Consciente en tant que médecin du caractère pratiquement « épidémique » que revêt actuellement l’obésité, il n’est pas surprenant que j’ai été attirée, puis interpellée, par des œuvres reprenant des êtres vivants, humains ou non, un peu énigmatiques, plutôt ronds.
Quel regard poser, sachant, comme je l’ai souvent écrit, qu’une des vertus de l’art est de nous solliciter ?
Fernando Botero est un peintre et sculpteur Colombien, réputé pour ses personnages aux formes généreuses et voluptueuses.
Il a aujourd’hui 85 ans et vit entre la France, l’Italie et les Etats -Unis.
Mais c’est en Colombie que tout a commencé.
Botero naît en 1932 dans une famille modeste à Medellin, dans le nord de la Colombie. Il a 4 ans quand son père décède. C’est un oncle de meilleure fortune qui vient en aide à la famille.
Dans sa jeune enfance, Fernando est remarqué pour son habileté au football... . et à la danse. Eclectisme précaire….
Son oncle l’emmène voir les premières corridas à l’âge de 12 ans. Il s’inscrira même à une école taurine mais il en sortira rapidement, animé d’une peur tétanisante à l’égard d’animaux impressionnants…
Sa passion pour la peinture est devenue forte à l’âge de 18 ans et il abandonne l’école.
Il fait son chemin d’autodidacte appréciant particulièrement les muralistes mexicains. Il s’imprègne également du courant appelé le réalisme magique dont un membre de la mouvance littéraire, en la personne de Pablo Neruda, deviendra Prix Nobel de Littérature en 1971.
Il est attiré et conquis par les mystères de l’art précolombien …
Il parcourt les musées espagnols, italiens, français. Les œuvres de tous les Maîtres lui parlent : Goya, Picasso, Vélasquez. Il fréquente plusieurs académies étoffant au mieux ses talents.
Lors d’un voyage à New York en 1960, la directrice du MOMA lui achète une toile, « Mona Lisa à l’âge de 12 ans » :il est propulsé dans le monde des artistes à succès.
Une peinture de Botero, on la reconnait au premier coup d’œil grâce aux corps humains disproportionnés notamment, qui semblent gonflés à l’hélium, parfois jusqu’au grotesque. Les traits sont néanmoins précis.
Mais d’où vient cette façon de peindre ?
En partie de sa Colombie natale où ses yeux ont admiré les statues précolombiennes, aux formes exagérées jusqu’à l’outrance. Mais aussi, au mouvement littéraire et pictural du réalisme magique qui essaye de montrer l’irréel ou l’étrange comme quelque chose de quotidien ou commun. L’objectif premier n’est pas d’éveiller l’émotion, mais de montrer la réalité sous un autre jour : les proportions revisitées ouvrent d’autres perspectives, inattendues au premier coup d’œil.
A la fin d’une journée de travail, Botero prit un crayon afin de dessiner une mandoline très ample mais au moment de finaliser le trou de l’instrument il le fit beaucoup trop petit. C’est ainsi qu’il prit conscience que les proportions peuvent sublimer les objets.
Chez Botero tout est gros, les dames, les messieurs. C’est une orgie d’obésité. Botero n’aime pas le terme « gros ». Il préfère dire volumétrique. Le volume est une exaltation de la vue, de la sensualité.
On ne peut qu’observer l’effet positif qu’exerce une œuvre de Botero quand on la regarde : on sourit, on rit, on s’amuse. L’atmosphère éthérée nous renvoie une fraîcheur qui laisse entrevoir un je ne sais quoi, de gracieux, de léger. Nous nous surprenons à percevoir une douceur invisible.
Le tableau repris ci-dessus « Danse en Colombie « (1980) est une scène typique de la vie Colombienne.
Chez ces danseurs, le cou est à peine visible, les cuisses sont énormes.
Un petit orchestre est installé au fond de la salle de bal. Les 7 musiciens sont serrés les uns contre les autres. Deux petits danseurs au premier plan surprennent par un dynamisme défiant leur corpulence. Irrél ? Peut-être ; toutefois, je vous invite à visionner sur YOUTUBE le remarquable spectacle de danse créé par Maguy Marin, intitulé « Groosland » ; l’oeuve picturale de Botero s’anime soudain sous nos yeux, admiratifs et enchantés.
La rondeur systématique des formes permet une harmonie du tableau. Le style de coiffures, des vêtements, le choix des couleurs de l’ensemble rendent compte d’une certaine nostalgie et évoquent la jeunesse de l’artiste dans son pays natal.
Mais Botero n’est pas un reporter. Regardez les instruments n’ont pas de corde. Son instrument de prédilection, la mandoline, se trouve à droite de la toile. Le trou de la Mandoline est tout petit.
Avec Botero, le réel semble autre et on fait sien l’aphorisme suivant : « Big is beautiful ; une femme ronde peut être belle et glamour ».
Ouverture sur une belle altérité ?
A méditer