Quand rechercher les anticorps antinucléaires (AAN) ?
Il convient de rechercher les AAN, en particulier chez les sujets jeunes, en présence d’un tableau clinique (nécessairement objectif) suggestif de rhumatisme systémique tel qu’un rash cutané, une (poly)sérosite, une atteinte neurologique (myélite transverse, accident vasculaire cérébral, etc.), une atteinte interstitielle pulmonaire, une (des) cytopénie(s), un phénomène de Raynaud récent et lésionnel (cf. capillaroscopie pathologique ou mégacapillaires cuticulaires visibles à l’œil nu), une faiblesse musculaire proximale, une nécrose digitale ou, bien entendu, une atteinte rénale, en particulier glomérulaire.
Signification clinique de la détection des AAN
Les AAN sont des immunoglobulines dirigées contre des composants autologues du noyau et du cytoplasme (1). Le test de détection des AAN est l’immunofluorescence indirecte (IFI) sur des cellules HEp2 (2). Les AAN se lient aux antigènes du noyau et/ou du cytoplasme des cellules HEp2 et sont révélés par incubation avec des anticorps fluorescents (3,4). Les images alors observées peuvent indiquer la nature des auto-anticorps.
Cependant, la sensibilité de la méthode est excellente pour certaines maladies, mais sa spécificité est limitée, car des AAN sont détectés chez environ 25 à 30% des individus sans maladie auto-immune (5). La présence d’anticorps anti-DFS70 (Dense Fine Speckled 70) est souvent associée à des individus en bonne santé, ce qui peut exclure une maladie auto-immune. La détection des anticorps anti-DFS70 peut donc être rassurante dans ces cas (6).
En pratique, comment procéder ?
En présence de manifestations cliniques évocatrices de connectivite, la première étape consiste à tester les AAN par IFI. Si les AAN sont négatifs et qu’il n’y a pas de forte suspicion clinique, aucun autre test n’est nécessaire. Cependant, s’ils sont positifs, il est recommandé de rechercher leur spécificité antigénique.
Dans le cas d’une suspicion de lupus érythémateux disséminé (LED), un dosage des anticorps anti-ADN natif est demandé et des anticorps anti-ENA (ENA ; anti-extractable nuclear antigen) quand un LED ou une autre connectivite est soupçonnée. La recherche des anticorps anti-ENA s’effectue par ELISA. Un test initial de screen anti-ENA est réalisé pour détecter simultanément 7 auto-anticorps différents (anti-Sm, anti-RNP, anti-SSA, anti-SSB, anti-Jo1, anti-Scl70 et anti-centromère (CENP-B)). Si l’ELISA screen est positif, un sous-typage spécifique des sept auto-anticorps est réalisé pour identifier leur réactivité spécifique.
En cas de suspicion de myosite, une test immunologique appelé dot myosite peut être demandé. Cette méthode détecte les anticorps en incubant le sérum du patient avec un antigène fixé sur une membrane, suivi d’une révélation par un anticorps anti-immunoglobulines humaines couplé à une activité enzymatique. Le dot myosite testera spécifiquement la présence d’une série d’anticorps associés à la myosite. Le dot myosite utilisé aux Cliniques universitaires Saint-Luc teste la présence d’anti-Jo1, d’anti-PL7, d’anti-PL12, d’anti-EJ, d’anti-SRP, d’anti-Mi2, d’anti-MDA5, d’anti-Ro52, d’anti-SAE1/SAE2 et d’anti-NXP2.
En cas de suspicion de sclérose systémique, un test similaire appelé dot sclérodermie peut être réalisé. Celui-ci inclut la détection des anticorps contre différents antigènes associés à la sclérose systémique. Celui utilisé aux Cliniques universitaires Saint-Luc inclut classiquement les anti-Scl70, anti-CENP-A, anti-CENP-B, anti-PM-Scl-100, anti-PM-Scl-75, anti-Ku, anti-RNA polymérase III, anti-U1RNP, anti-Th/To et anti-fibrillarine.
Les anticorps associés au LED
Le LED présente une grande variabilité dans sa présentation clinique et son pronostic. Le diagnostic repose sur une combinaison d’éléments cliniques, biologiques et sérologiques. Un titre élevé d’AAN détecté par IFI sur cellules HEp2 (>1/160) est généralement observé chez les patients atteints de LED, avec une sensibilité entre 94 et 100% (7-9). Par conséquent, un titre d’AAN inférieur à 1/160 rend le diagnostic de LED extrêmement improbable (10). Il n’est pas recommandé de surveiller régulièrement les AAN dans le suivi du LED car ils restent généralement positifs quel que soit le degré d’activité de la maladie.
En cas de positivité des AAN et de suspicion clinique de LED, la recherche d’anticorps anti-ENA et anti-ADN double brin est recommandée. Les méthodes de détection de ces anticorps varient en sensibilité et en spécificité. Les méthodes ELISA sont très sensibles pour détecter les anticorps anti-ADN double brin, mais elles manquent de spécificité pour le diagnostic de LED. Le test d’IFI sur Crithidia luciliae et le radioimmunoessai de Farr sont moins utilisés mais peuvent être plus spécifiques car ils détectent les anticorps de forte affinité, considérés comme pathogènes (11).
Les taux sériques d’anticorps anti-ADN sont généralement corrélés à l’activité de la maladie (12), en particulier à une atteinte rénale glomérulaire (13). Il est donc recommandé de rechercher les anticorps anti-ADN en cas de suspicion clinique de LED en présence d’un titre d’ANA élevé (>1/160) et de répéter régulièrement les dosages, en utilisant de préférence le même test dans le même laboratoire. Les autres auto-anticorps, tels que les anti-ENA, ne doivent pas être demandés de manière répétée car ils varient peu dans le temps et ne sont pas des marqueurs d’évolution de la maladie.
Les anticorps associés au syndrome de Sjögren
Le syndrome de Sjögren peut se présenter de manière primaire ou secondaire à une autre affection. Cette maladie auto-immune des glandes exocrines affecte principalement les femmes. Le symptôme principal est un syndrome sec touchant les yeux et la bouche (ainsi que les voies respiratoires et génitales), dans un contexte sérologique approprié.
Bien que la détection d’anticorps antinucléaires (AAN) ne soit théoriquement pas formellement nécessaire pour établir le diagnostic de syndrome de Sjögren primaire (14), il est recommandé de rechercher des titres élevés d’AAN, en particulier d’anticorps anti-Ro/SSA et/ou anti-La/SSB, dans le sérum de ces patients avant de poser ce diagnostic. Cela permet d’éviter des diagnostics erronés chez des patients souffrant d’autres causes plus fréquentes de sécheresse buccale, telles que la dépression, le vieillissement ou la prise de certains médicaments.
Les anticorps associés à la sclérose systémique
La sclérose systémique est une maladie auto-immune caractérisée par au moins un phénomène de Raynaud lésionnel, qui se manifeste par la présence de mégacapillaires cuticulaires visibles à l’œil nu ou documentés à la capillaroscopie, dans un contexte sérologique approprié. Les anticorps spécifiques associés à la sclérose systémique permettent de classer les patients dans différents sous-groupes. La maladie peut être classée comme limitée, avec une atteinte cutanée distale (forme cutanée limitée), ou diffuse, avec une atteinte cutanée proximale (forme cutanée diffuse). Cette classification est importante car elle influence le pronostic de la maladie. Les formes cutanées diffuses évoluent plus rapidement et présentent un risque accru de complications viscérales telles que les atteintes interstitielles pulmonaires ou rénales.
Dans la forme cutanée limitée de la sclérose systémique, l’anticorps le plus fréquent est l’anti-centromère (anti-CENP B), tandis que dans la forme cutanée diffuse, l’anticorps typiquement retrouvé est l’anti-topoisomérase 1 (Scl70). D’autres auto-anticorps ont été décrits, certains étant associés à des manifestations cliniques spécifiques (15). Ils sont recherchés par la technique du dot.
Les anticorps associés aux myopathies inflammatoires idiopathiques (myosites)
Une nouvelle classification des myosites a été proposée ; elle repose précisément sur l’identification d’auto-anticorps spécifiques (16). On distingue la dermatomyosite, le syndrome anti-synthétase, la myosite nécrosante immuno-médiée et la myosite à inclusions. L’algorithme décisionnel utilisé pour établir cette nouvelle classification a démontré que les anticorps spécifiques des myosites jouaient un rôle clé dans le diagnostic, alors que les données pathologiques étaient peu utiles, car communes aux différentes entités.
Conclusions
Le déchiffrage des autoanticorps antinucléaires (AAN) semble devenir de plus en plus complexe. Bien que le nombre de nouveaux autoanticorps soit impressionnant et en constante augmentation, leur détection joue un rôle crucial dans le diagnostic clinique. Identifier des AAN sur des cellules HEp2 est une chose, mais détecter des anticorps spécifiques liés aux myosites ou à la sclérose systémique en est une autre, étant donné qu’ils ne sont pas présents dans la population générale. En d’autres termes, la contribution de la sérologie auto-immune au diagnostic des rhumatismes systémiques est plus cruciale que jamais. Elle permet une meilleure identification des patients et les classe dans des sous-groupes présentant des complications cliniques significatives, ce qui est essentiel pour un dépistage précoce.
Correspondance
Dre Farah Tamirou
Cliniques universitaires Saint-Luc
UClouvain
Service de Rhumatologie
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles, Belgique
farah.tamirou@uclouvain.be
Références
- Cabiedes J, Núñez-Álvarez CA. Anticuerpos antinucleares [Antinuclear antibodies]. Reumatol Clin. 2010;6(4):224-230.
- Meroni PL, Schur PH. ANA screening: an old test with new recommendations. Annals of the Rheumatic Diseases. 2010;69:1420-1422.
- Op De Beeck K, Vermeersch P, Verschueren P, et al. Detection of antinuclear antibodies by indirect immunofluorescence and by solid phase assay. Autoimmun Rev. 2011;10(12):801-808.
- Bossuyt X, Claessens J, De Langhe E, et al. Antinuclear antibodies by indirect immunofluorescence and solid phase assays. Ann Rheum Dis. 2020;79(6):e65.
- Tan EM, Feltkamp TE, Smolen JS, et al. Range of antinuclear antibodies in “healthy” individuals. Arthritis Rheum. 1997;40(9):1601-1611.
- Mariz HA, Sato EI, Barbosa SH, Rodrigues SH, Dellavance A, Andrade LE. Pattern on the antinuclear antibody-HEp-2 test is a critical parameter for discriminating antinuclear antibody-positive healthy individuals and patients with autoimmune rheumatic diseases [published correction appears in Arthritis Rheum. 2011 May;63(5):1468]. Arthritis Rheum. 2011;63(1):191-200.
- Hochberg MC, Boyd RE, Ahearn JM, Arnett FC, Bias WB, Provost TT, et al. Systemic lupus erythematosus: a review of clinico-laboratory features and immunogenetic markers in 150 patients with emphasis on demographic subsets. Medicine (Baltimore). 1985; 64(5):285–95.
- Koh WH, Fong KY, Boey ML, Feng PH. Systemic lupus erythematosus in 61 Oriental males. A study of clinical and laboratory manifestations. Br J Rheumatol. 1994; 33(4):339–42
- Ginsburg WW, Conn DL, Bunch TW, McDuffie FC. Comparison of clinical and serologic markers in systemic lupus erythematosus and overlap syndrome: a review of 247 patients. J Rheumatol. 1983 ; 10(2):235–41.
- Maddison PJ, Provost TT, Reichlin M. Serological findings in patients with “ANA-negative” systemic lupus erythematosus. Medicine (Baltimore). 198 ; 60(2):87–94.
- Villalta D, Bizzaro N, Corazza D, Tozzoli R, Tonutti E. Evaluation of a new automated enzyme fluoroimmunoassay using recombinant plasmid dsDNA for the detection of anti-dsDNA antibodies in SLE. J Clin Lab Anal. 2002 ; 16(5):227–32.
- Schur PH, Sandson J. Immunologic factors and clinical activity in systemic lupus erythematosus. N Engl J Med. 1968 ; 278(10):533–8.
- Alba P, Bento L, Cuadrado MJ, Karim Y, Tungekar MF, Abbs I, et al. Anti-dsDNA, anti-Sm antibodies, and the lupus anticoagulant: significant factors associated with lupus nephritis. Ann Rheum Dis. 2003; 62(6):556–60.
- Shiboski CH, Shiboski SC, Seror R, Criswell LA, Labetoulle M, Lietman TM, et al. 2016 American College of Rheumatology/European League Against Rheumatism classification criteria for primary Sjögren’s syndrome: a consensus and data-driven methodology involving three international patient cohorts. Ann Rheum Dis. 2017 ; 76(1):9–16.
- Arlettaz L, V. Musaro, E. Dayer. Les anticorps spécifiques de la sclérodermie systémique. Caduceus Express. 2014 ; 16.
- Mariampillai K, Granger B, Amelin D, et al. Development of a New Classification System for Idiopathic Inflammatory Myopathies Based on Clinical Manifestations and Myositis-Specific Autoantibodies. JAMA Neurol. 2018;75(12):1528-1537.