Après « S’il te plaît ! Dessine-moi un stéthoscope », publié aux Éditions namuroises en 2009 et « Curieuse histoire de la médecine », publié aux Éditions Jourdan en 2019, Roger Detry reprend sa plume facétieuse pour un parcours alphabétique sur les sentiers de la Santé. Riche de son expérience des deux côtés de la barrière soignant-soigné et de l’observation de ses semblables, aidé de quelques auteurs convenables (Camus, Hérodote, Hippocrate, Illich, Musil, Molière…) notre auteur chirurgien, professeur émérite à l’UCL, se révèle une fois encore être un conteur hors pair, convive avec lequel une tablée ne s’ennuiera guère. A la fois paillard et tendre, on l’imagine sans peine régalant ses proches entre dessert et café par ses récits de salle de garde et autres lectures savantes, toujours ponctuées par une chute inattendue sur le sens de la vie, entre santé et maladie. Citant Shakespeare dans Macbeth, «la vie n’est qu’une ombre ambulante / un pauvre acteur qui cabotine et s’agite / durant son heure de scène / et dont on n’entend ensuite plus parler », ne serait-ce lui-même qu’il évoque avec pudeur, méditant sur « la santé, cet état précaire qui ne présage rien de bon1 » quand il remercie tous ceux qui lui ont permis de les soigner, et plus encore ceux qui ont pris le risque de le soigner.
1 Jules Romains
Entre ironie et gravité
Récit volontiers grivois, telle cette inénarrable collecte de synonymes du mot zizi entre bidule, quéquette, zizi-pan-pan, il adore surprendre sur sa véritable identité en clôturant de façon poétique que le « zizi est avant tout un oiseau bruant (passereau) au plumage noir et jaune, de la famille des Embérizidés. » Ironisant sur le traçage d’application durant l’acmé de l’épidémie de Covid-19, il réjouit les rieurs en citant Voltaire: « Paquette (un des personnages de Candide) tenait sa vérole d’un cordelier (moine franciscain) très savant qui l’avait eue d’une vieille comtesse, qui l’avait reçue d’un capitaine de cavalerie, qui la devait à une marquise, qui la tenait d’un page, qui l’avait reçue d’un jésuite qui, étant novice, l’avait eue en droite ligne d’un des compagnons de Christophe Colomb ».
D’une drôlerie grave, souvent désopilante comme lorsqu’il interroge une patiente : « Avez-vous mis le thermomètre madame ? Je ne mets jamais le thermomètre. Pour quoi faire, je n’ai jamais de température », il prolonge aussitôt le récit par une réflexion d’Hippocrate sur la vérité pas toujours bonne à partager. « On fera toute chose avec calme, adresse, cachant au malade la plupart des choses ; lui donnant avec gaieté et sérénité les encouragements qui conviennent ; ne lui laissant rien apercevoir de ce qui n’arrivera ni de ce qui menace ».
Il faut se méfier des comiques quand ils amusent l’assemblée. Derrière les rires et les contrepèteries se cachent souvent, et c’est le cas de notre estimé ami et collègue, le poids d’une vie confrontée aux échecs et réussites que procure le métier de médecin. On rit pour cacher les interrogations demeurées sans réponse, mais à la manière de Pagnol ce n’est pas la peine de le dire aux enfants.
Extrait
Secret médical
Secret le mieux protégé du monde, après celui de la confession. Secret confidentiel par définition depuis Hippocrate, partagé exclusivement avec le médecin traitant, le médecin référent, les médecins spécialistes impliqués, le médecin conseil de la mutuelle, le médecin de l’assurance complémentaire, par l’anesthésiste, le réanimateur, l’expert du Fonds des accidents médicaux (si nécessaire), les médecins amis de la famille (si pas les amis des médecins de la famille), l’INAMI (ou SÉCU), l’administration et la tarification de l’hôpital, les data managers, le registre de la maladie concernée. L’infirmière, le kiné, la diététicienne, l’aumônier, l’imam ou le rabbin, le plombier qui passait par hasard, l’interne de garde... Si quelqu’un a été oublié, qu’il m’en excuse, et qu’il ne s’inquiète pas. Le patient a tout étalé sur Facebook.