Intoxication volontaire massive au mercure élémentaire

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Caroline Vincent (1), Thalia de Ruffi (1), Wolfgang Schuller (2), Denis Hers (3), Anne Toussaint (3) Publié dans la revue de : Décembre 2023 Rubrique(s) : Psychiatrie
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Résumé de l'article :

Nous rapportons le cas d’un patient de 40 ans qui a eu recours au mercure élémentaire pour se suicider. Il en a ingéré volontairement 100 mL. Cette modalité de tentative de suicide est peu commune. Dans cet article, nous présentons tout d’abord les différentes conséquences à court et à long terme. Ensuite, nous insistons sur l’importance d’une nécessaire anticipation de la part des soignants quant à la récolte du mercure éliminé suite à ce type d’intoxication afin d’éviter une pollution de l’environnement et ses lourdes conséquences. Enfin, nous évoquons la nécessité d’un travail de collaboration entre les médecins somaticiens et psychiatres qui prennent en charge le patient afin de limiter au maximum les dégâts directs et collatéraux au sein des services hospitaliers concernés par l’accueil de ce patient.

Que savons-nous à ce propos ?

L’intoxication volontaire au mercure élémentaire par ingestion est rare. L’élimination du mercure, après ingestion, se fait principalement via les selles et par excrétion accessoire dans les urines, alors qu’une très faible partie est excrétée dans l’air expiré. L’élimination du mercure mène à des conséquences très importantes à court terme avec un risque d’inhalation qui est, contrairement à l’ingestion, très toxique. Dans la littérature, nous constatons que divers moyens thérapeutiques sont mis en œuvre en fonction des différentes situations d’intoxication au mercure.

Que nous apporte cet article ?

Nous rapportons une étiologie peu répandue de tentative de suicide avec des conséquences à court et à long termes. Le caractère peu commun de cette tentative de suicide est lié à la toxicité au long cours pour le patient. En outre, cet article informe des conséquences majeures de l’ingestion du mercure élémentaire liées à son excrétion et son élimination. Il met en évidence les conséquences médicales, institutionnelles et relatives à la santé publique d’une intoxication massive au mercure élémentaire.

Mots-clés 

Mercure, toxicité, ingestion, intoxication volontaire, psychiatrie, santé publique

Article complet :

Introduction

Le mercure existe sous trois formes : élémentaire, inorganique et organique.

Le mercure élémentaire ou mercure métallique (Hg°) est un élément argenté, brillant et liquide à température ambiante. Il est très dense (13,6 g/mL), très mobile et presque insoluble dans l’eau. C’est la forme de mercure que l’on retrouve dans les anciens thermomètres, utilisé pour ses propriétés de dilatation. Le mercure inorganique est la combinaison du mercure élémentaire avec d’autres éléments comme le soufre, le chlore ou l’oxygène, ce qui forme des sels de mercure. Les composés organiques du mercure sont ceux contenant une liaison covalente entre atomes de mercure et de carbone ; dont un représentant particulièrement toxique est le méthylmercure (CH3Hg+). Dans l’environnement (essentiellement en milieux aqueux), le mercure métallique et les sels de mercure sont méthylés par des microorganismes en méthylmercure qui s’accumule dans les poissons et les crustacés.

Vu que ce cas clinique rapporte une exposition au mercure élémentaire, les autres formes de mercure ne seront plus abordées.

Le mercure élémentaire a la particularité d’être un liquide volatil à température ambiante (dès 20°C) ; il émet des vapeurs inodores et incolores. En cas d’inhalation des vapeurs, l’absorption du Hg° est rapide et élevée (jusqu’à 80% de la quantité inhalée) et est suivie d’une large distribution dans l’organisme. Hg° franchit facilement les barrières membranaires dont les barrières hémato-encéphalique, pulmonaire, érythrocytaire et placentaire. Très rapidement, il est oxydé en ions mercure (Hg2+) qui ne franchissent pas avec la même facilité les membranes biologiques, ce qui peut être à l’origine d’une rétention dans différents tissus. Seulement une faible quantité du Hg° inhalé est éliminée dans l’air expiré, le Hg° absorbé est essentiellement excrété via les urines et les selles. En fonction de l’importance de l’exposition, l’inhalation de Hg° peut entraîner une irritation des voies respiratoires (jusqu’à une pneumopathie diffuse avec œdème interstitiel), des troubles du système nerveux central (troubles cognitifs, troubles de l’humeur et de la motricité, tremblements, etc. jusqu’au coma), une neuropathie périphérique, une atteinte rénale et un érythème scarlatiniforme (1).

Par contre, ingéré, le Hg° est très faiblement absorbé (<0.01% de la quantité ingérée) et n’entraine donc en général pas de toxicité systémique. Il est principalement éliminé dans les selles, ce qui peut causer une irritation intestinale. Une rétention de Hg° au niveau de l’appendice peut également se produire.

L’intoxication volontaire au mercure élémentaire par ingestion est rare. Le caractère original de cette tentative de suicide tient en deux éléments : la difficulté d’obtenir ce type de métal lourd et le risque d’effet toxique au long cours et non immédiat pour le patient.

Cette étiologie peu commune a fait déjà l’objet de différents articles dans la littérature, qui se sont intéressés principalement à la prise en charge somatique. Nous souhaitons vous faire part des conséquences d’ordre institutionnel et sanitaire d’une telle prise en charge et vous inviter à anticiper les risques que cela engendre à court terme pour l’entourage, les soignants et la population.

Cas clinique

Nous rapportons la situation d’un patient âgé de 40 ans amené en ambulance, à l’initiative de sa famille, pour une ingestion volontaire de 100 mL de mercure élémentaire (~1,36 kg) et de 25 comprimés de Diazepam 5mg la veille, dans un but suicidaire.

À son arrivée aux urgences (J1), le patient présente des douleurs abdominales localisées au niveau de l’épigastre. Le reste de l’examen clinique est rassurant. Un contact avec le centre antipoison est établi par le médecin urgentiste et plusieurs examens sont demandés : une prise de sang, afin d’évaluer les fonctions rénale et hépatique, une radiographie de thorax, un électrocardiogramme ainsi qu’un abdomen à blanc afin de détecter des traces de mercure. De plus, une surveillance sous monitoring d’au moins 12 heures est recommandée. Un dosage de mercure sanguin et urinaire est également réalisé (Tableau 1). Les fonctions rénale et hépatique à la biologie sanguine sont revenues dans les normes. Les radiographies réalisées aux urgences (J1) ont mis en évidence de multiples zones radio-opaques au niveau du tractus digestif sans autre anomalie détectée, le mercure se trouvant principalement au niveau de l’estomac (Figure 1).

Le patient étant considéré comme stable d’un point de vue somatique par l’urgentiste, une demande d’avis psychiatrique est formulée afin d’évaluer le risque suicidaire et le contexte d’un tel passage à l’acte. L’assistante psychiatre de garde rencontre le patient, l’anamnèse s’avère laborieuse, le patient ne souhaite pas aborder ses difficultés, ni les raisons de son passage à l’acte. Cependant, il évoque un divorce difficile récent, une tristesse importante et une perte de contact avec ses enfants. Le patient est calme, sub-collaborant, le contact est décrit comme étrange. Une symptomatologie dépressive semble toutefois ressortir de l’entretien. Le discours est structuré et cohérent. Le patient accepte l’hospitalisation en psychiatrie tout en disant « Vous pouvez me garder aussi longtemps que vous voulez à l’hôpital, quand je sortirai je recommencerai. ». L’hypothèse diagnostique aux urgences est une décompensation thymique sévère. Le patient a comme antécédents médicaux des lombalgies chroniques, une tentative de suicide par pendaison datant d’une vingtaine d’années, un trouble anxio-dépressif. Le patient est en incapacité de travail pour raison médicale depuis 4 ans.

Lors de la première nuit au sein du service de psychiatrie, le patient présente un épisode de vomissements et des douleurs abdominales sans autre plainte somatique et en gardant des paramètres vitaux dans les normes.

Au deuxième jour post-ingestion (J2), le patient commence à éliminer le mercure par ses voies digestives basses. Le patient signale à l’équipe soignante que l’élimination du mercure se fait de manière involontaire, incontrôlable et sans douleurs anales. Une quantité significative de mercure élémentaire se déverse dans le service (~30 mL).

Un nouveau contact avec le centre antipoison est pris, celui-ci donne des recommandations plus précises : l’isolement du patient dans une chambre seule, l’interdiction d’accéder aux sanitaires (nécessité de récolter les urines et selles dans une chaise percée) ainsi que la mise en place de poubelles jaunes destinées à recueillir tout textile ayant été en contact avec le mercure élémentaire afin de les évacuer selon le protocole hospitalier réservé aux substances hautement toxiques.

Suite à l’appel des pompiers (J2), une partie du service de psychiatrie est fermée afin d’éviter l’exposition mais aussi la dispersion du mercure élémentaire par les allées et venues. Les pompiers recommandent une aération du service avec fermeture du chauffage et ouverture des fenêtres afin que la température y soit inférieure à 20°C. Le service est mis en isolement (affiches sur les portes, chaussons de protection, linges humides aux portes) et le port de masque de type gaz complet mono-cartouche avec filtres RD DIN40 est imposé aux personnes entrant dans la chambre du patient. La concentration de mercure dans l’air au sein du service est également mesurée rapidement afin d’évaluer la toxicité pour les autres personnes présentes dans l’unité de soins.

Enfin, la direction médicale de l’hôpital est interpellée pour faire intervenir une société de nettoyage spécialisée afin de décontaminer les lieux. Ceci représente un coût financier important lié au nettoyage spécifique du service (produits à base de soufre lui-même toxique) et à sa fermeture pendant cinq jours.

Il est à noter que le mercure élémentaire ingéré, peu absorbé dans l’organisme, est éliminé par les voies digestives basses, ce qui peut représenter un risque d’inhalation de vapeurs de Hg°. Le mercure élémentaire non éliminé peut être une source de toxicité à long terme avec des conséquences neurologiques importantes. Lors de la prise en charge, aucun soignant n’a pris en considération l’élimination de ce mercure susceptible d’entraîner des conséquences non négligeables tant au niveau du risque de toxicité immédiate pour le patient et pour autrui qu’au niveau institutionnel.

La fermeture de l’entièreté d’une unité de soins et la réorientation d’une trentaine de patients en 24 heures du fait de l’acte d’une seule personne revêt un caractère pour le moins inédit. Le patient est lui-même déplacé dans cette autre unité de soin afin de poursuivre sa prise en charge.

Au niveau somatique, des radiographies du thorax et de l’abdomen sont réalisées à J3, mettant en évidence une progression du mercure dans le système digestif, principalement dans le cadre colique et le rectum ainsi que quelques particules radio-opaques au niveau de la base pulmonaire droite probablement sur broncho-inhalation (Figure 2). L’examen clinique reste rassurant et le patient ne présente plus de plainte somatique. Entre-temps, les résultats de dosages urinaire (245 µg/L) et sanguin (56 µg/L) de mercure chez le patient, réalisés à l’admission (J1) reviennent élevés, confirmant une absorption majeure, même si en cas d’ingestion le pourcentage d’absorption est très faible. Ces concentrations peuvent être liées à la quantité importante de mercure ingéré, de même qu’à une irritation/inflammation de la muqueuse intestinale augmentant le pourcentage d’absorption, ainsi qu’à une aspiration du Hg° lors de l’ingestion ou encore à une légère broncho-inhalation. De plus, une exposition antérieure prolongée ou répétée est possible étant donné sa profession et son comportement.

Au niveau psychiatrique, le patient reste très ambivalent par rapport à l’hospitalisation, menace verbalement de passer à l’acte et ne respecte pas les mesures imposées par les pompiers et relayées par les soignants. Suite à l’absence de collaboration du patient, au risque pour lui (menace de passage à l’acte suicidaire) et pour autrui (inhalation des vapeurs de Hg° suite à l’élimination aléatoire et involontaire du mercure), à l’absence d’alternative et au manque de recul par rapport à la maladie mentale, une demande d’hospitalisation sous contrainte est initiée dans le cadre de la loi belge du 26 juin 1990 relative à la protection de la personne des malades mentaux.

À J4, le patient est transféré dans un autre hôpital afin de réaliser l’expertise psychiatrique qui conclut que les critères légaux justifiant la contrainte ne sont pas remplis. Lors de cette expertise, le patient se montre calme avec une certaine labilité émotionnelle sans aborder ses idées suicidaires et sans élément d’une décompensation psychiatrique franche. Il accepte une prise en charge somatique. Celle-ci se poursuit donc de manière volontaire au sein d’un service de médecine interne. Un abdomen à blanc est réalisé (J4) et met en évidence de multiples éléments opaques au niveau colique. Un nouveau contact avec le centre antipoison conclut à la nécessité de garder le patient hospitalisé le temps de l’élimination aussi complète que possible du mercure afin d’éviter tout risque de contamination par inhalation. Des laxatifs ainsi qu’une préparation habituellement administrée avant une colonoscopie sont prescrits afin d’éliminer le mercure restant mais cela n’est pas concluant. La majeure partie du mercure ingéré demeure concentrée au niveau caecal. Finalement, c’est une colonoscopie (effectuée à J12) qui permet l’aspiration d’une grande quantité de mercure sans complication.

Par ailleurs, des tremblements des membres supérieurs sont observés, sans autre déficit neurologique évident. Leur origine reste indéterminée étant donné l’anamnèse peu fiable du patient qui se montre évasif quant à la chronologie de l’apparition de ces tremblements.

Nous noterons que le comportement du patient au sein du service complique également le déroulement de cette 2e hospitalisation qui dure une dizaine de jours et qui se termine par une sortie exigée contre avis médical (J13). Le patient refuse régulièrement de collaborer aux examens et traitements prescrits, garde un discours ambivalent quant à sa demande de soins, donnant à l’équipe soignante l’impression d’être manipulée.

Trois jours après son retour à domicile, le patient se présente dans le service des urgences d’un troisième hôpital (J16). Cette prise en charge met en évidence la persistance de quelques billes de mercure au niveau caecal ainsi qu’au niveau pulmonaire en regard du lobe inférieur droit. La présence de ces billes motive l’initiation d’un traitement par chélateur au succimer DMSA (J17) afin de diminuer le risque d’absorption à moyen terme. Le traitement prescrit est 3 gélules de 200 mg de Succicaptal, 3 fois par jour durant 5 jours puis de 3 gélules 2 fois par jours durant 10 jours. Le coût élevé du traitement (~1 000€ pour deux semaines) est assumé par le patient. Une étroite collaboration du réseau interhospitalier entre urgentistes et psychiatres permet de structurer le suivi. Des rendez-vous quotidiens en salle d’urgence sont fixés afin d’assurer à la fois le suivi somatique (délivrance quotidienne de Succicaptal) ainsi que le suivi psychiatrique (évaluation de l’état psychique du patient). Ce dispositif ambulatoire soutenu avec des consultations quotidiennes est déployé durant 15 jours, ce qui correspond à la durée de la cure de chélation. Soulignons qu’une diminution des taux de mercure sanguin est observée entre le début du traitement par Succicaptal (146,5 µg / L) et 5 jours après l’introduction du traitement (70,4 g / L).

Discussion

Les tentatives de suicide sont fréquentes dans le monde : soit une tentative de suicide toutes les 3 secondes. En Belgique, le centre de prévention du suicide estime le nombre de tentatives de suicide à 40 000 par an. Le moyen le plus fréquemment utilisé est l’ingestion volontaire de médicaments.

Dans ce cas clinique, nous rapportons un moyen peu commun : l’utilisation de mercure élémentaire, métal lourd peu accessible à la population générale. Cependant, de par sa profession, ce patient avait un accès privilégié à différents métaux/ produits dangereux et il en connaissait les propriétés. Nous restons sans réponse quant aux motifs qui ont poussé le patient à ingérer ce métal liquide.

Nous avons été confrontés à une méconnaissance médicale et sanitaire lors de la prise en charge de ce patient. Un certain chaos a entravé les réflexions et filières habituelles de collaboration. Néanmoins, d’autres collaborations, plus exceptionnelles, avec les pompiers, le centre antipoison, et la direction médicale de l’hôpital se sont mises en place. De plus, la médecine du travail a prescrit des dosages urinaires à tout le personnel concerné ; aucun résultat n’est revenu supérieur aux valeurs de référence de la population générale. Mais, étant donné la collaboration fluctuante du patient, très probablement liée à son état psychique et à sa structure de personnalité, la prise en charge s’est davantage complexifiée.

Au niveau psychiatrique, l’histoire clinique évoque une tentative de suicide via une méthode peu commune dans le décours d’une difficulté familiale majeure. L’hypothèse diagnostique relevée est celle d’un probable trouble de la personnalité. Aucun élément thymique ou psychotique franc n’a été mis en évidence dans le décours des prises en charge. Le patient a décrit son geste comme impulsif ; son comportement évoque une difficulté à respecter un cadre, à observer la loi (le mercure n’étant entre-autre pas autorisé à être stocké en propriété privée) ainsi qu’une absence de considération de l’impact de ses actes sur autrui.

Nous reprenons dans cette discussion les conséquences de cette ingestion de Hg° sur le patient mais aussi les conséquences pour les personnes présentes lors de l’élimination ainsi que pour la population.

Concrètement, pour le patient le risque d’absorption de mercure élémentaire par ingestion est très faible ne donnant pas de toxicité systémique. Cependant, dans le cas d’une ingestion massive, une surveillance médicale est recommandée avec un biomonitoring jusqu’au retour aux valeurs de référence (sang <7µg / L, urines < 3µg/g créatinine).

À long terme, il existe pour ce patient un risque de toxicité dû à la persistance d’une petite quantité de mercure aux niveaux caecal et pulmonaire. Le traitement par chélateur a été mis en place afin de minimiser le risque d’absorption au long cours.

L’élimination involontaire du mercure par les voies digestives entraîne l’incontrôlable dispersion de billes de mercure, contaminant ainsi les lieux. Ces billes de mercure sont sujettes à une évaporation importante dès 20°C, ce qui représente un risque élevé de toxicité respiratoire à court terme pour le patient et son entourage. Notons que plus la température est élevée, plus l’évaporation est importante. Le fait de la diminuer en-dessous de 20°C réduit mais n’empêche pas son évaporation. De plus, diviser une bille en microbilles augmente la surface d’évaporation, ce qui est une donnée importante en termes de gestion des risques.

Cette élimination du mercure a provoqué la contamination du service et a mis en potentiel danger toute personne se trouvant au sein de l’unité de soins, même celles se trouvant à distance du patient. Différentes questions ont alors été soulevées, telles que la distribution de masques d’inhalation très spécifiques et encombrants, le transport du patient au sein de l’hôpital pour les examens médicaux (radiographies), la protection des autres patients et du personnel soignant (notamment vis-à-vis des femmes susceptibles d’être enceintes).

Au niveau médical, afin d’évaluer le risque de contamination, des mesures du taux de concentration dans l’air ainsi que des tests urinaires pour toutes les personnes présentes dans le service lors de sa contamination ont été réalisés. Tous les tests sont revenus « normaux » à l’exception des tests urinaire et sanguin du patient lui-même. Le coût de ces nombreux tests a été pris en charge par la direction de l’hôpital, responsable de la santé de ses employés, de ses collaborateurs ainsi que des tiers tels que les autres patients présents dans l’unité de soins au moment de la dissémination des billes de mercure dans les espaces communs.

Le coût financier pour l’hôpital a par ailleurs été significativement augmenté en raison du nettoyage minutieux du service entier par une équipe spécialisée et la fermeture temporaire du service de psychiatrie, avec relocalisation des patients nécessitant la poursuite des soins. Les conséquences institutionnelles ont donc également été importantes.

Lors du transport du patient, des contaminations supplémentaires ont pu être évitées grâce au port d’une combinaison étanche empêchant tout déversement extérieur.

Les conséquences pour la santé publique relèvent de la probable contamination des eaux usées. En effet, le patient n’a pas suivi les mesures de sécurité imposées et a utilisé les sanitaires. Les pompiers ont fait appel à la police pour prendre en charge ce problème car le mercure est un déchet classé comme dangereux et ne peut être rejeté dans l’environnement sans précaution. Il doit être éliminé selon les directives européennes avec une méthode et un matériel de confinement et de nettoyage spécifique. La prise en charge somatique initiée aux urgences était, selon l’urgentiste, suffisante après le premier contact avec le centre antipoison.

La prise en charge psychiatrique a été brève car celle-ci a été rapidement confrontée aux conséquences institutionnelles et de santé publique de l’intoxication au Hg°. La suite de la prise en charge s’est réalisée de manière conjointe entre urgentistes et psychiatres.

Il est probable que le caractère peu commun et la non-connaissance des propriétés du matériau ne nous ont pas permis initialement d’évaluer adéquatement les risques liés au mercure. Nous avons alors été confrontés à une situation inédite qui a présenté un risque de toxicité davantage pour la collectivité que pour le patient, ce qui est assez rare dans les prises en charges médicales, de surcroît lors d’une tentative de suicide.

Revue de littérature

Dans la littérature, plusieurs cas d’intoxication volontaire au mercure élémentaire sont rapportés. Il en ressort que l’ingestion de mercure élémentaire est rare, qu’un faible pourcentage est absorbé par cette voie d’exposition et que des complications locales (notamment la rétention au niveau de l’appendice) peuvent survenir après une ingestion massive. La revue de la littérature détaille des prises en charges somatiques et évoque peu la prise en charge psychiatrique, seuls deux patients sont transférés dans un second temps en psychiatrie. Peu d’éléments sont communiqués quant à la décontamination, le confinement des déchets et l’équipement nécessaire.

Selon nos recherches, les moyens thérapeutiques utilisés en cas d’ingestion de Hg° sont les suivants :

- En cas de présence de mercure au niveau gastrique, une gastroscopie réalisée en urgence réduit le temps d’exposition et d’absorption (2).

- En cas de présence de mercure au niveau colique, une colonoscopie permet d’aspirer le contenu colique, de diminuer le temps d’exposition et donc le risque d’absorption (3,4).

- En cas d’ingestion massive de mercure élémentaire, un traitement par agent chélateur tels que le dimercaptopropanesulfonate de sodium (DMPS) ou l’acide dimercaptosuccinique (DMSA)) peut être instauré (5-7).

- En cas de rétention de mercure dans l’appendice, une appendicectomie est nécessaire (3).

Différents cas d’intoxication volontaire au mercure élémentaire décrits dans la littérature sont présentés dans le Tableau 2. Dans ce tableau, deux molécules sont mentionnées pour le traitement par chélation : le DMSA et le DMPS à noter que le DMPS n’a pas l’autorisation de mise sur le marché en France. Notons également que des douleurs abdominales sont rapportées sauf lors d’ingestion de faible quantité de Hg° (1 cuillère à soupe).

Conclusion / recommandations

Recommandations médicales face à une intoxication orale au mercure élémentaire :

- Réaliser des dosages sanguin et urinaire du début de la prise en charge jusqu’à un retour aux valeurs de référence de la population générale.

- Isolement du patient.

- En cas d’ingestion majeure, surveillance médicale en milieu hospitalier.

- En cas d’inhalation aigüe, hospitalisation en urgence en raison d’un risque vital.

Les mesures de protection recommandées suite à une exposition au mercure élémentaire sont les suivantes : éviter tout contact avec la peau, les yeux et les vêtements, couper le chauffage, ventiler la pièce et sceller le bas de la porte avec un ruban adhésif, récolter le plus tôt possible un déversement et le garder dans un contenant fermé au frais, demander l’aide d’experts en décontamination, mesurer la concentration du mercure dans l’air des lieux contaminés, enlever les vêtements contaminés et les évacuer.

De plus, il est important de noter que si l’absorption du Hg° au niveau digestif est quasi nulle, il sera éliminé essentiellement par les voies digestives basses impliquant un risque de toxicité immédiate par inhalation et un risque de contamination des eaux usées et des locaux utilisés. Au vu de ces risques pour le patient, le personnel soignant et tout intervenant à l’hôpital, il est essentiel de réagir adéquatement dès l’accueil du patient en s’assurant de pouvoir récolter le mercure dès son élimination, avant qu’il ne se répande de manière incontrôlée dans l’environnement hospitalier. On évitera ainsi de devoir procéder à une évacuation des locaux pollués durant plusieurs jours et à une décontamination par un service spécialisé très onéreux.

À l’instar de toute prise en charge, la collaboration entre les soins somatiques et psychiatriques est primordiale dans le cadre d’une prise en charge d’une tentative de suicide, d’autant plus quand les moyens utilisés sont inédits et génèrent un bouleversement dans l’organisation des soins à plus grande échelle. De tels cas doivent être traités avec la plus grande rigueur en mobilisant les différentes strates de l’institution hospitalière.

Affiliations

1. MACCS, Cliniques universitaires Saint-Luc, Bruxelles, Belgique
2. Unité de crise et d’Urgences Psychiatriques, Cliniques universitaires Saint-Luc, Bruxelles, Belgique
3. Service de psychiatrie, Cliniques de l’Europe – Site Saint-Michel, Bruxelles, Belgique

Correspondance

Dr Caroline Vincent
c.vincent.psy@gmail.com

Références

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  2. Zag L, Berkes G, Takács IF, Szepes A, Szabó I. Endoscopic management of massive mercury ingestion. Medicine (United States). 2017;96(22):2016–8.
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