Scores pronostiques pour les patients ayant une infection à COVID-19 avérée ou suspectée dans les services d'urgence
Delphine Douillet (1,2), Martin Hachez (3), Anne-Charlotte Dekeister (3) pour le groupe d’étude HOME-CoV
Affiliations
1. Département de Médecine d’Urgence, CHU Angers, UNIV Angers ; Angers, France.
2. UMR MitoVasc CNRS 6015 - INSERM 1083, Faculté de sciences, UNIV Angers ; FCRIN, INNOVTE; Angers, France.
3. Service des urgences, Cliniques universitaires Saint-Luc, Université catholique de Louvain, Bruxelles, Belgique.
La pandémie à SARS-CoV-2 a bouleversé notre système de santé entraînant une augmentation des demandes de lits d’hospitalisation et une pénurie de matériel médical dans le monde.
Identifier les patients à faible risque d’évolution défavorable pouvant être pris en charge en ambulatoire des patients à haut risque d’évolution défavorable nécessitant une surveillance en soins continus constitue un enjeu majeur.
De nombreux scores pronostiques ont été développés dans le cadre de cette infection virale : 4C mortality score, COVID-19 GRAM, qCOVID Severity Index (1-3) mais ne sont actuellement pas recommandés. Une récente revue systématique de la littérature, menée en collaboration avec le groupe « Cochrane sur les méthodes pronostiques à propos du COVID-19 », révèle que tous les modèles pronostiques actuels présentent un risque élevé de biais d’information et méthodologiques (4). Les auteurs recommandent des directives méthodologiques afin d’éviter l’utilisation de modèles prédictifs peu fiables et potentiellement nuisibles dans l’orientation de la décision clinique, en particulier, i) de construire des modèles de prédiction basées sur la littérature existante et sur un consensus d’experts plutôt que de sélectionner les items d’une manière purement basée sur les données, ii) de développer et de valider le modèle sur un ensemble de données représentatif de la population cible dans laquelle ce score s’appliquera (4).
e plus ces scores ont été développés dans l’objectif d’identifier les patients à hauts risques nécessitant des soins en réanimation, sur des bases de données de patients hospitalisés et comprennent des éléments biologiques et/ou d’imagerie ce qui en limite l’utilisation en 1ère ligne. A ce jour, aucun modèle n’a été validé prospectivement.
Dans l’objectif de définir des critères fiables pour guider la décision de prise en charge en ambulatoire ou en hospitalisation des patients se présentant aux urgences pour une infection à SARS-CoV-2 avérée ou suspectée, un consensus d’experts belgo-français a élaboré la règle HOME-CoV composée de 8 items cliniques (5).
Dans une étude prospective multicentrique de type avant/après (3000 patients), la règle HOME-CoV a été validée et a identifié un sous-groupe de patients à faible risque d’évolution défavorable pouvant être traités à domicile en toute sécurité. Durant la phase observationnelle, le médecin décidait librement de l’orientation du patient tandis que durant la phase interventionnelle cette décision était guidée par la règle HOME-CoV. Le critère de jugement principal était l’évolution défavorable de la maladie : recours à une ventilation assistée invasive ou décès endéans les 7 jours suivant l’inclusion.
La règle HOME-CoV était négative chez 41.3% dans patients. Le taux de faux négatifs était de 0,32 % (IC à 95 % : 0,13 à 0,84 %)et l’AUC était de 80,9 (IC à 95 % : 76,5 à 85,2). L’impact de l’application de la règle a été évalué après ajustement par score de propension : à 7 jours, 25/1274 (1,95%) patients ont évolué vers une COVID-19 sévère durant la période d’observation contre 12/1274 (0,95%) durant la période d’intervention (différence -1,00 % (IC 95 % : -1,86 à -0,15 %)). Durant la période d’observation, 858 (67,35%) patients ont été traités à domicile contre 871 (68,37%) patients durant la période d’intervention : 1,05 % (IC 95 % : -4,46 à 2,26 %). Cette étude a validé la fiabilité de l’utilisation de la règle HOME-CoV quant à la décision d’orientation du patient. Cette règle comprend 8 items cliniques simples à recueillir et à utiliser en Médecine d’Urgence, mais aussi en Médecine Générale et en Infectiologie.
Après une évaluation clinique rapide aux urgences, plus d’un tiers des patients suspects ou confirmés atteints de la COVID-19 ont une règle HOME-CoV négative et peuvent être traités à domicile en toute sécurité avec un risque très faible de complication.
Références
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- Wynants L, Van Calster B, Collins GS, Riley RD, Heinze G, Schuit E, et al. Prediction models for diagnosis and prognosis of covid-19: systematic review and critical appraisal. BMJ. 2020 Apr 7;m1328.
- Douillet D, Mahieu R, Boiveau V, Vandamme Y-M, Armand A, et al. Outpatient management or hospitalization of patients with proven or suspected SARS-CoV-2 infection: the HOME-CoV rule. Intern Emerg Med [Internet]. 2020 Sep 4 [cited 2020 Sep 8]; Available from: http://link.springer.com/10.1007/s11739-020-02483-0.
Prise en charge du patient traumatisé sévère : procédure CODE Trauma interdisciplinaire
Maximilien Thoma
Affiliations
Service des urgences et service de chirurgie et transplantation abdominale, Cliniques universitaires Saint Luc
Les traumatismes représentent une cause majeure de mortalité, de morbidité et de perte fonctionnelle temporaire voire permanente résultant des lésions encourues (1). La prise en charge adéquate du patient traumatisé est d’emblée multidisciplinaire étant donné l’atteinte multisystémique potentielle. Il a été démontré qu’une prise en charge systématisée selon des protocoles préétablis améliorait significativement la survie et le pronostic des victimes (2).
Un récent rapport du centre fédéral d’expertise (KCE) confirme ces données et propose d’organiser la prise en charge des patients traumatisés graves autour de centres experts appelés “Major Trauma Centers” (3). Au vu de l’absence à ce jour de reconnaissance officielle de ce type d’infrastructure en Belgique, les Cliniques universitaires Saint-Luc (CUSL) se sont lancées dès 2017 dans l’organisation d’une filière de prise en charge des patients traumatisés dans le cadre du projet Trauma Center. Une certification internationale en tant que Trauma Center Suprarégional selon les critères de la société Allemande de traumatologie (Deutsche Gesellschaft für Unfallchirurgie, DGU) a été obtenue dans ce contexte. Cette filière comprend la prise en charge diagnostique et thérapeutique pré hospitalière, au service des urgences, en radiologie, au quartier opératoire, aux soins intensifs ainsi que dans les unités d’hospitalisation jusqu’à la réadaptation au long cours.
L’accueil du patient traumatisé au service des urgences, est organisé selon une procédure codifiée appelée “CODE Trauma”. Dès l’annonce par l’équipe pré hospitalière de l’arrivée d’un patient répondant à des critères physiologiques, lésionnels ou de mécanisme lésionnel, le “CODE Trauma” est déclenché. Un appel unifié met en alerte sur leur téléphone de fonction une équipe médico-infirmière qui se rassemble et se prépare à l’accueil du patient dans le secteur de réanimation du service.
Le Trauma Team de base se compose de 3 médecins urgentistes, 3 infirmiers spécialisés SIAMU et 1 technologue en imagerie médicale. En cas d’instabilité physiologique ou de lésions cliniques plus sévères, le CODE Trauma est élargi et l’équipe est complétée par un chirurgien viscéral, un orthopédiste-traumatologue, un anesthésiste, un intensiviste et un radiologue. (Tableau 1) Le rôle de chacun ainsi que sa position autour du patient sont prédéfinis. La prise en charge est coordonnée par un médecin urgentiste senior, le “Trauma Team Leader”. Celui-ci veille à son bon déroulement, assure la communication dans l’équipe et prend les décisions critiques.
Le quartier opératoire est également mis en alerte en cas de CODE Trauma élargi. Une salle d’opération polyvalente est mise à disposition et un chariot d’instruments chirurgicaux spécifique pour une intervention urgente est toujours prêt à être utilisé. Le Trauma Center des CUSL participe au registre international “Trauma register DGU”, qui constitue la plus grande base de données de patients traumatisés en Europe. Ceci a permis de positionner les CUSL par rapport à plus de 700 autres institutions participantes. Le 1e audit externe, dans le cadre du registre a eu lieu en 2020 et montre des résultats de prise en charge aux CUSL comparables ceux des autres grands centres européens tant sur le plan épidémiologique qu’en terme de qualité de soins.
L’organisation de la prise en charge du patient traumatisé selon un protocole préétabli et dans une logique de filière de soins multidisciplinaire permet d’assurer une haute qualité de prise en charge du patient et d’améliorer la fluidité des collaborations interdisciplinaire ainsi que la satisfaction des soignants.
Références
- Injuries and violence: the facts. World Health organization 2014
- Navarro S, Montmany S, Rebasa P, Colilles C, Pallisera A. Impact of ATLS Training on Preventable and Potentially Preventable Deaths. World J Surg. 2014 Sep;38(9):2273-8
- Farfan-Portet M I, Dubois C, Mistiaen P, Cordon A, Stordeur S, Van Den Heede K. Towards an inclusive system for major trauma. Health Services Research (HSR) Brussels: Belgian Health Care Knowledge Centre (KCE). 2017. KCE Reports 281. D/2017/10.273/04.
La place du Penthrox® aux urgences en 2020 ?
Charles Grégoire, Laure Levenbergh, Rosen Cren
Le méthoxyflurane (Penthrox®) (1) est un anesthésiant volatile du groupe des hydrocarbures fluorés. Il a été utilisé dans les années 1960 en anesthésie générale, mais fût rapidement abandonné suite à une néphrotocixité grave aux doses anesthésiques. En 1980, il revint à des doses antalgiques, non néphrotoxiques, sous forme d’un dispositif d’auto-administration. Son utilisation a longtemps été limitée au préhospitalier en particulier en Océanie ; ce n’est que récemment qu’il est arrivé sur le marché européen pour le traitement des douleurs modérées à sévères d’origine traumatique. Il connaît depuis un succès grandissant en médecine d’urgence. Il se présente sous forme d’un flacon de liquide placé sur un inhalateur (Figure 1). Sa vapeur est inhalée par le patient. Il est très lipophile et son effet antalgique est rapide (temps médian de 4 minutes) et dure environ 30 minutes. L’effet sédatif est léger grâce à l’administration discontinue gérée par le patient. Le risque d’exposition passive au médicament est faible grâce à une chambre expiratoire qui absorbe plus de 86 % du gaz expiré. Les effets secondaires les plus souvent rapportés sont mineurs : nausée, vertige et somnolence. À la dose maximale (6 ml/24 h, équivalent de deux flacons de méthoxyflurane) on arrive à une « Minimal Alveolar Concentration » de 0,59 par heure qui est bien en dessous des doses néphrotoxiques (2 MAC/heure). Son efficacité par rapport au placébo est démontrée (2), le débat actuel portant sur le gain potentiel par rapport au traitement standard en termes de coût efficacité.
L’année 2020 nous a apporté en partie une réponse grâce à 4 études.
La première étude (inMEDIATE) (3) est une étude randomisée ouverte, multicentrique comparant l’efficacité antalgique du méthoxyflurane à celle d’un traitement antalgique standard (laissé à l’appréciation du clinicien) pendant les 20 premières minutes post antalgie. Parmi les 305 patients admis aux urgences pour une douleur modérée à sévère d’origine traumatique, l’utilisation du méthoxyflurane a permis d’obtenir une antalgie plus rapide (3 versus 10 minutes), et plus efficace (diminution de l’EN de 2,47 vs 1,39, 95% CI 0,84-1,32) qu’un traitement « standard ». Cette conclusion doit être nuancée, car le méthoxyflurane permet une antalgie plus rapide, mais face à un traitement « standard », qui a été le plus souvent sous optimal ne suivant pas les recommandations internationales. Seuls 8,1 % des patients présentant une douleur sévère ont reçu des opioïdes intraveineux, 70 % n’ont reçu qu’un antalgique de palier 1.
La deuxième étude (RAMPED) (4) est une étude randomisée, ouverte, mono centrique, comparant la capacité du méthoxyflurane à celle du traitement standard à diminuer l’intensité de la douleur de plus de 50 % en 30 minutes. Parmi les 120 patients avec une douleur sévère traumatique ou non, aucun des deux groupes (Penthrox® vs contrôle) n’a pu rencontrer cet objectif principal. Toutefois, les auteurs concluent que l’utilisation du méthoxyflurane permet une meilleure antalgie à chaque temps de l’étude, car un plus grand nombre de patients dans le groupe Penthrox® a obtenu une diminution de 2 points ou plus sur l’EN (17 vs 5 % à 15 minutes et 25 vs 9 % à 30 minutes). Ici aussi le traitement « standard » du groupe contrôle était sous optimal (seuls 3 % des patients ont reçu de la morphine IV). D’autre part, les patients du groupe méthoxyflurane pouvaient recevoir d’autres antalgiques à la discrétion du soignant. Il en résulte que les patients des deux groupes ont reçu autant d’antalgiques de palier I (paracétamol 35 % vs 26,7 % (p 0,32), AINS 16,7 % vs 21,7 % (p 0,49)) que de palier III (oxycodone 11,7 % vs 16,7 % (p 0,43) et morphine IV 3,3 % vs 13,3 % (p 0,09)). C’est donc l’ajout de méthoxyflurane à un traitement « standard » sous optimal qui permet une meilleure antalgie.
La troisième étude (PenASAP) (5) est une étude randomisée, multicentrique, en double aveugle, placebo vs contrôle. Le traitement standard (laissé à la discrétion du soignant) était complété par du méthoxyflurane ou un placebo. L’objectif principal était de montrer la supériorité d’une antalgie multimodale pour obtenir le soulagement d’une douleur modérée à sévère d’origine traumatique. Parmi les 359 patients inclus, le temps médian d’antalgie efficace était de 35 minutes (95% CI-28-62) pour le groupe méthoxyflurane contre « non atteint » (95 % CI 92 -non atteint) pour le groupe standard. Un plus grand nombre de patients ont été soulagés dans le groupe méthoxyflurane (65 % versus 40 %), son efficacité est d’autant plus marquée que la douleur est sévère. L’idée d’une approche multimodale de la douleur est intéressante, mais on peut regretter que le traitement standard varie en fonction du centre d’inclusion et soit le plus souvent sous optimal au regard des recommandations (30 % des patients n’ont reçu aucun antalgique et seulement 1 % des patients ont reçu de la morphine IV en post triage).
La quatrième étude (MEDITA) (6) est une étude randomisée ouverte, multicentrique, comparant le méthoxyflurane à un traitement standard clairement défini par un protocole strict en accord avec les recommandations. Parmi les 270 patients âgés de plus de 65 ans se présentant pour un traumatisme. Le méthoxyflurane a permis un début d’antalgie plus rapide (9 minutes ; 95% CI : 7.8-10,2 min) comparé au traitement standard (15 min ; 95 % CI : 10.2 - 19.8 min). Par contre, l’intensité de la diminution de la douleur était identique dans les deux groupes.
À la lecture de ces études, on ne peut pas conclure que le méthoxyflurane permet une meilleure antalgie qu’un traitement standard optimal qui suit les recommandations.
Le méthoxyflurane a des propriétés intéressantes et une rapidité d’action supérieure à celle des traitements standards, mais au vu des résultats de ces premières études, et de son prix élevé, sa place dans l’arsenal antalgique reste à discuter. Nous proposons qu’il soit réservé à certaines situations particulières comme l’afflux important de victimes en médecine de catastrophe, les patients ayant présenté une intolérance ou une dépendance aux opiacés ou encore les patients chez qui une voie veineuse est difficile d’accès.
Références
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Développement de l’encadrement à l’échographie clinique, expérience aux CUSL en 2020
Florence Dupriez, MD, Bastian Rodrigues de Castro, MD
Affiliations
Service de Médecine d’Urgence, Cliniques universitaires Saint Luc, Bruxelles, Belgique.
L’Echographie Clinique de Médicine d’Urgence (ECMU) est un outil essentiel pour la prise en charge du patient nécessitant des soins aigus. Son utilité est démontrée par plusieurs études attestant de sa fiabilité pour étayer un diagnostic différentiel, cibler l’examen complémentaire adapté, choisir le traitement le plus approprié, ou encore guider une procédure invasive (1). L’ECMU est bien différente des échographies du radiologue, du cardiologue ou de l’obstétricien qui sont elles, descriptives, structurelles, complètes, globales et précises. L’ECMU s’intègre à l’examen clinique réalisé au lit du malade et s’inscrit dans la démarche diagnostique clinique initiale, se distinguant ainsi des examens complémentaires.
L’association des radiologues du Canada soulignait en 2019 que la complémentarité de l’ECMU et de l’échographie structurelle doit être bien comprise pour une utilisation rationnelle (2). Pour cette raison, les standards d’utilisation de l’ECMU doivent être solides et son enseignement axé sur plusieurs piliers. D’abord le développement de connaissances théoriques, ensuite le développement de connaissances pratiques, et enfin l’intégration dans l’examen clinique (3). En médecine d’urgence, les recommandations internationales pour la mise en place d’un cursus d’ECMU proposent deux niveaux de compétences (3). Un premier niveau, considéré essentiel pour la pratique clinique de chaque urgentiste. Ce niveau regroupe l’analyse visuelle des coupes cardiaques de base, la recherche d’un épanchement pleural ou péritonéal notamment dans le contexte du traumatisé sévère, la recherche d’un anévrysme de l’aorte abdominale, l’échographie pulmonaire clinique et la recherche d’une thrombose veineuse proximale (3). Un deuxième niveau propose un panel de sujets d’expertise en échographie clinique (3). Jusqu’il y a peu en Belgique, le manque de médecins formés en ECMU rendait difficile son enseignement au lit du malade. Une étude prospective observationnelle de 2020 portant sur l’intégration clinique de l’ECMU par des opérateurs formés à son utilisation souligne toutefois l’importance de l’encadrement en pratique clinique (4). C’est notamment pour cette raison que les urgences des Cliniques universitaires Saint-Luc ont mis sur pied un cours d’ECMU répondant aux critères internationaux et que des médecins certifiés encadrent les candidats spécialistes à son utilisation.
Une étude rétrospective américaine publiée en 2020, portant sur l’analyse de 667 cas référés pour une réunion de morbi-mortalité, suggère que, dans 45% des cas, l’utilisation de l’ECMU a, ou aurait, prévenu ou diminué la morbi-mortalité, et ce principalement pour les patients présentant des plaintes cardio-pulmonaire ou des signes vitaux anormaux (5). Bien que des études prospectives de plus grande envergure restent nécessaires pour analyser le retentissement direct de l’ECMU sur la morbi-mortalité, cette donnée est corrélée à la perception des urgentistes certifiés à l’utilisation de l’ECMU, l’intégrant dans leur pratique clinique (6).
Au stéthoscope du 19ème, s’ajoute actuellement celui du 21ème siècle qui consolide l’examen clinique aux urgences moyennant une formation certifiée et un maintien des connaissances par une formation continue.
Références
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- Goldsmith A, Shokoohi H, Loesche M, Patel R, Kimberly H, Liteplo A. Point-of-care Ultrasound in Morbidity and Mortality Cases in Emergency Medicine: Who Benefits the Most?. Western J Emerg Med. 2020;21(6).
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Optimalisation du recours à l’imagerie dans la suspicion d’embolie pulmonaire
Boris Germeau, Charlotte Steinier, Andrea Penaloza
Affiliations
Service de Médecine d’Urgence, Cliniques universitaires Saint Luc, Bruxelles, Belgique.
L’embolie pulmonaire (EP) reste un défi diagnostique aux urgences. La mortalité importante et les signes et symptômes peu spécifiques de la pathologie rendent classiquement la réalisation d’examens complémentaires nécessaire. La stratégie diagnostique actuelle est basée sur une approche bayésienne dans laquelle l’évaluation de la probabilité clinique (PC) constitue la 1ère étape (1). Cette évaluation peut se faire à l’aide d’un score (score de Wells, score révisé de Genève) ou par une méthode empirique (gestalt) en classant le patient en PC faible, modérée ou élevée. Elle joue un rôle clé dans l’interprétation des résultats d’examens complémentaires : dosage des D-Dimères et angioscanner thoracique.
Par ailleurs, au cours des dernières décennies la grande accessibilité à l’angioscanner, ainsi que les craintes médico-légales ont mené à une augmentation importante des examens réalisés. Ceci a entraîné une augmentation du nombre de diagnostics posés, au prix d’une diminution majeure de la prévalence d’examens positifs (environ 12% actuellement contre 30% dans les dernières décennies). Il convient surtout de noter que cette consommation de scanners, et augmentation des diagnostics posés, n'a pas eu d impact sur la mortalité secondaire à l’EP.
L’objectif est donc, aujourd’hui, d’optimaliser le recours à l’imagerie, en garantissant la sécurité pour nos patients. Pour ce faire, plusieurs stratégies ont été développées ces dernières années, par exemple : [1] l’adaptation du seuil de positivité des D-dimères à l’âge (âge x10) chez les patients de plus de 50 ans (ADJUST-PE) (2), [2] l’identification des patients à très faible PC ne justifiant aucun examen complémentaire par le score de PERC (3), [3] la simplification du score d’évaluation de la PC, combiné à des seuils de D-dimères adaptés selon les catégories de PC (YEARS) (4). Chacune de ces stratégies est basée sur une méthode différente d’évaluation de la probabilité clinique (PC), ce qui à priori en limite leur combinaison.
Récemment, le score 4-PEPS a été dérivé par une régression logistique dans l’objectif de proposer un score unique combinant ces stratégies, et de permettre une optimisation de l’utilisation des données cliniques, du dosage des D-Dimères, et surtout de réduire le recours à l’imagerie en toute sécurité pour le patient (5). La régression et la validation interne ont été effectuées sur une cohorte de 11.066 patients suspects d’EP, suivies de deux validations externes rétrospectives réalisées sur des cohortes de 1.548 patients et 1.570 patients. Le score 4-PEPS comprend 13 variables et 4 niveaux de probabilités (tableau 1).
Comparé à la stratégie diagnostique actuelle, l’application de ce score dans les deux cohortes externes aurait permis une réduction de l’utilisation du scanner de 22% et 19% respectivement, avec des taux de faux négatifs de 0.65% et 0.85%. Parmi ces faux négatifs, aucun cas d’EP fatale ou d’EP hémodynamiquement instable.
Le score 4-PEPS a été comparé aux nouvelles stratégies récemment proposées, son application aurait permis une réduction du dosage de D-dimères de 21-23% et de 5-29% des examens d’imagerie. La stratégie s’appuyant sur le score 4-PEPS semble réduire significativement le recours aux examens complémentaires, en maintenant la sécurité de la démarche diagnostique avec des taux de faux négatifs inferieurs aux 2% communément admis. Une validation prospective et interventionnelle est maintenant à réaliser afin de confirmer ces résultats. L’implémentation de scores et de stratégies plus complexes peut trouver de l’aide dans des outils de support digitaux. Nul doute que les années à venir verront également arriver l’aide de l’intelligence artificielle pour guider notre démarche diagnostique.
Références
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- Roy PM, Friou E, Germeau B, Douillet D, Kline J, Righini M, Le Gal G, Moumneh T, Penaloza A. Derivation and validation of a 4-level clinical pretest probability score for suspected Pulmonary Embolism to safely decrease imaging testing: 4PEPS (4-level Pulmonary Embolism clinical Probability Score). JAMA Cardiology accepted December 2020. In press.