Introduction
Les lombalgies aiguës, en raison de leur prévalence élevée et de l’incapacité qu’elles engendrent, sont un motif fréquent de recours aux soins de première ligne. Lorsqu’elles sont associées à une irradiation radiculaire typique, la cause la plus fréquente se révèle être une hernie discale lombaire entrant en conflit avec une racine nerveuse qui se résoudra spontanément dans la majorité des cas (environ 80 %) et ne nécessitera pas toujours d’examen complémentaire.
Nous décrivons ici un cas de lombo-cruralgie atypique provenant d’une hernie discale antérieure entrant en conflit, non pas avec une racine nerveuse, mais bien avec les structures musculaires adjacentes.
Cas clinique
Il s’agit d’un patient âgé de 43 ans initialement adressé au service des urgences par son médecin traitant pour l’apparition brutale de lombalgies avec irradiation au niveau proximal de la cuisse droite (cruralgie proximale).
La douleur est apparue 5 jours plus tôt de manière progressive après le port de charges lourdes sans évidence de mouvement traumatique précis. Un traitement conservateur bien conduit combinant le repos, la prise d’anti-inflammatoires et d’antalgiques de palier 1 et 2 n’a pas amélioré la situation.
Dans les antécédents significatifs nous retenons des lombalgies aiguës répétées et une cure de hernie discale L5-S1 sans arthrodèse. Le patient est sportif et ne présente pas de surpoids.
L’examen clinique ne montre pas de boiterie, on ne note pas de déformation du membre ni d’attitude scoliotique. Le testing neurologique est rassurant sur le plan sensitivo-moteur. On ne relève pas de signe de Lasègue ou de signe de Léri. La palpation des épineuses postérieures et des masses musculaires paralombaires est indolore.
Seule la palpation du grand trochanter droit ainsi que l’étirement des muscles adducteurs de la cuisse provoquent une gêne.
Devant l’hyperalgie du patient et l’antécédent de hernie discale lombaire, un bilan iconographique est réalisé en externe.
L’examen tomodensitométrique de la colonne lombaire met en évidence une hernie discale ventro-latérale et ascendante droite en provenance du disque L1-L2 avec effet de masse sur le pilier diaphragmatique et la racine du muscle psoas (Figure 1).
L’examen est complété par une résonnance magnétique (IRM) confirmant une expulsion du nucleus pulposus au versant latéral droit de l’espace L1-L2 qui refoule la partie proximale du psoas droit (Figure 2).
Lors de son suivi en consultation en chirurgie du rachis, devant la bonne gestion de la douleur par un traitement médicamenteux et un examen clinique stable, nous retenons le choix d’un traitement conservateur.
Après 1 mois, l’évolution est tout à fait favorable avec une douleur en nette diminution qui n’est retrouvée qu’à l’étirement du muscle psoas. Le patient est autorisé à reprendre le sport de manière progressive après 2 mois, date à laquelle il est presque asymptomatique et ne prend plus d’antalgiques. Un contrôle iconographique par IRM est organisé à 4 mois de l’épisode et ne montre pas d’évolution significative de l’imagerie hormis un pincement discal plus marqué en L1-L2 (Figure 3).
Discussion
Les lombalgies et maux de dos sont des motifs de consultation extrêmement fréquents dans les soins de première ligne ainsi qu’au sein des départements d’urgences ou des consultations spécialisées. On estime leur prévalence à 12 % (près de 40 % de prévalence sur 1 an) dans la population et leur impact sur la qualité de vie et l’économie est majeur (1, 2).
En raison du nombre important d’étiologies possibles (Tableau 1) (3,4), faire la distinction entre des lombalgies bénignes ou des causes plus graves nécessitant une prise en charge rapide est difficile lors d’une première consultation et entraine un recours de plus en plus important aux examens d’imagerie médicale.
Bien que la prévalence d’étiologies urgentes soit limitée (3-6), il est couramment admis que la recherche systématique de red flags doit servir de base au clinicien pour prendre la décision d’investiguer ou non une lombalgie aiguë.
Il est toutefois nécessaire de garder à l’esprit qu’en raison de leur sensibilité et spécificité faible prise de manière isolée, c’est leur combinaison et le contexte clinique qui doit alerter le praticien (5,7).
En l’absence de facteur de risque, il n’est actuellement pas recommandé de pratiquer d’examen complémentaire pour une lombalgie isolée (3, 5, 7).
La hernie discale lombaire (HDL) fait partie des causes courantes de lombalgies associées ou non à une irradiation radiculaire (8).
En considérant qu’environ 80-90 % des hernies discales répondront à un traitement conservateur (8) et que l’examen clinique n’a qu’une faible valeur diagnostique (9, 10), le rôle principal du clinicien est de déterminer si la clinique justifie un traitement spécifique et donc un examen complémentaire en imagerie médicale.
Pour se faire, outre l’examen clinique neurologique et la recherche de signe de gravité tels que des déficits neuromusculaires qui justifieraient une prise en charge urgente, des facteurs prédictifs de réponse au traitement peuvent être évalués tels que l’intensité de la douleur, la durée des symptômes, le niveau métamérique atteint ou encore les facteurs psycho-sociaux associés (11, 12).
L’examen complémentaire de choix pour la mise au point d’une HDL est l’IRM (3, 8) : de fait, en plus d’être non invasive et non irradiante, elle offre une meilleure définition des rapports anatomiques de la hernie et de son caractère compressif ou non par rapport au CT-scan. L’IRM permettra d’identifier le niveau atteint et fera la différence entre « bombement discal », protrusion, hernie vraie ou séquestre (13).
Il faut toutefois garder à l’esprit qu’un nombre important de patients asymptomatiques présentent des images d’HDL et que des patients souffrant de lombalgie avec irradiation radiculaire n’ont pas toujours d’HDL à l’IRM. La concordance radio-clinique est donc primordiale avant d’envisager un traitement invasif (14).
Le traitement conservateur propose une médication à base d’antalgiques et anti-inflammatoires non stéroïdiens associée à de la kinésithérapie. La place des infiltrations par corticostéroïdes et sa valeur ajoutée au traitement est encore controversée (5, 7, 8, 15).
En dehors des cas de compressions neurologiques nécessitant une chirurgie urgente, les discectomies ou microdiscectomies chirurgicales sont à réserver à des cas bien choisis.
En effet, les patients chez qui l’IRM concorde avec la clinique et chez qui les douleurs sont présentes depuis au moins 6 semaines montrent une amélioration significative avec chirurgie par rapport au traitement conservateur (16). Par ailleurs, d’autres facteurs anamnestiques comme la durée des symptômes ou des facteurs psycho-sociaux ont montré une valeur prédictive significative sur la réponse au traitement et doivent être pris en compte avant de choisir la stratégie thérapeutique (11, 12). Les HDL hautes ont également tendance à être de moins bon pronostic (17).
Le cas décrit plus haut montre une variante rare de hernie discale qui, au lieu de se produire dans la direction postérieure habituelle, se projette au niveau antérolatéral du corps vertébral. De fait, si les observations cliniques tendent à décrire un nombre plus important d’hernies latérales au niveau lombaire supérieur comparativement aux hernies L4-L5 et L5-S1 qui sont le plus souvent postéro-médianes (18), les hernies ventrales sont peu décrites dans la littérature. Notre recherche dans les bases de données médicales n’a mis en évidence qu’un seul cas similaire (19).
La topographie particulière de cette hernie a la particularité d’offrir une clinique atypique. Celle-ci regroupe une lombalgie classique, pouvant être en lien avec l’innervation de l’annulus discal, et une cruralgie, qui n’est pas dépendante de la compression neurologique ici, mais bien de l’irritation musculaire engendrée. Les examens neurodynamiques tels que le signe de Lasègue se révèlent donc tout à fait négatifs alors que les manœuvres d’étirement musculaire et la mise en tension du muscle psoas réveillent la douleur.
Par ailleurs, au vu de la bonne réponse au traitement médicamenteux, le choix d’un traitement conservateur a été retenu et les consultations de suivi montrent une évolution en adéquation avec l’histoire naturelle de la plupart des hernies discales qui involuent de manière spontanée.
Conclusion
Les lombalgies aigues sont une cause fréquente de consultation aux urgences ou en médecine de première ligne.Lorsqu’elles sont isolées, elles sont souvent bénignes et ne nécessitent pas d’investigation, l’anamnèse et l’examen clinique doivent cependant toujours rechercher des signes de gravité.
Lorsqu’elles sont dues à une hernie discale, celles-ci peuvent avoir une topographie variable et être associées ou non à une radiculalgie. Leur prise en charge reste conservatrice dans la grande majorité des cas. Les hernies ventrales telles que décrites ici semblent y répondre de manière similaire bien que peu de cas soient rapportés dans la littérature.
Affiliations
Cliniques universitaires Saint-Luc, Service de Chirurgie orthopédique, UCLouvain, B-1200 Bruxelles
Correspondance
Dr. Olivier Raskin
Cliniques universitaires Saint-Luc
Service de Chirurgie orthopédique
Avenue Hippocrate 10, B-1200 Bruxelles
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