ratziu V, Noureddin M. Clinical Trial Landscape in NASH. Clin. Gastroenterol. Hepatol. 2023;21(8).
  14. Francque SM, Bedossa P, Ratziu V, et al. A Randomized, Controlled Trial of the Pan-PPAR Agonist Lanifibranor in NASH. N Engl J Med. 2021;385(17):1547–58.
  15. Harrison SA, Bedossa P, Guy CD, et al. A Phase 3, Randomized, Controlled Trial of Resmetirom in NASH with Liver Fibrosis. N Engl J Med. 2024;390(6):497–509.

Affiliations

1. Service d’Hépato-Gastroentérologie, Cliniques universitaires Saint-Luc, UCLouvain, Bruxelles, Belgique.
2. Laboratory of Gastroenterology and Hepatology, Institut de Recherche Expérimentale et Clinique, UCLouvain, Bruxelles, Belgique.

Correspondance

Pr Nicolas Lanthier, MD, PhD
Cliniques universitaires Saint-Luc, UCLouvain
Service d’Hépato-Gastroentérologie
Avenue Hippocrate, 10
B-1200 Bruxelles
nicolas.lanthier@saintluc.uclouvain.be