Introduction : pour une approche globale de la prévention
La prévention en santé est une démarche incontournable des approches de développement durable et transition dans le domaine des soins de santé, puisqu’elle réduit le recours aux soins et ainsi diminue leur impact environnemental. Pourtant, l’offre de soins de santé reste fortement centrée sur le modèle de la « maladie » et les approches préventives, qu’il s’agisse de prévention primaire, secondaire, tertiaire, voire quaternaire, ne font pas exception. De plus, les interventions de prévention sont priorisées (on ne peut pas faire de la prévention pour toutes les maladies existantes), en fonction de critères de santé publique. Enfin, l’enseignement en santé insiste préférentiellement sur les facteurs de risques de maladies, plutôt que sur les déterminants de la (bonne) santé, négligeant ainsi de nombreux facteurs – notamment sociaux et relationnels – influençant notre manière de vivre et donc notre santé.
Par ailleurs, même en se limitant à la dimension « maladie », l’effet de nos comportements personnels et professionnels peut être analysé à la fois par leurs impacts sur notre santé, sur la santé des populations et sur la santé planétaire. Par exemple, consommer des aliments industriels trop salés, trop gras ou trop sucrés favorise l’hypertension et augmente ainsi le risque d’AVC au niveau individuel. Les moyens de productions de ces aliments ont par ailleurs des effets sur notre environnement et la santé de notre planète. Se faire vacciner réduit notre risque individuel de développer de certaines pathologies infectieuses mais a aussi un effet sur la transmission de ces pathologies au niveau populationnel.
Parler de prévention implique donc d’élargir la perspective, en dépassant le modèle « maladie » et en considérant simultanément la santé individuelle, la santé des populations et la santé globale/planétaire.
Repenser l’organisation des soins de santé
Cette approche se heurte cependant à plusieurs écueils. D’une part, notre tendance naturelle est de raisonner en « disséquant » chaque phénomène en variables mesurables (par exemple en observant que seuls 10% des déterminants de la santé sont déterminés par les soins de santé (1)). Développer une approche systémique prenant en compte les interconnexions entre phénomènes (par exemple, considérer la pandémie de Covid comme une syndémie (2)) est pour nous beaucoup plus difficile. De plus, il est nécessaire de pouvoir adopter différentes perspectives, afin de mieux comprendre la globalité d’un phénomène. Enfin, il faut sortir d’une approche à très court terme et intégrer le temps long dans la prise de décision.
Ces trois difficultés imposent de penser différemment l’organisation des soins de santé. Il faut d’abord reconnaitre l’incertitude (et donc la nécessité de s’adapter), particulièrement présente dans les démarches de prévention (coût immédiat, bénéfice dans le futur incertain) – en contraste avec un enseignement qui reste essentiellement basé sur des certitudes (concernant les mécanismes des maladies et les conséquences de nos actions). Ensuite, il est important de reconnaitre la dimension « systémique » de la prévention, tenant compte des interactions entre aspects individuels, populationnels et planétaires. Enfin, il faut pouvoir reconnaitre et accepter l’existence de désaccords entre différents acteurs concernant les actions de prévention, désaccords inévitables en situation d’incertitude.
Pour réussir ce défi, il est important de favoriser le dialogue et donc de donner beaucoup plus de temps et d’espace au croisement des points de vue, ancrer les soins de santé dans la société… et donc dans les débats de société.
Trois niveaux d’organisation
Plusieurs éléments interconnectés ont une fonction centrale dans l’organisation des soins de santé.
Au niveau « micro », retenons l’importance de la fonction de référent « santé ». Celle-ci a notamment pour rôles (3) de s’assurer que la prise de décision est bien partagée entre toutes les personnes concernées y inclus le citoyen, d’assurer la continuité et une relation de confiance avec l’individu et enfin de monitorer, c’est-à-dire rassembler suffisamment d’informations pour suivre l’évolution. La fonction de référent combine et met en dialogue différentes perspectives : problème ou situation de santé, santé individuelle, parcours de vie, santé communautaire. Elle contribue au partage des connaissances entre les différents acteurs et actrices pour faciliter la prise de décision. Cette fonction essentielle est cependant encore beaucoup trop peu développée dans notre système de soins de santé. Sa mise en place systématique pose de nombreuses questions (quelle personne, quel métier, quel financement ?).
Au niveau « méso », où le niveau ou « le territoire » prend toute son importance dans l’organisation des soins de santé, on trouvera plusieurs niveaux de granularité.
D’une part on peut envisager l’organisation des équipes multidisciplinaires et les réseaux inter-équipes, selon une logique de « territoires ou bassin de vie » (quartiers, communes, villages), « territoires de soins primaires » (ou de première ligne). Cette approche permet de mieux connecter les différents acteurs et actrices concernés, qu’il s’agisse des professionnels de santé ou d’autres personnes impliquées dans la santé du quartier et de son environnement. La gouvernance locale qui en résulte est à même de combiner une approche individuelle, communautaire et « écologique » (un système social et physique). L’organisation par territoire de vie peut aussi être un moyen pour développer une approche plus proactive des soins. On sait que les personnes qui auraient le plus besoin d’un service sont celles qui ont le plus de difficulté à y accéder (c’est la loi de traitement inverse : « La disponibilité de soins médicaux de qualité est inversement proportionnelle au besoin de la population desservie »(4)). Donner aux soins primaires une responsabilité d’accompagnement d’une population dans son territoire de vie, , peut être un moyen d’aller vers les gens pour leur proposer ce dont ils ont besoin mais auquel ils n’ont pas accès.
D’autre part, on peut envisager un niveau de territoire plus grand, où les soins primaires, de première ligne, se concertent avec l’hôpital pour structurer des parcours de soins pour les problèmes plus aigus, ou se concertent avec des réseaux plus spécialisés (par exemple santé mentale) pour la prise en charge de populations avec une vulnérabilité particulière (par exemple troubles psychiatriques).
Enfin, le niveau « macro », au niveau d’un pays ou d’une région concerne la définition de politiques de santé et notamment la manière dont elles sont décidées. En effet, derrière la prise de décision politique pour la santé ou les soins de santé, il y a souvent des choix de développement de société. A ce niveau, il existe une tension entre deux dynamiques. D’une part, le souhait de développer des technologies de soins et médicaments de pointe, avec l’objectif de redynamiser une région (par ex. la Wallonie) en développant des industries performantes et des structures de santé d’excellence, au risque de dynamiques exclusives (tout le monde n’y ayant pas accès) et d’un impact environnemental potentiellement élevé. D’autre part, le choix de renforcer des services de santé de proximité, ou la relation humaine est prioritaire et ainsi privilégier une action sur l’environnement physique, la mobilité, l’espace et donc de penser des soins plus inclusifs.
Conclusion
Développement durable, prévention et soins de santé partagent différents constats : il faut changer de mentalité et notamment faire plus de place au dialogue, à la délibération et à l’incertitude ; des questions importantes d’équité se posent, nécessitant de combiner des approches réactive et proactive. Le besoin de confiance est essentiel dans ces perspectives.
Par ailleurs, l’organisation des soins de santé doit se penser en trois niveaux interconnectés : au niveau micro on retiendra l’importance de la fonction de référent, le niveau méso est celui des bassins de vie et souligne l’intérêt des dynamiques sociales, le niveau macro nous renvoie à l’importance de choix de société prenant en compte le temps long.
Affiliations
1. Institut de Recherche Santé et Société et Faculté de Santé Publique UClouvain
2. Institut des Neurosciences, UCLouvain et Cliniques Universitaires UCL Saint-Luc, Service de Médecine physique et réadaptation
Correspondance
Pr Jean Macq
Institut de Recherche Santé et Société et Faculté de Santé Publique UCLouvain
Clos Chapelle-aux-champs 30, boîte B1.30.16
B-1200 Woluwe-Saint-Lambert
Références
- Schroeder SA. Shattuck Lecture. We can do better-improving the health of the American people. N Engl J Med. 2007;357(12):1221–8.
- Bradley DT, Mansouri MA, Kee F, Garcia LMT. A systems approach to preventing and responding to COVID-19. EClinicalMedicine. 2020;21:100325.
- Reeve J, Maden M, Hill R, et al. Deprescribing medicines in older people living with multimorbidity and polypharmacy: the TAILOR evidence synthesis. Health Technol Assess. 2022;26(32):1–148.
- Hart JT. The inverse care law. Lancet. 1971;1(7696):405–12.