Depuis plus de deux siècles l’Académie Nationale de Médecine (ANM) s’est investie dans la lexicographie médicale. Le support en était le papier. La dernière grande œuvre de ce type a été menée de 1997 à 2008 sous l’impulsion donnée dès 1990 par Alain Larcan et Jean-Claude Sournia puis poursuivie par Jacques Polonovski : 14 volumes traitant de la médecine par discipline ont été édités par le CILF (Conseil International de la Langue Française) grâce à son Secrétaire général, Hubert Joly, et sous la responsabilité d’un rédacteur en chef. C’est l’ouvrage qui a servi de base au dictionnaire numérisé actuel après de profonds remaniements.
Parler le même langage, se comprendre pour communiquer, tel est l’intérêt d’un dictionnaire perpétuellement renouvelé qui se donne pour but de suivre l’évolution et les progrès continus de la science médicale. Les mots, les locutions sont le support d’un concept. Sans limite de volume, un dictionnaire numérisé, même s’il n’est pas une encyclopédie, peut se permettre d’assortir une définition brève et un plus long commentaire. Il n’est pas destiné à ceux qui savent mais à un large lectorat de professionnels de santé que l’hyperspécialisation a éloigné de pans entiers de la biologie et de la médecine.
Le médecin doit en outre communiquer avec ses patients. La confiance du malade envers son médecin est à ce prix. C’est toute la difficulté du passage du langage scientifique au langage vernaculaire sans que le discours perde sa précision sémantique. Par son accès facile sur internet le dictionnaire est consulté par le grand public de plus en plus confronté à une masse de connaissances qu’il lui est difficile de contrôler.
Le français est une langue riche, pas trop usée par un emploi géographiquement diversifié dans une ambiance de mondialisation. Il reste une langue de référence, mais une langue vivante qui doit savoir, en particulier dans le domaine scientifique, adopter des termes nouveaux forgés par la nécessité d’intégrer tous les nouveaux concepts créés par l’évolution des connaissances médicales. Le dictionnaire se doit d’être le vecteur de la pensée médicale française et de son langage.
C’est dans cet esprit à la fois conservateur et progressiste que la Commission XIX dite du « Langage médical – Dictionnaire de l’ANM » poursuit sans fin ses travaux de mise à jour et d’enrichissement.
L’équipe de rédaction se décompose en deux groupes :
- un comité permanent de rédaction* qui se réunit deux fois par mois pour harmoniser les modifications et compléments apportés par chacun et avaliser les textes avant leur introduction sur le réseau ;
- un groupe de consultants non moins spécialisés, recrutés au sein de la riche diversité des membres de l’ANM**.
* J. Bédouelle (orthopédie infantile, culture générale médicale), C. Buffet (hépatologie – gastroentérologie), V. Delmas (anatomie-embryologie, urologie), J.F. Duhamel (pédiatrie), J. Frottier (maladies infectieuses), C.P. Giudicelli (néphrologie, nutrition, santé publique), M. Germain (chirurgie de reconstruction), J. Hureau (anatomie-embryologie, chirurgie générale et digestive, droit médical), A. Marcelli (biologie, déontologie), J.L. Michaux (hématologie, bibliographie), G. Morvan (imagerie médicale), F. Rodhain (épidémiologie, entomologie médicale, médecine tropicale), J. Rouëssé (oncologie médicale), J.L. Wemeau (endocrinologie).
** R. Ardaillou (génétique), J.L. Arné (ophtalmologie), J.P. Bounhoure (cardiologie), J.F. Cordier (maladies rares), B. Dréno (dermatologie), B. Falissard (statistiques), C. Géraut (médecine du travail), M. Komajda (cardiologie), F.X. Maquart (biochimie, biologie médicale), J.P. Michel (gérontologie), J. Milliez (gynécologie-obstétrique), J.P. Olié (psychiatrie), Y. Touitou (pharmacologie), J.E. Touze (cardiologie), R. Trèves (rhumatologie)
Nous travaillons actuellement en documents Word, ce qui facilite les échanges entre les membres des groupes mais présente vite ses limites. Le dictionnaire a besoin de la réalisation d’une interface d’administration pour que le groupe rédactionnel puisse modifier les termes des entrées directement sur la base de données du site sans dépendre d’un informaticien. Cela apporterait un gain de temps et une meilleure fiabilité du rendu. Actuellement nous éditons deux fois par an les mises à jour du dictionnaire (juin-juillet et décembre). Le nouveau logiciel permettrait une mise à jour quasi permanente.
La dotation de ce nouveau logiciel doit pouvoir également générer plus de souplesse de consultation pour nos lecteurs par l’introduction d’items variés. Il sera possible en particulier de tenir compte des variations orthographiques d’un même terme conformément au rapport du Conseil supérieur de la langue française sur « Les rectifications de l’orthographe » du 6 décembre 1990.
Le choix des entrées doit être contrôlé. C’est une veille permanente à mener sur les définitions déjà intégrées et sur les disciplines à explorer. L’idéal est l’exhaustivité. Libérée de la contrainte du papier, la numération peut la faire envisager. Un petit développement plus encyclopédique est possible au-delà de la conception qu’André Lwoff donne à juste titre d’une définition au sens strict du terme.
« La définition - dit-il - est l’une des méthodes de la découverte. C’est en effet une remarquable méthode heuristique, car elle contraint à condenser en une formule l’essentiel d’une catégorie ou d’un phénomène, cette formule contenant tout ce qui doit y être inclus et rejetant tout ce qui doit en être exclu ».
Mais, comme l’écrivait déjà J.C. Sournia en 1970, « l’excès de la terminologie exige des médecins une rigueur d’écriture plus grande que jamais, sous peine de confusion dans le public usant d’une langue unique et d’erreurs graves lorsque le texte est soumis à des traducteurs en langues étrangères ». Cette rigueur doit également prévaloir dans le choix du terme à retenir comme entrée principale car, comme le note M.G. Candau, Directeur général honoraire de l’OMS, « l’une des principales sources de confusion est la multiplication des synonymes. La même entité pathologique, la même substance pharmaceutique, la même méthode diagnostique est désignée trop souvent par des noms différents ». Entrer tous les synonymes, fussent-ils obsolètes, est donc une obligation. Le renvoi par fléchage automatique sur le terme princeps facilite la consultation. Le renvoi automatique à une définition complémentaire, désignée également par une flèche, facilite la compréhension.
Les terminologies, avec la mondialisation des connaissances, tendent à s’harmoniser. Certaines disciplines ont officialisé cette internationalisation : la microbiologie, la parasitologie, l’anatomie, l’anatomie pathologique, l’embryologie… Mais les habitudes ont la vie dure surtout en pathologie et en anatomie lorsqu’il s’agit de défendre tel ou tel découvreur national. Là aussi il faut être rigoureux tout en étant exhaustif. L’hyperspécialisation en concurrence avec l’approche multidisciplinaire des problèmes médicaux pourrait déboucher sur un véritable chaos si l’on n’y prenait garde.
Enfin l’accès au dictionnaire est très facile, soit en passant par le site de l’Académie Nationale de Médecine et sa rubrique « Dictionnaire », soit directement par le WEB en entrant « Dictionnaire de l’Académie de médecine ». Il est possible de l’enregistrer en permanence sur tout support de travail, ordinateur de bureau, tablette et même téléphone portable ; les mises à jour sont incorporées automatiquement.
En 2015, entre le 1er janvier et le 31 décembre, le dictionnaire a reçu 810 909 visites de la part de 617 513 visiteurs. Sur les 12 mois cela représente une moyenne mensuelle de 67576 visites par 51460 visiteurs (minimum en août : 43032 visites pour 32494 visiteurs – maximum en novembre : 82962 visites par 62746 visiteurs). Les consultations émanent de 120 pays, francophones en grande majorité mais également anglophones et autres, dont 25 réguliers depuis l’ouverture du site en janvier 2012.
Depuis cette date la montée en puissance des consultations est considérable.
La mise en réseau ouverte gratuitement à tous a déjà assuré une reconnaissance du grand public qui ne manque pas de nous interroger sur tel ou tel renseignement général, voire personnel. En attestent les courriels reçus à l’Académie. Notre rôle doit rester documentaire sans nous immiscer dans le jeu de consultations médicales qui reste du domaine des médecins traitants.
Nous souhaitons par contre collaborer avec tout organisme de lexicographie générale ou médicale qui poursuit les mêmes buts que nous. En novembre 2015 une entente de partenariat a été signée entre l’Office québécois de la langue française et l’Académie Nationale de Médecine en vue de l’enrichissement du « Grand Dictionnaire Terminologique » numérisé édité par l’Office, par l’intégration de termes du « Dictionnaire médical de l’Académie Nationale de Médecine ».
Le dictionnaire a été spontanément relayé par plusieurs sites de recherche. Il y a tout intérêt à développer une telle expansion.
Le « Dictionnaire de l’Académie Nationale de Médecine » est dorénavant un travail de continuité perpétuelle, non seulement pour combler des pans entiers de la terminologie médicale mais pour le maintenir constamment au niveau des avancées de la science médicale. Un dictionnaire sur support informatique ne peut pas, ne doit pas rester figé.
C’est un outil de défense du langage médical français et un vecteur incontournable de la pensée médicale française. Ce n’est pas faire preuve d’un chauvinisme désuet à l’époque d’une mondialisation de tous les savoirs mais, en matière de terminologie, comme l’a si bien exprimé Alain Rey : « Quand on est entre francophones ou franco-parlant l’emploi du « globish » [global english] est une déperdition à tous les niveaux. Cela fait mal à la langue française mais d’abord et avant tout à la langue anglaise et surtout à la communication et à sa qualité ».
* Membre de l’ANM – Président de la Commission XIX
** Membre de l’ANM – Secrétaire scientifique de la Commission XIX
*** Membre associé étranger de l’ANM – Membre du Comité permanent de rédaction