Un priapisme à haut debit post fracture du bassin

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Romain Carlat (1), Renaud Destraix (4), Nicolas Jacquemart (2), François Melebeck (3), Michaël Twahirwa (4), Michaël De Foy (3) Publié dans la revue de : Octobre 2023 Rubrique(s) : Chirurgie orthopédique
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Résumé de l'article :

Le priapisme est une dysfonction érectile se manifestant par une érection partielle ou complète et prolongée, durant plus de quatre heures en dehors de toute stimulation sexuelle.

Son incidence est estimée à 0,5-0,9 cas pour 100 000 personnes par an.

Le priapisme ischémique, plus fréquent et douloureux, est la conséquence d’une paralysie des muscles lisses caverneux qui ne peuvent plus se contracter et laisse stagner du sang hypoxique au sein des espaces sinusoïdaux.

Le priapisme artériel à haut débit, rare (5 % des priapismes) et typiquement non douloureux, est en général consécutif à un traumatisme périnéal direct responsable d’une fistule artério-caverneuse.

Dans ce rapport de cas, nous verrons la prise en charge multidisciplinaire d’un patient de 31 ans, polytraumatisé à la suite d’un accident de moto à haute vélocité.

Celui-ci s’est présenté avec une fracture du bassin ayant nécessité une ostéosynthèse par plaque et vis. Dans les suites opératoires, le patient a développé un priapisme haut débit post-traumatique qui a alors été pris en charge en radiologie interventionnelle.

Que savons-nous à ce propos ?

Le mécanisme du priapisme est bien connu, nous distinguons trois types de priapisme : le priapisme ischémique (veineux/à bas débit), le priapisme artériel (non ischémique/ à haut débit) et le priapisme intermittent.

Le priapisme à haut débit est facile à reconnaître dans un contexte de traumatisme périnéal ou pénien. Celui-ci est rare et ne doit pas passer inaperçu chez nos patients. Il existe de multiples prises en charges thérapeutiques mais la majorité des auteurs préconisent le traitement par embolisation hyper-sélective.

Que nous apporte cet article ?

Le priapisme à haut débit est rare et ne doit pas être méconnu des médecins qui prennent en charge des traumatismes pelviens et périnéaux. Nous rappelons brièvement la genèse et l’évolution de cette pathologie liée à une fistule artérioveineuse post traumatique au niveau des corps caverneux. Cet article montre également le succès de la prise en charge par embolisation hyper-sélective de la fistule artérioveineuse avec des illustrations claires et précises.

Mots-clés

Polytraumatisé, fracture bassin, priapisme, fistule artério-veineuse, embolisation

Article complet :

Introduction

Le priapisme est une dysfonction érectile se manifestant par une érection, partielle ou complète et prolongée, durant plus de quatre heures en dehors de toute stimulation sexuelle. Son incidence est estimée à 0,5-0,9 cas pour 100 000 personnes par an. Nous distinguons trois types de priapisme : le priapisme ischémique (veineux/à bas débit), le priapisme artériel (non ischémique/ à haut débit) et le priapisme intermittent (forme récurrente de priapisme ischémique dans laquelle des épisodes d’érection alternent avec des périodes au cours desquelles le pénis n’est pas en érection).

Les priapismes ischémique et artériel diffèrent par leurs étiologies, leurs physiopathologies, les traitements ainsi que leurs conséquences fonctionnelles à long terme.

Le priapisme ischémique, plus fréquent et douloureux, est la conséquence d’une paralysie des muscles lisses caverneux entourant les lacs veineux sinusoïdaux des corps caverneux. Ceux-ci ne pouvant plus se contracter et laissent stagner du sang hypoxique au sein des espaces sinusoïdaux. Le priapisme artériel, rare (5% des priapismes) et typiquement non douloureux, est en général consécutif à un traumatisme périnéal direct responsable d’une fistule artério-caverneuse (1).

Pour rappel, la vascularisation artérielle des corps caverneux est issue des artères caverneuses, branches des artères pudendales, elles-mêmes branches des artères iliaques internes. Le retour veineux est assuré par la veine dorsale profonde de la verge et draine via le plexus de Santorini au niveau des veines iliaques externes (2). Le gland faisant partie du corps spongieux ne participe pas au priapisme.

Observation

Un homme âgé de 31 ans est emmené par le SMUR aux urgences pour polytraumatisme à la suite d’un accident de moto à haute vélocité. Le patient est stable sans trouble neurologique. Après réalisation de multiples radiographies et d’un scanner « total body », nous mettons en évidence une fracture du bassin type LC2 selon la classification de Young et Burgess : une fracture déplacée multi fragmentaire de la branche ilio-pubienne gauche s’étendant au fond cotyloïdien, une fracture peu déplacée de la branche ischio-pubienne droite, une fracture multi fragmentaire non déplacée de l’aileron sacré droit, une fracture de la branche ilio-pubienne droite en regard du fond cotyloïdien droit. Notons également une fracture du plateau tibial externe gauche.

Aux vues de l’instabilité de la fracture, nous avons opté pour une prise en charge en chirurgie orthopédique avec réalisation d’une ostéosynthèse par vis sacro-iliaque droite, vis rétrograde ilio-pubienne droite et une ostéosynthèse par plaque de la branche iliopubienne gauche. (Figure 1)

Trois jours après le retrait de la sonde urinaire, le patient se plaint d’une érection partielle. Pas d’érection complète depuis l’accident, pas de trouble mictionnel décrit. À l’examen clinique nous retrouvons en effet une rigidité partielle de la verge, une palpation indolore et un gland plutôt flaccide. Après concertation avec nos collègues radiologues et urologues, un scanner injecté du bassin a été réalisé. Nous observons un rehaussement important des corps caverneux en phase portale, inexistant en phase tardive. Nous retrouvons une image lacunaire au niveau du corps caverneux gauche correspondant à l’hémorragie post-traumatique.

Une échographie doppler met en évidence un saignement au niveau de l’artère caverneuse gauche.

À ce stade le diagnostic d’un priapisme haut débit post traumatique est retenu, nous envisageons alors la réalisation d’une artériographie sélective de l’artère pudendale interne gauche.

Une fistule artérioveineuse gauche expliquant le priapisme à haut débit est démontrée (Figure 2). La fistule est directement en regard d’une vis trans-pubienne pouvant expliquer la fistule (Figure 3). Néanmoins, cette fistule peut avoir été générée par la fracture du pubis. Le priapisme n’étant pas présent en préopératoire, nous ne pouvons pas exclure l’ostéosynthèse par vis comme responsable de la fistule artérioveineuse. Quoiqu’il en soit une embolisation fut réalisée par le service de radiologie interventionnelle.

Mise en place d’un cathéter porteur 4F dans l’artère pudendale gauche et micro-cathéter dans l’artère caverneuse, juste avant sa dernière bifurcation. Embolisation à l’aide de particules de Spongel (embol temporaire) jusqu’à l’arrêt du flux. (Figure 4)

Nous revoyons le patient à quatre mois pour un contrôle clinique. D’un point de vue orthopédique l’évolution est tout à fait favorable, pas de complication à ce stade. D’un point de vue urologique l’examen clinque est tout à fait rassurant. Ses érections sont tout à fait normales, présence d’érections spontanées matinales et nocturnes, pas de trouble d’érection lors de la pénétration. L’orgasme et l’éjaculation sont normale. Pas de difficulté urinaire signalée par le patient.

Discussion

C’est Burt qui en 1960 a observé le premier cas de priapisme artériel à haut débit avec un bon résultat du traitement par ligature de l’artère pudendale interne (3).

Wheeler et Simmons ont mis en évidence une fistule artério-veineuse responsable du priapisme artériel la première fois en 1973, grâce à une artériographie montrant une rupture post-traumatique de l’artère caverneuse avec fuite à haut débit dans les espaces sinusoïdaux (4).

Le diagnostic du priapisme artériel est clinique et radiologique. La notion de traumatisme périnéal précédant le priapisme oriente d’emblée vers une origine artérielle du priapisme. Le traumatisme peut avoir eu lieu jusqu’à plusieurs jours avant le début de l’érection permanente. Le délai de latence est probablement lié à un vasospasme artériel initial ou une nécrose secondaire de l’artère lésée. Sur le plan clinique, nous observons une érection typiquement non douloureuse et le plus souvent incomplète avec un gland flaccide.

La brèche artérielle conduit à une fuite massive de sang artériel dans les sinus veineux sinusoïdaux du tissu érectile. Le contact du sang oxygéné avec le tissu érectile est le point de départ d’une chaîne d’évènements neuro-vasculaires avec libération de NO et activation de la guanylate cyclase, ayant pour conséquence une accumulation de guanosine monophosphate cyclique. Celle-ci entre largement dans les cellules musculaires lisses du tissu caverneux entrainant la tumescence (5,6).

L’échographie doppler des corps caverneux doit être le premier examen envisagé. Il permet de repérer le flux pathologique sur l’artère lésée mais sans toujours parvenir à localiser précisément la fistule.

L’artériographie sélective mettra en évidence l’extravasation caractéristique au niveau d’une branche de l’artère pudendale interne et représente le premier temps de la prise en charge thérapeutique (7).

Plusieurs prises en charge sont décrites dans la littérature concernant ce type de pathologie. Le traitement conservateur consiste en une compression accompagnée d’un glaçage du périnée. Le but de cette manœuvre étant de créer un vasospasme de l’artère caverneuse pouvant conduire à la formation d’un caillot excluant alors la fistule. Une récente revue de la littérature rapporte un succès de 49,6% associé à un taux de dysfonction érectile post procédure de 6,7% (8).

Le traitement médical consiste au blocage androgénique pendant 2-6 mois. Celui-ci permet d’abolir les érections nocturnes et spontanées et permettrait une cicatrisation de la fistule. De multiples effets secondaires sont observés avec ce type de traitement : dysfonction érectile, bouffée de chaleurs, baisse de la libido, fatigue … Cette prise en charge médicamenteuse pourrait être proposée en traitement adjuvant au traitement conservateur en cas d’échec de la prise en charge initiale et lors d’un refus du patient pour un traitement plus invasif.

Un traitement chirurgical existe également, à savoir soit une ligature de l’artère caverneuse à son entrée dans le corps caverneux ou une ligature spécifique de l’artère lésée aidée par l’échographie doppler. Le taux de succès du traitement chirurgical est élevé mais associé à une dysfonction érectile post-opératoire proche de 50 % (9).

La majorité des auteurs et les « guidelines » actuels préconisent le traitement par embolisation hyper-sélective et nous comprenons aisément que celle-ci est une alternative de loin préférable à la chirurgie. On distingue deux types d’agents d’embolisation : des temporaires dont les propriétés physiques permettent une occlusion de l’artère traitée puis une reperméabilisation dans un délai variable selon les agents et des agents permanents. Un taux de succès entre 61,7% et 80 % est reporté dans les différentes séries. Après embolisation, le retour à la flaccidité est souvent immédiat. En cas d’échec il est essentiel de rechercher un réseau de suppléance alimentant la lésion vasculaire. Des procédures d’embolisation complémentaires peuvent être proposées. Le taux de succès combiné est de l’ordre de 85%. Dans la plupart des cas, les patients gardent toutes leurs facultés sur le plan de la fonction érectile, qui reste identique à ce qu’elle était auparavant (10).

Conclusion

Le priapisme à haut débit est facile à reconnaitre dans un contexte de traumatisme périnéal ou pénien. Celui-ci est rare mais ne doit pas passer inaperçu chez nos patients présentant des lésions du périnée ou du bassin.

L’échographie doppler des corps caverneux devrait être la première étape dans l’établissement du diagnostic.

L’artériographie pudendale interne permet à la fois le diagnostic du siège de lésion et son traitement par embolisation hyper-sélective.

Cette prise en charge nécessite un travail multidisciplinaire avec des chirurgiens orthopédistes attentifs à ce type de lésion, les urologues et des uro-radiologues spécialisés avec un accès à un plateau technique performant de radiologie interventionnelle.

Affiliations

1 Assistant (4e année) en chirurgie orthopédique
2 Assistant (6e année) en chirurgie orthopédique
3 Centre Hospitalier Régional de Namur, Département de Chirurgie orthopédique
4 Centre Hospitalier Régional de Namur, Département d’Urologie

Correspondance

Dr. Romain Carlat
Cliniques universitaires Saint-Luc
Chirurgie orthopédique
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles

Références

  1. Broderick GA, Kadioglu A, Bivalacqua TJ, Ghanem H, Nehra A, Shamloul R. Priapism: pathogenesis, epidemiology, and management. J Sex Med. janv 2010 10.1111/j.1743-6109.2009.01625.x.
  2. Lue TF. Erectile dysfunction. N Engl J Med. 10/1056/NEJM200006153422407
  3. Burt FB, Schirmer HK, Scoot WW. A new concept in the management of priapism. J Urol. 2000; 10.1016/S0022-5347(17)65655-6.
  4. Wheeler GW, Simmons CR. Angiography in post-traumatic priapism : a case report. AJR. 1973; 10.2214/ajr.119.3.619.
  5. Bastuba MD, Saenz De Tejada I, Dinlec CZ et al. Arterial priapism: diagnosis, treatment and long term follow-up. J Urol. 1994 ; 10.1016/s0022-5347(17)35219-9.
  6. Volkmer BG, Nesslauer T, Kraemer S, Goerich J, Basche S, Gottfried HW. Prepubertal high-flow priapism : incidence, diagnosis and treatment. J Urol. 2001; 10.1016/s0022-5347(05)65909-5
  7. Hakim LS, Kulaksizoglu H, Mulligan R, Greenfield A, Goldstein I. Evolving concepts in the diagnosis and treatment of arterial high flow priapism. J Urol. 1996; 10.1016/s0022-5347(01)66444-9
  8. Tokue H, Shibuya K, Ueno H, Tokue A, Tsushima Y. Percutaneous direct puncture embolization with N-butyl-cyanoacrylate for high-flow priapism. Cardiovasc Intervent Radiol. 2016; 10.1007/s00270-016-1356-8
  9. Shapiro RH, Berger RE. Post-traumatic priapism treated with selective cavernosal artery ligation. Urology. 1997 ; 10.1016/s0090-4295(97)00045-9
  10. Ingram AL, Stillings SA, Jenkins LC. An Update on Non-Ischemic Priapism. Sexual Medicine Reviews. 2020; 8(1), 140–149. 10.1016/j.sxmr.2019.03.004.