Innovations 2023 en chirurgie Orthopédique et Traumatologie

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Olivier Barbier*, Emmanuël Thienpont*, Olivier Cornu*, François Barbier, Pauline Gonzalez, Radegonde Versyck, Sebastiaan Arnauw, Seydou Diarra, Sami Ftaita, Louis Debarre, Karim Tribak, Dan Putineanu, Maïte Van Cauter, Jean-Emile Dubuc, et al Publié dans la revue de : Février 2024 Rubrique(s) : Chirurgie orthopédique et traumatologie
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Résumé de l'article :

Les lésions nerveuses périphériques conduisant à une paralysie ne sont pas rares et sont malheureusement souvent abordées avec fatalité, une majorité d’entre nous escomptant une récupération progressive, lente et souvent incomplète car nous ne sommes pas familiers des possibilités offertes par les transferts nerveux. Être averti de la possibilité de ces transferts de nerfs et informé de l’importance de ne pas retarder le référencement permet d’orienter les patients vers des équipes spécialisées et ouvre de nouvelles perspectives en termes de récupération fonctionnelle pour ceux-ci.

D’autre part, le taux de ménisectomie au-delà de 50 ans constitue depuis avril 2023 un indicateur de déviation manifeste de la bonne pratique médicale pour l’INAMI, car la ménisectomie au-delà d’un certain âge est considérée comme précipitant l’arthrose et la nécessité de recourir à une arthroplastie. L’établissement de cet indicateur peut induire un comportement pervers en augmentant le nombre de patients opérés en-dessous de 50 ans. L’arthrose du genou n’est pas en corrélation directe avec l’âge et bon nombre de facteurs doivent être considérés. Nous proposons un algorithme de prise en charge des gonalgies au-delà de 50 ans et recommandons aux autorités de revoir cet indicateur afin de prévenir de nouvelles dérives et de pénaliser inutilement les patients qui devraient bénéficier de soins justifiés.

Enfin, les mesures de contingentement et l’application des quotas dans l’accès aux spécialités a, pour la première fois en 2023, limité de manière significative le nombre de candidats accédant à notre spécialité. Nous nous interrogeons sur ces mesures dont les conséquences, visibles dès à présent en médecine générale, seront, à priori, aussi dommageables dans notre spécialité dans quelques années avec une réduction significative de la force de travail, alors même, que les besoins de notre population dans notre secteur d’activité tendent à s’accroître. Nous nous inquiétons des perspectives pour la santé en Europe et en Belgique.

Mots-clés

Lésions nerveuses périphériques, greffes nerveuses, ménisectomie au-delà de 50 ans, gonarthrose, force de travail, contingentement médical

Article complet :

Les transferts de nerfs en traitement des paralysies nerveuses périphériques
Olivier Barbier, François Barbier, Pauline Gonzalez, Radegonde Versyck, Sebastiaan Arnauw, Xavier Libouton.

Introduction

Des lésions nerveuses sévères amenant une paralysie ne sont pas rares. Leurs causes sont multiples : une section de nerf par plaie, une traction importante (notamment au niveau du plexus brachial), une résection chirurgicale dans un cadre tumoral,… Même après traitement, les récupérations sont souvent lentes (plusieurs mois) et partielles. De nouvelles considérations physiopathologiques ont amené les traitements du XXe siècle, essentiellement la suture du site lésé et la greffe intercalaire de nerfs vers les transferts nerveux du XXIe siècle, utiles dans des situations défavorables.

Les lésions nerveuses périphériques

Les nerfs périphériques font suite aux racines nerveuses issues du rachis (Fig. 1). Ces racines véhiculent des fibres sensitives, du système nerveux autonomique et motrices. Les axones moteurs longs de plusieurs dizaines de cm lorsqu’ils parcourent les membres font suite aux corps cellulaires, les motoneurones, situés dans la corne antérieure de la moelle épinière. A l’approche du muscle, l’axone moteur se ramifie en un ensemble de branches qui vont constituer des jonctions neuro-musculaires activant les fibres musculaires.

Des lésions de sévérité variable touchent les nerfs. Parmi les multiples classifications proposées, celle de Seddon (1942) se caractérise par sa simplicité et ses conséquences pratiques (Fig. 2).

Cette classification distingue la neurapraxie amenant une paralysie sans interruption des fibres nerveuses (par exemple suite à une compression modérée du nerf), récupérant habituellement de manière spontanée en quelques semaines, de l’axonotmesis où l’axone est interrompu sans que sa gaine périphérique ou membrane basale ne soit interrompue. Ceci permet à l’axone de repousser dans cette gaine, à partir de la lésion, vers sa cible musculaire. Un troisième groupe de lésions, le neurotmesis, ne permet pas de récupération spontanée car le nerf a perdu sa continuité. Des réparations par suture ou greffe intercalaire permettent de rétablir une continuité du nerf à travers laquelle certains axones parviendront à repousser à une vitesse de l’ordre du millimètre par jour vers les jonctions neuromusculaires. En cas de lésion éloignée de la cible musculaire ou si la réparation est tardive, le temps écoulé avant la réinnervation musculaire sera important, amenant souvent de faibles résultats fonctionnels s’il dépasse 6 mois vu la dégénérescence survenue au niveau des jonctions neuro-musculaires notamment.

Les solutions classiques en cas d’échec de réinnervation sont surtout les orthèses et les transferts palliatifs de muscles dépendant d’autres nerfs encore fonctionnels.

Les transferts nerveux

Ces dernières années, des transferts de nerfs fonctionnels, sur les branches distales des nerfs lésés (Fig. 3), proches de la cible musculaire ont permis de limiter le temps de repousse axonale et d’améliorer les résultats.

De manière pratique, les branches terminales du nerf lésé sont disséquées et sectionnées près des muscles à réinnerver. Dans le même champ opératoire, un nerf fonctionnel est disséqué et les différents fascicules qui le compose sont électro-stimulés sous microscope opératoire. Cette cartographie fonctionnelle du nerf permet de repérer plusieurs fascicules qui donnent la même fonction. Certains fascicules redondants seront alors sectionnés et déroutés vers les branches terminales du nerf lésé. La repousse axonale se fera alors sur une courte distance, rapidement (Fig. 4).

De plus, au contraire des transferts musculaires palliatifs, ces transferts nerveux permettent de réinnerver les muscles d’origine (Fig. 5) capable de fonctions complexes (comme par exemple l’extension différenciée des doigts). Il est à noter que la restauration fonctionnelle dépend aussi de la plasticité du système nerveux central pour réorganiser le contrôle des muscles par de nouveaux nerfs.

Synthèse et conclusion

Le délai de réinnervation des muscles influence le résultat fonctionnel en cas de paralysie par lésion nerveuse périphérique. Si le délai attendu après réparation au site lésionnel dépasse 6 mois, des transferts de fascicules redondants de nerfs proches de la cible permettent une réinnervation précoce des muscles, avant dégénérescence et faibles résultats. Pour les praticiens non spécialisés, la reconnaissance de l’importance du délai et la connaissance de la possibilité de transferts de nerfs permettront d’orienter rapidement leurs patients vers des équipes spécialisées.

Références

  1. Bateman EA, Larocerie-Salgado J, Ross DC, Miller TA, Pripotnev S. Assessment, patient selection, and rehabilitation of nerve transfers. Front Rehabil Sci. 2023 Nov 20;4:1267433. doi: 10.3389/fresc.2023.1267433. PMID: 38058570; PMCID: PMC10696649.
  2. Bertelli JA. Nerve Versus Tendon Transfer for Radial Nerve Paralysis Reconstruction. J Hand Surg Am. 2020 May;45(5):418-426. doi: 10.1016/j.jhsa.2019.12.009. Epub 2020 Feb 21. PMID: 32093993.
  3. Chen VY, Gonzales LP, Johnston TR, Steward O, Gupta R. Preoperative Muscle Biopsy to Assess Motor End Plate Integrity as a Predictor for Successful Nerve Transfer: A Case Report. JBJS. 2023;13:e22.00569
  4. Desai MJ, Daly CA, Seiler JG 3rd, Wray WH 3rd, Ruch DS, Leversedge FJ. Radial to Axillary Nerve Transfers: A Combined Case Series. J Hand Surg Am. 2016 Dec;41(12):1128-1134. doi: 10.1016/j.jhsa.2016.08.022. Epub 2016 Sep 20. PMID: 27663054.
  5. Patterson JMM, Russo SA, El-Haj M, Novak CB, Mackinnon SE. Radial Nerve Palsy: Nerve Transfer Versus Tendon Transfer to Restore Function. Hand (N Y). 2022 Nov;17(6):1082-1089. doi: 10.1177/1558944720988126. Epub 2021 Feb 3. PMID: 33530787; PMCID: PMC9608274.
  6. Shen J. Plasticity of the Central Nervous System Involving Peripheral Nerve Transfer. Neural Plast. 2022 Mar 18;2022:5345269. doi: 10.1155/2022/5345269. PMID: 35342394; PMCID: PMC8956439

 

Quota dans la ménisectomie au-delà de 50 ans, un choix arbitraire peu judicieux
Emmanuel Thienpont, Samy Ftaita, Louis Debarre, Daniel Morcillo, Mathieu Raad, Jean-Emile Dubuc

Introduction

En avril 2023, l’INAMI a commencé à suivre comme indicateur de déviation manifeste de la bonne pratique médicale, le taux d’arthroscopies pour méniscectomie chez des patients âgés de plus de 50 ans. Le service d’évaluation et de contrôle médicaux de l’INAMI, qui a comme mission de veiller à ce que le budget de l’assurance soins de santé soit utilisé de manière optimale, doit surveiller que les moyens financiers disponibles ne financent que des soins efficaces et scientifiquement fondés.

Le Conseil National pour la Promotion de la Qualité (CNPQ) a approuvé un indicateur de déviation manifeste de la bonne pratique médicale pour la méniscectomie arthroscopique en cas de lésions dégénératives de genou. L’indicateur est respecté, si par année civile et par dispensateur de soins, le quota de 45% d’attestations de soins pour méniscectomie au-delà de 50 ans, ne soit pas dépassé.

Comme souvent dans le milieu scientifique, un ensemble d’un manque de définitions précises, de confusion sémantique et de généralisations, a amené à l’introduction de cet indicateur. Nous sommes tous d’accord que le ménisque dégénératif, sans lésion mécanique instable, dans un genou dégénératif ne présente pas d’indication chirurgicale pour arthroscopie. Cependant, utiliser un seuil arbitraire comme l’âge du patient et plus spécifiquement 50 ans, comme un proxy pour le genou dégénératif est une erreur.

Algorithme thérapeutique du service d’orthopédie des Cliniques universitaires Saint-Luc

Le patient au-dessus de 50 ans qui présente une gonalgie invalidante devrait subir une évaluation clinique pour rechercher un blocage ou épanchement. En absence de ces deux paramètres cliniques importants, une simple radiographie du genou en charge peut démontrer s’il s’agit d’un genou arthrosique ou pas. Si la radiographie montre une arthrose terminale, comme on dit « bone to bone », le patient doit être conseillé sur les différentes options prothétiques, si son arthrose est invalidante. Quand l’imagerie simple ne montre pas de signes de vraie gonarthrose, donc plus avancée que le vieillissement normal, une période d’attente de trois mois peut être entamée pendant laquelle le patient peut bénéficier d’un traitement conservateur. Pour un patient qui reste symptomatique, une imagerie complémentaire par IRM, peut être indiquée. Cette imagerie peut alors démontrer une lésion méniscale, qui peut être une lésion horizontale ou une lésion en flap (simple ou complexe) avec un fragment méniscal. Le fragment peut être déplacé ou pas. La lésion instable peut avoir créé un œdème réactif du condyle fémoral ou du plateau tibial. L’IRM permet aussi d’évaluer le grade de chondropathie associée (en regard de la lésion ou généralisée), ainsi que la surface d’usure.

La lésion horizontale ne demande en effet pas de chirurgie, même si la douleur persiste après 3 mois, parce qu’elle est souvent associée à une chondropathie avancée qui risque d’évoluer encore plus vite vers une arthrose terminale en absence de son amortisseur qui est le ménisque. Ces patients peuvent être aidés avec des infiltrations et une technique de décharge via une attelle (si œdème réactif ou début de nécrose spontanée (SONK).

Les patients qui présentent une lésion en flap, encore symptomatique après 3 mois, avec un flap déplacé ou une réaction d’œdème, méritent une chirurgie arthroscopique, qu’importe leur âge.

Âgisme

Se baser sur l’âge d’un patient, comme proxy pour son état dégénératif, n’est pas scientifique et ne correspond pas à la réalité de notre métier. Cette attitude est défendue dans les systèmes de santé qui acceptent de sacrifier l’individu pour réduire le coût pour l’ensemble de la société. En effet, ne pas faire une médecine personnalisée et ne pas devoir comprendre le problème spécifique de chaque patient, ni déterminer le meilleur traitement pour lui amène à des importantes économies dans le secteur social. Cette gestion médicale demande des sacrifices personnels de certains individus qui n’auront pas droit au bon traitement, sauf s’ils savent sortir du système public en payant eux-mêmes pour le bilan et traitement nécessaire. Cette médecine à deux vitesses, n’est pas la culture de soins du système belge et nous espérons ne jamais y arriver. Se baser sur l’âge est de la discrimination du patient au-dessus de 50 ans et aussi du médecin plus âgé, puisque souvent notre patientèle évolue ensemble avec nous en âge. Cinquante ans est sûrement mid-life, mais en Belgique nous travaillons jusque 65 ans et bientôt jusque 67 ans. Le coût économique d’un belge actif qui ne peut pas se faire opérer de son flap méniscal parce qu’il a 50 ans amènera à un important coût d’opportunité pour la société.

L’arthrose du genou n’est pas en corrélation directe avec l’âge et surtout pas à 50 ans. Trop d’autres facteurs l’influencent comme l’axe de la jambe, le morphotype du genou, la taille des surfaces articulaires, les accidents du passé, les interventions chirurgicales antérieures, l’obésité et le syndrome métabolique. On devra s’habituer au terme de « inflamm-aging ». On vieillit par l’inflammation, qui n’est pas identique pour chaque individu, ni l’endroit préférentiel, qui dépendra du phéno- et génotype.

Fautes de réflexion

Dans l’indicateur de qualité utilisé actuellement, une importante faute de réflexion a été introduite en utilisant un quota. Une façon d’équilibrer les 45% au-dessus de 50 ans est d’augmenter le nombre de patients opérés en-dessous de 50 ans. En revanche, pour ces patients, le ménisque doit être conservé et donc pas enlevés. Il serait même plus intéressant de suivre le taux de méniscectomies en-dessous de 35 ans comme indicateur de qualité, que ce que nous faisons actuellement. De même, il est dommage de ne pas pouvoir surveiller le nombre de méniscectomies externes qui auront beaucoup plus d’impact sur l’évolution vers l’arthrose, que la méniscectomie interne partielle. Mais les codes d’INAMI utilisés ne permettent pas cette analyse en détail.

Nous pensons aussi que cela aurait été intéressant de comparer le nombre d’IRM du genou faites en Belgique et de les comparer avec le nombre d’arthroscopies pour se donner une idée de l’ampleur du traitement conservateur proposé aux patients belges.

Proposition pour le futur

Chaque médecin qui vise la qualité des soins soutient des initiatives du gouvernement pour trouver des méthodes pour la surveiller et si nécessaire de l’imposer à ceux qui ont une vision unique, mais controversée. Une solution simple serait de changer l’âge du quota vers l’âge légal de la pension en Belgique et d’imposer au patient au-delà de 67 ans qui ne présente pas une gonarthrose terminale radiologique, une période de 3 mois de traitement conservateur. Après cette période, le patient peut bénéficier d’une IRM et seulement les patients avec un flap et sans signes de chondropathie avancée pourraient subir une arthroscopie. Le quota entre les patients opérés au-delà de 67 ans et en-dessous pourrait être suivi. Ce shift en âge correspondrait beaucoup plus à l’objectif principal de l’INAMI.

Conclusion

L’objectif des médecins et de l’INAMI est le même. Offrir des soins de qualité avec un budget financier raisonnable, mais sur une base scientifique correcte et en respectant la culture médicale belge. La Belgique est connue pour sa qualité des soins. Souvent la science acquiert plus vite les connaissances que la vitesse de publication, mais surtout plus vite que la société acquiert de la sagesse.

Références

  1. Noorduyn Julia C A, van de Graaf Victor A, Willigenburg Nienke W, Scholten-Peeters Gwendolyne G M, Esther J Kret, van Dijk Rogier A et al.; ESCAPE Research Group. Effect of Physical Therapy vs Arthroscopic Partial Meniscectomy in People With Degenerative Meniscal Tears: Five-Year Follow-up of the ESCAPE Randomized Clinical Trial. JAMA Netw Open. 2022;5(7):e2220394. doi: 10.1001/jamanetworkopen.2022.20394
  2. Ozeki N, Seil R, Krych Aaron J, Koga Hideyuki.Surgical treatment of complex meniscus tear and disease: state of the art. ISAKOS. 2021;6(1):35-45. doi: 10.1136/jisakos-2019-000380.
  3. Sihvonen Raine, Paavola Mika, Malmivaara Antti, Itälä Ari, Joukainen Antti, Kalske Juha, et al.; FIDELITY (Finnish Degenerative Meniscus Lesion Study) Investigators. Arthroscopic partial meniscectomy for a degenerative meniscus tear: a 5 year follow-up of the placebo-surgery controlled FIDELITY (Finnish Degenerative Meniscus Lesion Study) trial. Br J Sports Med. 2020;54(22):1332-1339. doi: 10.1136/bjsports-2020-102813.
  4. Beaufils Ph, Becker R, Kopf S, Englund M, Verdonk R, Ollivier M, Seil R. Surgical management of degenerative meniscus lesions: the 2016 ESSKA meniscus consensus. Knee Surg Sports Traumatol Arthrosc. 2017;25(2):335-346. doi: 10.1007/s00167-016-4407-4.
  5. Deviandri R, Daulay MC, Iskandar D, Kautsar AP, Lubis AMT, Postma MJ Health-economic evaluation of meniscus tear treatments: a systematic review. Knee Surg Sports Traumatol Arthrosc. 2023;31(9):3582-3593. doi: 10.1007/s00167-022-07278-8.
  6. Thienpont E, Parvizi J. A New Classification for the Varus Knee. J Arthroplasty. 2016 Oct;31(10):2156-60. doi: 10.1016/j.arth.2016.03.034.PMID: 27237965

Évolution de la force de travail dans la spécialité et perspectives en matière de soins
Olivier Cornu, Nanni Allington, Diarra Seydou, Dan Putineanu, Thomas Schubert, Xavier Libouton, Olivier Barbier, Pierre-Louis Docquier, Jean-Emile Dubuc, Xavier Banse

Introduction

L’année 2023 a été marquée par une diminution significative du nombre de candidats spécialistes autorisés à entamer leur formation dans notre spécialité avec une réduction de près de moitié du nombre de mandats. Alors que jusqu’à présent, l’accès à la spécialité était lié au nombre de mandats de formation financés dans des lieux de stage agréés, le critère en 2023 fut l’application de quota liés à la planification médicale. Cette diminution interpelle sur plusieurs points. Alors que notre population vieillit mais avec l’ambition de rester active et de disposer d’une santé lui permettant de conserver une autonomie fonctionnelle intacte, le recours aux compétences de notre spécialité est dès lors appelé, à priori, à croître. Notre spécialité s’est diversifiée avec une complexification technologique qui amène une majorité des jeunes spécialistes à s’orienter dans une discipline de la spécialité et non plus l’aborder dans sa totalité, nécessitant dès lors davantage de bras. Enfin, l’évolution sociétale touche également notre profession et le souhait d’un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée est recherché par nombre de jeunes qui embrassent une carrière chirurgicale exigeante. Nous nous interrogeons dès lors sur la justesse de ces quotas.

Mesures de contingentement

Certains pays, comme la France, la Belgique et l’Allemagne, utilisent ou ont utilisé un système de numérus clausus pour limiter le nombre d’étudiants admis dans les Facultés de médecine. Ce système fixe un nombre maximal de places disponibles chaque année pour les nouveaux étudiants en médecine. Ces mesures s’appuient sur des outils de planification de la main d’œuvre médicale qui permettent théoriquement d’élaborer des plans à long terme pour déterminer les besoins en personnel médical en fonction de divers facteurs tels que la démographie, les tendances en matière de santé et les besoins régionaux. Ces plans peuvent influencer le nombre d’étudiants admis dans les programmes de formation médicale. Ceci peut aller jusqu’à l’imposition de restrictions quant à l’octroi de licences médicales ou à l’exercice de certaines spécialités médicales, avec l’établissement de sous-quota par spécialités. Ces restrictions visent à maintenir un équilibre entre l’offre et la demande de services médicaux. La difficulté réside dans l’identification exacte de la force de travail réelle, chaque médecin pouvant développer une pratique propre et que nombre d’entre nous conservent un numéro Inami, même après l’arrêt de leur activité professionnelle.

Impact des mesures en Belgique et en Europe

Les mesures de contingentement, telles que le numérus clausus, ont un impact significatif sur la capacité de travail médical en Europe et en Belgique. Elles peuvent entraîner une pénurie de médecins, en particulier dans certaines régions ou spécialités médicales. C’est malheureusement la triste réalité que rencontre la médecine générale qui fut la première impactée. Cela peut conduire à des temps d’attente plus longs pour les patients, une diminution de l’accès aux soins de santé et une surcharge de travail pour les professionnels de la santé disponibles. Elles peuvent contribuer à une répartition inégale des médecins, avec une concentration plus importante dans les zones urbaines et une pénurie dans les zones rurales ou éloignées. Cela peut également aggraver les disparités d’accès aux soins de santé entre les populations urbaines et rurales. La pénurie de médecins peut également avoir un impact sur la qualité des soins de santé, car les professionnels de la santé disponibles peuvent être contraints de travailler dans des conditions de surcharge, ce qui peut compromettre la qualité et la sécurité des soins. Dans certains cas, les mesures de contingentement peuvent inciter les professionnels de la santé à chercher des opportunités à l’étranger, là où les restrictions sont moins contraignantes. Cela peut entraîner également une fuite de cerveaux et aggraver la pénurie de compétences médicales dans les pays d’origine, les médecins étrangers venant occuper les places laissées vacantes faute d’avoir formé en temps et en heure, dans le pays de destination, les médecins nécessaires à la continuité de soins de qualité, et répondant à l’évolution sociétale. La libre circulation des personnes en Europe permet à tout médecin diplômé en Europe de venir faire reconnaître son diplôme et s’inscrire auprès de l’Ordre des Médecins puis librement s’installer. Se faisant, le pays où il aura été formé sera privé de la personne compétente pour lequel ce pays aura largement contribué au financement de la formation. Les mesures de contingentement médical qui ont un impact criant en Médecine générale en Belgique touche globalement l’Europe et les différentes spécialités. La pandémie de COVID-19 a amplifié cette situation (1). Certains pays envisagent d’accréditer de programmes de formation extra-communautaire pour permettre à des médecins formés hors des frontières de l’Union de venir suppléer aux manques induits par ces politiques de contingentement (Figure 6) (2). Des mesures dans ce sens ont été déjà prises pour accélérer les demandes en cours pour la reconnaissance des qualifications étrangères des professionnels de santé (par ex. en Allemagne, en Irlande, au Luxembourg), ou de simplifier les procédures (par ex. avec des tests de langue réduits en Allemagne, la suppression des entretiens en personne en Lituanie, l’adoption d’une dispense de frais en Irlande) (3).

Les besoins médicaux en Chirurgie Orthopédique et Traumatologie

Près de 150 millions d’Européens ont connu un trouble musculosquelettique en 2019. Au-delà de l’âge de 65 ans, plus de la moitié de la population est affectée par l’arthrose et est amenée à consulter dans notre spécialité : l’arthrose rachidienne touche la moitié de ces malades, suivie de celle du genou avec près d’un tiers de ceux-ci, de la main et de la hanche qui touchent 21 et 7 millions de ses européens… L’impact est évidemment variable d’un individu à l’autre, mais 80% des personnes atteintes d’arthrose ont une limitation des mouvements et 25% ne peuvent pas effectuer leurs activités quotidiennes. Ceci conduit dans un bon nombre de cas au remplacement articulaire, avec des taux de réussite appréciables, néanmoins, malheureusement encore entaché d’un risque faible mais persistant d’infection articulaire, associée à une mortalité plus élevée que celle des 5 cancers les plus courants. Dans les cinq plus grands pays européens, l’ostéoporose touche 21% des femmes et 6% des hommes âgés de 50 à 94 ans (soit plus de 20 millions de citoyens). L’ostéoporose est la cause sous-jacente des fractures de fragilité, qui sont toujours autant présentes malgré la prise en charge médicale de l’ostéoporose. Ainsi on compte jusqu’à 2,5 millions de nouvelles fractures de fragilité chaque année, dont 0,5 million de fractures de la hanche en Europe. Les patients, hommes et femmes, souffrant d’une fracture de fragilité ont au moins deux fois plus de risques de décès. Les traumatismes constituent également un énorme fardeau économique pour la population plus jeune : les traumatismes majeurs dus aux accidents de la route sont la principale cause d’invalidité chez les adultes de moins de 40 ans. Ils sont également la principale cause d’invalidité et de décès chez les adolescents et les enfants. 21000 enfants âgés de 5 à 14 ans meurent des suites de traumatismes chaque année, 36% de ces décès étant liés à la circulation routière. Le traitement des fractures constitue environ 30% de l’activité d’un service de chirurgie orthopédique et traumatologie avec bien évidemment un caractère non programmé qui en rend la prise en charge plus complexe et impose une disponibilité de tous les instants. Les affections musculosquelettiques sont le problème de santé au travail le plus important de l’UE, trois travailleurs sur cinq signalant de tels problèmes. Enfin, si le traitement du cancer s’est nettement amélioré au cours du temps, la survie des patients avec des métastases osseuses, nécessitent bien souvent une intervention pour prévenir la fracture.

Évolution de la force de travail dans la spécialité

Pour répondre à ce fardeau énorme, le nombre de chirurgiens orthopédistes par pays variait de 5 à 12 pour 100000 habitants, la Belgique se trouvant dans la moyenne mais avec une population davantage vieillissante et nécessitant davantage de soins. Ceci s’observe en partie avec des taux de remplacements articulaires plus élevés dans notre pays et nos pays voisins, Les données de la cellule de planification des professions des soins de santé démontrent que 65% des spécialistes ont plus de 45 ans et que le pourcentage de médecins en provenance de l’étranger grandit progressivement (Figure 7). Le même constat est réalisé partout en Europe avec la perspective d’un remplacement insuffisant du nombre de chirurgiens.

La charge de travail importante des aînés, entraînés à une époque où il n’existait pas de limite du temps de travail ni récupération des gardes, et leur profil de formation généraliste pluri-articulaire à un moment où notre spécialité n’avait pas encore connu l’explosion technologique à laquelle nous sommes actuellement confrontés, permettaient de faire face aux besoins de la population avec une qualité et un délai raisonnable. Le niveau de compétence nécessaire, actuellement, pour maitriser les techniques chirurgicales et la réduction du temps de travail dans le cadre de la formation, conduit les plus jeunes à davantage s’orienter dans un secteur de la spécialité, où ils excellent sûrement, mais avec comme corolaire une moins grande polyvalence et une disponibilité plus réduite. Le maintien d’une continuité des soins pour l’activité non programmée en traumatologie et de compétences suffisantes dans différents secteurs de la spécialité représente dans ce cadre un défi. Ce choix de nos jeunes est, cependant, certainement un gage de qualité et de sagesse. Face au gap existant et qui ne manquera pas de s’aggraver, une mobilité apparaît au dépend de pays où les conditions sont moins bonnes, fragilisant l’accès aux soins de ces populations. Rien ne peut s’y opposer au sein de l’union européenne avec la libre circulation des personnes. Le niveau de formation varie évidemment d’un pays à l’autre et il n’y a pas encore d’obligation européenne ni en Belgique de disposer d‘une certification européenne en Orthopédie-Traumatologie (alors qu’elle est organisée pour nos spécialistes), garantissant un niveau de compétence plus homogène au sein des pays de l’Union.

Conclusion

La diminution du quota établi pour notre spécialité interpelle car elle expose notre population à connaître une raréfaction des soins, une moindre accessibilité et une baisse relative de qualité. Il nous paraît important de garantir un niveau élevé de qualité de soins dans notre système en veillant à ne pas davantage affaiblir la force de travail nécessaire à la réalisation de ceux-ci, à soutenir la nécessité d’un socle européen commun minimal que pour travailler dans notre pays, par exemple par l’obtention de la certification européenne dans la spécialité. Nous ne pouvons attendre de nos jeunes chirurgiens qu’il sacrifie leur vie de famille pour combler le vide laissé par leurs aînés.

N’ont-ils pas raison en termes de qualité de soins que de considérer qu’il faut disposer de temps de repos et que pour bien prendre soins des autres, il convient de prendre soin de soi ? Réduire leur nombre ne permettra pas de rencontrer les défis que notre population (et nous-mêmes comme futurs membres de cette communauté de retraités) souhaite que nous relevions : lui permettre de vieillir en bonne santé, en conservant son autonomie.

Références

  1. OCDE (2020), « Beyond containment: Health systems responses to COVID-19 in the OECD », OECD Policy Responses to Coronavirus (Covid-19), Éditions OCDE, Paris, http://www.oecd.org/coronavirus/policy-responses/beyond-containment-heal....
  2. OCDE (2015), « Nouvelles tendances des migrations internationales de médecins et d’infirmiers vers les pays de l’OCDE », dans Perspectives des migrations internationales 2015, Éditions OCDE, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/migr_outlook-2015-6-fr.
  3. OCDE (2019), « Recent trends in international mobility of doctors and nurses », dans Recent Trends in International Migration of Doctors, Nurses and Medical Students, Éditions OCDE, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/5ee49d97-en.
  4. EFORT White Book: Orthopaedics and Traumatology in Europe. J.A.N. Verhaar P. Kjærsgaard-Andersen D. Limb K-P Günther Th. Karachalios (Eds). https://www.efort.org/wp-content/uploads/2022/10/EFORT_WhiteBook_2022.pdf
  5. PlanCad Médecins spécialistes en Chirurgie orthopédique 2004-2016, Cellule Planification des professions de soins de santé, Service Professions des soins de santé et pratique professionnelle, DG Soins de santé, SPF Santé publique, Sécurité de la chaîne alimentaire et Environnement, septembre 2019.

Affiliations

Service de Chirurgie Orthopédique et Traumatologie, Cliniques universitaires Saint-Luc UCL, Université catholique de Louvain, Bruxelles, Belgique.
1. Service de Chirurgie Orthopédique et Traumatologie, Centre Hospitalier Chrétien du Montlegia, Liège, Belgique.

* Contributeurs équivalents

Correspondance

Pr Olivier Cornu
Cliniques universitaires Saint-Luc
Service de Chirurgie Orthopédique et Traumatologie
Avenue Hippocrate 10, B-1200 Bruxelles