Cas clinique
Madame D, âgée de 59 ans, se présente à la consultation d’ORL en mars 2022, envoyée par son médecin traitant.
En août 2021, elle consulte son médecin généraliste pour une tuméfaction cervicale gauche apparue quelques jours auparavant, non douloureuse, rénitente à la palpation et sans notion de traumatisme local. Madame D est non fumeuse et prend exceptionnellement de l’alcool.
L’échographie réalisée dans le décours de cette première consultation évoque un hématome de la glande sous-maxillaire gauche.
Compte-tenu de la persistance de la tuméfaction, une deuxième échographie est réalisée en octobre 2021 ; elle objective une masse latéro-cervicale gauche hypoéchogène à contenu liquidien mesurant 24 x 39 x 36 mm, sans ganglion associé.
Fin décembre 2022, la patiente réalise une IRM cervicale qui confirme une masse cervicale rétro-mandibulaire gauche, en dedans de la partie inférieure de la parotide et en arrière de la glande sous-maxillaire. Cette masse, mesurant 27 x 17 mm, étant en hypo-signal T1, hypersignal T2, discrètement hétérogène, sans rehaussement franc sous gadolinium avec un discret hypersignal en diffusion, évoque en premier hypothèse un kyste du deuxième arc branchial, potentiellement infecté. Il n’y aucun argument en faveur d’une lésion expansive oropharyngée.
Une cytoponction de la lésion est réalisée dans le décours de l’IRM : celle-ci objective un frottis richement cellularisé avec la présence de nombreux macrophages spumeux et de cellules inflammatoires. Une immunohistochimie, utilisant des anticorps anti-cytokératine 14 afin de détecter une éventuelle différentiation épidermoïde, est effectuée et revient négative.
Devant ce tableau de kyste cervical rassurant au vu des différents examens réalisés, l’exérèse de la lésion est effectuée par cervicotomie sous anesthésie générale. L’intervention se déroule sans particularité avec un examen macroscopique retrouvant une lésion kystique banale, assez volumineuse, souple, sans adénopathie de voisinage.
L’examen anatomo-pathologique de la lésion révèle une structure kystique de 3,2 cm, bordée par un épithélium épidermoïde néoplasique avec un immunomarquage cytoplasmique p16 intense dans les cellules tumorales, sans rupture capsulaire et dont la résection est complète.
Il s’agit donc, en première hypothèse, d’une métastase ganglionnaire kystique d’un carcinome épidermoïde p16 positif de la sphère tête et cou.
Devant ce tableau, la recherche d’une lésion primitive s’impose. A l’examen clinique, les moignons amygdaliens sont sans particularité, la patiente ayant bénéficié d’une amygdalectomie dans le passé.
La fibroscopie nasopharyngée met en évidence une voussure de la base la langue à gauche sans ulcération.
Le Pet-scan réalisé montre un comblement tissulaire situé postérieurement par rapport à la glande sous-maxillaire, modérément captant et dont l’origine inflammatoire post-opératoire est plausible.
Par contre, le CT-Scan cervical objective quant à lui une hypertrophie de la base de langue gauche suspecte.
Une endoscopie des voies aéro-digestives supérieures sous anesthésie générale est alors réalisée rapidement avec un examen minutieux de l’oropharynx, en particulier de la base de la langue et l’amygdale gauche. Celui-ci retrouve un bombement sous-muqueux au niveau de la base de langue, sans ulcération. Le contact avec l’endoscope rigide provoque un saignement et de multiples biopsies sont prélevées à ce niveau.
L’examen anatomo-pathologique révèlera la présence d’une carcinome épidermoïde infiltrant p16 positif de la base de langue et de l’amygdale gauche.
Le cas de cette patiente a ensuite été discuté en concertation multidisciplinaire des tumeurs de la tête et du cou et Madame D bénéficiera d’un traitement par radiothérapie complémentaire délivré sur plusieurs semaines.
Discussion
Toute lésion cervicale kystique au-delà de 40 ans est suspecte.
Les carcinomes épidermoïdes oropharyngés HPV-induits se présentent souvent par une petite lésion primitive (petit T) avec une volumineuse adénopathie kystique (grand N), qu’il faut absolument rechercher au niveau de l’oropharynx (base de langue et amygdale palatine).
Les Human Papilloma Virus (HPV) sont des virus dont le génome est constitué d’une molécule d’ADN double brin circulaire. Certains sérotypes ont un tropisme muqueux et sont considérés comme étant à « haut risque » de transformation maligne après plusieurs années (HPV 16 et 18 le plus souvent). Ceux-ci sont bien connus dans la carcinogenèse des cancers du col de l’utérus, moins dans celle des carcinomes épidermoïdes de l’oropharynx.
L’infection par ce virus atteint la couche basale de l’épithélium de l’oropharynx. Or, l’épithélium de l’amygdale et de la base de la langue est caractérisé par des invaginations cryptiques exposant les cellules basales, cible préférentielle du virus HPV. Cette structure histologique particulière expose préférentiellement l’oropharynx à un risque plus élevé d’infection par HPV par rapport au reste de la muqueuse des voies aéro-digestives supérieures, recouverte par un épithélium squameux stratifié plus épais.
En cas de découverte d’une lésion cervicale kystique chez un adulte, un bilan radiographique et une cytoponction avec immunohistochimie p16 est impérative. Si ce bilan révèle une adénopathie p16 positive, un bilan d’extension complet doit impérativement être réalisé, à la recherche d’une lésion primitive HPV- induite. En effet, la découverte d’une lésion primitive augmente très nettement la survie des patients. Ce bilan comprend une IRM de l’oropharynx, un PET-CT et une endoscopie des voies aéro-digestives supérieures sous anesthésie générale. Si ce bilan reste négatif et qu’aucune lésion macroscopique n’est objectivée à l’endoscopie, une amygdalectomie palatine du côté de l’adénopathie est indiquée. Des études récentes démontrent que la réalisation de biopsies étagées à ce niveau est une technique très inférieure en termes de détection et ne doit plus être considérée. La pertinence d’une exérèse de la base de langue homolatérale est étudiée actuellement avec des résultats préliminaires très encourageants.
La survie et le pronostic des patients présentant des carcinomes épidermoïdes HPV-induits de la sphère tête et cou sont nettement meilleurs que la population présentant des lésions épidermoïdes classiques induites par l’alcool et le tabac.
Les cancers oro-pharyngés liés au virus HPV touchent une population plus jeune que les cancers associés à une intoxication alcoolo-tabagique. Ils sont essentiellement dus à des facteurs de risque sexuels.
Les cancers liés à une consommation tabagique excessive, éventuellement associés à l’usage d’alcool, présentent de nombreuses altérations génétiques, notamment des mutations du gène TP53, avec des champs de cancérisation étendus, expliquant un taux de récidives et d’apparition de nouvelles lésions plus élevé que les carcinomes oropharyngés HPV induits.
Enfin, l’incidence de cancers oropharyngés associés au virus HPV est en constante augmentation aux USA et en Scandinavie (>50% des cancers épidermoïdes oropharyngés actuellement), alors que les autres cancers non liés à l’HPV sont en diminution et ce grâce à une nette diminution de la consommation de tabac.
RECOMMANDATIONS PRATIQUES
Toute lésion kystique cervicale survenant après 40 ans doit être considérée comme suspecte et faire l’objet d’une prise en charge urgente.
Celle- ci doit faire l’objet d’investigations complémentaires : CT-Scan cervical et une cytoponction écho-guidée avec immunohistochimie p16, à la recherche d’HPV16.
Si le CT et/ou l’écho-cytoponction démontrent une lésion suspecte, un bilan d’extension exhaustif doit être réalisé rapidement, comprenant une IRM cervicale, un PET-Scan et une endoscopie sous anesthésie générale avec biopsies multiples ou exérèse de l’amygdale palatine homolatérale si aucune lésion suspecte n’est objectivée.
Affiliations
1. Clinique St-Jean, B-1000 Bruxelles, Chef de Service ORL et de Chirurgie cervico-faciale
2. CHU UCL Namur - Site Godinne et Dinant, Chef du Service d’ORL et de Chirurgie cervico-faciale
Correspondance
Dr Daniel Moens
Clinique St Jean
Chef de Service ORL et de Chirurgie cervico-faciale
Bvd du Jardin Botanique
B-1000 Bruxelles
Références
- Haddad RI, Brockstein BE, Brizel DM, Fried MP, Shah S. Epidemiology, staging and clinical presentation of human papillomavirus associated head and neck cancer. 2022.
- Palefsky JM, Hirsch MS, Bogorodskaya M.Human papillomavirus infections : epidemiology and disease associations. 2022.
- Norregaard C, Gronhoj C, Jensen D, et al. Cause-specific mortality in HPV+ and HPV- oropharyngeal cancer patients; insights from a population-based cohort. Cancer Med. 2018.
- Zumlstg ZS, Cool-Wiens G, Yoshida E, et al. Incidence of Oropharyngeal Cancer Among elderly Patients in the United States. JAMA Oncol. 2016.
- Carpen T, Sjöblom A, Lundberg M, et al. Presenting symptoms and clinical findings in HPV-positive and HPV-negative oropharyngeal cancer patients. Acta Otolaryngol. 2018.