Introduction
Le nombre croissant d’arthroplastie totale de hanche impose aux chirurgiens de faire des choix tribologiques. La revue des registres internationaux démontre une grande variabilité dans les choix d’implants en fonction des pays.
Au cours de ces dernières années, les résultats publiés à moyen terme des cotyles à D.M. de nouvelle génération utilisant un poly-éthylène hautement réticulé sont très encourageants en termes de survie selon le registre australien 2021 (2,3) (Fig. 6 et 7) et de satisfaction (4) avec toutefois un principe de vigilance chez les jeunes patients actifs par rapport au risque éventuel de corrosion (5).
Dans le cas des cotyles à double mobilité, l’insert en poly-éthylène n’est pas solidarisé à la cupule lui permettant ainsi de s’articuler à la fois avec cette dernière et la tête.
Cette configuration particulière permet à la D.M. d’augmenter l’amplitude des mouvements (R.O.M : range of motion) en jouant sur la mobilité entre tête-liner et liner-cupule. La tête est donc couverte pour de plus grandes amplitudes articulaires (6,7).
L’avantage premier de ce système est de diminuer le risque de luxation dont l’incidence atteindrait : les 3,5% dans les arthroplasties primaires (8) et représenterait la 3ème cause de reprise selon le dernier rapport du registre belge des implants Orthopride (9).
Dès lors, un des enjeux de ces dernières années réside dans l’augmentation de la stabilité des implants afin de réduire le taux de luxation. L’une des manières d’y parvenir fut l’introduction des cupules à D.M. de nouvelle génération avec poly-éthylène hautement réticulé.
Cependant, les implants de première génération furent victime d’une usure précoce de leur liner en poly-éthylène impactant directement leur durée de vie les rendant peu attractif à une utilisation répandue.
Durant les années 90, l’apparition de la réticulation a permis d’obtenir des polyéthylènes de haut poids moléculaires (UHMWPE) révolutionnant ainsi la résistance à l’usure du liner (10). Celle-ci fut encore améliorée par l’introduction de vitamine E (11) permettant de réduire l’oxydation au sein du polyéthylène.
Ces progrès en matière de longévité du poly-éthylène bénéficie à la D.M. de nouvelle génération et pourraient amener les chirurgiens à la considérer non plus comme un implant de reprise ou réservé aux cas à risque de luxation mais également en arthroplastie primaire.
À travers cette étude, nous avons voulu comparer nos résultats à moyen terme (9ans) de survie de nos arthroplasties primaires de hanche avec cupule à double mobilité de nouvelle génération avec les résultats repris dans la littérature.
Méthode
Nous avons réalisé une analyse rétrospective systématique des patients ayant bénéficié entre 2011 et 2013 d’une arthroplastie totale de la hanche. La totalité des interventions ont été réalisée par un même chirurgien soit par voie de Hardinge, soit par voie postérieure mini-invasive selon Moore. L’implant cotyloïdien utilisé fût le même pour tous les patients, il s’agit du cotyle Polarcup® (Smith&Nephew, Fort Worth, Texas) avec un insert polyéthylène hautement réticulé utilisant une tête en Oxinium® et une tige polarstem®. 182 patients consécutifs ont été initialement sélectionnés. Parmi ceux-ci, 14 ont été exclus pour diverses raisons.
Les critères d’inclusions furent : arthroplastie primaire réalisée entre 2011 et 2013 chronologiquement avec implant cotyloïdien à double mobilité type Polarcup® (Smith&Nephew, Fort Worth, Texas).
Les critères d’exclusions furent : arthroplastie secondaire ; décès du patient avant 2018 (aucun patient décédé n’a eu de révision de son cotyle implanté).
Les 168 patients effectifs en vie ont ensuite été répartis en quatre sous-groupes selon l’indication chirurgicale :
Le groupe I (coxarthrose) composé de 147 patients (87,50%), le groupe II (fracture) composé de 12 patients (7,14%), le groupe III (dysplasie) composé de 1 patient (0.60%) et le groupe IV (ostéonécrose) composé de 8 patients (4,76%).
Pour la totalité de ces patients, nous avons répertorié l’ensemble des reprises chirurgicales de la cupule pour cause de luxation, descellement septique/aseptique ou usure. Les données ont ensuite été analysées pour l’ensemble des patients et enfin pour chacun des groupes.
Résultats
Cohorte de patient
L’âge médian des patients de la cohorte est de 80 ans.
Survie du cotyle
Au sein de notre cohorte de 168 patients, nous n’avons observé aucune reprise de cupule. Notons que nous avons eu 9 fractures péri-prothétiques en regard de la tige à distance de l’opération.
Nous pouvons donc considérer qu’au sein de notre cohorte de patient, le taux de survie du cotyle de nouvelle génération : Polarcup® (Smith&Nephew, Fort Worth, Texas) est de 100% à 9 ans dans une population âgée de > 70 ans.
Discussion
Au vu des taux de survie similaire entre les cotyles à simple et à double mobilité et au risque relatif plus important de luxation avec les cotyles à simple mobilité (12), nous avons calculé en se basant sur les études relatives aux différences de coût entre simple et double mobilité les gains qui pourraient être réalisés en Belgique en favorisant l’utilisation de la D.M. de nouvelle génération.
Etant donné que l’implantation de cupule D.M. n’induit pas de surcoût par rapport à une cupule simple mobilité, le gain économique qui en résulte serait estimé 28,3 millions d’euro pour 100 000 prothèses (12). En Belgique 20 500 arthroplasties totales de la hanche sont réalisées par an. Une économie de 5,5 millions d’euro par an pourrait dès lors être réalisée par l’utilisation des prothèses à double mobilité en chirurgie primaire vu la diminution du risque de luxation. Cette projection économique ne pourra se faire que si la durée de vie à long terme des D.M. de nouvelle génération sera superposable aux cotyles avec insert fixe. Ce calcul théorique est en adéquation avec les résultats du registre australien actuel (fig. 6 et 7) et à mettre en réserve par rapport aux résultats du registre belge qui démontre un taux de révision des cupules à double mobilité supérieur à celui des prothèses primaires simple mobilité dès la première année. Cette tendance s’accroît à 5 ans à l’inverse du registre australien qui démontre un avantage à 9 ans.
La littérature nous rapporte en effet que le risque relatif de luxation entre une prothèse à liner fixe et à D.M. équivaut à 0.4.(12).
Le risque est donc plus faible de luxer avec une prothèse à double mobilité, les conséquences et le coût d’utilisation diminue tout autant. Ceci vaut uniquement pour le risque de luxation et pas s’il est associé à d’autres risques comme la luxation intra-prothétique, l’impigement entre le col et la cupule métallique avec une granulomatose induite à long terme associée à une éventuelle reprise. Si l’on considère les données du registre Orthopride lors de la première année (9), une cupule à double mobilité à un risque relatif de révision 1.28 significativement supérieur à celui d’une prothèse de hanche primaire simple mobilité paradoxalement aux résultats du registre australien (fig.6 et 7).
D’un point de vue économique, le rapport bénéfice risque est difficile à estimer. Certaines études ont tenté d’estimer ce rapport à l’aide du modèle de Markov. Ceci permettant de mettre en lumière les coûts directs et indirects des luxations de hanche en fonction des cupules utilisées. Une d’entre elles, réalisée à grande échelle, rapporte une diminution de 3000 luxations pour 100.000 arthroplasties primaires réalisées. Le surcoût de ces reprises pour luxation est estimé à 28,3 millions d’euro. (12)
Les biais de notre étude résident principalement dans l’analyse unicentrique, un seul chirurgien et une instrumentation unique.
Conclusion
Notre étude démontre une survie de 100% à moyen terme (9 ans) du cotyle à double mobilité de nouvelle génération Polarcup® (Smith&Nephew, Fort Worth, Texas) dans l’arthroplastie totale primaire de hanche chez les patients de plus de 70 ans (80 ans d’âge médian pour notre cohorte). Ces résultats en termes de survie à moyen terme sont tout à fait comparables aux cotyles à insert fixe et à ceux d’autres études en termes de survie et de risque de luxation dans une population âgée de plus de 70 ans (7). Le nombre de reprise pour luxation, descellement ou usure d’implant est de 0% dans notre étude.
Notons qu’il y a eu 9 fractures péri-prothétiques au niveau du fémur à distance de l’opération.
Le suivi à long terme de notre cohorte permettra d’évaluer si la survie des cotyles D.M. de nouvelle génération est comparable à celle des simples mobilités mais aussi d’analyser si l’utilisation plus répandue de ces implants permettra une réelle économie de soins de santé.
Recommandations pratiques
Au vu de la littérature, des résultats du registre australien 2021 et des résultats de notre étude, nous recommandons l’utilisation des cotyles à double mobilité de nouvelle génération dans l’arthroplastie primaire de hanche chez les patients de plus de 70 ans. Le principe de précaution persiste chez les patients plus jeunes selon la littérature actuelle. (13)
Affiliations
1. Cliniques universitaires Saint-Luc, Chirurgie orthopédique et traumatologie, B-1200 Bruxelles
2. Cliniques de l'Europe de Bruxelles, site Ste-Elisabeth, B-1180 Uccle, Service de chirurgie orthopédique et traumatologie
Correspondance
Dr Juan Toussaint
Cliniques universitaires Saint-Luc
Chirurgie orthopédique et traumatologie
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles
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