Un forum pour repenser les cursus en sciences de la santé

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Thaïs Lasar (1), Audrey Beghon (2), Josué Dusoulier (3), Françoise Thyrion (4), Anne Berquin (5) Publié dans la revue de : Janvier 2024 Rubrique(s) : Durabilité et Soins de Santé: Quels Défis pour le Futur
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Résumé de l'article :

Dans une démarche participative, un forum étudiant a été organisé en mars 2023, en collaboration avec la Green Team de l’Assemblée Générale des Etudiant.es de Louvain à Woluwe, afin de réfléchir aux études de médecine du futur. Cette réunion a suivi la méthodologie du world café, permettant d’enrichir progressivement la réflexion sur trois questions posées, concernant respectivement les contenus/savoirs scientifiques, les compétences/attitudes et enfin les méthodes pédagogiques/dispositifs d’apprentissage nécessaires pour répondre aux défis du futur. Les discussions ont permis d’ouvrir le débat et d’apporter des idées qui enrichiront les réflexions concernant les programmes d’enseignement. Il serait intéressant de réitérer l’expérience avec un groupe plus large, de prévoir une meilleure information en amont et d’impliquer les étudiant·es de la GreenTeam plus tôt dans le processus, dès la construction de l’atelier. Par ailleurs, le dispositif du forum pourrait contribuer à un processus plus large de formation continue des étudiant·es, notamment la formation à une approche participative de la gouvernance et à la mobilisation de l’imaginaire.

Mots-clés

Enseignement, sciences de la santé, atelier de travail

Article complet :

Présentation de la démarche : témoignage de Thaïs Lasar

Le forum étudiant organisé en mars 2023 a été une occasion bienvenue pour la Green Team de collaborer avec des acteur·ices du Plan Transition de l’UCLouvain et du Réseau Transition.

Qui sommes-nous ? La Green Team est une commission de l’Assemblée Générale des Etudiant·es de Louvain à Woluwe (AGW). C’est un groupe ouvert à tou·tes les étudiant·es soucieux·ses de la transition écologique. Notre but est de sensibiliser aux questions liées aux crises climatique et environnementale et de proposer des initiatives dans ce domaine. C’est donc avec plaisir que nous nous sommes engagé·es à participer à la création de ce forum étudiant, inscrit dans une démarche d’alignement de nos études avec les enjeux de la transition écologique.

De nouvelles compétences sont nécessaires pour comprendre les enjeux du changement climatique et trouver des solutions à leur hauteur. Les études supérieures sont donc un secteur déterminant s’il s’agit de respecter l’objectif européen d’une société neutre en carbone d’ici 2050. L’étude Education4Climate a révélé qu’en mai 2022 seulement 12,5% des masters universitaires et 6% des formations en haute école en Belgique francophone abordaient les sujets de la transition écologique (1). Pourtant, précise cette même étude, la grande majorité des étudiant·es se montraient ouvert·es à l’inclusion de modules relatifs à cette problématique dans leur cursus.

Dans cette optique, nous avons estimé qu’il serait intéressant de réfléchir à quoi ressemblera notre formation en sciences de la santé en 2050. Le rôle de la Green Team était de mobiliser des étudiant·es de toutes les facultés relatives à ce domaine, afin de répondre aux questionnements suivants : comment la transition doit-elle se traduire dans nos formations et nos futurs métiers, quelles nouvelles compétences implique-t-elle ?

Une des méthodes choisies pour recruter les participant·es au forum, le tirage au sort, n’a pas eu les résultats escomptés. Nous avons réussi à mobiliser suffisamment d’étudiant·es en les démarchant personnellement, mais non sans mal : beaucoup disaient apprécier l’initiative mais estimaient ne pas avoir la légitimité nécessaire pour participer. « Je ne suis pas très investi pour le climat, et je ne vais pas savoir quoi dire ». Nous encouragions alors ces personnes à surmonter ces réserves en insistant sur le fait qu’aucune préparation n’était nécessaire, le but du forum étant de créer de l’espace dans une journée pour réfléchir à la question, et pas de venir avec des réponses toutes prêtes. Il n’était pas non plus question d’avoir une quelconque « légitimité » dans la matière du climat pour pouvoir participer : la transition écologique nécessite une réflexion à toutes les échelles, autant dans des comités d’expert·es que dans des assemblées de citoyen·nes. Les discussions précédant le forum ont renforcé notre motivation à le mettre en place : de toute évidence, le rôle d’un·e professionnel·le de la santé dans la transition écologique ne nous apparaît pas encore très clairement.

Heureusement, une fois le forum commencé, la peur de l’illégitimité s’est au moins en partie dissipée : la première activité n’impliquait pas de parler, mais simplement de s’asseoir en formant un cercle, de fermer les yeux et d’écouter la méditation guidée de l’intervenant du Réseau Transition. Malgré un format peu habituel voire déstabilisant, les participant·es se sont prêté·es au jeu et se sont imaginé·es d’ici trente ans, dans une société où la transition écologique aurait été solidement établie. Cette expérience a été particulièrement bénéfique en ce qu’elle a permis de mettre sur un même plan de connaissances tou·tes les participant·es et de faciliter la prise de recul.

Le forum s’est poursuivi par des discussions suivant le modèle du world café : à chaque table correspondait une question et un·e « hôte » qui prenait note des idées de chaque groupe. Les participant·es vont de table en table et les réflexions se construisent à partir de celles du groupe précédent. Le résultat de ces discussions a été très satisfaisant : malgré un collectif hétérogène où certain·es avaient des opinions très tranchées et d’autres se demandaient plutôt ce qu’iels étaient venu·es faire là, le format du world café a permis à chacun·e de trouver sa place dans la discussion et d’y contribuer. Les conversations ont permis de rendre tangible un monde dans lequel les initiatives et mesures que nous imaginions prenaient effet, élargissant sous nos yeux les horizons de nos moyens d’action.

Du point de vue des étudiant·es en santé, il est facile de ne pas se sentir concerné·e par la transition écologique : nos études sont longues, nous nous armons de connaissances vitales pour soigner des personnes. Nos rôles sont indispensables dans la société. Dès lors, la transition écologique serait l’affaire des autres. Les politiques, les économistes, les climatologues, les militant·es, mais pas nous. Pourtant, un·e professionnel·le de santé a un rôle crucial à l’égard de la transition écologique. Les impacts du réchauffement affectent directement la santé des citoyen·nes, et donc le travail de professionnel·les de ce secteur, et il est donc dans leur intérêt d’œuvrer pour en minimiser les conséquences.

Jill Peeters, présentatrice météo belge et experte climatique, le dit dans sa préface du rapport Education4Climate : « Nous devons approfondir la réflexion et, surtout, initier et concrétiser un changement systémique dans le fonctionnement de notre système éducatif, en brisant les barrières qui nous disent trop souvent que la santé est le travail d’un médecin et que construire une maison est le travail d’un architecte. Le climat est notre travail, le travail de chacun d’entre nous. Nous devons être formé·es pour bien le faire (1). ». Nous espérons donc avoir, à notre modeste niveau, apporté une pierre à l’édifice, en contribuant à la définition et à l’émergence de cursus plus en phase avec l’urgence climatique.

Méthodologie

Le forum portait sur la question : « À quoi ressemblera la formation en santé en 2050 quand on aura réussi la transition dans l’enseignement et qu’on se sera adapté aux enjeux de notre époque ? » Dans une démarche participative et transdisciplinaire, ce forum a été organisé en collaboration avec des étudiant·es de la Green Team ainsi que des acteur·rices de terrain, membres du Réseau Transition (https ://www.reseautransition.be/).

Pour réunir les étudiant·es, une promotion de l’évènement a été réalisée par la GreenTeam et l’AGW auprès de l’ensemble des étudiant·es du secteur (réseaux sociaux, affiches). Un tirage au sort a également été réalisé pour sensibiliser et attirer au forum des étudiant·es qui n’auraient peut-être pas spontanément considéré participer. Nous nous rapprochons ainsi de la logique des « mini-publics délibératifs » définis par Robert Dahl comme des assemblées de citoyen·nes ordinaires (ici des étudiant·es ordinaires), sélectionné·es de manière aléatoire en vue de remettre un avis, de proposer une solution à un problème politique ou même de prendre une décision politique (2). Ces étudiant·es ordinaires ne sont ni des mandataires élu·es, ni des expert·es, ni des représentant·es d’organisation, ni même des citoyen·nes mobilisé·es sur les questions de développement durable et transition (DD&T). Il s’agit plutôt d’étudiant·es lambda, de préférence non directement (trop) affecté·es par le problème débattu, tout en étant néanmoins concerné·es par celui-ci en tant qu’étudiant·e (2).

En introduction au forum, un exercice de visualisation guidée a été proposé aux participant·es : partant d’une promenade racontée par l’animateur sur le campus d’Alma en 2050, les étudiant·es ont été invité·es à imaginer ce dont ils et elles seraient fier·ères concernant leurs études, leur vie sur le campus, etc.

Le forum a été organisé sous la forme d’un world café, une méthode participative de collecte de données qualitatives en grands groupes (Figure 1). Cette méthode est souvent utilisée dans les processus de changement organisationnels (3). Le sujet est divisé en trois thématiques, chacune de ces trois thématiques étant discutée à une table. L’activité se déroule en trois phases : 1) Chaque table est occupée par un sous-groupe d’étudiant·es qui, pendant 15 minutes, échangent et co-construisent des propositions pour répondre à la question en rapport avec la thématique spécifique de chaque table. Un·e rapporteur·euse prend note et restera hôte de la table. 2) Les sous-groupes changent de table en se mélangeant (afin de «polliniser» les réflexions) et les nouveaux groupes apportent des idées complémentaires à celles du premier sous-groupe. Les sous-groupes changent une deuxième fois pour que chaque étudiant·e ait pu traiter chacune des trois sous-thématiques. 3) Restitution par les rapporteur·euses en grand groupe et discussion collective sur les propositions.

Partant du sujet du forum, trois sous-thématiques ont été identifiées au préalable (lors de discussions avec des étudiantes de la Green team et les membres du Réseau Transition) sur base des réflexions en cours dans le secteur : 1) Quels contenus / savoirs scientifiques faut-il intégrer dans les formations en sciences de la santé pour faire face aux enjeux DD&T ? 2) Quelles compétences / attitudes les soignant·es doivent-t-ils et elles maîtriser pour faire face aux enjeux DD&T ? 3) Quelles méthodes pédagogiques / quels dispositifs d’apprentissage faut-il mettre en place dans les formations pour se former au DD&T ?

Résultats

La démarche de promotion a permis de réunir quatorze étudiant·es, 11 étudiant·es de bachelier en médecine, 1 étudiant·e de bachelier en dentisterie, 1 étudiant·e de bachelier en chimie et 1 étudiant·e de master en médecine. Aucun·e des étudiant·es invité·es personnellement sur base du tirage au sort n’a participé au forum.

Les réflexions ayant émergées dans les trois tables de discussion sont résumées dans les Tableaux 1 à 3.

Discussion et perspectives de développement

Ce premier essai de forum consacré aux enjeux du futur concernant l’enseignement dans le domaine des soins de santé a permis d’ouvrir le débat et d’apporter des idées qui enrichiront les réflexions concernant les programmes d’enseignement. Retenons par exemple l’intérêt d’aborder les relations Nord-Sud dans une perspective décoloniale (qui contribuerait à déconstruire l’approche techno-centrée de la médecine occidentale), l’importance que les questions DD&T soient abordées dans chaque cours (pour ne pas être perçues comme un « à-côté »), celle du modèle bio-psycho-social, l’utilité d’intégrer une réflexion sur l’influence de l’industrie (notamment pharmaceutique), de se former aux questions de gouvernance, à l’échelle locale (hôpital) et nationale (commissions INAMI, gouvernements…), de valoriser la curiosité scientifique et l’esprit critique (plus que la restitution de savoirs) et de ne pas négliger un travail sur soi (« transition intérieure »)…

Il serait intéressant de réitérer l’expérience avec un groupe plus large, incluant des étudiant·es tiré·es au sort, venant de toutes les facultés du secteur des sciences de la santé, des alumnis qui ont 2-3 ans de pratique et des étudiant·es de master (qui ont plus d’expérience en stage). Ceci nécessiterait de prévoir plus de temps pour la promotion de l’événement. Une meilleure information en amont (podcast par exemple) pourrait favoriser une discussion ciblant plus précisément les enjeux DD&T. Les étudiant·es de la GreenTeam souhaiteraient, dans une prochaine édition, être davantage partie prenante de la construction de l’atelier (au-delà de la promotion).

Par ailleurs, le dispositif du forum pourrait contribuer à un processus plus large de formation continue des étudiant·es : formation des étudiant·es à une approche participative de la gouvernance (forum) et à la mobilisation de l’imaginaire (visualisation guidée). Ce sont deux compétences qui sont à entraîner par l’expérience répétée.

Affiliations

1. Etudiante en médecine, pour la Green Team de l’Assemblée Générale des Etudiant.es de Louvain à Woluwe
2. Conseillère pédagogique, Louvain Learning Lab (UCLouvain)
3. Psychologue, formateur et facilitateur de transition, Cofondateur du Réseau Transition asbl
4. Ex-infirmière, praticienne en Relaxothérapie et Shiatsu, transition intérieure, initiatrice du collectif INVIA pour une santé intégrale
5. Institut des Neurosciences, UCLouvain et Cliniques Universitaires UCL Saint-Luc, Service de Médecine physique et réadaptation

Correspondance

Mme Thaïs Lasar
Green Team de l’Assemblée Générale des Etudiant·es de Louvain à Woluwe

Références

  1. The Shifters. Mobiliser l’enseignement supérieur pour la transition vers la neutralité carbone. Rapport final. 2022. https://education4climate.be/index.html?lang=fr#report
  2. Pourtois H. Mini-publics et démocratie délibérative. ps 2013;32(1):21–41.
  3. Löhr K, Weinhardt M, Sieber S. The “world café” as a Participatory Method for Collecting Qualitative Data. International Journal of Qualitative Methods 2020;19:1609406920916976.