CAS CLINIQUE
Nous rapportons l’histoire d’une patiente de 87 ans qui a présenté une agitation d’apparition brutale. Cette agitation consistait dans un premier temps par des mouvements d’extension des membres supérieurs. Au premier jour des symptômes, aucun diagnostic n’a pu être posé en raison d’un examen neurologique par ailleurs normal et d’une prise de sang peu contributive (anémie connue et stable à 11g/dl ; créatinine 1,1 mg/dl et ionogramme normal ; petite CRP à 24.2 mg/dl stable dans le temps et possiblement en relation avec de multiples plaies cutanées ; urines normales).
La patiente vivait dans une maison de repos et ses antécédents comportent essentiellement une hypertension artérielle légère, une fibrillation auriculaire, une maladie du sinus pour laquelle elle avait été implanté par pacemaker et une petite démence vasculaire connue et stable. La patiente chutant régulièrement, elle présentait plusieurs plaies (dont certaines présentaient des tissus nécrotiques) aux membres supérieurs et inférieurs.
Au second jour après le début des symptômes, la situation s’est nettement dégradée : la patiente est agitée avec des mouvements de la face de type grimaces, des yeux grands ouverts, un trismus, une incoordination des quatre membres (extension et de flexion des membres). Cette agitation est exacerbée par les stimuli (bruits, conversation, etc.). Il existe également une tendance à la rétropulsion du tronc. Face à ce tableau et après un examen clinique rapide (pas de fièvre, patiente ayant encore un contact visuel et oral, le GCS est noté à 14/15), la décision de l’hospitaliser est prise.
Le service des urgences a réalisé un bilan comportant :
- un scan cérébral (absence de phénomène aigu) ;
- une biologie complète (hyperleucocytose neutrophilique avec une CRP à 34 mg/dl ; perturbation des enzymes hépatiques modérée avec GOT à 225 U/l GPT 77 U/l, jGT normales ; décompensation cardiaque avec proBNP à 15000 ; CPK 8380) ;
- des urines (normales sauf corps cétoniques) ;
- une RX du thorax (sans particularité) ;
- et un avis neurologique (qui confirme qu’il ne s’agit pas d’une épilepsie).
La patiente est hospitalisée en gériatrie et devant le tableau dramatique (agitation, désaturation, douleurs, etc.), des soins de conforts (NaCl, Diazepam, Morphine) sont apportés et la patiente décède le surlendemain. La patiente n’a jamais reçu d’immunoglobuline car ce diagnostic de tétanos n’a pu être été évoqué de son vivant.
Interpellé par ce tableau clinique exceptionnel, il importait d’essayer d’établir un diagnostic différentiel :
- acutisation d’une démence connue ;
- encéphalite ou irritation méningée ;
- atteinte psychiatrique ;
- épilepsie ;
- tétanos.
Le service des urgences a permis d’exclure rapidement un bon nombre de ces diagnostics et la grande quantité de tissus nécrotiques présents au niveau des blessures de la patiente ont aiguillé vers un diagnostic de tétanos. Ces tissus nécrotiques ont potentiellement pu permettre la production de toxine. Une vidéo avait été enregistrée avant son transfert en milieu hospitalier ce qui a permis d’évoquer ce diagnostic a postériori.
Un dosage post-mortem des anticorps antitétaniques est revenu avec un taux protecteur ! Le titre de la patiente était de 6 UI/ml ; titre protecteur si > 0,01). La littérature (1,2) décrit des cas de tétanos avéré avec taux d’anticorps protecteurs. Le dosage des anticorps a été réalisé post-mortem à l’aide d’une technique ELISA utilisant l’inhibition de la fixation de l’anatoxine tétanique. La toxine tétanique circulante peut être détectée dans le sérum humain à l’aide d’un bio-essai sur souris (3). Ce diagnostic en laboratoire est réalisé à l’Institut de Santé Publique (WIV-ISP). Les souris injectées avec un sérum contenant la toxine présentent une paralysie typique qui finit par être létale.
La toxémie étant transitoire, le sérum doit être prélevé assez rapidement après l’apparition des symptômes (moins de trois jours) et avant tout traitement. Un résultat négatif (ce qui a été le cas chez nous) n’exclut pas un diagnostic de tétanos.
DISCUSSION
Le tétanos est une toxi- infection grave et non contagieuse due à Clostridium tetani, un bacille gram positif anaérobie. Ce bacille sporulé persiste longtemps dans la terre (4). La germination des spores est favorisée par la présence de tissus ischémiques ou nécrotiques. Une porte d’entrée fréquente est également la voie IV chez les toxicomanes. Dans 20% des cas, aucune porte d’entrée n’est retrouvée.
La toxine produite diffuse par voie sanguine, lymphatique et axonale. Elle agit à différents niveaux du système nerveux : plaque motrice, fibres nerveuses, motoneurone de la moelle, tronc cérébral, encéphale et système nerveux autonome. Elle bloque les neurotransmetteurs inhibiteurs du tonus et de la contraction musculaire conduisant à des contractions non contrôlées.
Le tétanos, s’il est fréquent dans les pays en voie de développement (4) est relativement rare dans les pays industrialisés même s’il semble que plus de 30 % des cas ne sont pas déclarés (4,5). En Belgique, deux cas ont été rapporté en 2009 (6) et six cas en 2014. En France, il en a été rapporté huit cas en 2009. Dans l’immense majorité des cas de tétanos, les patients étaient âgés de plus de 70 ans et il y avait une surreprésentation de femmes. Dans 85% des cas, l’infection survient entre avril et octobre (7). On considère que moins de 20% des patients de plus de 70 ans sont correctement vaccinés (8,9).
Après une incubation de 6 à 15j (souvent difficile à déterminer), le patient va présenter un trismus suivi d’une phase d’extension avec contracture des épaules et des muscles rachidiens. L’apparition d’une contraction prolongée des muscles de la face donne au faciès un aspect grimaçant (faciès sardonique). Des spasmes des membres, parfois violents, apparaissent (flexion des membres). Le patient reste conscient et garde ses facultés cognitives. Les spasmes deviennent rapidement douloureux. Le pronostic est rapidement engagé en raison de la dysphagie, de spasme respiratoire et de désordres neurovégétatifs. Une rhabdomyolyse s’installe. Le patient est en général apyrétique (10). La mortalité est très importante (> 50 % chez les plus de 60 ans ; 10 à 50 % selon les séries (4,5,11,12) et dépend de facteurs péjoratifs (latence >7j, invasion rapide, présence de paroxysmes, fièvre, fréquence cardiaque >120/sec, contractures géné-ralisées, âge du patient).
Le diagnostic est clinique. Les tests biologiques ont une efficacité modeste.
- La notion de vaccination correcte avec des rappels réguliers permet de diminuer la probabilité de tétanos.
- La recherche de toxémie est difficile. Il est décrit des cas de patients séroprotégés et développant un tétanos (4,5). C’est probablement le cas de notre patiente même si nous n’avons pu mettre en évidence de toxine dans le sérum (mais il s’agissait d’une faible quantité de sérum hémolysé, ayant été congelé). Comme signalé plus haut, la toxémie est souvent transitoire et la propagation est également neurogène.
- Un autre moyen biologique de mettre en évidence le tétanos est la recherche de C. tetani par frotti de plaie. La suspicion de tétanos étant apparue post mortem et le fait qu’une prise en charge palliative a été proposé d’amblée, aucun frotti de plaie n’a été réalisé.
Le traitement fait appel à des mesures de réanimation avec un isolement sensoriel important, l’utilisation de myorelaxant (BDZ, curares, propofol) et à des mesures spécifiques : antibiotiques pour neutraliser la bactérie (pénicilline ou métronidazole), sérothérapie et vaccination (2) car la maladie n’immunise pas !
CONCLUSIONS
Évitons l’évitable ! Bien que le tétanos soit devenu une maladie rare dans le monde occidental, il tue encore dans nos contrées, essentiellement des femmes âgées.
Cet article rappelle qu’il est important de poser un diagnostic adéquat afin de traiter la maladie. Pensons à vacciner régulièrement tous nos patients, y compris institutionnalisés.
Devant un patient qui présente des contractures brutales de la face et des mouvements des membres, pensons au tétanos. Retrouver le schéma vaccinal ou doser les anticorps (2) antitétaniques diminue le risque d’être face à un cas de tétanos mais ne l’exclut pas ! Le diagnostic reste clinique, le diagnostic en laboratoire est un test complémentaire qui permet de confirmer le diagnostic clinique.
Le traitement est hospitalier avec un traitement de réanimation (antibiothérapie, sérothérapie, myorelaxant, etc.), un éventuel débridement des plaies nécrotiques suivi d’une vaccination en cas de survie !
AFFILIATIONS
Laurence Delbrassinne, Bio-ingénieur, Institut Scientifique de Santé Publique (WIV-ISP), Laboratoire des Clostridies zoonotiques,
Centre National de Référence Clostridium botulinum et Clostridium perfringens
CORRESPONDANCE
Dr. Dominique Henrion
Médecin Généraliste
Maître de stage SPF Santé publique
Chargé d'enseignement UNamur
Rue des acquises, 82
5100 Naninne
domihenrion@hotmail.com
RÉFÉRENCES
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- Barjat C, Charles R, Lucht F, Frappé P. Gestion du risque tétanique des plaies en médecine générale. Managing the risk of wound tetanus in family practice 2010.
- Delbrassinne L, Vanderpas J, The mouse toxicity bioassay as a laboratory confirmation test for tetanus. Acta Clin Belg 2015; 70 (1): 77-78. Ouvrir dans PubMed
- La revue prescrire mai 2010 ; tome 30 ;N°319 page 385.
- Gergen P et al. A population-based serologic survey of immunity to tetanus in US. N Engl J Med 1995; 332 : 761-766. Ouvrir dans PubMed
- Statistiques sanitaires mondiales 2011 OMS.
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- Tosun S et al. Tetanus in adults: results of the multicenter ID-IRI study. Eur J Clin Microbiol Infect Dis 2017 ; doi: 10.1007/s10096-017-2954-3. Ouvrir dans PubMed
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